La présence réelle et la transsubstantiation : Différence entre versions

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Les sacrements
Auteur : Mgr Valentin Zuizaretta
Source : Questions sur la transsubstantiation du traité de théologie dogmatique de Zubizarreta : Theologia dogmatico-scholastica ad mentem S Thomae Aquinatis, Tome IV De sacramentis, Vittoria, pp. 169-196.
Date de publication originale : 1948

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile
Remarque particulière : Traduction de Sébastien Lutz

Sommaire

De la sainte Eucharistie

Question I : La présence réelle du Christ dans l’eucharistie

Article 1 - Figures et noms de l’eucharistie

I. Figures de l’eucharistie.

L’eucharistie est sans aucun doute le plus noble et plus précieux des dons que le Christ a laissés à l’Eglise, si bien que tous les fidèles y ont toujours recourt comme à la source de grâces et y puisent les eaux vives pour obtenir la vie éternelle.

Les principaux mystères de Nouveau Testament sont parvenus en figure aux fidèles de l’Ancien Testament. Ce sacrement, surtout, « a été préfiguré et devait être préfiguré, comme le dit saint Bonaventure, aussi bien en raison de sa dignité », pour que sa renommée soit rendue publique, « qu’en raison de sa difficulté » afin que les hommes s’habituent à y croire par la consommation des ses figures. C’est pourquoi Luther fait d’injustes reproches aux catholiques sous le prétexte qu’ils rappellent dans le culte de la sainte eucharistie l’oblation de Melchisedech, le pain d’Elie cuit sous la cendre, la manne des Pères etc. Toutes ces choses avaient des hautes significations qui ne doivent pas être négligées mais considérées avec attention.

Dans l’eucharistie, comme dans n’importe quel sacrement, trois aspects doivent être considérés : le sacramentum tantum, la res et le sacrementum, la res tantum ; et les figures dans l’Ancien Testament se rapportent soit à ces trois significations, soit à l’une d’entre elles.

  1. Le sacrementum tantum consiste, comme nous le verrons plus bas, dans les espèces du pain et du vin, et sur ce point les plus importantes figures furent l’oblation de Melchisedech (Gen. 14 :18), les pains de la proposition qui nourrissaient les purs (Lev, 24 :5 et sq.), le pain cuit sous la cendre du prophète Elie (I Rois, 19 :6).
  2. La res et le sacrementum dans l’eucharistie est le Christ lui-même, ou le corps et le sang de NSJC sous les espèces du pain et du vin, et ce point « tous les sacrifices de l’Ancien Testament l’ont préfiguré, et principalement le sacrifice de l’Expiation qui fut le plus solennel » (III, q. 73, a. 6)
  3. La res tantumdans l’eucharistie est la grâce de réfection spirituelle dont la principale figure fut « la manne qui avait en soi la douceur de tous les goûts » (III, q. 73, a. 6 citant le livre de la Sagesse (16 :10) ) et qui était donnée aux juifs marchant dans le désert, de même qu’aujourd’hui notre sacrement est donné aux pèlerins de cette vie.

« Mais l’agneau Pascal préfigurait le sacrement d’eucharistie selon ces trois aspects : quant au premier, parce qu’on le mangeait avec des pains azymes selon le précepte de l’Exode (12 :8) : « ils mangeront les chairs et les pains azymes ». Selon le second, parce qu’il était immolé le quatorzième jour du mois par toute l’assemblée des enfants d’Israël, et c’était là une figure de la passion du Christ, qui est appelé agneau à cause de son innocence. Enfin, quant à l’effet c’est par le sang de l’agneau que les enfants d’Israëlfurent protégés contre l’ange exterminateur et délivrés de la servitude d’Egypte » (III, q. 73, a. 6)

II. Noms de l’eucharistie :

Il existe plusieurs noms par lesquels nous désignons l’eucharistie.

  1. De par l’institution de Christ, elle est appelée corps et sang du Christ, parce que ce nom a été utilisé par le Christ, lorsqu’il l’a institué, et parce qu’elle contient le Corps et le Sang du Christ.
  2. Dans les écrits des apôtres, elle est appelée Cène du Seigneur, parce qu’elle a été instituée lors du dernier repas (coena).Ce nom, familier aux novateurs, doit être retenu parce qu’il a souvent été employé par les Père de l’Eglise et qu’il est très approprié à désigner l’eucharistie.
  3. Dans les écrits des apôtres, à nouveau, on l’appelle calice, pain, fraction du pain, parce qu’elle a été instituée avec du pain et du vin et qu’elle est conservée sous leurs accidents.
  4. Les apôtres d’abord, puis les premiers chrétiens l’ont appelée communion et communication, parce qu’elle nous unit au Christ et parce que les chrétiens ne forment qu’un pour être restaurés par le corps du Christ. 
  5. Par les Pères de l’Eglise, elle est nommée eucharistie (eucaristia), ou action de grâces, d’une part parce que le Christ a rendu grâce dans son institution, d’autre part parce que nous devons rendre grâces à Dieu lors de sa réception.
  6. Par le peuple chrétien et par le rite de l’Eglise, elle est appelée Très Saint Sacrement, parce que c’est le plus noble de tous les sacrements, contenant l’auteur de la sainteté et de la perfection
  7. Il arrive parfois qu’on l’on dise sacrifice, parce que l’on offre dans sa consécration un vrai sacrifice à Dieu.
  8. Elle est nommée viatique, parce que les fidèles, nourris de ce sacrement, effectuent la route qui part de ce monde vers la patrie céleste.

III. Définition et division.

L’eucharistie peut être définie : le sacrement de la Loi Nouvelle dans lequel, sous les espèces du pain et du vin, sont présents le corps et le sang du Christ pour nourrir spirituellement les âmes des hommes et renouveler le sacrifice de la Croix. De là, la division de notre traité.

L’eucharistie diffère des autres sacrements par deux aspects : d’abord, elle contient le Christ lui-même tandis que les autres sacrements ne contiennent que la grâce du Christ, en second lieu, l’Eucharistie, contrairement aux autres sacrements, est aussi un sacrifice.

C’est pourquoi, nous traiterons en premier lieu de la présence réelle du Christ ; en deuxième lieu de l’Eucharistie en tant que sacrement qui nourrit spirituellement les âmes des hommes ; en troisième lieu de l’Eucharistie en tant que sacrifice, c’est-à-dire, du saint Sacrifice de la Messe.

Article 2 - Erreurs sur la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie

  1. Déjà au premiers siècles de l’Eglise, certains ont indirectement nié la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, puisqu’ils n’ont pas voulu admettre que la Christ avait assumé une vraie chair. Au sujet des docètes, Saint Ignace (107) écrit : « Ils ne participent pas à la prière eucharistique, parce qu’ils ne reconnaissent pas que l’eucharistie est la chair de Notre Sauveur Jésus Christ, laquelle a souffert pour nos péchés et que le Père a ressuscitée dans sa bienveillance. » Les monophysites les ont suivis et tous ceux qui ont nié la réalité corporelle du Christ.
  2. Jean Scot Erigène (883), dans son ouvrage De corpore et saguine Christi, a exposé de façon si obscure ce mystère qu’il semble avoir nié la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, même si quelques uns l’excusent de toute erreur.
  3. Béranger de Tour, archidiacre de l’église d’Angers, suivit, comme il lui dit lui-même, la doctrine de Scot Erigène. Dans son ouvrage De sacra coena, il prétend que le Christ après la consécration est dit être présent dans ce sacrement de la même façon qu’il est appelé lion, agneau ou pierre angulaire. Quelques docteurs importants ont prétendu que Béranger n’avaient pas nié la présence réelle, mais seulement la transsubstantiation ; mais les critiques actuels reconnaissent que notre auteur a combattu la présence réelle et physique du Christ. Il faut combattu par Adelman, Lanfranc, Guimond d’Aversa, condamné par de nombreux synodes romains et français. Il se conduisit de façon inconstante mais finit par réintégrer sous Grégoire VII la communion de l’Eglise et mourut en 1088 dans le sein de l’Eglise.
  4. Les Pétrobrusiens et les Henriciens enseignèrent, au XIIe siècle, que le Christ fut présent dans l’eucharistie consacrée par le Christ lui-même lors de la dernière scène, mais ne l’est pas dans la messe célébrée par les prêtres.
  5. Les Vaudois et les Albigeois au XIIe siècle, et aussi les Flagellants au XIVe siècle, contestèrent la présence réelle et du Christ dans l’eucharistie. Wiclef nia selon les uns mes présence réelle et selon les autres la transsubstantiation.
  6. Les novateurs du XVIe siècle ont erré sur la question de différentes façons :
  1. Luther, afin de contredire Carlostadt et les sacramentaires, défend la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, au moins au temps de la réception du sacrement, lors la communion de fidèles, mais il ajoute que le chapitre 6 de l’Evangile de St Jean, dans son ensemble comme dans le détail, ne traite pas de l’eucharistie. De plus, il nie la transsubstantiation et enseigne que le sacrifice de la Messe est « un abus sacrilège au plus haut point. » et qu’au moment de la réception de l’eucharistie sont présents « du vrai pain et du vrai vin » en même temps que le corps et le sang du Christ.
  2. Zwingle adhéra d’abord à Luther, mais à partir de l’année 1525, moment où il écrivit son ouvrage De vera et falsa religione, il se tourna vers la sacramentaires et défendit dans son chapitre sur l’Eucharistie, avec Carlostadt et Oecolampade, l’opinion selon laquelle le mot est dans la formule de consécration veut dire signifie et par conséquent que l’eucharistie n’est rien d’autre que le symbole du corps et du sang du Christ et le mémorial de sa passion.
  3. Calvin, niant la réalité de la transsubstantiation et la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, enseigne que les paroles « Ceci est mon corps » signifient» Ceci est le symbole de mon corps » . Il ajoute cependant que « nos âmes ne sont pas nourries autrement par la chair et sang du Christ que la pain et le vin entretiennent et nourrissent la vie corporelle », parce que « bien que la chair elle-même du Christ ne vienne pas jusqu’à nous, nous ne nous nourrissons pas moins de manière excellente et abondante de la participation au corps du Christ. »
  4. La confession d’Augsbourg, après avoir été plusieurs fois changée pour être finalement abandonnéefut ainsi rédigée : « Au sujet de la cène du Seigneur, [les réformés] enseignent que, avec le pain et le vin, le corps et le sang du Christ est vraiment présenté aux assistants avec le pain et le vin, lors la cène du Seigneur. »
  5. Les anglicans, après de nombreuses variations, enseignent la chose suivante dans leur catéchisme : « Question : Quelle est la partie externe ou le signifiant dans la cène du Seigneur ? Rép. : Le pain et le vin que le Seigneur a ordonné de recevoir. Question : Quelle est la partie interne ou le signifié ? Rép. : Le corps et le sang du Christ que les fidèles reçoivent et consomment spirituellement lors de la cène du Seigneur. »

Mais ils tiennent, parmi les articles de leur religion, l’article 28, rédigé en ces termes :

« La cène du Seigneur n’est pas seulement le signe de la bienveillance des chrétiens entre eux, mais plutôt le sacrement de notre Rédemption par la mort du Christ. C’est pourquoi pour ceux qui suivant les rites s’en nourrissent avec foi et dignité, le pain rompu est la participation au corps du Christ ; de même la coupe de bénédiction est la participation au sang du Christ.

La transsubstantiation du pain et du vin dans l’eucharistie ne peut pas être prouvée par les écritures, mais est opposée manifestement à nombreuses paroles de l’écriture. Elle pervertit la nature de ce sacrement et donne l’occasion à de nombreuses superstitions. Le corps du Christ qui est donné, reçu et consommé à la cène l’est seulement de manière céleste et spirituelle. La moyen, par lequel le corps du Christ est reçu et consommé à la cène, est la foi. »

  1. Les modernistes se trompent lorsqu’ils affirment : « Dans ce que saint Paul raconte de l’institution de l’eucharistie, tout n’est pas à prendre historiquement. »
  2. Enfin, les critiques actuels pensent que la présence réelle du corps et du sang du Christ est opposée au lois de la physique et que le dogme catholique est une invention ecclésiastique.

Article 3 - La présence réelle, vraie et substantielle du Christ dans l’eucharistie est-elle établie par la sainte Ecriture ?

Etat de la question.

Habituellement, on invoque surtout en faveur de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie trois arguments tirés de l’Ecriture Sainte. Le premier est tiré de la promesse du Christ de se donner lui-même comme nourriture et boisson, comme on peut le voir au chapitre six de l’Evangile de St Jean. Le deuxième est tiré de l’institution de l’eucharistie, telle est rapportée dans les synoptiques. Le dernier est tiré aussi de l’institution, mais telle qu’elle est rapportée par l’apôtre saint Paul.

Thèse I. A partir de la promesse de l’institution de l’eucharistie, telle qu’elle est rapportée dans l’Evangile de saint Jean, au chapitre 6, la présence réelle et vraie du Christ dans l’eucharistie est démontrée avec certitude.

Appréciation de l’argument

Le chapitre 6 de l’évangile de st Jean comprend principalement trois parties.

Dans la première partie (v. 1-25), est rapporté le miracle de la multiplication de cinq pain et de deux poissons, par lesquels le Christ a rassasié environ cinq mille hommes. Lorsque les hommes virent ce miracle, ils disaient que Jésus était en prophète et voulurent le faire roi. Mais Jésus, connaissant leurs pensées, s’enfuit seul dans la montagne et le jour suivant il fut retrouvé par la foule de l’autre côté de la mer de Capharnaüm (v. 25).

Dans une deuxième partie (26-60), est rapporté un long discours du Seigneur au sujet du pain céleste (26). Vous me cherchez, dit-il, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce vous avez mangé du pain et que vous avez été rassasiés. Et quand les juifs répliquent (31) : Nos pères ont mangé la manne dans le désert, comme il est écrit : Il leur a donné du pain venu du ciel. Jésus leur répond (32) : En vérité, en vérité, je vous le dis : Moïse ne vous a pas donné le pain venu du ciel, mais mon Père vous donnera le pain véritable venu du ciel. Car le pain de Dieu est celui qui descend du ciel et qui donne la vie au monde…C’est moi qui suis le pain de vie ; celui qui vient à moi n’aura plus faim, et celui qui croit en moi n’aura plus jamais soif. Alors comme les juifs se mettent à murmurer à son sujet parce qu’il avait dit (41). Je suis le pain descendu du ciel ; Jésus répond :Ne murmurez pas entre vous : puis il parle de la foi en lui en disant : Qui croit en moi a la vie éternelle (47).

Mais aussitôt, il ajoute des paroles au sujet de la manducation réelle 48-59. : C’est moi qui suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne, dans le désert, et ils sont morts. Voici le pain descendu du ciel : celui qui en mange ne mourra pas. C’est moi qui suis la pain vivant descendu du ciel ; si quelqu’un mange de ce pain, il vivra à jamais ; et le pain que je donnerai est ma chair livrée pour la vie du monde. Alors le juifs se mirent à discuter entre eux : Comment peut-il donner sa chair à manger ? Jésus donc leur dit : En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est une vraiment une nourriture et mon sang est vraiment uneboisson. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et moi en lui. De même que le Père qui vit m’a envoyé et que je vis par mon Père, ainsi celui qui me mange vivra aussi par moi. Voilà le pain qui est descendu du ciel, non comme celui que vos pères ont mangé, lesquels sont morts. Celui qui mange ce pain vivra à jamais.

Dans la troisième partie (60-71) sont rapportés les effets du discours du Seigneur parmi ses auditeurs, la confirmation de la doctrine révélée par le Christ et la confession de Pierre.

  1. Dans la première partie, bien que soit une préparation aux versets qui suivent, il est quand même question de pain matériel et non de l’eucharistie.
  2. Dans la deuxième partie, qui contient le discours du Seigneur, il y a une importante controverse.
  1. La plupart des protestants et tous ceux qui nient que de cette promesse de l’institution de l’eucharistie on puisse prouver la présence réelle, veulent que le discours du Christ soit compris au sens figuré à savoir que Jésus dit être le pain de vie dans le même sens qu’il dit être la vie de l’homme.
  2. En sens contraire, tous les catholiques, à une ou deux exceptions près, reconnaissent que le Christ a parlé dans ce discours de l’eucharistie, même s’ils ne s’accordent pas pour déterminer à partir de quel verset il commence à parler de la nourriture et du breuvage de l’eucharistie.

Les uns veulent que tout le discours à partir du verset 26 se rapportent à l’eucharistie. Ainsi, Perrone, Pesch, Billot et quelques autres.

Les autres défendent que, dans le discours du Christ, il faut distinguer deux parties. Dans la première (26-47), le Christ a parlé de la manducation spirituelle par la foi, et dans la seconde (48-59) de la manducation réelle du son corps et de son sang, comme s’il a voulu peu à peu conduire les Juifs à la connaissance de l’Eucharistie. Ainsi, Maldonat, les Salmanticenses, Wiseman, Franzelin, Knabenbauer, Calmes et quelques autres.

