La collégialité : Différence entre versions
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L'Eglise | |
Auteur : | P. M.-R. Gagnebet, O.P. |
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Source : | Itinéraires n°92 |
Date de publication originale : | Avril 1965 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦♦ Difficile |
Remarque particulière : | Le Père M.-R. Gagnebet, maître en théologie, expert au Concile, a publié le 25 décembre 1964 une étude sur la collégialité que nous avons aussitôt souhaité faire connaître à nos lecteurs. Grâce à son aimable autorisation et à celle de la direction de « La France catholique », dont nous les remercions très vivement, nous pouvons en reproduire ici le texte intégral. Les inter-titres appartiennent à l’original. |
Sommaire
La collégialité de l’épiscopat d’après la Constitution dogmatique “Lumen Gentium”
Le point central de la Constitution dogmatique sur l’Église approuvée par le Concile se réfère à la Collégialité de l’Épiscopat. Qui n’admirerait pas l’action invisible de l’Esprit, qui préside aux Conciles, dans cette unanimité enfin retrouvée sur cette doctrine qui suscita tant d’oppositions au Concile et plus encore en dehors du Concile ? Dès la première annonce de sa convocation par Jean XXIII, on présenta la collégialité de l’épiscopat comme l’aspect fondamental de l’enseignement sur les Évêques qu’aurait à élaborer Vatican II. Malheureusement, beaucoup de ceux qui propageaient cette doctrine par la presse n’en avaient qu’une idée assez imprécise.
Elle ne compléterait pas seulement disait-on, Vatican I, mais corrigerait sa doctrine unilatérale sur la primauté et l’infaillibilité du Pontife romain. Ces prérogatives personnelles du Vicaire de Jésus-Christ, pasteur de l’Église universelle, furent même présentées par quelques-uns comme appartenant au Collège, sujet premier et unique du pouvoir dans l’Église, et qui peut les exercer soit par lui-même, soit par son chef qui n’est jamais séparé de ses membres. On se promettait beaucoup d’avantages pratiques et œcuméniques de cette nouvelle ecclésiologie, plus biblique et plus complète, disait-on.
Cette présentation de la collégialité fit naître des craintes pour le dogme fondamental de la primauté du successeur de Pierre et son infaillibilité personnelle sur lesquelles reposent toute « la force et la solidité de l’Église », affirme Vatican I. L’an passé dans La France Catholique du 15 novembre 1963, nous nous efforcions d’exposer l’authentique notion de la collégialité et de montrer son plein accord avec la constitution « Pastor Aeternus ». Aujourd’hui, nous voudrions rapporter l’enseignement sur ce point de l’admirable Constitution dogmatique « Lumen Gentium » (Ch. III, n° 22).
Pour définir la nature du collège, son pouvoir collégial, et les conditions de son exercice, nous tiendrons le plus grand compte de la « note explicative » qui accompagne le texte de cette Constitution dans les Actes du Concile. Cette note précise le sens dans lequel les Pères ont été invités à voter ce chapitre aussi bien à la Congrégation générale du 19 novembre qu’à la session publique du 21 novembre. C’est donc cette interprétation de la doctrine que les Pères ont approuvée par deux mille cent cinquante et une voix contre cinq. Le Saint Père a déclaré ne pas hésiter à promulguer cette doctrine, compte tenu des explications données dans cette note sur le sens des termes employés. C’est dire que cette note est l’interprétation authentique de la doctrine de la collégialité proposée par Vatican II.
Nature du Collège épiscopal
Une première difficulté qui fit hésiter de nombreux pères provenait du mot lui-même. Dans son sens strict, « collège » signifie une société de collègues égaux en dignité et en pouvoir. Le chef du collège n’est que le mandataire de ses pairs et il n’agit qu’en vertu des pouvoirs qu’il lui délègue. Mais ce mot peut désigner aussi une société hiérarchisée, composée de membres inégaux et dont le chef possède des pouvoirs personnels qu’il ne tient pas de ses collègues.
