Les preuves de l'existence de Dieu : Différence entre versions

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Version actuelle datée du 27 mars 2012 à 16:29

Apologétique
Auteur : Cardinal Charles Journet
Source : Réponse au Père R. Garrigou-Lagrance, O.P.

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile

Il n’y a, au vrai, qu’une preuve de l’existence de Dieu, celle qui oblige l’intelligence à passer de la constatation du monde à l’affirmation de Dieu, de la connaissance de l’être contingent à l’Affirmation de l’Etre Absolu. Les cinq arguments de saint Thomas ne sont pas cinq preuves différentes, ce sont cinq aspects de la même preuve, cinq voies, qui pour aboutir à l’existence de l’Absolu, partent des cinq faits qui décèlent le plus profondément la contingence radicale, la foncière indigence du monde, c’est-à-dire du multiple (4e voie) et du devenir, étudié d’abord en lui-même (1ère voie), puis dans ses causes efficiente et finale (2e et 5e voies), enfin dans ses résultats (3e voie). Notre dessein n’est pas de parcourir chacune de ces cinq voies, mais d’exposer la preuve de Dieu d’une façon volontairement implicite, en cherchant ainsi à retrouver l’intuition intellectuelle originelle que saint Thomas a fixée si fortement dans la Somme. Nous étudierons brièvement à cet effet :

1° Parménide et les premières données de la raison ;

2° Héraclite et les premières données de fait ;

3° Aristote et saint Thomas, ou la conciliation des premières données de la raison et des premières données de fait, par la notion de puissance et l’affirmation corrélative de Dieu.

 

1° Parménide et les premières données de la raison

 

 L’être est, le non-être n’est pas. Tout le monde s’accorde là-dessus. Le nier forcerait à une abdication initiale de la pensée. Mais pour révéler aux Grecs les étonnantes exigences de ce principe, il a fallu le génie de Parménide. L’être est, le non-être n’est pas. Hors de l’être il n’y a donc que le néant. Or, poursuivait Parménide, ce qui devient, n’est pas encore autrement il ne deviendrait plus, il serait. Le devenir est donc extérieur à l’être. Mais en dehors de l’être il n’y a que le non-être, le néant. Le devenir est donc néant.

Parménide disait de même à propos de ce qui nous paraît multiple : l’être est ce qu’il est, l’être est identique à lui-même. En dehors de l’être il n’y a que le néant. Donc une multiplicité est impossible. En effet, s’il y avait deux êtres, l’un différerait de l’autre par autre chose que l’être, ce qui est impossible, puisque hors de l’être il n’y a que le néant, et que le néant ne peut distinguer un être de l’autre.

Donc, disait Parménide, si l’on veut conserver le premier principe de la raison : l’être est, le non-être n’est pas, on est contraint de soutenir que ni le devenir ni le multiple ne sont possibles. Aussi est-ce pour l’homme une obligation de triompher de la fascination des sensations qui lui persuadent de croire au multiple et au changeant, et de fixer héroïquement son esprit dans l’intuition suprême de l’intelligence, affirmant que seul l’être est. Il est mieux de sacrifier le sens que la raison, le périssable que l’éternel. Pour faire droit aux exigences despotiques de la pensée, Parménide niera le monde, le devenir et le multiple, et affirmera l’être un, immuable, éternel, infini. Il sauvera Dieu, mais en lui immolant le monde. Il échappera à l’athéisme, mais au prix de l’acosmisme qui est un mal égal. Tel est le surprenant résultat auquel aboutirent les premiers des philosophes qui surent découvrir l’écrasante dignité de la pensée et la vertu souveraine du principe de non-contradiction, qui en est la première donnée.

 

 

2°  Héraclite et les premières données de fait

 

 Les premières données de fait, à l’opposé des premières données de la raison, sont la constatation impérieuse du devenir et da multiple dont se compose le monde. Il est vrai, convenait Héraclite, que les premières données de la pensée rendent impossibles le devenir et le multiple. Mais qui consentirait à renoncer au visible pour l’invisible ? à sacrifier les données de fait aux exigences de la pensée ? Ce qu’il faut annoncer hardiment, c’est la faillite initiale de l’intelligence. Le devenir et le multiple sont donnés concrètement ; la pensée, dès sa première démarche, ne s’en accorde pas ; c’est donc elle qui doit disparaître. Le principe de non-contradiction peut bien régir la pensée ; mais le monde qui est devenir et multiplicité, est une contradiction réalisée, une violation pragmatique perpétuelle du premier principe rationnel. Il devient donc obligatoire de répudier, comme radicalement illusoire, toute tendance de la raison à affirmer l’être, son identité avec lui-même et son absence de multiplicité, son immutabilité et son absence de devenir. Héraclite proclame la réalité du monde, mais en supprimant la réalité de Dieu. Il échappera à l’acosmisme mais au prix de l’athéisme.

 

 

3° Aristote et saint Thomas, ou la conciliation des premières données de la raison et des premières données de fait, par la notion de puissance et l’affirmation corrélative de Dieu.