La résolution de cette question interne n’est pas nécessaire pour établir la force de l’argument qui prouve la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, parce que tous les catholiques concèdent que le Christ a au moins parlé, dans la deuxième partie de son discours, de la nourriture eucharistique au sens propre. Les deux opinions catholiques sont bien fondées, mais je ne peux dissimuler que certaines paroles des Pères de l’Eglise, qui parlent de la manducation du pain de vie par la foi, s’expliquent plus facilement, si l’on distingue dans le discours deux parties ; une première où il est question d’une nourriture spirituelle de la foi, et une seconde où il est question d’une vraie nourriture eucharistique.

  1. Dans la troisième partie (60-71), sont racontés les opinions des juifs au sujet des paroles du Christ, leur état d’esprit, la confirmation des paroles dites par le Christ et la confession de Pierre.

Eclaircissement de la question et force de l’argument

Il nous faut maintenant déterminer si les paroles prononcées par le Christ dans la deuxième partie de son discours doit être comprises au sens littéral, à savoir d’une consommation réelle de la chair et du sang du Christ, comme le défendent les catholiques, au bien au sens d’une métaphore ou d’une métalepse, comme le veulent les protestants.

Que l’interprétation des catholiques soit vraie et que les paroles du Christ doivent être comprises au sens littéral dans ce passage, cela est prouvé par les termes mêmes utilisés par le Christ, l’impossibilité d’une explication métaphorique, et la réaction des auditeurs.

  1. Les termes du discours. Le Seigneur Jésus dit : C’est moi qui suis le pain de vie… Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra à jamais ; et le pain que je donnerai est ma chair livrée pour la vie du monde ; c’est-à-dire, le pain, que je donnerai, est ma chair qui doit être immolée pour la vie ou le salut du monde. Par ces paroles, le Christ prédit sa mort sanglante sur la Croix dans lequel sa chair a été donnée pour la vie du monde, et, en même temps, il prédit que cette chair immolée dans un sacrifice sanglant doit être donnée en nourriture. En effet, partout, les sacrifices sanglants sont habituellement consommés par une réelle manducation des victimes. Puis, pour corroborer cette doctrine, il ajoute aussitôt : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’avez pas la vie en vous. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle. Et pour qu’il n’y a plus de doute sur le sujet pour personne : Car ma chair est une vraiment une nourriture et mon sang est vraiment uneboisson.
  2. L’impossibilité d’expliquer les paroles du Seigneur métaphoriquement. L’expression « manger la chair de quelqu’un » au sens métaphorique signifie seulement chez les juifs et les orientaux : le calomnier, le poursuivre de sa haine, causer sa perte. En ce sens, le psalmiste écrit : Quand s’avancent contre moi les méchants pour dévorer ma chair et Job : Pourquoi vous acharnez-vous comme moi comme Dieu, et dévorez-vous ma chair ? Sous cette métaphore, on se plaint dans les deux cas d’injustices commises à son égard. Mais Jésus ne pouvait pas appliquer à son encontre l’expression manger la chair, dans le sens de commettre à son encontre des injustices, parce qu’il aurait signifié en disant : Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, c’est-à-dire si vous ne poursuivez pas de votre haine le Fils de l’homme, vous n’aurez pas la vie éternelle. Ce qui serait absurde. A moins donc d’admettre que le Christ a prononcé dans son discours des absurdités, ses paroles doivent être comprises au sens littéral d’une véritable manducation de la chair et du sang de Jésus Christ dans l’eucharistie.
  3. La compréhension et l’interprétation des auditeurs. Aussi bien les juifs que les disciples qui étaient présents ont compris littéralement les paroles du Seigneur.

Les juifs en effet, scandalisés par la prédication de Jésus, dirent Comment peut-il donner sa chair à manger ? (53). Mais Jésus, s’il avait parlé métaphoriquement, aurait dû sans aucun doute, dans une question d’une telle importance, lever le scandale des juifs et expliquer le sens de ses paroles, or il insiste lourdement et répète avec force qu’il donnera sa chair à manger à ses disciples.

Les disciples n’ont pas compris littéralement les paroles du Seigneur, mais ils les ont même comprises de façon grossière, puisqu’ils se sont exclamés : Cette parole est dure ! Qui peut l’écouter ? (60) « Les disciples, écrit St Cyrille d’Alexandrie, pensaient que le Christ les invitait à une cruauté bestiale, et qu’ainsi il leur ordonnait de se nourrir de façon barbare de chair humaine et de boire du sang et qu’il les forçait à faire des choses dont l’évocation provoque à elle seule l’horreur. » Voulant corriger cette interprétation grossière des ses disciples, Jésus dit : Cela vous scandalise ? Et que serait-ce si vous voyiez le Fils de l’homme remonter là où il était d’abord.(62-63). C’est-à-dire, « vous ne seriez pas scandalisés si vous voyiez le Fils de l’homme remonter là où il était d’abord » et vous verriez qu’il ne s’agit pas ici de me découper en morceaux et de dévorer de façon inhumaine ma chair.

Sans pour autant rétracter sa doctrine au sujet de la manducation réelle de la chair du Fils de l’homme, il ajoute : C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie (63). C’est comme s’il avait dit : La chair si elle est seulement mangée de façon matérielle ne sert à rien, mais la chair telle que je vous l’ai expliquée (les paroles que je vous ai dites), et mangée de façon certes réelle mais sacramentelle et avec foi est esprit et vie.

Malgré cette explication, beaucoup de disciples s’en allèrent et Jésus interrogea les juifs Vous aussi, voulez-vous vous en aller ? (67), alors Pierre proclama sa magnifique confession : A qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.(68)

Scolie.

Les paroles du Christ C’est l’esprit qui vivifie, la chair ne sert à rien. Les paroles que je vous ai dites sont esprit et elles sont vie présentent une certaine difficulté. Les protestants prétendent que les Christ par ses paroles a modifié les expressions précédentes, et a indiqué assez clairement que la manducation de la chair n’était pas à prendre au sens littéral, mais à comprendre au sens d’une manducation par la foi.

Réponse.

  1. Les juifs et disciples du Seigneur qui après avoir entendu le discours s’en sont allés ont compris ces paroles non pas métaphoriquement, mais littéralement, et rien ne permet à présent de les détourner vers un sens métaphorique.
  2. Les juifs et les disciples pouvaient comprendre la manducation de la chair du Christ dans un double sens : a) De façon charnelle et dans un littéralisme grossier, selon une cruauté bestiale au travers d’une immolation sanglante, comme cela se produit habituellement dans les sacrifices et c’est ce mode que le Christ condamne par ces paroles : la chair ne sert à rien, ainsi que l’enseigne St Cyrille ; b)Réellement et sacramentellement, lorsque la chair est consommée avec un esprit de dévotion et de foi, et c’est en ce sens que la chair du Christ est esprit et vie. Sur cette question,Katschtaler écrit avec justesse : « Le Christ au verset 64 semble ne rien dire d’autre que : Lorsque je vous promets la vie éternelle, si vous mangez ma chair, ne croyez pas que ceci doit être compris de façon grossière, comme s’il fallait arracher mes membres,les distribuer un à un à chacun et les dévorer avec les dents, mais cela doit être compris d’une façon bien plus sublime, à savoir que c’est de façon sacramentelle que je donnerai ma chair comme nourriture et mon sang comme boisson. »

Thèse II. Les paroles de l’institution, telles qu’elles sont rapportées dans les synoptiques et dans l’épître de St Paul aux Corinthiens, démontrent manifestement la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. 

Matthieu XXVI

26. Au cours du repas, Jésus prit du pain, le bénit, le rompit et le donna à ses disciples, disant : Prenez et mangez, ceci est mon corps

27. Ensuite ayant pris la coupe, il rendit grâces et la leur donna disant : Buvez-en tous,

28. Ceci est mon sang, le sang de la nouvelle alliance qui va être versé pour un grand nombre en rémission des péchés.

Marc XIV

22. Pendant qu’ils magnaient, il prit du pain, et, après avoir prononcé la bénédiction, il le rompit et le leur donna en disant : Prenez, ceci est mon corps.

23. Prenant ensuite la coupe, il rendit grâces, la leur donna et ils en burent tous.

24. Et il leur dit : Ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est répandu pour beaucoup.

Luc XXII

19. Et ayant pris du pain, rendu grâces, il le rompit et le leur donna en disant : Ceci est mon corps, qui est donné pour vous ; fait ceci en mémoire de moi.

20. Et la coupe de même, après qu’ils eurent soupé, disant : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang, qui est répandu pour vous.

I Cor. XI

23. Car j’ai reçu moi-même ce que je vous ai transmis : C’est que le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,

24. et ayant rendu grâces, le rompit et dit : Ceci est mon corps, lequel est pour vous. Faites ceci en mémoire de moi.

25. Pareillement aussi le calice, après avoir soupé, disant, : Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang. Faites ceci, toutes les fois que vous boirez, en mémoire de moi.

Remarques préliminaires. 

  1. Les critiques actuels admettent facilement que la première épître de St Paul Apôtre aux Corinthiens, qui a été écrite avant l’année 58, est plus ancienne que l’Evangile et St Luc et selon certains que l’Evangile de Marc. C’est pourquoi, ils font des conjectures sur l’influence de cette épître sur Luc et Marc, et les ressemblances des évangiles synoptiques. Mais ceci n’a pas beaucoup d’importance pour le cas qui nous préoccupe. En effet, que l’on admette ou non que les deux synoptiques dépendent de la première épîtres aux Corinthiens, la force de l’argument en faveur de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, qui est tirée des paroles de l’institution, n’est pas du tout affaiblie.
  2. Les quatre narrations, que nous rapportons littéralement, ne différent évidemment pas substantiellement par leurs paroles. Pour les différences accidentelles, que l’on consulte les commentateurs des Ecritures.
  3. Il reste maintenant à prouver ici à partir des paroles de l’institution, qui dans les quatre récits s’accordent entre elles, que l’on peut conclure à bon droit à la présence réelle et vraie du Christ dans l’eucharistie.

Argument. Les paroles de l’institution : Ceci est mon corps ; Ceci est mon sang, si elles sont prises dans leur sens littéral et propre, signifient que le corps et le sang du Christ sont vraiment et réellement présents dans l’eucharistie. Or plusieurs arguments irrécusables prouvent que ces paroles doivent être prises dans leur sens littéral et propre. Par conséquent.

Les protestants, les rationalistes, les modernistes et d’autres hérétiques s’efforcent d’affaiblir la force de cet argument.

St Bellarmin rapporte que, déjà à son époque, on avait publié un livre dans lequel on rapportait deux cents interprétations ou distorsionshérétiquesdes paroles Ceci est mon corps.

Quelques calvinistes forçaient le sens du pronom Ceci, et disaient que l’interprétation catholique était inadmissible que l’on prenne le pronom comme désignant soit le corps, soit le pain. Si le pronom désigne le corps, on a ce sens : Ce corps est mon corps, ce qui est ridicule. S’il désigne le pain, on a : Ce pain est mon corps, ce qui est faux.

D’autres prétendent que le mot est veut dire signifie ou représente, c’est-à-dire, Ceci signifie ou représente mon corps.

Loisy défend que les paroles du Christ dans l’institution ont été :Voici mon corps.

Les protestants actuels, qui tombent dans le rationalisme et le modernisme, concèdent facilement que dans les paroles de l’institution, que nous avons rapportées, il est question de la manducation du corps et du sang réel du Christ, mais ils prétendent que les auteurs des synoptiques et des l’épître aux corinthiens ont élaboré des idées conformes en rien à l’esprit et à l’intention du Christ.

D’autres ajoutent que le Christ, quand il prononça les paroles de l’institution, n’avait en tête que le royaume de Dieu, dans lequel, suivant les prophéties messianiques, il serait lui-même, au sens eschatologique, la nourriture et l’aliment des bienheureux, et qu’il s’est offert lui-même aux disciples comme nourriture et breuvage en vue du royaume messianique à venir.

Que les paroles de l’institution doivent être prises au sens propre et littéral, c’est ce que démontrent les considération suivantes :

  1. La règle commune de l’herméneutique est que les paroles de l’Ecriture Sainte doivent être interprétées au sens littéral à moins que d’évidentes raisons ne militent en faveur du contraire. Or aucune raison évidente ou probable n’oblige à interpréter les paroles de l’institution au sens d’un trope ou d’une métaphore. En effet, ni la nature de l’affirmation, ni le caractère du discours, ni les circonstances ne demandent d’interpréter les paroles prononcées de façon allégorique ou métaphorique. L’affirmation qui est ici défendue est possible au regard de la puissance de Dieu, le caractère du discours exige davantage un sens littéral que figuré, et toutes les circonstances, comme le lavement des pieds, la conditions de personnes, etc. invitent fortement à comprendre les paroles du Seigneur dans leur sens obvie et littéral.
  2. Le texte de la narration ne souffre pas une interprétation métaphorique. Les paroles : Ceci est mon corps ; Ceci est mon sang, comme elles furent prononcées par le Christ au moment le plus solennel de toute sa vie, alors qu’il laissait son testament et instituait le sacrement le plus admirable, devaientêtre claires en signifiant directement leur objet. C’est pourquoi elles ont une signification littérale. Ceci est encore corroboré instamment par les paroles qui suivent. Au sujet de son corps et de son sang, le Christ ajoute : qui est donné pour vous, qui est livréest pour vous ; qui va être versé pour un grand nombre en rémission des péchés.
  3. Le sujet traité. Jésus en effet, lors de la dernière cène, a laissé son testament, promulgué une loi, institué un testament, enseigné un dogme. Or toutes ces choses exigent d’êtres rédigées en des paroles et des formules claires et comprises dans leur sens littéral, elles ne peuvent êtres livrées en étant voilées par des tropes ou des métaphores.
  4. La condition du locuteur. Notre Seigneur, quand il prescrivait ces choses, se présenta en tant que maître et docteur et enseignales mystères de la Rédemption aux disciples et aux foules. Dans ces circonstances, il devait utiliser des mots simples et clairs et non des expressions équivoques et métaphoriques.
  5. La langue grecque, par des particules souvent répétées, est dans le cas présent particulièrement répétées et invite encore plus à prendre les paroles dans leur sens littéral.Voilà le texte grec : Touto esti to swma mou, to uper umon didomenon. (Luc 22 :19) Touto gar esti to aima mou ths diaqhkhs, to peri pollwn ekcuvomenon. (Matthieu 26 :28) Le sens de ces paroles est le suivant : Ceci est mon corps, celui-là même qui est pour vous donné ; Ceci en effet est le sang de mon alliance, celui-là même qui est répandu pour une multitude en rémission des péchés. Cette répétition du pronom démonstratif est emphatique et les paroles de la locution, surtout en grec, restreignent la signification au sens propre et littéral.
  6. Les paroles que l’Apôtre ajoute à celles de l’institution, impliquent avec certitude le sens littéral. L’Apôtre en effet, après avoir rapporté, instruit par Dieu, les paroles de l’institution citées plus haut, ajoute : Chaque fois, en effet, que vous mangez ce pain et buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. C’est pourquoi quiconque mange le pain ou boit la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Sauveur. Mais que chacun s’examine soi-même et mange ainsi de ce pain et boive cette coupe. Car celui qui lange et qui boit, s’il ne discerne pas le Corps, mange et boit sa propre condamnation.(I Cor 11 :27-29). Or celui qui, de façon spirituelle par la foi ou en figure, consomme le corps du Seigneur indignement, c’est-à-dire, commet un péché, ne pêche pas de façon si grave qu’on puisse dire qu’il est coupable envers le corps et le sang du Seigneur ou mange et boit sa propre condamnation.

D’autres raisons, que l’on peut trouver chez les apologistes, invitent également avec force à entendre les paroles de l’institution dans leur sens propre et littéral.

Corollaire. Le Concile de Trente écrit avec justesse sur la question : « Ces paroles, rapportées par les saints évangélistes et répétées par la suite par le divin Paul, offrent une signification propre et évidente, et c’est ainsi que les ont comprises les Pères de l’Eglise. Il est honteux et vraiment scandaleux de les détourner contre le sens universel de l’Eglise vers des tropes imaginaires et fictives par lesquelles on nie la vérité de la chair et du sang du Christ. »

Objections

Objection n° 1. Le pronom ceci dans les paroles de l’institution et dans la forme du sacrement signifie soit le pain, l’espèce du pain, soit le corps du Christ. Or il ne peut signifier aucun des deux, parce que, s’il signifie la pain ou l’espèce du pain, on a ce sens : Ce pain, ou cette espèce du pain, est mon corps, ce qui est faux. S’il signifie le corps du Christ, il énonce aussi quelque chose de faux, parce, au moment où le Christ a prononcé ceci, ce n’était par encore le corps du Christ.

Réponse. Le pronom ceci dans les paroles de l’institution eucharistique signifie ni le pain ni un corps déterminé ; mais de façon indéterminée la présence d’une chose, qui au début de la locution est la substance du pain et à la fin le corps du Christ.