Pour qu’il soit bien clair que le corps épiscopal est appelé « collège » dans ce sens plus large, la Constitution alterne notre mot avec ses synonymes : « corps épiscopal » ou « ordre épiscopal ». Elle précise son intention de désigner par ce mot un groupe stable « cœtus stabilis » qui rassemble dans son unité le Pape, successeur de saint Pierre, et les Évêques, successeurs des Apôtres. Notre Seigneur n’a pas voulu que les chefs de son Église soient des individus isolés les uns des autres, mais il les a unis dans l’unité d’un corps moral auquel il a confié la mission d’enseigner toutes les nations, de les gouverner et de les sanctifier. (Matth. XXVIII 20). Ainsi sera mieux assurée l’unité de leur action dans l’église entière.
Mais pour sauvegarder l’unité de ce corps de Pasteurs, et par elle celle de l’Église tout entière, il a établi à la tête son propre Vicaire auquel il a communiqué ses propres pouvoirs et qu’il a chargé de conduire l’universalité de son troupeau aussi bien les pasteurs que les brebis (Jean, XXI, 15-18). Le Pape n’est donc pas seulement le chef du collège épiscopal, ne possédant que les pouvoirs du collège qu’il ne pourrait exercer que dans la dépendance de ses membres. Tel est le dogme de Vatican I et tel est aussi l’enseignement de l’Écriture, ainsi que l’ont montré récemment d’admirables études du R.P. Benoît, professeur à l’École Biblique de Jérusalem (Exégèse et théologie, éd. du Cerf, 1961, II, pp. 251-308).
Pierre, pasteur universel (Jean, XXI, 15-17) est aussi le roc dans lequel on creuse les fondements, et sur lequel repose toute la solidité de l’édifice (Matth. XVI, 18) selon la parabole (Luc, VI, 48). A lui le Seigneur confie l’office de majordome symbolisé par le don des clefs de la maison de Dieu sur la terre. Enfin, il jouira personnellement du pouvoir de « lier et de délier » qui implique non seulement le pouvoir de remettre, les péchés, mais aussi celui de gouverner.
Or, ainsi que le remarque ce savant exégète (p. 280), ces titres désignent dans l’Écriture les prérogatives du Christ lui-même. En un sens unique, il se dit le Bon Pasteur (Jean, X, 11 ; Matth., XXV, 32 ; XXVI 31). Le rôle de direction suprême du peuple messianique lui est encore attribué (Heb., XIII, 20 ; I Petr., II, 25 ; Apoc., VII, 17 ; XII, 5). L’Ancien Testament lui décerne ce titre en tant que Messie-Roi (Ez., XXXIV, 11-16 ; Mich., V, 3 ; cfr Matth., II, 6) représentant de Dieu, pasteur d’Israël (Is,. XI, 11 ; Jér., XXXI, 10 ; Ez., XXXIV, 11-16 ; Ps., LXXIV, 1 ; LXXVIII, 2, etc.). « En un mot, la charge de Pasteur – en ce sens supérieur et universel – c’est la charge de conduire le peuple de Dieu, charge qui appartient en propre à Dieu et à son Christ, mais qui se trouve ici déléguée à saint Pierre. »
Il en est de même pour « le pouvoir des clefs » et la fonction de « Roc » – Ce sont là aussi des attributs messianiques. D’après Apocalypse III, 7 reprenant l’oracle d’Isaïe XXII, 22, le Christ est « celui qui détient la clef de David : s’il ouvre personne ne fermera et, s’il ferme, personne n’ouvrira ». D’autre part, il est désigné de diverses manières comme Pierre et Roc : pierre d’achoppement (Rom., IX, 33 ; I Petrus, II, 8) mais aussi pierre de fondation (I Petr., II, 6) rejetée par les bâtisseurs, mais choisie par Dieu comme pierre de faite (Matth., XXI, 42 ; I Petr., II, 7), enfin Roc qui conduit le peuple élu dans le désert (I Cor., X, 4). Dès lors, quand il accorde ces titres à Pierre, il le désigne clairement pour continuer sa mission de gouverner le peuple messianique (op. cit., p. 283). Pierre devait mourir. Mais cette mission unique devait durer « tant qu’il y aura un troupeau à conduire, une maison à maintenir ferme sur ses bases et à administrer » (Ibid.). Si l’Église doit exister jusqu’à la fin des temps (Matth., XXVIII, 20), il lui faudra toujours « un chef qui la dirige et la garde dans l’unité en lui assurant, de façon visible, la présence continuée du Christ, Roc, clavigère et Pasteur » (op. cit., p. 283).