 

La première donnée de la pensée est le principe de non-contradiction.

La première donnée de fait est le devenir et le multiple.

Parménide sacrifie la première donnée de fait pour sauvegarder la première donnée de la raison.

Héraclite sacrifie la première donnée de la raison pour sauvegarder la première donnée de fait.

Tel est le drame intellectuel de la Grèce, plus tragique que l’Antigone de Sophocle.

Sommes-nous donc contraints à opter pour l’un ou l’autre de ces nihilismes dont chacun introduirait l’absurdité stricte à l’origine même de notre connaissance, et aurait pour résultat prochain de dissoudre le monde en Dieu, ou Dieu dans le monde ?

A cette question qui décide du sort de notre intelligence et de notre vie proprement humaine, Aristote a répondu non. Il a brisé le dilemme formidable qu’on lui proposait, par l’introduction de la notion géniale de puissance. La notion de puissance permet seule d’accorder d’une part le devenir et le multiple (premières données de fait), avec, d’autre part, l’immutabilité et l’identité de l’être (premières données de la raison). Elle délivre enfin l’intelligence du suicide. Mais cette notion de puissance, salut de l’intelligence, est la base infrangible de la preuve de Dieu. En sorte que sans qu’on le cherchât, on n’arrachait l’homme à l’absurdité qu’en le jetant dans les bras de Dieu. Il n’y a pas dans l’histoire de l’humaine sagesse, de fait plus digne de méditation que la prise de conscience par Aristote, de la notion de puissance, grâce à laquelle la pensée philosophique passait de l’absurdité radicale à l’affirmation de Dieu.

Aristote maintenait d’une part le principe de non-contradiction, d’autre part, le devenir et le multiple. Du rapprochement de ces deux données devait sortir la notion de puissance et quasi-simultanément la notion de Dieu.

Voici comment.

Il est vrai, sans doute, de dire que le devenir n’est pas, puisque ce qui devient, ne peut être déjà ; que le multiple n’est pas, puisque l’être étant identique à lui-même, le multiple, autrement dit l’absence d’identité, est une absence d’être. Si je disais que le devenir est, et que le multiple est, j’identifierais le devenir et le multiple à l’Etre, c’est-à-dire à ce qui, étant déjà, ne devient plus, et à ce qui, étant identique à lui-même, n’est pas diversifié.

Pourtant je ne puis pas dire : le devenir n’est pas, le multiple n’est pas, au sens où je dis du néant qu’il n’est pas. Parler ainsi serait identifier cette fois-ci le devenir et le multiple au Néant.

Que dire donc ? Le devenir est-il ou n’est-il pas ? Le multiple est-il ou n’est-il pas ? En tout cas, ce que je sais, c’est qu’il est métaphysiquement impossible d’identifier le devenir et le multiple au néant, et qu’il est tout aussi impossible de les identifier à l’être. Ils ont trop de réalité pour que l’intelligence puisse les déclarer un néant ; ils n’en ont pas assez pour qu’elle puisse reconnaître en eux la. dignité de l’être. Ils sont entre l’être et le néant. Ils sont ce qui Aristote a appelé de la puissance.

L’intelligence connaît que le devenir et le multiple sont de l’être en puissance. Elle saisit dans une quasi intuition, leur contingence. Qu’est-ce à dire ? Sinon qu’elle rencontre en eux trop et trop peu de consistance : trop pour dire qu’ils ne sont pas et ne plus se préoccuper d’eux ; et trop peu pour dire qu’ils sont, et déclarer ainsi qu’ils se suffisent. Elle leur voit juste assez d’être pour qu’il leur soit possible d’étaler au jour leur misère ontologique native. Le devenir et le multiple, et en particulier le monde, ne sont à proprement parler ni être, ni néant. Ils sont de l’être en puissance, de l’être qui ne se suffit pas, de l’être qui a besoin d’explication. Au contraire, ni le néant ni l’Absolu ne requièrent d’explication. Dire que le monde, le devenir et le multiple n’ont pas à être expliqués, serait par conséquent retourner à l’absurdité radicale, en prenant, selon le choix, la voie de Parménide ou celle d’Héraclite. Le monde multiple et changeant ( 1re donnée de fait) ne cessera d’être un scandale pour le principe de non-contradiction (1re donnée de la raison), que lorsque, refusant contre Parménide d’en faire un néant, et refusant contre Héraclite d’en faire un Absolu, on le reconnaîtra pour ce qu’il est : une réalité qui ne se suffit pas, offrant un besoin permanent d’être expliquée par l’Etre qui se suffit, l’Etre sans devenir ni multiplicité, l’Absolu dont le nom est Dieu.

« L’intelligence qui comprendrait tout le sens et toute la portée du principe d’identité verrait quasi a simultaneo que la réalité fondamentale, l’Absolu, n’est pas cet univers multiple et changeant, mais bien l’Ipsum esse, transcendant de par son absolue identité et immutabilité[1] ».

En Lui est la Source de l’unité et de la paix.

 

  1. Père Garrigou-Lagrange, Sens commun, p. 240 ; nouv. édition, p. 188.
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