Pour bien comprendre cela, il faut, avec Pesch, noter qu’il existe deux genres de propositions. Les unes sont appelées propositions purement théorétiques. Dans celles-ci, rien ne se produit et c’est pourquoi leur terme, si elles sont affirmatives, existe dès le début, ainsi, quand je montre un homme, elles peuvent signifier ceci est un homme, parce que, dès le début, l’homme existe. Les autres sont des propositions pratiques ou effectives. Dans celles-ci, le sujet est converti substantiellement ou accidentellement dans la substance ou la fonction du prédicat. Ainsi, dans cette proposition : ceci est mon corps, le Christ convertit la substance du pain en son corps ; de même, un roi voulant faire un ministre, dit : ceci est mon ministre, et transforme en ministre, à la fin de la locution, l’homme qui, au début,n’était pas encore ministre.

C’est pourquoi, dans ces propositions, le sujet signifie la présence d’une chose indéterminée et le prédicat désigne la chose qui va être produite. Cette chose qui est produite, existe de façon transitive dans le sujet et permanente dans le prédicat.

Objection n° 2. Le verbe être dans les paroles de l’institution et de la consécration eucharistiques veut dire la même chose que signifier, d’une part, parce que dans la langue syriaque le verbe signifier est exprimé par l’expression être ; d’autre part, parce que dans plusieurs lieux de la Sainte Ecriture le verbe être est pris dans le sens de signifier. Ainsi, dans les passages suivants : Le rocher était le Christ (I Cor 10 :4) ; La semence est la parole de Dieu. (Luc 8 :11). Pourquoi donc ne signifierait-il pas la même chose dans les paroles de l’institution ?

Réponse.Je nie l’antécédent. Toute l’antiquité chrétienne et la tradition ininterrompue de tous les siècles a pris le verbe être, dans ce passage, au sens propre.

Concernant la première preuve, il faut dire que dans la langue syriaque, il existe plusieurs verbes qui ont le même sens que signifier. Les érudits ont trouvé plus de quarante façons différentes pour exprimer dans la langue syriaque et araméenne signifier, sans utiliser le verbe être.

Concernant la deuxième preuve, il faut nier la conséquence. Rien en effet ne permet de conclure dans cette direction, du fait que, dans plusieurs autres passages, la sainte Ecriture prend le verbe être au sens de signifier, car elle prend aussi souvent cette copule dans son sens littéral et obvie.

Objection n° 3. Le Christ après l’institution de l’eucharistie dit à ces disciples : Faites ceci en ma mémoire (I Cor 11 :24). Or on ne peut pas faire mémoire d’une personne présente, mais absente. Par conséquent, Jésus Christ n’est pas présent dans l’eucharistie.

Réponse. Je distingue la mineure. On ne peut pas faire mémoire d’une personne visiblement présente, je concède, on ne peut pas faire mémoire d’une personne présente de façon invisible, je nie. Le Christ est réellement présent dans l’eucharistie, mais il y reste invisible, et on peut dire qu’il est absent pour nos sens. Ceci suffit pour qu’on puisse célébrer les divins mystères de l’autel en sa mémoire. La commémoration ou la mémoire rappelle quelquefois des objets oubliés, d’autres fois des objets absents et bien des fois des objets invisibles.

Article 4 - La tradition prouve-t-elle la présence du Christ dans l’eucharistie ?

Etat de la question. Nombreux sont, comme nous l’avons dit en théologie fondamentale, les organes qui conservent la tradition. Les principaux sont les œuvres de Pères de l’Eglise, les décisions des conciles, les diverses liturgies, les inscriptions archéologiques, la doctrine des théologiens, la pratiques des églises dissidentes, etc.

La question qui se pose ici est de savoir si le dogme de la présence réelle est vraiment conservé dans ces organes de la tradition.

Thèse. La doctrine de la présence réelle du Christ dans l’eucharistieest établie avec toute certitude par une tradition constante.

Note. Avant de produire les témoignages de Père de l’Eglise, il me paraît important de rappeler que les premiers pères de l’Eglise n’ont pas traité ex professo, mais en passant de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, parce que hérétiques des premiers siècles n’avaient pas pour habitude de nier cette vérité.

  1. Témoignages de Pères de l’Eglise.

Au sujet des docètes, Saint Ignace (107) écrit : « Ils ne participent pas à la prière eucharistique, parce qu’ils ne reconnaissent pas que l’eucharistie est la chair de Notre Sauveur Jésus Christ, laquelle a souffert pour nos péchés et que le Père a ressuscitée dans sa bienveillance. »

Saint Justin : « Car nous ne prenons cet aliment comme un pain commun et une boisson commune. De même que, par la vertu du Verbe de Dieu, Jésus Christ, notre sauveur, a pris chair et sang pour notre salut, ainsi l’aliment consacré par la prière formée des paroles du Christ, cet aliment qui doit nourrir par assimilation notre sang et notre chair, est la chair et le sang de Jésus fait chair. »

Saint Irénée : « Comment ne voient-ils [les gnostiques] que le pain sur lequel est prononcée l’action de grâce est le corps le corps du Seigneur et le calice son sang, s’ils ne le reconnaissent pas comme le Fils du créateur du monde, c’est-à-dire, le Verbe par lequel le bois de la Croix produit du fruit ? »

Tertullien : « La chair [du chrétien] est nourrie de la chair et du sang du Christ, afin que l’âme aussi soitnourrie de Dieu. »

Contre les chrétiens indignes : « C’est un crime déplorable quand un chrétien vient des idoles à l’église, quand il touche le corps du Seigneur, avec les mêmes mains qui construisent des corps aux démons…Crime abominable ! Les juifs ont porté une seule fois les mains sur le christ ; ceux ci outragent quotidiennement son corps. O mains à couper ! »

Saint Cyprien : contre ceux qui communient indignement « Ils font violence à son corps et à son sang et ils sont coupables maintenant envers le Seigneur avec leur main et leur bouche d’une manière plus grave que s’ils l’ont renié. »

Saint Cyrille de Jérusalem : « Le pain et le vin de l’eucharistie, avant l’invocation à adorer la Trinité n’étaient que du simple pain et du vin, mais une fois l’invocation achevée, le pain devient le corps du Christ et le vin le sang du Christ. »

« Le Christ lui-même ayant donc déclaré et dit du pain : ceci est mon corps, qui désormais osera hésiter ? et quand lui-même a déclaré et dit : ceci est mon sang qui osera douter que ce soit son sang ? Donc avec une entière conviction, participons au corps et au sang du Christ. Car sous la figure du pain, on te donne son corps, et sous la figure du vin, on te donne son sang, afin qu’ayant reçu le corps et le sang du Christ, tu lui deviennes concorporel et consanguin. Ainsi nous sommes devenus Christophores, le corps du Christ et son sang se distribuant dans nos membres »

Saint Jean Chrysostome : « Ce qui est dans le calice c’est cela même qui a coulé de son côté sur la croix et nous y avons part… ce corps qui t’est présenté, c’est le corps même qui a été ensanglanté, qui a été percé par la lance et a laissé couler des sources salutaires, les unes de sang, les autres d’eau. Ce corps qu’il nous a donné à prendre et à manger, c’est ce corps d’un intense amour. »

Saint Macaire, écrivant en Grèce au début du Ve siècle, affirme : « De même prenant le pain et le vin, il dit : Ceci est mon corps et ceci est mon sang. Ceci en effet n’est pas le symbole du corps, ni le symbole du sang, comme l’ont affabulé certains esprits aveugles, mais bel et bien le corps et le sang du Christ. » Cet auteur, déjà au Ve siècle, rejette la doctrine des calvinistes.

Saint Ambroise : « Cette nourriture que tu reçois, c’est le corps du Christ. Considère maintenant laquelle est la plus digne : la manne ou la chair du Christ. La manne venait du ciel, celle-ci est au-dessus du ciel ; la manne était corruptible, celle-ci est incorruptible. Pour les juifs l’eau a coulé du roché, pour toi le sang coule du Christ. Peut-être diras-tu mais je vois autre chose, comment m’affirmes-tu que je vais recevoir le corps du Christ. Il nous reste donc à le prouver. Prouvons que ce n’est pas là une œuvre naturelle, mais une consécration opérée par une bénédiction. Or la puissance de la bénédiction dépasse celle de la nature, puisque par la bénédiction la nature elle-même est changée… Ce sacrement que tu reçois est fait par la parole du Christ. Si la parole d’Elie a pu faire descendre le feu du ciel, la parole du Christ ne pourra-t-elle pas changer la nature des éléments…. La Parole du Christ a pu créer ce qui n’était pas, et elle ne pourrait changer ce qui est en ce qui n’était pas ? Ce corps que nous rendons présent, conficimus, c’est le corps né de la Vierge. Pourquoi chercher ici, dans le corps du Christ, l’ordre de la nature, alors que le Seigneur Jésus lui-même est né de la Vierge Marie, en dehors des lois de la nature ? C’est la vraie chair du Christ, celle qui a été crucifiée, celle qui a été ensevelie ; c’est donc vraiment le sacrement de sa chair. Le Seigneur Jésus proclame : Ceci est mon corps. Avant la bénédiction un autre nature est désignée, après la consécration c’est le corps qui est signifié. Lui-même dit que c’est son sang : avant la consécration on l’appelle autrement ; après la consécration, on le nomme sang. Et tu dis : Amen, c’est-à-dire : C’est vrai. »

Passages plus difficiles des Pères.

  1. Tertullien écrivant contre Marcion « Ce bois [de la Croix] et Jérémie prêchant aux juifs qui allaient dire Venez, jetons le bois sur son pain, c’est-à-dire son corps, te donnent un enseignement. En effet, c’est là ce que Dieu, même dans notre Evangile, a révélé, en appelant pain son propre corps, afin que par là, tu comprennes qu’il a donné au pain la figure de son corps, lui dont le prophète a auparavant figuré le corps par la pain : ce mystère devait être interprété ensuite par la Seigneur. » Par conséquent Tertullien n’admettait pas la présence réelle du Christ, la présence de la figure du Christ dans l’eucharistie.

Réponse. Tertullien disputait contre Marcion qui ne voulait pas admettre que le Christ ait eu un véritable corps. Afin de prouver contre lui la vérité et la réalité du corps du Christ, il prouve que l’eucharistie, symbolisée dans l’Ancien Testament sous la figure du pain, est un sacrement et, comme tel, le signe du corps du Christ ; signe qui n’est pas vide et fantasmatique, mais contenant vraiment ce qu’il signifie. Ainsi l’argumentation de Tertullienest la suivante : l’Eucharistie sous le nom du pain fut la figure du corps du Christ, « or il ne sauraity avoir de figure, s’il n’y avait de corps réel. Une chose vide, une apparence ne peut avoir de figure ». Par conséquent le Christ a eu un vrai corps.

Tertullien ne voulait donc pas dire que l’eucharistie était un pure figure et un signe vide, mais le signe et la figure de corps réel qu’elle contenait.

  1. Saint Augustin écrit : « Le Seigneur n’hésita pas à dire : Ceci est mon corps, alors qu’il donnait le signe de son corps ». Et ailleurs : « Comprenez spirituellement mes paroles. Le corps que vous voyez ce n’est pas lui que vous allez manger, et vous ne boirez pas le sang que vont répandre mes bourreaux. Je vous ai confié un mystère. Compris spirituellement, il vous vivifiera, alors que la chair ne sert de rien.[1] ». Par conséquent le docteur d’Hippone a enseigné que dans l’eucharistie est présent non le corps, mais la figure du corps du Christ.

Réponse.Sur le premier passage de St Augustin, dont Calvin a fait un usage abusif, il faut répondre qu’il est nécessaire de lire tout le contexte. Saint Augustin combattait les manichéens qui refusaient l’Ecriture, sous le prétexte qu’elle disait que le sang était l’âme et pour cette raison en interdisait sa consommation. St Augustin pour sauver le sens de l’Ecriture répond que le sang est le signe et la manifestation de la présence invisible de l’âme, parce que c’est par le sang que l’âme est contenue dans le corps. Pour confirmer cela, il donne comme exemple l’eucharistie dans laquelle, sous l’espèce du pain, est donné le signe visible de la présence invisible du corps du Christ.

Sur le deuxième passage St Thomas répond à juste titre : « Les hérétiques dont on vient de parler ont trouvé l’occasion de leur erreur justement dans le texte allégué par l’objectant. Mais ils ont mal compris les paroles de S. Augustin. Lorsque celui-ci disait : " Vous ne mangerez pas ce corps que vous voyez ", il ne voulait pas nier la vérité du corps du Christ, mais seulement affirmer qu’on ne le mangerait pas sous le même aspect où les disciples le voyaient. Lorsqu’il ajoute : " je vous ai confié un mystère. Compris spirituellement, il vous vivifiera ", il ne veut pas dire que le corps du Christ n’est dans ce sacrement que par une signification mystique : " spirituellement " veut dire invisiblement et par la vertu de l’esprit. C’est pourquoi, commentant l’évangile de S. Jean à propos de la parole (6, 64) : " La chair ne sert de rien ", il donne cette explication :" Sans doute, elle ne sert de rien à la manière dont ils l’ont comprise. Car ils ont compris qu’il fallait manger une chair pareille à celle qu’on arrache d’un cadavre, ou qu’on vend à la boucherie ; ils ne l’ont pas compris sous le mode où un esprit peut-être nourri. Que l’esprit vienne se joindre à la chair, alors la chair sert beaucoup, car si la chair ne servait de rien, le Verbe ne se serait pas fait chair pour habiter parmi nous. » (III, q. 75, a. 1, ad .1) St Augustin a donc condamné la manducation sarkofagian ou capharnaitique,et non la manducation réelle du corps du Christ dans la sacrement.

  1. Témoignage des conciles.

A peine était proférée la première erreur niant la présence réelle du Christ dans l’eucharistie, son auteur, Béranger de Tours, fut obligé par la Concile de Rome (a. 1079) de souscrire à la formule suivante : « Moi Béranger, je crois de cœur et je confesse par la bouche que le pain après la consécration est le vrai corps du Christ, qui est né de la Vierge Marie, qui s’est offert sur la croix pour le salut du monde, qui assis à la droite du Père ; et le vin, le vrai sang du Christ, qui a coulé de son côté, et cela non seulement en signe et par la vertu du sacrement, mais dans la propriété de la nature et la vérité de la substance. »

Le IVe Concile du Latran (a. 1215) a déclaré contre les albigeois que le corps et la sang est vraiment contenu au sacrement de l’autel sous les espèces du pain et du vin.

Le Concile de Trente a édité le canon suivant contre les novateurs : « Si quelqu’un nie que dans le très Saint Sacrement de l’Eucharistie soient contenus vraiment, réellement, et substantiellement, le corps et le sang conjointement avec l’âme et la Divinité de notre Seigneur Jésus-Christ et, par conséquent ; le Christ tout entier, mais s’il dit qu’ils n’y sont qu’en signe ou en figure ou par vertu, qu’ils soit anathème » (Session 13 : canon 1)

  1. Les différentes liturgies.

Sous le nom des liturgies nous désignons les livres rituels qui contiennent les prières, les formules et les rites pour confectionner et administrer les sacrements. Ils sont divers, comme les églises sont diverses et on les considère comme un organe assez sûr pour conserver la tradition.

Le témoignage des liturgie, quand il est constant et uniforme, est sans aucun doute d’une grande autorité dans les choses de la foi, parce que « la loi de croyance décide de la loi de la prière ». En outre, toutes les liturgies, aussi bien occidentales qu’orientales tiennent de manière constante la doctrine de la présence réelle de Notre Seigneur Jésus Christ dans l’eucharistie.

La liturgie la plus antique, que l’on trouve au chapitre huit des les Constitutions apostoliques, modifiées probablement au IVe siècle, mais conformes pour l’essentiel à la version primitive, contient ces paroles : « Ne te prions pour que tu envoies ton Esprit Saint sur ce sacrifice, afin qu’il transforme ce pain en corps du Christ, ton Fils, et ce calice dans le sang du Christ, ton Fils. »

La liturgie jérusalémite de Saint Jacob, existant déjà au IVe siècle, dit : « Envoie ton Esprit Saint pour que sa venue transforme ce pain dans le corps de notre Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu etSauveur… Et ce breuvage, qui est dans le calice, qu’il le transforme dans le sang de notre Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu etSauveur. »

La liturgie de saint Basile : « Fais que pain devienne le corps précieux de notre Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu et Sauveur. Quant à ce calice qu’il devienne par ton action le sang de notre Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu etSauveur, qui a offert sa vie pour le salut du monde. »

Les liturgie de saint Jean Chrysostome, des églises arméniennes, d’Alexandrie etc. nous livrent en abondance aussi bien des formules de consécration qui signifient et produisent la conversion du pain et du vin dans le corps et le sang de Jésus-Christ quedes oraisons et des prières qui demandent à Dieu que cette conversion se produise.