Le chef du Collège apostolique n’est pas seulement le détenteur des pouvoirs du collège. Il est le Vicaire de Notre Seigneur Jésus-Christ, chef invisible de l’Église : « L’Église unique, enseigne la bulle « Unam sanctam » dans sa partie dogmatique, n’a qu’une seule tête, non pas deux comme un monstre, le Christ et son Vicaire » (Denz. Sch. 871). Au Vicaire du Christ conviennent les pouvoirs propres du Christ, chef invisible de l’Église qu’il représente visiblement.
Fidèle écho de cet enseignement scripturaire, Vatican II, comme Vatican I, reconnaît au Pape des prérogatives personnelles qui lui conviennent à lui seul comme Vicaire du Christ et pasteur universel de l’Église. A lui appartient personnellement la plénitude du pouvoir suprême sur toute l’Église. Cette juridiction pleine et universelle, il peut librement l’exercer tout seul par des actes qu’il pose en vertu de son autorité propre, ainsi que l’ont fait tous les successeurs de saint Pierre au cours des siècles. A lui appartient aussi le don de l’infaillibilité personnelle qui lui a été obtenue par la prière toujours efficace du Christ pour confirmer dans la foi ses frères dans l’épiscopat et par eux toute l’Église (Luc, XXI, 32 ; Const. dogm. n° 25).
Le Pape Paul VI s’est félicité dans son discours de cette reconnaissance explicite et souvent répétée par notre texte de ces prérogatives personnelles du Successeur de Pierre. Cette reconnaissance, ajoute-t-il, honore la parole du Christ, assure la cohérence de l’enseignement de Vatican II avec celui de toute la tradition et donne au gouvernement de l’Église une garantie d’unité et d’efficacité. Elle était opportune au moment où le Concile traitait la question des pouvoirs épiscopaux. Ainsi, ils apparaissent non en contraste, mais en pleine harmonie, avec les pouvoirs propres du Vicaire du Christ et chef du collège, selon la Constitution de l’Église.
Le pouvoir collégial
Au corps des Évêques uni au Souverain Pontife, jamais sans lui, est attribué aussi le souverain pouvoir sur l’Église universelle. Car le Seigneur qui a donné à Pierre, « le pouvoir de lier et de délier » (Matth. XVI, 16-19) l’a aussi concédé à tout le corps des Apôtres uni à Pierre (Matth. XVIII, 18). A ce corps tout entier uni à son chef il a confié la mission d’enseigner, de gouverner et de sanctifier toutes les nations (Matth. XVIII, 20). Il lui a promis son assistance jusqu’à la fin des temps dans l’accomplissement de cette tâche (Ibid.).
Le corps apostolique persévère dans le corps épiscopal, qui lui succède dans la mission, non pas de fonder l’Église, mais de l’enseigner, et de la gouverner. Aussi hérite-t-il, non pas des pouvoirs exceptionnels confiés aux Apôtres pour fonder l’Église, mais des pouvoirs ordinaires destinés à enseigner l’Église et à la gouverner. Le corps épiscopal est lui aussi « le sujet de la souveraine et pleine puissance sur l’Église ».
Beaucoup de Pères hésitaient encore devant cette affirmation du schéma. Comment un tel pouvoir concédé au successeur de Pierre tout seul pourrait-il convenir au corps des Évêques, sans limiter au moins dans son exercice le pouvoir personnel du successeur de Pierre ? Cette hésitation était fortifiée par des interprétations divulguées autour du Concile. Aussi la « note explicative » était-elle nécessaire pour écarter ces fausses interprétations et dissiper ces hésitations. Elle fut le trait de lumière qui permit a l’unanimité de se réaliser en quelques heures.
« Du collège, explique-t-elle, on affirme qu’il est aussi le sujet de la pleine et souveraine puissance sur l’Église universelle. » Cette affirmation doit être nécessairement admise : autrement on mettrait en péril la plénitude du pouvoir souverain du Pontife romain. Le Collège comprend nécessairement et toujours son chef, qui, dans son sein, garde intacte sa charge de Vicaire du Christ et de Pasteur de l’Église universelle.
En d’autres termes, la distinction n’est pas entre le Pontife romain et les Évêques pris collectivement, mais entre le Pontife romain pris à part et le Pontife romain considéré avec l’ensemble des Évêques. »
Dans l’Église, il n’y a qu’un pouvoir suprême et ce pouvoir appartient en propre au successeur de Pierre, mais, en vertu de leur union avec lui, les successeurs des Apôtres reçoivent communication de son autorité suprême au point de pouvoir exercer conjointement avec lui les actes de la juridiction souveraine sur toute l’Église.
Mgr Journet, avant le Concile, avait déjà exprimé parfaitement cette doctrine traditionnelle : « Le pouvoir de régir l’Église universelle réside d’abord dans le Souverain Pontife, puis dans le collège épiscopal qui lui est uni… Il peut être exercé soit, uniquement par le Souverain Pontife, soit solidairement par le Souverain Pontife et le Corps épiscopal : le pouvoir du Souverain Pontife uni au collège apostolique constituant non pas deux pouvoirs adéquatement distincts, mais un seul pouvoir suprême considéré d’une part dans la tête de l’Église enseignante, où il réside tout entier et comme dans sa source, d’autre part à la fois dans la tête et dans le corps de l’Église enseignante, auquel il se communique et dans lequel il trouve son sujet plein et intégral. » (L’Église du Verbe incarné, 3 éd., p. 531.)
Le pouvoir suprême, unique dans l’Église, existe à la fois dans le Pape et dans le collège uni au Pape. Mais il n’a pas dans le Pontife romain et dans le Corps épiscopal uni au Pape le même mode d’existence. Dans le premier, il existe comme dans sa source et dans l’épiscopat uni à lui comme dans son terme. Aussi appartient-il au Pape personnellement et sans aucune dépendance par rapport à l’épiscopat tandis que l’épiscopat ne le détient que collectivement et en dépendance de sa tête le Pontife romain. Le Seigneur a voulu, écrivait saint Léon, que la charge d’annoncer la vérité « revint en telle manière à tous les apôtres qu’elle fut d’abord déposée dans le bienheureux Pierre, le premier d’entre eux ; et il veut que de Pierre, comme de sa tête, ses dons se-répandent dans le corps entier ». (Epist. I, PL LIV, c. 629.)
Telle est l’explication traditionnelle que les plus grands théologiens, depuis le Moyen Age jusqu’à nos jours, ont donnée du pouvoir collégial. Cette explication, relevant de la théologie, n’est pas proposée dans le texte de notre Constitution. Mais elle s’accorde pleinement avec ses affirmations dogmatiques. Aussi n’est-ce pas sans surprise que nous avons lu, sous la plume de commentateurs trop avides de faire sanctionner par le Concile leurs vues propres, qu’on ne saurait la concilier avec notre document.
Selon leur opinion, représentée par quelques théologiens secondaires et isolés dans les siècles passés, chaque évêque recevrait par la consécration épiscopale ce pouvoir collégial sur l’Église universelle conçu comme distinct du pouvoir personnel de Pierre. « Lumen Gentium » affirme bien que la consécration épiscopale confère, avec la charge de sanctifier, la charge de gouverner et d’enseigner. Mais la « note explicative » précise qu’on a évité à dessein le mot « potestas » qui s’entend d’un pouvoir capable de passer à l’acte par lui-même. Ces théologiens pourront continuer à défendre leur opinion. Mais, ils devront nous expliquer comment peuvent exister dans l’Église deux puissances souveraines sans se limiter mutuellement.
Pourquoi le Pape n’est-il jamais obligé de faire exercer par le Corps épiscopal une juridiction universelle que chacun de ses membres tiendrait directement de Dieu par sa consécration épiscopale ?
Conditions d’exercice du pouvoir collégial
L’originalité propre de l’action collégiale au sens strict de ce mot, c’est d’être une action collective exercée par le Corps épiscopal uni à son chef, « Paulus, episcopus, servus servorum Dei una cum Sacrosanctii Concilii patribus », lisons-nous en tête de notre Constitution. « Actiones sunt suppositorum », enseigne le vieil adage scolastique. Ici, le sujet agissant est une personne morale qui rassemble dans son unité tous les membres du Corps épiscopal uni à leur tête. Avec le Pape, les évêques exercent leurs fonctions de docteurs de la foi et de législateurs sur toute l’Église.