La liturgie romaine nous livre la formule suivante pour la consécration : Hoc est enim corpus meum ; Hic est enim calix sanguinis mei… qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum. Après la consécration, elle ajoute : « Ton Corps que j’ai mangé et ton Sang que j’ai bu, Seigneur, qu’ils adhèrent à mes entrailles. »

Dans la liturgie mozarabe le prêtre dit : « Seigneur, mon Dieu, donne moi de consommer le corps et le sang de ton Fils, Notre Seigneur Jésus Christ, afin qu’ainsi je mérite d’obtenir la rémission de tous mes péchés. »

Dans les liturgies gothique, gallicane, ambrosienne, on trouve également des formules qui signifient

sans ambiguïté la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.

  1. Le témoignage de l’archéologie chrétienne.

Les fidèles de l’Eglise primitive ont laissé témoignage en de leur foi en la présence réelle du Christ dans l’eucharistiesur des monuments archéologiques.

  1. Dans les catacombes romaines on trouve des peintures qui représentent sans ambiguïté le mystère de la présence du Christ dans ce sacrement. a) Dans la chambre des sacrements que l’on peut voir dans les catacombes de saint Callixte, on voit une peinture qui représente le Christ bénissant un pain et un poisson déposés sur un autel. Or il est connu que les chrétiens avaient l’habitude de désigner le Christ peint sous la forme d’un poisson. b) Dans le crypte de Priscillia, on peut voir une peinture, la Fraction du pain, représentant un groupe de fidèles qui s’apprête à prendre le repas et un prêtre qui tient dans ses mains du pain et un calice posés au milieu d’eux. Cette peinture commémore certainement la célébration du sacrifice de la messe. D’autres peintures se trouvent aussi dans les catacombes qui représentent aussi de symboles eucharistiques comme la manne du désert, la multiplication des pain, etc.

Toutes ces choses indiquent que les fidèles, durant leur persécution, ont souvent peint sur les murs leur foi en la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.

  1. Des épigraphes confirment la même doctrine.

a) Parmi toutes les inscriptions qui ont été découvertes récemment, très célèbre est l’épitaphe que Abercius, évêque d’Hierapolis en Phrygie à ordonné d’apposer, à la fin du IIème siècle, sur son tombeau.

« Moi, je suivais Paul ; la foi m’a précédé partout et partout m’a présenté en nourriture un poisson de source, très grand, très pur, qu’une Vierge sans tache a péché, et ce poisson, [la foi] le donnait en partage sans cesse comme nourriture à ses amis, avec du vin délectable, mêlé au froment. » Abercius sous le nom du poisson né d’une Vierge signifie ici clairement le Christ[2].

b) L’inscription de Pectorius (première partie du IIIe siècle) :

« Race divine du poisson céleste, reçois avec un cœur respectueux la vie immortelle parmi les mortels, dans les eaux divines. Ami, refais ton âme aux flots éternels de la sagesse qui donne les trésors. Reçois l’aliment doux comme le miel du Sauveur des saints. Mange à ta faim. Tu tiens le poisson dans tes mains. »

c) L’inscription du Pape Damase pour saint Tarcisius (IVeme siècle) :

« Saint Tarcisius portait le sacrement du Christ quand un groupe de scélérats l’attaqua pour profaner l’eucharistie, il préféra se laisser frapper et perdre la vie, plutôt que de laisser le corps céleste aux mains de ces chiens enragés. »

  1. La doctrine des théologiens.

Cette doctrine a été tenue de façon unanime par les théologiens.

Guillerme de Paris écrit : « Dans la transsubstantiation rien du pain ne reste du pain en dehors de quelque chose de très nouveau et d’ultime, qui est la variété ou la forme sensible des accidents sensibles du pain. Sous la forme matérielle et visible du pain, après la bénédiction sacerdotale accomplie par le rite, est déposé sur l’autel le pain de vie et sous la forme sensible du vin, le breuvage de vie. Et nous savons que ce pain et ce breuvage de vie ne sont pas seulement le Christ même ensa divinité, mais aussi son corps qui a souffert pour nous sur la croix et son sang. » (De sacramento eucharistiae, fol. 14, col. 3)

Pierre Lombard : « Il y a deux choses en ce sacrement ; l’une est contenue et signifiée et l’autre est signifiée sans être contenue. La chose contenue et signifiée est la chair du Christ qui est né de la Vierge Marie et son sang qui a coulé pour nous. La chose signifiée sans être contenue est l’unité de l’Eglise dans les prédestinés, les élus, les justifiés et les glorifiés. Telle est la double signification de la chair et du sang du Christ. » (IV Sent, dist. 8, n° 4)

Saint Thomas : « Que le vrai corps du Christ et son sang soient dans le sacrement, les sens ne peuvent le saisir, mais seulement la foi qui s’appuie sur l’autorité divine. » (III, q. 75, a. 1)

Par la suite, tous les théologiens ont tenu fidèlement et défendu ardemment cette doctrine.

  1. Le consensus des églises dissidentes de l’Eglise catholique.

Les sectes dissidentes sont comme les branches de l’arbre de la vraie Eglise qui se sont séparées par un schisme ou une hérésie. Cependant, elles ne se trompent pas dans tous les domaines et dans ceux dans lesquels elles ne se trompent pas, elles ont conservé la doctrine que l’Eglise catholique tenait au moment de leur séparation. C’est pourquoi, le consensus des sectes antiques a une grande autorité dans cette question, parce que il contient l’antique doctrine de l’Eglise catholique au sujet de la présence réelle du Christ dans l’eucharistie.

Les hérétiques et les schismatiques orientaux comme les grecs, les jacobites, les syriens, les coptes, les arméniens, les monophysites, constituent des églises et des sectes particulières. Bien que séparés du centre de la vérité, ils enseignement unanimement que le Christ est vraiment, réellement et substantiellement contenu dans l’eucharistie.

Même les nestoriens, qui admettent une double personne dans le Christ, confessent pourtant la présence du Christ dans l’eucharistie.

Lanfranc (+ 1089) a exposé cet argument contre Béranger : « Si ce que tu crois et prétends au sujet du corps du Christ est vrai, alors ce que croient et défendent en tout lieu les fidèles de l’Eglise au sujet du même point, est faux. En effet, tous ceux qui se disent chrétiens et se réjouissent de l’être, se glorifient de reconnaître dans ce sacrement la vraie chair du Christ et son vrai sang, tirés tous deux de la Vierge Marie. Interroge tous ceux qui parlent notre langue ou qui connaissent la latin, interroge les grecs, les arméniens ou les chrétiens de n’importe quelle nation, ils t’attesteront d’une même voix qu’ils ont cette foi. »

Corollaire. On peut ajouter ici les raisons de convenance. Saint Thomas en donne trois :

« 1° cela s’accorde à la perfection de la loi nouvelle. Car les sacrifices de la loi ancienne ne contenaient qu’en figure ce vrai sacrifice de la passion du Christ, selon ce que dit l’épître aux Hébreux (10, 1) : " La loi a l’ombre des biens à venir, non l’image même des réalités. " Il fallait donc que le sacrifice de la loi nouvelle, institué par le Christ, eût quelque chose de plus, c’est-à-dire qu’il contint le Christ en sa passion, non seulement par mode de signification ou de figure, mais bien en vérité réelle. Et c’est pourquoi ce sacrement, parce qu’il contient réellement le Christ lui-même est, au dire de Denys " celui qui achève tous les autres sacrements ", dans lesquels on trouve seulement une participation de la vertu du Christ.

2° Cela convient à la charité du Christ : c’est par charité qu’il a pris, pour notre salut, un vrai corps de même nature que le nôtre. Et parce que la propriété essentielle de l’amitié, selon Aristote, est " qu’on partage la vie de ses amis ", il nous a promis pour récompense sa présence corporelle : " Là où sera le corps, dit-il (Mt 24, 28), là se rassembleront les aigles. " En attendant toutefois, il ne nous a pas privés de sa présence corporelle pour le temps de notre pèlerinage, mais, par la vérité de son corps et de son sang, il nous unit à lui dans ce sacrement. Ce qui lui fait dire (Jn 6, 57) : " Qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi, et moi en lui. " Ce sacrement est ainsi le signe de la suprême charité et le réconfort de notre espérance, puisqu’il opère une si intime union entre le Christ et nous.

3° Cette présence réelle ressortit à la perfection de la foi, qui doit être aussi ferme à l’égard de l’humanité du Christ qu’à l’égard de sa divinité, comme il l’a dit (Jn 14, 1) : " Vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. " Or la foi porte sur des réalités invisibles : de même que le Christ nous présente invisiblement sa divinité, de même, en ce sacrement, nous présente-t-il sa chair sous un mode invisible. » (III, q. 75, a. 1)

Le deuxièmemotif a été particulièrement bien illustré par le cardinal Journet :

« LA PRÉSENCE CORPORELLE DE JÉSUS NOUS SERA ?T ?ELLE ÔTÉE OU LAISSÉE ?

Cette présence corporelle au milieu de nous du Verbe fait chair, nous sera ?t ?elle arrachée au jour de l’Ascension, où le Christ, avec son corps ressuscité, marqué par les stigmates que l’apôtre Thomas exigeait de toucher, est passé dans un autre monde, en quelque sorte parallèle au nôtre, inimaginable, le monde de l’au ?delà, de la fin des temps et de la gloire de Dieu ?

Qu’allons ?nous répondre ? S’il est vrai que Dieu a tant aimé le monde qu’il lui a donné la présence corporelle de son Fils unique, ne penserons ?nous pas ?si cela n’est pas de soi impossible ? qu’il pourra aimer assez le monde pour lui laisser la présence corporelle de ce même Fils unique ? (…)

Mais puisque le Christ, au jour de l’Ascension, nous a quittés pour la gloire du ciel, où il réside sous ses apparences propres et naturelles, il est clair qu’il ne pourra, éventuellement, nous être ici ?bas présent corporellement que sous d’autres apparences que les siennes, qu’il y aura dès lors pour le Christ unique deux sortes de présences, l’une au ciel, qui est première, originelle, naturelle, l’autre parmi nous, qui sera cachée, mystérieuse, sacramentelle : un peu, dirions ?nous, comme une seule maman peut avoir simultanément deux présences corporelles : l’une manifeste, pour l’un de ses enfants qui serait sourd, l’autre cachée, pour l’autre de ses enfants qui serait aveugle.

Ces choses sont folles à vues humaines. L’Eglise peut bien les souhaiter, les rêver comme désirables. Sont ?elles vraies ? Sont ?elles même possibles ? Qui le lui dirait ? Mais voici qu’elle ouvre soudain l’Ecriture. Elle tombe sur les endroits où il est noté que « Jésus, avant la fête de la Pâque, sachant que son heure était venue de passer de ce monde au Père, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, il les aima jusqu’à la fin » (Jean 13, 1), et que, « la nuit où il fut livré, il prit du pain et, après avoir rendu grâces, il le rompit en disant : Ceci est mon corps, qui est pour vous ; faites ceci en mémoire de moi » (I Cor. 11, 24). Comment alors ne ressentirait-elle pas un coup au cœur ? Comment ne l’entendrait ?on pas murmurer tout bas : « Je l’avais pressenti, c’est plus encore que je n’avais pressenti ! »

Cela maintenant est clair pour elle. L’amour qui a poussé le Fils de Dieu à venir corporellement parmi nous, l’a poussé à rester corporellement avec nous. Il faudrait méconnaître le sens du mystère de l’Incarnation pour refuser le mystère de l’Eucharistie. »

De même Bossuet :

« Si Dieu a fait de si grandes choses pour déclarer son amour dans l’Incarnation, que n’aura-t-il pas fait pour le consommer dans l’Eucharistie, pour se donner non plus en général à la nature humaine, mais à chaque fidèle en particulier » (Oraison funèbre pour Anne de Gonzague de Clèves)

Article 5 - La transsubstantiation

  1. L’usage du nom.

Ce vocable, même si Luther prétend que c’est une trouvaille thomiste, est né avant St Thomas et a été utilisé par les théologiens.

Hildebert de Lanvardin, évêque du Mans, puis archevêque de Tours, mort en 1133, a utlisé le mot (Sermon 93 ; ML 177, 776).

Peu après, Stéphane d’Autun, mort vers 1139-1140, priait Dieu « pour que la nourriture des hommes devienne la nourriture des anges, à savoir que l’offrande du pain et du vin se transsubstantiatie dans le corps et le sang de Jésus. »

Vers la même époque, en 1140-1141, Roland Bandinelli, qui fut par la suite Pape sous le nom d’Alexandre III, traite expressément de la transsubstantiation dans ses Sentences.

Le mot a été ensuite consacré par le IVeme Concile du Latran (a. 1215) ; Guillaume de Paris, Alexandre d’Alès, St Albert le Grand, St Thomas et d’autres théologiens en ont traité ex professo ; le 2eme Concile de Lyon l’a inclus dans sa profession de foi et le Concile de Trente a expressément enseigné que la conversion du pain et du vin dans le corps et le sang du Christ était appelée très justement la transsubstantiation. 

  1. Erreurs. 
  1. Tous les anciens hérétiques, qui comme les monophysites ont nié que le Christ avait assumé un vrai corps, ont nié de même la conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ et ont contesté la transsubstantiation.
  2. Refusent le mot transsubstantiation et le fait tous ceux qui n’admettent pas la présence réelle du Christ dans l’eucharistie. Ainsi les Vaudois, les Albigeois, Wicleff, Zwingle, Calvin, les réformateurs du XVIe siècle, et la plupart des protestants et naturalistes actuels rejettent la transsubstantiation.
  3. Durand enseigna que dans la consécration, la forme du pain étant corrompue, la matière du pain se constitue subitement et par la vertu divine dans la forme du corps du Christ.
  4. D’autres défendent que après la consécration la pain et le vin demeurent avec le Christ dans l’eucharistie soit a) par la consubstantiation ou la coexistence du pain et du vin avec le corps et le sang du Christ, comme le veut Luther, attribuant au corps du Christ une ubiquité par laquelle le Christ peut être au ciel et dans toutes les hosties consacrées avec le pain, dans le pain et sous le pain. ; soit b) par une union hypostatique ou impanation par laquelle le pain est dit être hypostatiquement uni au Christ ; soit c) par une assomption du pain et du vin, non par le Christ de façon immédiate, mais par le corps du Christ si bien qu’on peut dire que « le pain est chair », mais non pas que « le pain est le Christ ou Dieu ». Ainsi Jean de Paris, au XIVeme siècle.
  5. D’autres, pensant que la raison de la substance étant de subsister par soi et que la substance cesse d’exister par le seul fait qu’elle est surnaturellement soutenue dans un autre être, veulent que la transsubstantiation ou la conversion de toute la substance du pain dans la substance du corps de Notre Seigneur Jésus Christ s’explique de cette façon « le corps du Christ, quand il devient substantiellement présent dans l’eucharistie, soutient la nature du pain, qui par le fait même et sans aucune autre mutation cesse d’exister en tant que substance, parce que désormais elle ne subsiste plus en soi, mais dans un autre ; ainsi, bien que demeure la nature du pain, en elle cesse la raison formelle de la substance et c’est pourquoi il n’y a plus deux substances, mais une seule à savoir celle du corps du Christ. » Ainsi, le professeur Bayma. La sacrée congrégation du saint Office, le 7 juillet 1875, a déclaré que « la doctrine de la transsubstantiation, telle qu’elle est ici exposée, ne pouvait être tolérée. » En effet, quand se produit la conversion du pain et du vin, rien de ce qui appartient à la substance ne reste. En outre, la raison formelle de la substance exclut non seulement une inhérence actuelle, mais aussi l’aptitude à l’inhérence.
  6. Rosmini écrivait « 29. Dans le sacrement de l’eucharistie, la substance du pain et du vin devient la vraie chair et le vrai sang du Christ, quand le Christ fait d’elle le terme de son principe sentant et la vivifie par sa propre vie, à peu près de la même façon que le pain et le vin sont véritablement transsubstantiés en notre chair et notre sang, puisqu’ils deviennent le terme de notre principe sentant. 30. La transsubstantiation achevée, on peut penser que quelque partie, incorporée au corps glorieux du Christ, inséparable de lui et glorieuse comme lui, lui est jointe. »
  7. Certaines explications des scolastiques concordent peu avec la vraie doctrine de la transsubstantiation que tient l’Eglise, mais nous verrons cette question plus bas.
  1. La vraie notion de transsubstantiation

La transsubstantiation est correctement définie dans l’Eglise comme la conversion de toute la substance du pain en corps du Christ et de la toute la substance du vin en sang du Christ, à l’exception des apparences du pain et du vin qui demeurent..

La transsubstantiation, comme n’importe quelle conversion, est le passage d’une chose en une autre. Toute transformation cependant n’est pas une transsubstantiation, parce que la transformation peut s’effectuer d’une forme à une autre, ou d’un accident à un autre, tandis que la transsubstantiation est le passage de toute la substance du pain et du vin en corps et sang du Christ.