Mais parce que ce Corps est un corps hiérarchisé, il est dans l’action collégiale, certains actes qui relèvent exclusivement de la compétence de la tête, nullement de celle des membres du Corps épiscopal. Sans doute, avec le temps, pourront varier les modalités juridiques selon lesquelles s’exercera le pouvoir collégial. Mais il est des conditions essentielles qui dépendent de la Constitution immuable du Corps épiscopal divinement institué par Notre-Seigneur Jésus-Christ. Ce sont les seules que devait mentionner notre Constitution dogmatique : convoquer le Collège, le diriger, approuver les normes de son action, et donner force d’obliger l’Église universelle à ses décisions.
Le Collège existe toujours, mais il n’exerce pas sans cesse son autorité souveraine, ainsi que le montre l’histoire de l’Église. Le Pape n’est jamais obligé d’avoir recours à ce mode d’exercice du pouvoir suprême. « C’est au jugement du Souverain Pontife, déclare la « note explicative », à qui a été confiée la charge de tout le troupeau du Christ, qu’il appartient, selon les nécessités de l’Église variables avec les temps, de déterminer la manière d’exercer cette charge, soit selon son mode personnel, soit selon son mode collégial. »
Le Christ a bien institué le Collège, mais il n’a pas imposé l’exercice du pouvoir collégial, ni déterminé les formes de son exercice, ni prescrit les circonstances dans lesquelles on devrait y avoir recours. La plénitude du pouvoir du Collège uni à Pierre n’est pas supérieure à la plénitude du pouvoir personnel propre à Pierre. L’infaillibilité du Collège n’ajoute rien à son infaillibilité personnelle. Aussi, selon les circonstances, il appartiendra au Pape, en vertu de son autorité propre, de choisir celui de ces modes d’exercice qui sera le plus adapté à procurer le bien de l’Église et l’accomplissement de sa mission. A lui seul appartient ce choix, et personne ne pourra jamais lui imposer l’un ou l’autre de ces modes d’action.
Aussi le texte de notre Constitution affirme-t-il fortement que jamais ce pouvoir collégial ne peut s’exercer sans son consentement, « quae quidem potestas nonnisi consentiente Romano Pontifice exerceri potest ». Qui, en effet, en dehors de lui aurait autorité pour obliger les membres du Corps épiscopal à prendre part à l’action commune ? De son autorité suprême relève aussi la fixation des matières sur lesquelles s’exercera ce pouvoir collégial et la détermination des modalités de cet exercice : « Le Pontife romain, explique la note, pour ce qui regarde l’ordonnance du Pouvoir collégial, son développement et son approbation, procède selon sa propre discrétion, en considération du bien de l’Église universelle ». Si, dans des circonstances exceptionnelles, les évêques s’unissaient dans une action commune, sans son consentement préalable, cette action ne deviendrait collégiale que par la libre approbation subséquente que lui donnerait le Pontife romain.
Du côté des membres, l’exercice du pouvoir collégial exige que tous les membres du Corps épiscopal puissent y participer. Ce pouvoir n’appartient pas aux évêques pris isolément, ni même à des groupes d’évêques, il appartient à tout le Collège uni à sa tête. Aussi ne peut-il être exercé que par l’unanimité morale des évêques unis au Pape. En vertu de son autorité suprême, le Pontife romain peut inviter à y participer des prélats non évêques, tels que des cardinaux non évêques ou des supérieurs religieux, mais il y a cette différence entre les premiers et les seconds que les membres du Collège y participent de droit divin tandis que les autres n’y sont admis que par le droit ecclésiastique.
Ces conditions d’exercice du pouvoir collégial sont expliquées par les théologiens dans leurs traités du Concile. Nous les avons longuement exposées ici même l’au passé. Elles reçoivent aujourd’hui la sanction du Magistère suprême de Vatican II.
La Constitution « Lumen Gentium » affirme que ce pouvoir s’est exercé solennellement dans les Conciles. Tout le monde est d’accord sur ce point. Des théologiens pensent qu’il s’exerce aussi dans le Magistère ordinaire. Ils seront libres de continuer à défendre cette manière de voir. Le pouvoir collégial pourrait s’exercer aussi d’autres manières par les évêques dispersés dans l’Univers unis au Pape. Les théologiens du siècle dernier donnaient comme exemple une définition dogmatique qui serait prononcée par le Pape au nom de tout le collège après qu’il se serait assuré de leur consentement à cet acte commun.