Pour que la notion de transsubstantiation soit intégralement conservée, les conditions suivantes sont requises :

  1. Le terme initial (terme a quo) et le terme final (terme ad quem) doit être quelque chose de positif, parce qu’une négation et une privation ne peuvent passer dans un autre être, ni terminer le passage d’un autre être. Ainsi la création et l’annihilation ne sont pas et ne peuvent pas être des conversions.
  2. Le terme a quo, qui est la substance du pain, doit cesser d’exister et le terme ad quem, qui est le corps du Christ, doit commencer d’exister de quelque façon
  3. Il y doit y avoir une connexion entre le fait de cesser d’exister pour le terme a quo et le fait de commencer d’exister pour le terme ad quem, de telle sorte que ce qui était le terme a quo, la substance du pain, puisse être aussi appelé par la suite terme ad quem, corps du Christ. Il ne suffit pas qu’un être succède à un autre de façon fortuite ou nécessaire ; ainsi si Dieu au même instant annihilaitun ange et en créait un autre, on ne pourrait pas dire qu’un ange est converti en un autre.
  4. On a l’habitude d’ajouter une quatrième condition à savoir que quelque chose d’existant dans leterme a quo doit être conservé dans le terme a quem, qu’il y ait donc un élément commun aux deux termes. Dans l’admirable conversion du pain et du vin en corps et sang du Christ, sont conservés les mêmes accidents dans les deux termes, comme dans les conversions naturelles. Cependant cette condition n’est pas absolument nécessaire, comme l’écrivent à juste titre Cajétan et Gabriel de St Vincent, parce que le Christ pouvait convertir toute la substance du pain avec tous ses accidents en son corps, et faire ainsi une transsubstantiation.

Thèse. Le Christ devient réellement présent dans l’eucharistie par la conversion de toute la substance du pain et du vin et son propre corps et son propre sang, ou, si l’on préfère, par la transsubstantiation.

Arguments. 


  1. L’Ecriture sainte.

Les évangiles synoptiques et saint Paul rapportent expressément que le Christ a dit lors de la dernière cène : Ceci est mon corps.Nous avons prouvé plus haut que ces paroles devaient être comprises dans leur sens littéral et efficace, à savoir que par elles le Christ devenait présent dans l’eucharistie. Or « on ne peut admettre aucun mode selon le vrai corps du Christ commence à être dans ce sacrement sinon par la conversion du pain en son corps. » (III, q. 75, a. 3). En effet, « une chose ne peut se trouver là où elle n’était pas précédemment, sinon par changement de lieu, ou parce qu’une autre réalité est transformée en elle. Ainsi, dans une maison, le feu ne peut apparaître que si on l’y apporte ou si on l’y allume. Or il est évident que le corps du Christ ne commence pas à se trouver dans ce sacrement par suite d’un transfert local. D’abord parce qu’il s’ensuivrait qu’il cesserait de se trouver au ciel : un être qu’on transfère localement ne parvient à un nouveau lieu que s’il quitte le lieu précédent. Ensuite parce que tout corps transféré localement doit traverser tous les points intermédiaires, ce qu’on ne peut soutenir ici. Enfin parce qu’il est impossible qu’un seul mouvement, affectant un seul corps localement transféré, aboutisse simultanément à divers lieux ; or le corps du Christ, sous ce sacrement, commence d’exister simultanément en plusieurs lieux. On est donc obligé d’admettre que le corps du Christ ne peut commencer d’exister sous ce sacrement autrement que parce que la substance du pain est convertie en ce corps. » (III, q. 75, a. 2)Par conséquent, le Christ devient réellement présent dans l’eucharistie par la conversion de la substance du pain et du vin.

Nous avons dit en théologie fondamentale (n° 45) que cette proposition était une conclusion théologique, déduite à partir d’une proposition explicitement révélée : Ceci est mon corps, et d’une proposition naturelle sans laquelle ces paroles ne peuvent se vérifier, à moins que la conversion se produise. Ainsi cette proposition peut être définie par l’Eglise.

C’est pourquoi le Concile de Trente dit : « Comme le Christ notre Rédempteur a dit que ce qu’il offrait sous l’apparence du pain était vraiment son corps, on a toujours cru dans l’Eglise, et à nouveau notre saint synode le déclare aujourd’hui, que par la consécration du pain et du vin se produit la conversion de toute la substance du pain dans la substance du corps du Christ. »

  1. Les conciles.
  1. Au concile de Rome Béranger dut confesser que le pain et la vin au sacrifice de la messe « sont substantiellement convertis dans la vraie, propre et vivifiante chair et au sang de Jésus-Christ notre Seigneur. »
  2. Le IVe Concile du Latran (a. 1215) : « Le corps et le sang de Jésus Christ sont véritablement contenus dans le sacrement de l’autel sous les apparences du pain et du vin, la transsubstantiation s’effectuant du pain en corps et du vin en sang, sous l’action de la puissance divine. »
  3. Le Concile de Trente a promulgué cette définition : « Si quelqu’un dit que, dans le très Saint Sacrement de l’Eucharistie, la substance du pain et du vin demeure avec le sang de notre Seigneur Jésus-Christ, et qu’il nie ce changement admirable et unique de toute la substance du pain en son corps et de toute la substance du vin en son sang, tandis que les apparences du pain et du vin demeurent, changement que l’Eglise catholique appelle de manière très appropriée « transsubstantiation », qu’il soit anathème » (Session 13 : canon 2)
  1. La tradition des Pères

Les Pères jusqu’au XIIe siècle n’ont jamais parlé à proprement dit de transsubstantiation, mais ont enseigné clairement que le Christ devient présent dans l’eucharistie au moyen de la conversion de la substance du pain et du vin.

Saint Irénée : « Quand le calice mêlé [d’eau] et le pain produit [par l’homme] perçoivent la parole de Dieu, l’eucharistie devient le corps et le sang du Christ. »

Saint Athanase : « Tant que les prières et les invocations ne sont pas commencées, il n’y a rien d’autre que du pain et du vin. Mais une fois que les grandes et admirables prières ont été prononcées, alors le pain et le vin deviennent le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. »

Saint Cyrille de Jérusalem : « Comme le pain et le vin de l’Eucharistie, avant l’invocation de la sainte et adorable Trinité, étaient simplement du pain et du vin, mais sitôt achevée l’invocation, le pain devient le corps du Christ, et le vin devient le sang du Christ. »

Saint Grégoire de Nysse († 394) :» Nous croyons que le pain, sanctifié par la parole de Dieu, est converti au corps du Verbe. Cette conversion au corps du Verbe, se fait en un moment, comme le Verbe la dit lui-même : Ceci est mon corps. Par la vertu de bénédiction, le Verbe transélémenteen son corps la nature des éléments qui apparaissent aux yeux »

Saint Jean Chrysostome : « Le Christ est présent, le même Christ qui jadis fit dresser la table de la cène, a dressé celle-ci pour vous ; car ce n’est pas un homme qui fait que les oblats deviennent le corps et le sang du Christ, mais bien le Christ lui-même, crucifié pour nous. L’évêque est là qui le représente et prononce les paroles que vous savez, mais c’est la puissance et la grâce de Dieu qui agit. Ceci est mon corps, dit-il : cette parole transforme les oblats (touto to rhma metaruqmizei ta prokeimena) »

Saint Césaire d’Arles (470) justifie cette doctrine en disant : « Qu’y a-t-il d’étonnant à ce que les choses que [Dieu] a pu créer par une parole, il puisse les convertir par une parole ? ». De même St Cyrille de Jérusalem : « Le Christ a changé l’eau en vin qui ressemble au sang à Cana en Galilée et nous ne le croirions pas quand il change le vin en son sang[3]. » ou saint Ambroise : « La parole du Christ ne pourra-t-elle pas changer la nature des éléments…. La Parole du Christ a pu créer ce qui n’était pas, et elle ne pourrait changer ce qui est en ce qui n’était pas ? »[4]

Par la suite, les Père ont constamment tenu cette tradition. Au IX e siècle Paschase Radbert (831) et d’autres ont donné des explications plus claires ; au XIIe siècle les théologiens ont proposé et défendu par des paroles claires la transsubstantiation et enfin le Concile de Trente a déclaré que ce terme était très « approprié[5] ».

Corollaire.

On voit facilement par là comment et de quelle façon on peut réfuter une à une les erreurs que nous avons rapportées plus haut.

  1. L’erreur des monophysites qui nie que le Christ a eu un vrai corps est dénuée de fondement dans la théologie catholique, comme nous l’avons déjà dit dans notre Traité du Verbe incarné.
  2. Les hérétiques qui nient la présence réelle du Christ dans l’eucharistie et par conséquent rejettent la transsubstantiation, ont été suffisamment réfuté dans la question précédente où nous avons montré quele Christ est vraiment et réellement présent dans l’eucharistie.
  3. L’opinion de Durand qui prétend que seule la forme et non la matière du pain et du vin est convertie en corps et sang du Christ contredit le Concile de Trente qui déclare que toute la substance du pain et du vin est convertie dans le corps et le sang du Christ.
  4. La consubstantiation ou la coexistence de la substance du pain et du vin avec le corps et le sang du Christ que défend Luther, l’union hypostatique ou l’impanation par laquelle le pain est dit être de façon hypostatique uni au Christ, l’assomption du pain par le seul corps du Christ selon l’opinion de Jean de Paris, non seulement contredisent les définitions du Concile de Trente rapportées plus haut, mais aussi « la forme de ce sacrement, qui consiste à dire : " Ceci est mon corps. " Ce ne serait pas vrai si la substance du pain y subsistait, car jamais la substance du pain n’est le corps du Christ. Il faudrait plutôt dire : " Ici est mon corps. " » (III, q. 75, a. 2).
  5. L’explication de Bayma ne peut être tolérée selon la réponse de la Sacrée Congrégation du Saint Office, en date du 7 juillet 1875.
  6. La pensée de Rosmini a été proscrite par la même Congrégation le 14 décembre 1887.

Scolie. Questions scolastiques au sujet de la nature intime de la transsubstantiation. 

Afin de saisir pleinement la question de la transsubstantiation, nous développons ici des questions scolastiques et soumettons à l’examen quelques opinions anciennes ou récentes.

  1. L’opinion de Durand, que défendent sous une forme un peu modifiée quelques cartésiens et Rosmini, selon laquelle la matière du pain reste dans l’eucharistie en étant informée par l’âme du Christ, ne peut pas être considérée comme une question scolastique, mais doit être abandonnée comme contraire à la doctrine du Concile de Trente.
  2. Deux questions sont à considérer attentivement dans la transsubstantiation : a) La substance du pain cesse d’exister et le terme a quo disparaît ; b) le Christ commence d’exister et le terme ad quem devient présent. L’explication des ces points est difficile.

Au sujet de la première question. La substance du pain cesse d’exister.

  1. Certains défendent que la substance du pain cesse d’exister par annihilation. Ainsi Scot, Ockam, Biel et d’autres.

Mais St Thomas, St Bonaventure, Alès, St Albert le Grand et d’autres nient communément que la substance du pain cesse d’exister par annihilation.

La raison théologique de cette thèse est négative parce que la transsubstantiation est une vraie conversion de la substance du pain et du vin. Ainsi St Bonaventure : « Tous les théologiens affirment communément qu’il ne s’agit pas d’une annihilation du pain, mais plutôt d’un mutation complète en une substance plus haute, et c’est pourquoi, il convient d’appeler une telle conversion transsubstantiation et non annihilation. » et St Thomas : « Car on ne peut admettre aucun mode selon lequel le vrai corps du Christ commence à être dans ce sacrement, sinon par la conversion du pain en ce corps ; mais cette conversion est supprimée si l’on admet soit l’anéantissement du pain, soit sa résolution en la matière préexistante. » (III, q. 75, a. 2)

  1. D’autres rejettent la mot annihilation, mais admettent la chose. Ils veulent en effet soit que :
  • la substance du pain cesse d’exister par la force des paroles de consécration et qu’à sa place y succède le corps du Christ
  • la substance soit séparée de la quantité et des accidents, et ainsi détruite, pour produire le corps du Christ
  • la substance périsse radicalement par une soustraction de l’influx divin, comme si elle était réduite au néant.

Ces manières de parler impliquent en réalité une annihilation de la substance du pain et ne sauvent pas la véritable notion de transsubstantiation.

Si en effet, la substance du pain cesse d’exister sans passer dans un autre être par conversion ou par génération, ou sans être résolue dans une matière préexistante, elle est vraiment détruite et disparaît et, comme le veulent certains auteurs, elle est annihilée.

Elles ne sauvent pas non plus la véritable notion de transsubstantiation. En effet, la transsubstantiation est une véritable conversion du pain et du vin, de telle sorte que un être soit changé en un autre, c’est-à-dire que ce qui avant la consécration était du pain et du vin est après la consécration le corps et le sang du Christ.

Dans la théorie de ces théologiens la substance du pain n’est pas changée en corps du Christ, mais cesse d’exister pour faire place au corps du Christ. Ainsi, dans cette explication, le lien entre la disparition de la substance du pain et l’apparition du corps du Christ est purement accidentel. Les paroles de la consécration se contenteraient d’expulser implicitement la substance dupain pour y substituer formellement le corps du Christ, sans que pour autant la disparition du premier être n’implique nécessairement l’apparition du second. Or la succession d’un être à un autre n’est pas une conversion.

  1. De façon beaucoup plus commune, les théologiens anciens et récents enseignent que la substance du pain et du vin n’est pas anéantie à la consécration, ni qu’elle périt radicalement ou retourne ou néant, mais qu’elle est convertie dans le corps et le sang du Christ. Ainsi, en montrant le corps du Christ contenu dans l’eucharistie, nous pouvons vraiment dire Ceci avant la consécration était la substance du pain ou Ce qui auparavant était la substance du pain est à présent le corps du Christ. Ainsi le lien entre la disparition du pain et l’apparition du corps du Christ est intrinsèque ou essentiel et l’apparition de l’un implique nécessairement l’apparition de l’autre. Ainsi St Thomas, Capreolus, Cajétan et récemment Billot.

Au sujet de la seconde question. Les théologiens peinent aussi beaucoup pour déterminer de quelle façon le Christ commence à être présent dans ce sacrement.

  1. Certains disent que le corps du Christ devient présent dans l’eucharistie au moyen d’une action adductive qui rend présent dans le sacrement le corps du Christ qui jusqu’alors n’était présent qu’au ciel. Ainsi Scot, Toletus, St Robert Bellarmin, Vasquez et récemment Pesch.

L’adduction cependant, quelque soit l’explication qu’on en donne, n’implique pas la conversion du pain et par conséquent laisse le motif de la conversion inexpliqué.

  1. Lugo, auquel adhère récemment Mazzella, propose cette solution : « A juste titre rejette-t-on la théorie qui appelle la transsubstantiation action adductive. Par conséquent, on fait mieux de l’appeler action constitutive du corps du Christ sous les espèces impliquant aussi la disparition de la substance du pain. En effet, par elles-mêmes ni la réunion[du corps du Christ aux accidents], ni la disparition [de la substance du pain] ne sont adéquatement une conversion, mais les deux choses se combinent en même temps pour effectuer la conversion qui consiste en une double mutation : la disparition de la substance du pain et la réunion [du corps du Christ aux accidents]. »

Je pense cependant que l’on explique pas le motif de la conversion rien par ce concept de constitution et que la vraie conversion implique davantage que la disparition du pain et l’union de des accidents aux corps du Christ.

  1. D’autres enfin, voulant exposer la question à la racine, ont dit que la transsubstantiation est une action productive ou plutôt reproductive, par laquelle la corps du Christ existant sous un mode est reproduit sous un autre mode à partir de la substance du pain. Ainsi, Suarez, Lessius, Ginnet, Billuart, Franzelin et plus autres éminents théologiens.

Cependant, je ne sais pas comment cette explication peut échapper au concept de création.

A vrai dire, les théories qui parlent d’adduction, de constitution ou de reproduction ne me plaisent pas et sont en désaccord avec la doctrine du docteur angélique.

  1. Meilleure explication. Bien qu’on distingue à juste titre le terme a quo et le terme ad quem dans la transsubstantiation, je pense, avec Van Noort, qu’on peut expliquer toute la question dans une seule solution.

Aucune expression n’est plus apte pour expliquer la transsubstantiation que la conversion et il convient d’insister grandement sur ce mot. Ainsi, la transsubstantiation n’est rien d’autre qu’une conversion admirable et singulière de toute la substance du pain et du la substance du vin dans le corps et sang du Christ déjà existant et inchangés, à l’exception des apparences du pain et du vin qui demeurent.

Conversion c’est-à-dire mutation du vin et du vin en corps et sang du Christ. Le pain et le vin ne sont ni annihilés, ni détruits. Ils ne périssent pas, mais se transforment en autre être ; le corps et le sang du Christ non sont pas amenés par adduction, ni reproduits, mais commencent d’exister comme terme de la conversion du pain et du vin dans une existence sacramentelle sans aucun changement de leur part, parce que le pain devient corps du Christ. Comme le dit profondément Billot : « cette conversion admirable et singulière ne peut pas exister, à moins d’être la conversion d’une substance en une autre substance individuée, déjà préexistante et persévérant, en dehors de toute mutation, dans son existence antérieure, dans la mesure où, par le vertu divine, cet être-ci individué devient cet être-là individué. »

Admirable et singulière dans la mesure où la totalité d’un existant est convertie dans la totalité d’un existant. Dans les conversions naturelles, le sujet reste le même entre le terme a quo et le terme ad quem mais ici « un tout est converti en un tout, parce que le pain devient le corps du Christ, et mêmes les parties sont converties, parce que la matière du pain devient la matière du corps du Christ, et la forme substantielle du pain devient de même la forme du corps du Christ. » (In IV Sent, dist. 11, q. 1, a. 3, sol. 1)

Dans les conversions naturelles, et même dans les conversions miraculeuses quoad modum, comme dans la conversion de l’eau en vin aux noces de Cana, il reste toujours un élément du sujet, parce que « une mutation naturelle ne peut pas parvenir à la variation de la matière. » (Ibid.), mais dans la conversion eucharistique le tout est converti. Ainsi « cette mutation se produit d’un existant à un autre existant en dehors du mode des autres mutations qui se font aussi d’existants à d’autres existants et à partir de l’observation desquelles notre intellect a formé ses concepts. C’est pourquoi cette conversion semble être contre les conceptions de notre intellect et il est plus difficile d’y adhérer qu’à la création qui est le passage du non être absolu à l’être, parce qu’il n’a jamais vu de mutation de ce genre. » (In IV Sent, dist. 11, q. 1, a. 3, sol. 3, ad 1)

De toute la substance du pain et du vin. Ce qui est apte à exister par soi est non dans un autre est appelé substance, et ce à quoi il convient d’exister dans un autre comme dans sujet d’inhésion est appelé accident. « Or la substance, en tant que telle, n’est pas visible pour l’œil du corps, et ne donne prise à aucun organe des sens, ni à l’imagination, mais à l’intelligence seule, dont l’objet est l’essence des choses » (III, q. 76, a .7) Par conséquent tout l’être substantiel, qui dans le pain est composé de la matière et de la forme, est converti dans le corps et le sang du Christ, sans que de cette substance ne reste la matière ou la forme, la subsistance ou l’existence, au quoi que ce soit qui regarde la ligne de l’essence ; exception faite des accidents qui demeurent.

Dans le corps et le sang du Christ déjà existant et inchangés.Le terme de cette action de conversion est le corps et le sang du Christ dans l’état sacramentel, si bien qu’est vraie cette expression : Ce qui à présent est le corps du Christ était auparavant la substance du pain. « Dans les conversions naturelles, le changement se produit et pour ce qui est converti et pour ce en quoi se fait la conversion. Ce qui est converti en un autre, est toujours changé par corruption ; mais ce en quoi se fait la conversion, si la conversion est simple, est changé par génération, comme lorsque l’eau est générée à partir de l’air ; si en revanche la conversion se produit avec une addition [de matière]à un autre être préexistant, l’être auquel est ajouté la matière, est changé par augmentation ou au moins par la restauration de la matière perdue, comme dans le cas de la nutrition. Mais ici [dans l’eucharistie] ce en quoi se fait la conversion était déjà préexistant et ce qui est converti, est converti en dans le corps du Christ, en sa totalité et selon toutes ses parties. Ainsi le corps du Christ dans lequel se termine la conversion n’est nullement changé, mais seul le pain est converti. » (In IV Sent, dist. 11, q. 1, a. 3, sol. 1)

A l’exception des espèces qui demeurent. Comme je l’ai déjà mentionné plus haut, on discute en théologie et en philosophie pour savoir si, dans la conversion, quelque chose de commun existe nécessairement entre le terme a quo et le terme ad quem. Suarez l’affirment avec quelques autres ; Palmieri le nie.

Quelque soit la réponse donnée à cette question pour ce qui est du cas général, il est certain que dans la conversion eucharistique existe un terme commun entre les deux extrêmes ; il s’agit des accidents mêmes du pain et du vin qui restent intègres avant et après la consécration. Nous traiterons de cela plus abondamment dans une question spéciale. 


Question II : Le mode de présence du Christ dans l’eucharistie

Article 1 - Comment le corps du Christ est-il uni aux espèces sacramentelles ?

État de la question. La question présente sur le mode d’existence du Christ dans l’Eucharistie est purement spéculative. Elle est difficile à comprendre, ou plutôt elle a été exposée par certains d’une façon assez obscure.

Saint Thomas dit de façon remarquable : « Le corps du Christ ne s'y trouve pas de la manière dont un corps se trouve dans le lieu avec lequel ses dimensions coïncident, mais selon un mode spécial, qui est propre à ce sacrement. C'est pourquoi nous disons que le corps du Christ se trouve sur divers autels non pas comme en des lieux divers mais comme dans le sacrement » (III, q. 75, a. 1, ad 3).

« Par cela même que nous le disons exister dans le sacrement, nous signifions un certain rapport qui l'affecte à l'égard de ce sacrement »  (III, q. 76, a. 6).

« Le corps du Christ persiste dans ce sacrement non seulement jusqu'au lendemain mais même ensuite, tant que subsistent les espèces sacramentelles. Lorsque celles-ci disparaissent, le corps du Christ cesse de s'y trouver ; ce n'est pas qu'il dépende d'elles, mais c'est parce que la relation du corps du Christ à l'égard de ces espèces est supprimée » (III, q. 76, a. 6, ad 3).

Il s’agit donc de savoir si le mode d’existence du Christ propre à ce sacrement, c’est-à-dire si son rapport aux espèces, est quelque chose de réel et de connaître sa nature.

Il semble qu’on ne puisse pas nier qu’existe une réalité intrinsèque au corps même du Christ. En effet, nous affirmons avec les Conciles que le corps du Christ vraiment et réellement sous les espèces. Par conséquent il leur est vraiment uni.

En quoi consiste cette union ?

Avis des théologiens.

  1. Quelques anciens théologiens ont enseigné que la présence du Christ aux espèces sacramentelles est moins une union qu’une inséparabilité ou une juxtaposition reposant sur une ordonnance divine. Ainsi Ockam, Argentina, Biel et d’autres. Mais cette opinionne permet pas d’expliquer comment le corps du Christ se déplace accidentellement lors du mouvement des espèces. Si le corps du Christ et les espèces sacramentelles ne sont pas unis, lors du déplacement les espèces, le corps du Christ se sépare d’elles, un peu comme une pierre juxtaposée à une autre pierre se sépare de l’autre, lorsqu’on la déplace.
  2. D’autres disent que le corps du Christ est uni aux espèces sacramentelles de façon effective, mais non formelle. Ainsi Dieu supplée dans les accidents l’absence de la substance du pain au moyen du corps du Christ qui agit comme un instrument à leur égard. Il donne aussi bien au corps du Christ qu’aux espèces une vertu par laquelle ils peuvent influer l’un sur l’autre et s’attirer mutuellement. Ainsi Suarez, Lugo et récemment Pesch et Val. Cependant cette efficience qui supplée à l’absence de la substance du pain qui fait défaut ne permet pas d’expliquer suffisamment la façon dont le corps du Christ est porté aux malades lors du mouvement des espèces. La vertu attractive qui est appliquée aux espèces et au corps du Christ pour qu’ils s’unissent mutuellement est sans fondement. En effet, le corps du Christ, comme nous le dirons plus bas, se trouve ici à la façon d’une substance. Or la substance n’est pas attirée par les accidents et ne les attire pas non plus. 
  3. D’autres veulent que les espèces sacramentelles et le corps du Christ soient unis formellement comme le contenant et le contenu, mais sans les imperfections d’inhérence et d’information que comportent les autres unions formelles. Ainsi plusieurs thomistes et théologiens d’autres écoles.

THÈSE. Les espèces sacramentelles et le corps du Christ sont unis dans l’Eucharistie par une union formelle. Cependant cette union n’est pas selon un mode d’inhérence ni d’information, mais selon un rapport de terme contenant et contenu.

Explication. Le corps du Christ succède à la substance du pain dans l’Eucharistie, par conséquent il faut garder entre les espèces et le corps du Christ l’union qui était entre la substance du pain et la quantité, à l’exception des imperfections qui leur sont liées. Or la quantité était unie formellement à la substance avant la consécration par mode de terme contenant et à la façon d’une forme qui inhére et est reçue dans un sujet, lui conférant l’extension dans son rapport à elle-même. Après la consécration, elle est unie surnaturellement au corps du Christ par mode de contenant seulement, sans l’inhérence et la dépendance à un sujet.Ainsi les espèces sacramentelles et le corps du Christ sont unis comme le contenant et le contenu, sans l’inhérence et la dépendance au sujet. « Mais la substance du corps du Christ, dit St Thomas, n'est pas le sujet de leurs dimensions, comme l'était la substance du pain » (III, q. 76, a. 5). « Ces accidents n'ont pas pour sujet la substance du corps et du sang du Christ » (III, a. 77, a. 1). 

Par conséquent, si l’onsupprime les imperfections qui sont liées à l’inhérence et la réception des accidents dans le corps du Christ comme sujet, il faut garder pour le reste entre les espèces et le corps du Christ la même union qui existait avant la consécration entre la quantité et la substance du pain. Or cette union avant la consécration était formelle par mode de contenant et de contenu. Par conséquent après la consécration les espèces sacramentelles et le corps du Christ sont unis formellement selon un rapport de terme contenant et contenu.


Article 2 - La présence réelle du Christ dans l’Eucharistie est-elle locale ?

État de la question. 

Le Docteur Angélique affirme : « le corps du Christ est dans ce sacrement par mode de substance et non par mode de quantité » (III, q. 76, a. 1, ad 3). De ce principe, on déduit facilement toute la théorie des scolastiques concernant le mode de présence du Christ dans l’Eucharistie, mais, comme quelques uns rejettent les principes scolastiques et que d’autres ne comprennent pas suffisamment l’antique doctrine, une grande confusion s’est produite concernant la question présente.

Opinions des auteurs. 

  1. Quelques cartésiens, pensant que l’essence des corps consiste dans leur extension actuelle, essayent d’expliquer la chose au moyen de la condensation. Ils enseignent en effet que les parties du corps humain peuvent être réduites et condensées à l’infini quant à leur extension avec leur structure et leur position spatiale de sorte qu’elles sont contenues sous toutes et chacune des particules des espèces. Ainsi «  toutes et chacune des parties du corps du Christ avec leur structure et leur position spatiale, peuvent être reproduites par la vertu des paroles de consécration sous toutes et chacune des particules des espèces du pain ».

Billot réfute cette théorie au moyen de plusieurs arguments, mais pour ce qui nous intéresse dans la question présente, il suffit seulement de produire un argument tiré de l’impossibilité d’une telle théorie. Il est impossible en effet que le même corps du Christ soit réduit à l’infini sous les dimensions des particules, parce qu’il est se trouve au ciel sous ses dimensions parfaites.

  1. Les scolastiques procèdent autrement. Ils tirent de la philosophie que la substance corporelle se distingue réellement de la quantité, d’une part parce que dans mystère de l’Eucharistie la substance du pain, qui est convertie dans le corps du Christ, est séparée de la quantité qui demeure, d’autre part parce que le corps du Christ conserve son intégrité sous toute l’espèce du pain et sous chacune de ses parties, ce qui ne pourrait se vérifier si la substance corporelle s’identifiait avec la quantité elle-même. 

La substance est donc ce qui est apte à exister par soi, et la quantité, l’accident qui étend la substance en parties.

La substance corporelle n’a pas de parties intégrales, sauf en puissance. Pour cette raison, elle est en soi indivisible. «  Une fois écartée la quantité, dit St Thomas, toute substance est indivisible, comme l’a bien mis en évidence Aristote dans la Physique [III, 204a9-11] » (SCG, IV, 65) « On ne peut concevoir que la matière soit divisée en parties sans présupposer en elle la quantité ; si celle-ci est écartée, dit Aristote, la substance demeure indivisible » (I, q. 50, a. 1).

Ce caractère indivisible de la substance transcende toute la sphère de la quantité et du continu et ne doit pas être confondue avec l’indivisibilité du point occupant une position déterminée dans le continu. En effet, si, par impossible, la substance était étendue, elle ne deviendrait jamais indivisible. « La matière en effet, dit St Thomas, est dite indivisible par négation de tout genre de la quantité. Mais le point est indivisible comme principe de la quantité, occupant une position déterminée. Ainsi un objet quantifié est tiré de la matière, non par extension, puisque l’extension n’est rien d’autre que la propriété d’un être déjà doué de quantité, mais par la réception de la quantité » (II Sent., dist. 30, q. 2, n. 1).

De cela, il suit avec certitude que le corps du Christ, qui est dans ce sacrement par mode de substance, n’est pas dans l’Eucharistie comme dans un lieu.

Il nous faut insister sur cette doctrine traditionnelle.

La raison formelle par laquelle on affirme que quelque chose se trouve dans un lieu.

  1. Quelques théologiens que Billot appelle « scolastiques récents », ne semblent pas expliquer correctement le concept et la raison formelle de l’existence des choses dans un lieu et parlent ainsi moins correctement de la raison de la présence réelle du Christ dans l’Eucharistie. Ils disent en effet qu’une chose est présente dans un lieu dans la mesure où elle remplit la vacuité du lieu, soit par la quantité de sa masse, soit par l’application de la totalité de son être. C’est pourquoi ils veulent que Dieu et les anges soient présents aux choses par leur simple et seule présence. Ainsi Suarez, Lessius et Franzelin.

Ils en déduisent que, bien que le Christ dans l’Eucharistie soit privé de toute dimension actuelle, il n’en est pas moins dans un lieu et localement mu.

À vrai dire, je n’ai jamais pu comprendre comment une substance spirituelle, ou même une substance corporelle privée de quantité et se comportant comme une substance, peut être entendue et diffusée dans sa totalité de façon à remplir la vacuité de l’espace.

  1. Pour comprendre la doctrine des thomistes, il faut avoir à l’esprit qu’une chose peut être dans un lieu d’une quadruple façon : en étant circonscrite (les corps doués de quantité), définitivement (les esprits), partout (Dieu) et sacramentellement(le corps du Christ dans l’Eucharistie).
  1. Etre circonscrit dans un lieu signifie qu’un corps doué de quantité, ou dimensionné, est appliqué par ses dimensions au lieu pareillement dimensionné et qu’il est circonscrit par ses limites, en entendant ses parties aux parties de la superficie si bien quele tout se trouve dans le tout et les parties dans les parties entre les limites de l’espace. Ainsi les corps, qui sont mesurés par la concavité du lieu selon leurs propres dimensions, en étendant leurs parties aux parties du lieu et en touchant les limites de la superficie par le contact de leur masse, sont dans un lieu de façon circonscriptive ou locale.
  2. Etre définitivement dans un lieuconcerne les corps qui sont en contact avec un lieu par leur action. Ces corps sont contenus entre les limites de celui-ci, de sorte qu’ils ne peuvent pas être en contact avec un autre lieu par leur action. 

Les théologiens donc qui affirment que les anges sont définitivement présents dans un lieu, bien qu’ils n’agissent pas dans ce lieu et n’entrent pas en contact avec lui par leur action se trompent.

  1. Etre partoutconcerne uniquement Dieu, qui par son action infinie touche, conserve et gouverne tous les êtres. La raison formelle par laquelle on dit que Dieu est présent à toutes les choses est son action virtuellement transitive.
  2. Etre sacramentellement présent est la façon dont le Christ est présent dans l’Eucharistie. On dit qu’il y est par mode de substance. Le signification de cette expression est obscurcie du fait du mystère de la transsubstantiation.

La substance du pain et du vin se convertit dans le corps et le sang du Christ, tandis que demeurent les dimensions du pain et du vin. Sous les dimensions du pain et du vin est posé, à la place de leur propre substance, le corps du Christ avec ses propres dimensions et sa structure par concomitance naturelle, non comme un sujet soutenant les accidents du pain et du vin, ni en étant réduit ou circonscrit par leur dimension, mais en étant en rapport avec eux par mode de substance. 

Il convient d’expliquer brièvement ce que l’on entend par l’expression par mode de substance.

Nous avons dit que de soi la substance, lorsque la quantité est écartée, n’a pas de parties et est indivisible. Lorsque nous disons que le corps du Christ est dans le sacrement par mode de substance, nous voulons dire que tout le Christ, Dieu et homme parfait, avec ses trois dimensions, sa structure et sa taille naturelle dans l’ordre qui lui est propre, est réduit au genre de l’existence de la substance et est contenu sous les accidents par mode de substance. Le corps du Christ succède à la substance du pain et du vin, non pas avec ses dimensions, ni en soutenant les accidents, mais en étant contenu sous les accidents, sans qu’il y ait inhésion, à la place de la substance précédente. « Or il est clair que la nature de la substance est tout entière sous n'importe quelle partie des dimensions dans lesquelles elle est contenue ; ainsi, sous n'importe quelle partie de l'air il y a toute la nature de l'air, et sous n'importe quelle partie de pain il y a toute la nature du pain. Et cela indifféremment, que les dimensions soient divisées en acte, comme lorsqu'on divise l'air ou qu'on coupe le pain ; ou qu'elles soient indivisées en acte, divisibles seulement en puissance » (III, q. 76, a. 3).