Conséquences pratiques de cette doctrine
Le Pape dans son discours déclare que les conséquences de cette doctrine dans l’avenir de l’Église sont pour le moment imprévisibles. Mais dans le futur immédiat, il précise quelques points où s’exercera cette collaboration de l’épiscopat mondial avec le Pasteur suprême. Les commissions post-conciliaires de liturgie et de réforme du Droit canon en fournissent un premier exemple qui pourra s’étendre à d’autres commissions chargées de traduire dans la vie quotidienne de l’Église les directives générales du Concile.
Déjà, la nomination des cardinaux Meyer et Lefebvre au Saint-Office, et la présence des patriarches orientaux à la Congrégation orientale annoncent la présence d’évêques résidentiels dans les dicastères de la Curie romaine par lesquels le Pape exerce son pouvoir sur toute l’Église. Quand se poseront des questions d’intérêt général ; si fréquentes dans le monde actuel, le Pape choisira des évêques qu’il convoquera et consultera à des moments déterminés.
On a beaucoup parlé de la création par le Pape d’une commission permanente qui serait le « symbole » de la coopération du pouvoir collégial au gouvernement de l’Église. Ce serait un symbole, disions-nous, et non pas une représentation au sens parlementaire actuel. Car si des groupes particuliers d’évêques ne possèdent pas le pouvoir collégial, ils ne sauraient le déléguer.
Enfin, les évêques pris isolément, auront une plus vive conscience de leur responsabilité par rapport à la mission universelle de l’Église. Ils s’efforceront toujours plus de faire fructifier dans leurs Églises particulières les richesses de l’Église universelle : la foi commune, le culte et la sainteté. Ils auront à cœur de promouvoir les œuvres destinées à propager l’Évangile dans le monde entier.
Conscients d’appartenir à un Corps chargé d’une mission commune, ils s’aideront mutuellement dans l’accomplissement de leur charge pastorale en mettant en commun leurs ressources en hommes et moyens de toute sorte. Cette entraide mutuelle trouvera son expression dans les conférences épiscopales, qui permettront aux évêques d’une même région de traiter ensemble les questions qui intéressent leurs Églises. De ce sens ravivé de la collégialité épiscopale naîtra une collaboration plus étroite entre la tête et les membres et entre les membres entre eux pour le plus grand bien des âmes et pour la plus grande gloire de Dieu dont l’Église est l’humble servante.
Conclusion
Il n’y a pas eu de « Révolution dans l’Église », malgré les titres flamboyants de la presse à sensation. Le régime de l’Église reste tel que l’a institué le Christ et tel qu’il a toujours existé : « monarchique et hiérarchique » ainsi que l’affirme Sa Sainteté Paul VI dans son discours après la promulgation. Au successeur de saint Pierre, Vatican II reconnaît toutes les prérogatives que le Christ lui a conférées et que Vatican I lui attribuait solennellement.
Le pouvoir concédé au Collège uni à lui n’a pas pour fin de limiter son autorité souveraine, ou même de contrôler l’usage personnel qu’il en fait. Il est destiné à coopérer avec lui et dans sa dépendance à l’accomplissement de sa charge immense. Ce pouvoir ne confère pas aux évêques, même pris collectivement, un droit au co-gouvernement de l’Église universelle, mais c’est une aptitude et une capacité à être associés par le Pasteur suprême à l’exercice de son autorité souveraine, quand il le voudra et comme il le voudra.
En face d’un monde qui s’unifie et se diversifie chaque jour davantage, l’Église prend une conscience plus vive du double aspect que présente le Collège chargé par Notre-Seigneur de la gouverner. « Le Collège, déclare notre Constitution, par sa composition de membres multiples exprime la variété et l’universalité du peuple de Dieu. Par le rassemblement de tous ses membres sous une unique tête, il manifeste l’unité du troupeau du Christ. » Une plus étroite collaboration entre les membres, image de la diversité, et la tête, symbole et source de l’unité, permettra à l’Église de sauvegarder l’unité de foi, de gouvernement et de culte dans la légitime diversité des peuples et des races qui constituent le peuple de Dieu.
Ainsi, l’Église, sans changer dans sa constitution essentielle, s’adapte aujourd’hui, comme elle le faisait hier, aux conditions du monde dans lequel elle doit exercer sa mission qui continuera parmi les hommes jusqu’à la fin des temps la mission du Christ-Roi, prêtre et docteur infaillible de la vérité qui ne passe pas.