Il convient ici de rapporter ces paroles splendides de St Thomas : « Le corps du Christ n'est pas dans ce sacrement selon le mode propre aux dimensions, mais davantage selon le mode de la substance. Or tout corps localisé est dans le lieu selon le mode des dimensions, en tant qu'il est mesuré par le lieu selon ses dimensions. On en conclut que le corps du Christ n'est pas dans ce sacrement comme dans un lieu, mais par mode de substance, c'est-à-dire de la façon dont la substance est contenue par les dimensions. La substance du corps du Christ remplace dans ce sacrement la substance du pain. Donc, de même que la substance du pain n'était pas sous ses propres dimensions localement mais par mode de substance, il en est de même pour la substance du corps du Christ. Mais la substance du corps du Christ n'est pas soumise à ces dimensions, comme l'était la substance du pain. C'est pourquoi celle-ci, en raison de ses dimensions, était là localement parce qu'elle se rattachait à ce lieu par l'intermédiaire de ses propres dimensions. Tandis que la substance du corps du Christ se rattache au lieu par l'intermédiaire de dimensions qui lui sont étrangères. Si bien que, inversement, les dimensions propres du corps du Christ se rattachent à ce lieu par l'intermédiaire de la substance. Ce qui est contraire à la notion de corps localisé. Donc, d'aucune manière, le corps du Christ n'est localement dans ce sacrement » (III, q. 76, a. 5).

La substance de pain est dans un lieu avec ses dimensions et localement, parce qu’elle est mesurée par le lieu au moyen de sa quantité qui lui est inhérente par mode de forme. Au contraire, le corps du Christ n’est pas en relation avec le lieu au moyen de sa propre quantité qui lui est inhérente, mais par une quantité étrangère, à savoir la quantité du pain et du vin, à laquelle il est uni comme à son terme contenant. Il n’est pas non plus mesuré au lieu par sa propre quantité, parce que la quantité propre du corps du Christ est dans l’Eucharistie seulement par concomitance et par mode substance, n’ayant pas d’extension locale. 


Article 3 - Le corps du Christ est-il déplacé dans le sacrement de l’Eucharistie ?

État de la question. Le mouvement est le passage d’une chose d’un lieu en un autre lieu. Quelque chose peut être mû ou transféré d’un lieu à un autre de deux façons. Tout d’abord, il peut l’être per se, lorsque le mobile lui-même quitte son lieu catégoriel et acquiert un nouveau lieu catégoriel. Par exemple, lorsqu’un homme va de la maison à l’église. En second lieu, ilpeut l’être per accidens quand le mobile, qui occupe le même lieu catégoriel, est changé de place à cause du mouvement d’un autre mobile ; ainsi lorsqu’une chose est mue localement, sont mus per accidens les objets contenus en elle. Par exemple, lors du mouvement d’un char, les marchandises contenues en lui sontmues. La question est de savoir si le corps du Christ est déplacé et, si c’est le cas, comment cela se produit-il.

Opinions des théologiens.

  1. Durand est le seul a avoir nié que le corps du Christ ne soit mû en quelque façon.
  2. Scot, Biel et d’autres ont enseigné que le Christ est mû per accidens, non par le prêtre ou par celui qui déplace les espèces, mais « immédiatement par Dieu seul, ou par l’âme du Christ qui agit avec Dieu ».
  3. D’autres enseignent communément que le Christ est mû per accidens du fait d’un mouvement des espèces. Les théologiens ne sont pas d’accord sur la nature de ce mouvement. Ils discutent pour savoir si le mouvement est reçu seulement dans les espèces sacramentelles ou s’il affecte aussi le corps et le sang du Christ.

Certains prétendent que le mouvement réside dans les seules espèces, et n’atteint en aucune façon le corps du Christ. Ainsi l’on ne peut pas dire que le corps du Christ acquière par ce mouvement une ubication ou qu’il subisse quelque chose de la part d’un agent extrinsèque. Ainsi Cajétan, Vazquez, Contenson et les Salmanticenses.

D’autres estiment que ce mouvement atteint aussi le corps et le sang du Christ et qu’il est reçu par eux, si bien qu’ils ont raison de vrai mouvement. Ils pensent d’autre partque le corps du Christ ne peut pas être dit mû même accidentellement, de même que le corps du Christ n’est pas consumé, lorsque les espèces sacramentelles prennent feu. Ainsi Capréolus, Soto et Suarez.

THÈSE. Le corps du Christ est mû dans l’Eucharistie per accidens du fait du mouvement des accidents, cependant ce mouvement est seulement reçu dans les accidents, et non dans le corps du Christ.

Première partie. Le Christ est mû dans l’Eucharistie accidentellement.


Le corps du Christ, comme nous l’avons vu plus haut, est vraiment contenu sous les espèces du pain comme le contenu dans le contenant. Or il est impossible que le contenu ne soit pas mû accidentellement du fait du mouvement du contenant. Par conséquent le corps du Christ est mû accidentellement du fait du mouvement des accidents. C’est pourquoi nous disons à juste titre que le corps du Christ est porté aux malades, transféré d’une église à l’autre, etc. Le sens de cette expression est que, lorsque les espèces sont déplacées d’un lieu à un autre, le Christ cesse d’être per accidens dans le premier lieu et commence d’être présent per accidens dans le second.

Seconde partie. Ce mouvement n’est pas reçu dans le corps du Christ et ne l’atteint pas intrinsèquement.

En effet, comme le corps du Christ n’est pas localement présent dans ce sacrement, il ne peut acquérir un nouveau lieu catégoriel et subir quelque chose d’un agent extrinsèque. S’il recevait en lui le mouvement local, il acquérrait nécessairement un lieu catégoriel comme terme de son mouvement, et subirait quelque chose de la part d’un agent extrinsèque. Par conséquent.

Scolie. Sur la fraction du corps du Christ quand les espèces sont fractionnées.

Quelques théologiens comme Alès, St Robert Bellarmin, Suarez et Lugo, ont enseigné que l’on ne peut absolument pas dire que le corps du Christ est brisé, lorsque les espèces sont brisées.

Cette opinion a la faveur de l’Église quand elle dit :

Le Christ ne souffre aucune déchirure

Seul le signe est rompu.

D’autres cependant enseignent que l’on peut dire que le Christ est divisé, lorsque les espèces sacramentelles sont fractionnées, et cela non selon sa présence naturelle, mais selon sa présence sacramentelle, puisque le corps du Christ, qui avant la division de l’hostie était entier dans toute l’hostie et sous chacune de ses parties, se retrouve entier, après la division, dans chacune des parties séparées de l’hostie qui sont placées dans divers lieux opposés. Ainsi Waldensis, Cano et plusieurs autres.

C’est pourquoi Bérenger a été forcé de confesser la foi catholique en ces termes : « Je crois de cœur et confesse par la bouche…. que le vrai corps et sang de Notre Seigneur Jésus-Christ sont touchés et rompus par les mains des prêtres et broyés par les dents des fidèles ».

Même dans la liturgie de Saint Jean Chrysostome on dit : « L’Agneau de Dieu, le Fils du Père, est divisé, mais non brisé, lui qui toujours est consommé, mais non consumé ».


Article 4 - Le Christ tout entier est-il sous les deux espèces sacramentelles et sous chacune de leurs parties ?

État de la question. 

  1. Il y a deux types d’espèces qui restent dans l’Eucharistie après la consécration, à savoir les espèces du pain et du vin qui contiennent le corps et le sang du Christ.
  2. Les espèces sacramentelles qui restent dans l’Eucharistie ont des parties grandes ou petites, selon que leurs dimensions sont plus ou moins étendues. Les parties de ce genre sont continues, tant que l’hostie reste intact ou que l’espèce du vin reste contenue dans un seul calice, et divisées lorsque l’hostie est brisée ou l’espèce du vin est mise dans un deuxième calice. Parmi les parties continues, les unes sont aliquotes, qui parce qu’elles ont une grandeur, sont constituées de leur propre quantité et peuvent être physiquement divisées, les autres sont proportionnelles (aliquantes), c’est d’elles qu’est constituée la quantité, étant donné qu’elle est divisible à l’infini.
  3. Le Christ tout entier désigne le Christ, homme et Dieu, à savoir le Verbe divin, ou Dieu tout entier avec ses trois Personnes et ses perfections et la nature humaine intègre constituée du corps avec toutes ses parties bien organisées (os, nerfs, chair) et l’âme avec ses potentialités, ses habitus, ses passions etc.
  4. La question est la suivante : le Christ est-il tout entier : a) sous chacune des espèces sacramentelle et b) sous toute et chacune des parties des espèces tant divisées que continues.

THÈSE I. Le Christ tout entier est sous chacune des deux espèces sacramentelles.

Arguments.

  1. La Sainte Écriture. Des paroles de l’institution, il apparaît que le Christ a laissé son corps dans ce sacrement Ceci est mon corps. Or le corps du Christ est hypostatiquement uni à la divinité, à l’âme, à la quantité et aux autres accidents qui sont requis pour sont intégrité. Par conséquent le Christ en laissant son corps dans ce sacrement reste entier sous les espèces. C’est pourquoi il parle de ce qui communient en ces termes : Celui qui mange ma chair (Jean 6:58).
  2. Les Conciles. Le Concile de Constance : « Il faut croire très fermement et on ne peut absolument pas douter que le corps et le sang du Christ tout entier sont vraiment contenus aussi bien sous l’espèce du pain que sous l’espèce du vin ».

Le Concile de Florence : « Tout le Christ est contenu sous l’espèce du pain et tout le Christ est contenu sous l’espèce du vin ».

Le Concile de Trente : « C’est pourquoi il est très vrai que le Christ est contenu aussi bien sous chaque espèce que sous les deux ». « Si quelqu’un nie que dans le vénérable sacrement de l’Eucharistie tout le Christ est contenu sous chaque espèce (….) qu’il soit anathème »[6].

  1. La liturgie romaine. « La chair du Christ est nourriture, et son sang, breuvage ; pourtant le Christ est tout entier sous chacune des deux espèces ».
  2. Les Pères. Saint Ambroise « Dans ce sacrement se trouve le Christ, parce que s’y trouve le corps du Christ ». Saint Césaire d’Arles : «  Qu’un, deux, ou plusieurs le reçoivent, ils le reçoivent tout entier »[7] .

THÈSE II. Le Christ tout entier est dans toutes et chacune des parties, aussi bien divisées que continues .

Argument.Le Concile de Trente. « Le Christ tout entier, existe sous l’espèce du pain et sous la moindre partie de cette espèce, pareillement il existe tout entier sous l’espèce du vin et sous chacune de ses parties ».

Première partie. Tout le Christ est dans les parties divisées (De foi).

  1. Le Concile de Trente affirme : « Si quelqu’un nie que dans le vénérable sacrement de l’Eucharistie tout le Christ est contenu, sous chaque espèce et sous chacune des parties de chaque espèce, après la séparation, qu’il soit anathème ». 
  2. La liturgie romaine : « Si l’hostie est rompue, ne te trouble pas, rappelle-toi seulement sous chaque parcelle, comme dans le tout, il est présent tout autant ». 
  3. Raison théologique. Le Christ dans ce sacrement succède à la substance du pain et du vin, par mode du substance. De même que lorsque le pain est rompu, toute la substance du pain demeure sous n’importe quelle partie, de même, après la division des espèces sacramentelles, demeure sous n’importe quelle partie des espèces, tout le corps du Christ et donc le Christ tout entier.

Deuxième partie. Tout le Christ est également dans les parties continues.

Certains veulent que cette partie de la thèse soit de foi, mais d’autres, comme Valentia et Suarez, disent qu’elle n’est pas de foi, mais seulement certaine, si bien que l’opinion contraire est dite erronée.

  1. Le Concile de Trente, bien que utilisant dans sa définition l’expression « après la séparation » (facta separatione), lorsqu’il enseigne dans son chapitre III (session 12) que le Christ tout entier existe « sous la moindre partie de l’espèce », il traite sans aucun doute de la permanence du Christ dans les parties continues de l’espèce.
  2. Le Docteur Angélique tient expressément cette doctrine en disant : « Il est clair que le Christ tout entier est sous chaque partie des espèces du pain, même quand l'hostie demeure entière, et non seulement lorsqu'elle est rompue » (III, q. 76, a. 3).
  3. Raison théologique. C’est toujours la même. Le Christ est dans ce sacrement par mode de substance. Or de soi la substance, comme elle n’a pas de parties à l’exception des parties de la quantité, est tout entière dans le tout et tout entière sous n’importe quelle partie de la quantité.

Réponse aux difficultés

Objection n° 1. Quelques anciens théologiens, mentionnés par St Thomas, se sont opposés à cette doctrine en affirmant que le Christ était entier dans toute l’espèce et non dans chacune de ses parties. Et ils proposaient comme exemple : «  l'image reflétée dans le miroir, qui apparaît une dans le miroir entier, mais qui apparaît multipliée dans chacune des parties du miroir, lorsqu'on brise celui-ci » (III, q. 76, a. 3).

Réponse.Cette opinion singulière des anciens théologiens manque de fondement et s’oppose à toute la tradition. L’exemple de miroir ne vaut pas « Car la multiplication de ces images se produit dans le miroir brisé à cause des diverses réflexions qui viennent frapper les divers fragments du miroir. Or ici il n'y a qu'une seule consécration, en vertu de laquelle le corps du Christ se trouve dans le sacrement » (III, q. 76, a.3).

Objection n° 2. Les cartésiens, qui enseignent que l’essence des corps consiste dans leurs trois dimensions, affirment que le corps du Christ est autant de fois multiplié qu’il y a des particules à trois dimensions dans l’espèce et qu’ainsi il est répliqué en trois dimensions dans l’hostie par autant d’actes d’existence.

Réponse.Les cartésiens se trompent gravement sur ce point, d’une part parce la constitution des corps ne consiste pas en leurs trois dimensions ; d’autre part parce que le Christ est dans l’Eucharistie par mode de substance et se trouve tout entier dans le tout et tout entier sous chacune des parties du tout par une seule présence seulement.

Saint Thomas s’est posé en son temps l’objection posée plus tard par les cartésiens et y a répondu ainsi : « aussi longtemps que la quantité demeure indivisée en acte, ni la substance d'aucune chose n'est multipliée sous ses dimensions propres, ni le corps du Christ sous les dimensions du pain. Par conséquent il n'est pas non plus multiplié à l'infini, mais autant de fois que le pain est partagé » (III,q. 76, a. 3, ad 1).

Corollaire. Pour les mêmes motifs, on montre facilement que le Christ tout entier est également contenu dans les parties proportionnelles des espèces parce que les espèces sacramentelles sont composées d’elles toutes. Et, de même que la substance du pain existe avant la consécration dans n’importe quelle partie proportionnelle unie à la masse, de même après la consécration le Christ reste dans ces parties qui existent dans le tout.


Article 5 - Qu’est-il posé dans le sacrement de l’Eucharistie en vertu des paroles de la consécration ?

État de la question. 

  1. Quelque chose peut être posé dans le sacrement de l’Eucharistie de deux façons : a) en vertu des paroles de la forme de la consécration, dans la mesure où se vérifie ce que signifient formellement les paroles. Comme les paroles de la consécration réalisent ce qu’elles signifient, il faut que soit directement posé dans le sacrement ce que les paroles signifient. Or elles signifient « le terme direct de la conversion subie par la substance préexistante du pain et du vin. » (III, q. 76, a. 1) b) par concomitance, est posé ce qui est réellement uni à ce que signifient directement les paroles.
  2. Beaucoup d’hérétiques se moquent de cette distinction, mais elle est communément admise par les théologiens et utilisée par le Concile de Trente comme fondée sur la nature même du sacrement de l’Eucharistie.

Il sera question dans cet article de ce qui est posé en vertu des paroles. Nous parlerons dans le prochain article de ce qui est posé du fait de la concomitance.

THÈSE I. En vertu des paroles de la consécration, le corps du Christ est posé dans le très Saint sacrement de l’Eucharistie. (De foi.)

Arguments.

  1. Le Concile de Trente. « Et cette croyance a toujours été dans l'Eglise de Dieu, qu’après la consécration, le véritable Corps de Notre Seigneur, et son véritable Sang, conjointement avec son Ame, et la Divinité, sont sous les espèces du pain, et du vin ; c'est-à-dire, son Corps sous l’espèce du pain, et son Sang sous l’espèce du vin, par la vertu des paroles mêmes ».
  2. L’autorité de Saint Thomas et des théologiens. Saint Thomas : « Sous les espèces du pain, il y a le corps du Christ en vertu du sacrement » (III, q. 76, a. 2). Cette doctrine est acceptée par Valentia, Philippe de la Sainte Trinité et généralement les autres théologiens.
  3. Raison théologique. Les paroles de la consécration produisent directement ce qu’elles signifient. Or les paroles de la consécration du pain signifient la conversion de la substance du pain dans le corps du Christ. Par conséquent, en vertu des paroles de la consécration du pain, le corps du Christ est posé dans me très Saint sacrement de l’Eucharistie.

Scolie. Que comporte le corps du Christ, qui en vertu des paroles consécratoires, est posé dans l’Eucharistie ?

Tous ne sont pas d’accord pour déterminer la signification du corps du Christ.

  1. Égide le Romain, Biel et quelques autres ont pensé que le corps du Christ qui est posé dans ce sacrement en vertu des paroles consécratoires, comporte seulement la matière première qui est informée par la très Sainte âme du Christ. Mais cette opinion est rejetée à juste titre par les autres parce que la seule matière première n’est pas le corps à proprement dit, et ne peut pas dire que c’est elle qui soit consommée. 
  2. Gandavensis et Scot enseignent que le corps du Christ posé par la vertu des paroles comporte le composé formé de la matière première et dela forme substantielle de la corporéité.Cette théorie ne peut pas être admise au moins dans sa seconde partie qui pose dans le corps humaine la forme substantielle de la corporéité.
  3. D’autres plus récents veulent que le corps du Christ dans l’Eucharistie est l’association des atomes reliés entre eux en vertu de la force attractive et les cartésiens enseignent que cela consiste dans la tridimensionalité. Cependant ces théories se trompent au sujet de la constitution des corps et ne peuvent pas être admises.
  4. D’autres affirment que le corps du Christ posé par la vertu des paroles dans l’Eucharistie comporte directement la matière et indirectement la forme substantielle. Ainsi Soto et Valentia. Cependant le composé substantiel comporte directement aussi bien la matière que la forme substantielle.
  5. Les scolastiques enseignent communément que le corps du Christ qui posé dans l’Eucharistie en vertu des paroles consécratoires est le composé substantiel comportant la matière et la forme substantielle qui est l’âme rationnelle du Christ, non en tant que rationnelle ou sensitive, mais en tant qu’elle donne l’existence corporelle au corps et constitue « le corps organique qui a des parties dissemblables, c’est-à-dire les membres requis pour constituer le corps humain et ce qui se trouve en lui comme la chair, la peau, les os et les nerfs », les dents, les ongles, les cheveux etc. En effet, celles-ci sont les parties intégrales du corps informées par l’âme rationnelle et assumées immédiatement par le verbe de Dieu, en un mot, le corps du Christ dans l’Eucharistie est le corps tout entier avec ses parties intégrales que le Christ a au ciel. Le Docteur Angélique expose ainsi la chose : « C'est en vertu du sacrement que sont contenus dans l'Eucharistie, quant aux espèces du pain, non seulement la chair mais le corps tout entier du Christ, c'est-à-dire les os, les nerfs et tout le reste » (III, q. 76, a. 1, ad 2). Cependant, il ne comporte pas la salive, la sueur, les larmes et les humeurs qui n’appartiennent pas au corps humain.

THÈSE II. Par la vertu des paroles consécratoires du vin, est posé dans l’Eucharistie le sang du Christ (De foi.)

Arguments.

  1. Le Concile de Trente enseigne expressément qu’est contenu « le sang du Christ sous l’espèce du vin en vertu des paroles de consécration ».
  2. Par la vertu des paroles, est contenu dans l’Eucharistie ce que signifient les paroles consécratoires. Or les paroles consécratoires Ceci est mon sang, ou Ceci est le calice de mon sang, signifient que le sang du Christ est dans le calice sous l’espèce du vin. Par conséquent le sang du Christ est sous l’espèce du vin en vertu des paroles consécratoires.
  3. Saint Thomas : « Sous les espèces du vin, il y a le sang du Christ en vertu du sacrement » (III, q. 76, a. 2).

Scolie. Que comporte le sang du Christ qui est posé dans ce sacrement en vertu des paroles consécratoires ?

  1. Dans le corps humain on trouve deux types de sang, le premier est le sangde la nutrition, ce n’est pas encore le sang parfait, mais on le trouve dans la digestion et il est en formation, lors de la transformation des aliments ; le second est le sang naturel, qui, étant déjà parfaitement purifié, appartient au composé humain. Le sang de la nutrition n’appartient pas au composé humain, mais constitue de soi un autre suppôt. Il n’a pas été uni de façon hypostatique au Verbe divin. S’il a été présent dans le Christ tout au long de sa vie humaine, lors de la Résurrection, il n’a pas été assumé par le Christ parce qu’il n’appartenait pas au suppôt humain. Il ne se trouve donc pas dans le corps du Christ au ciel.
  2. Durant sa vie, le Christ a perdu un peu de sang naturel, par exemple lors de la Circoncision et surtout lors de la Passion. Nous avons dit ailleurs que le sang du Christ a été uni au Verbe de façon hypostatique lors des trois jours du temps pascal. Cependant, rien n’empêche qu’une partie de ce sang, non nécessaire à l’intégrité corporelle, ait été laissé sur terre pour la dévotion des fidèles, sans être unie au Verbe. Dans le vénérable sacrement de l’Eucharistie, par la vertu des paroles consécratoires du vin, ce n’est pas le sang de la nutrition, qui n’est pas uni au Christ et ne se trouve plus dans le corps du Christ, ni les gouttes de sang naturel, que le Christ a peut-être laissées sur terre, mais le sang naturel qui est présent, sang qui a toujours été uni au Christ de façon hypostatique, et se retrouve à présent dans le corps du Christ au ciel.

Corollaire.Aussi bien le corps que le sang sont dans ce sacrement avec l’intégrité qu’ils ont dans la réalité. Ainsi, lors de la dernière cène, quand le Christ a institué l’Eucharistie, le corps consacré était le corps vivant et le sang était celui qui coulait dans les veines ; lors des trois jours de la passion, si ce sacrement avait été célébré, on aurait consacré le corps mort séparé du sang versé ; à présent, c’est le corps glorieux, tel qu’il est au ciel. 


Article 6 - Qu’est-il posé par concomitance dans le corps et le sang du Christ ?

État de la question. Nous avons dit dans l’article précédent que sont présentes par concomitance dans l’Eucharistie les choses qui sont réellement unies à ce qui posé en vertu des paroles consécratoires. Naturellement, ceci est à comprendre des choses adéquatement réunies et selon une exigence naturelle, comme celles qui sont directement requises pour le terme de la transsubstantiation et qui ont un lien inséparable avec celui-ci.

Par le vertu de cette même transsubstantiation et d’aucune autre action, sont posées dans ce sacrement les choses qui existent par concomitance, puisque cette action rend présente directement ce que les paroles signifient et indirectement les choses qui sont naturellement unies au terme direct.

THÈSE I. Le corps du Christ se trouve dans l’Eucharistie par concomitance sous les espèces du vin et de même le sang du Christ sousl’espèces du pain.


Arguments.

  1. Le Concile de Trente : « Et cette croyance a toujours été dans l'Église de Dieu, qu’après la consécration, le Corps du Christ [existe] sous l’espèce du vin, et le Sang du Christ sous l’espèce du pain, en vertu de cette liaison naturelle, et de cette concomitance, par laquelle ces parties en Notre Seigneur Jésus-Christ, qui est ressuscité des morts, et qui ne doit plus mourir, sont unies entre elles ». 
  2. Le motif avancé par Saint Thomas et repris clairement par le Concile de Trente le prouve également. En effet,les choses qui sont unies réellement, adéquatement et en vertu d’une exigence naturelle, doivent coexister, si bien que dès que l’une est présente, l’autre l’est nécessairement aussi. Or le corps du Christ est uni réellement, adéquatement et en vertu d’une exigence naturelle à son sang coulant dans ses veines, et de la même manière, le sang est uni au corps. Par conséquent, le corps du Christ se trouve avec le sang et le sang avec le corps en vertu de la concomitance.

Scolie. Si durant le tridium pascal « ce sacrement avait été célébré, le corps du Christ aurait existé sans son sang sous les espèces du pain et, sous les espèces du vin, son sang sans son corps, comme il existait dans la réalité » (III, q. 76, a. 2).La raison est que le corps et le sang du Christ existent dans ce sacrement de la même façon qu’ils existent dans la réalité. Durant les trois jours de la passion, le sang du Christ a été répandu et par suite séparé de son corps. Il en aurait été de même dans le sacrement. 

Nous parlons du corps et du sang séparés, parce que, si durant les trois jours de la passion une certaine quantité de sang mort était restée dans le corps du Christ et que ce sacrement avait été célébré, le corps aurait été dans le sang, et le sang dans le corps eucharistique par concomitance, parce qu’ils auraient été unis dans la réalité.

THÈSE II. L’âme rationnelle du Christ se trouve sous les deux espèces sacramentelles par concomitance.

  1. Cela apparaît du Concile de Trente qui enseigne clairement que l’âme du Christ existe sous les deux espèces en vertu d’une liaison naturelle et du fait de la concomitance.
  2. Saint Thomas affirme : « sa divinité ou son âme ne se trouvent pas dans ce sacrement en vertu du sacrement, mais en vertu de la concomitance réelle » (III, q. 76, a. 1, ad 1).

Cependant une difficulté apparemment importante semble survenir ici. En effet, l’âme rationnelle dans le Christ, comme dans les autres hommes, fut la forme substantielle du corps humain, lui attribuant ainsi, selon une doctrine philosophique confirmée par le Concile de Vienne et approuvée par la Sacrée Congrégation des Études[8], non seulement la vie, mais aussi l’existence corporelle. Ainsi quand nous parlons de corps humain physique, il semble qu’il faille y inclure l’âme rationnelle donnant l’existence corporelleC’est pourquoi, nous avons expliqué plus haut contre Biel que sous le nom du corps il ne fallait pas seulement entendre la matière première, mais aussi le corps composé de la matière et de la forme. Il suit donc de cela que l’âme rationnelle semble être dans l’Eucharistie en vertu des paroles de la consécration et non en vertu de la concomitance.

Pour résoudre cette difficulté, il faut observer que l’âme rationnelle, qui est la forme substantielle de l’homme, est virtuellement quadruple dans l’homme, dans la mesure où elle se charge des fonctions de la forme corporelle, de l’âme végétative, de l’âme sensitive et de l’âme rationnelle ou intellective et confère à l’homme l’existence corporelle, végétative, sensitive et intellective.

La conversion de la substance du pain dans le corps du Christ se fait complètement en vertu des paroles consécratoires. 


Question III : Les accident eucharistiques

Article unique - Les accidents subsistent-ils réellement dans l’Eucharistie et de quelle façon ?

 

  1. État de la question.

On appelle accidents du pain et du vin la quantité, la figure, la couleur, la saveur et les autres phénomènes sensibles qui affectent la substance corporelle du pain avant la consécration et demeurent dans l’Eucharistie de façon admirable après la consécration.

La tradition universelle et les documents de l’Eglise affirment communément que les accidents du vin et du vin demeurent vraiment dans l’Eucharistie sans leur propre substance. Les théologiens scolastiques ont été obligés d’expliquer, sans porter atteinte au dogme, comment un tel fait pouvait survenir.

Mais, au XVIIIe siècle et par après, suite à la découverte de théories modernes au sujet de la nature et de l’influx des accidents, une grande confusion s’est produite au sujet du mode de persévérance des accidents dont on dit qu’ils demeurent dans l’Eucharistie.

  1. Théories récentes.
  1. Les cartésiens tout d’abord qui nient la distinction réelle entre les accidents et la substance corporelle veulent que les accidents ne soient rien d’autre que les sensations et les affections produites par les corps dans nos sens et les objets qui nous entourent. Selon eux, lorsque les pain et le vin sont convertis dans le corps et le sang du Christ, il n’y a pas d’accidents du pain et du vin qui demeurent, mais Dieu qui produit dans nos sens les sensations et les influences du pain et du vin. Ainsi, il n’y a pas réellement d’accidents, mais pures apparences des espèces.
  2. Les atomistes, comme les cartésiens, enseignent que la substance corporelle et les accidents ne se distinguent pas réellement. Ils disent que l’air et l’éther, lorsque les corps sont mus, viennent jusqu’à nos sens par le moyen d’ondulations et produisent pour eux des sensations. Une fois la consécration du pain et du vin dans le sacrement de l’Eucharistie achevée, lorsque les accidents disparaissent ou plutôt sont convertis dans le corps et le sang du Christ, Dieu produit par une vertu spéciale une force de résistance réelle en lieu et place de la substance du pain, ou, comme d’autres le veulent, soutient la matière impondérable mêlée auparavant à la substance du pain et du vin, à partir de laquelle se produisent les ondulations de l’air et de l’éther qui touchent et affectent nos sens. Par conséquent, selon les cartésiens Dieu produit immédiatement les sensations en nous et les espèces eucharistiques sont apparentes, tandis que selon les atomistes il produit ou soutient la force objective de résistance à partir de la quelle se produisent les ondulations de l’air et de l’éther affectant nos sens. Ainsi Emmanuel Maignan, Tongiori, Palmieri et d’autres.

Cette théorie, en tant qu’elle enseigne que Dieu produit une force objective de résistance (Tongiori), même si elle pose des phénomènes objectifs, nie cependant contre la doctrine traditionnelle que ces phénomènes soient les accidents du pain et du vin et doit être rejetée.

En tant qu’elle pose avec Palmieri une matière impondérable qui était mêlée à la substance du pain et du vin et dont on dit qu’elle résiste de façon sensible et produit des phénomènes, conserve certainement une certaine réalité objective. Elle a cependant un grave inconvénient. En effet, le prêtre en disant Ceci est mon corps n’énoncerait pas seulement le corps du Christ, mais en même temps et nécessairement cette matière impondérable à la fois sujet et cause des phénomènes sensibles. Il dirait ainsi quelque chose de faux.

Le Père Leray, eudiste, suivant en partie la théorie atomiste, a imaginé une théorie étrange. Il prétend en effet que la pain et le vin est composé d’atomes hétérogènes qu’on trouve dans le corps humain. Lorsque le substance du pain et du vin est convertie dans le corps et le sang du Christ, les atomes du corps et du sang du Christ succèdent aux atomes du pain et du vin. Ainsi les accidents que sont les atomes inhèrent au corps du Christ. 

Cette théorie ne sauve pas comme il faut l’identité des accidents du pain et du vin avant et après la consécration.

  1. Les dynamistes proposent une théorie légèrement différente. Ils prétendent en effet que les corps sont essentiellement composés de forces ou d’énergies non douées d’extension. Le centre ou le noyau de ces énergies est la substance. Les énergies du noyau produisent les phénomènes d’extension, de chaleur, de couleur, de saveur, etc. qu’on appelle les accidents. Lorsque la substance du pain et du vin, c’est-à-dire la noyau principal des énergies est converti dans le corps et le sang du Christ, les accidents devraient naturellement disparaître, mais Dieu conserve l’impulsion (energhma – l’acte transitif) qui était produite par la vertu de la substance (energeia – l’acte immanent) et la transforme en phénomènes.

III. Théorie des scolastiques. 

Les scolastiques suivent la doctrine du Stagirite et de Porphyre et distinguent tout l’univers observable en substances et accidents.

La substance est ce à quoi il revient d’exister en soi et, si elle est corporelle, comme la substance du pain et du vin dont nous disons qu’elle est convertie dans le corps et le sang du Christ, elle est composée de matière de forme comme parties physiques et exige les trois dimensions que sont la hauteur, la largeur et la profondeur.

L’accident est ce à quoi il revient d’exister dans un autre comme dans un sujet d’inhésion. Appartient à son essence non l’inhésion actuelle, mais l’exigence à inhérer. 

De plus, de même que la substance qui est ce à quoi il revient d’exister par soi, est rendue incommunicable à un autre par une subsistance réellement distincte d’elle-même et posée en dehors des causes par l’existence substantielle, de même, l’accident existe dans un autre comme dans un sujet par une inhérence actuelle réellement distincte de lui et est posé en dehors des causes par une existence accidentelle distincte de son essence d’accident et de l’inhérence.

De là, les scolastiques appliquant cette doctrine aux espèces sacramentelles, enseignent que tous les accidents du pain et du vin, une fois achevée la consécration, demeurent dans l’Eucharistie de cette façon que la quantité seule est conservée miraculeusement par Dieu sans le sujet, tandis que les autres accidents sont reçus dans la quantité et y sont conservés par mode connaturel.

Après avoir exposé brièvement ces choses, il convient de déterminer la vraie doctrine sur la permanence des espèces dans ce sacrement.

THÈSE I. Les accidents du pain et du vin, après la consécration, demeurent vraiment et réellement en ayant une réalité objective dans l’Eucharistie.

Arguments.

  1. Le Concile de Trente. Le Concile de Trente définit que la substance du pain et du vin est convertie dans le corps et le sang du Christ « à l’exception des espèces [du pain et du vin] qui demeurent ». Or le Concile sous le nom d’espèces n’entend rien d’autre que les accidents réels par opposition à la substance.

Plusieurs théologiens déduisent de ces paroles du Concile que la doctrine exposée est de fide. Ainsi Soto, Suarez, Tolet, Lugo, Gonet et plusieurs autres récents comme anciens.

Néanmoins quelques théologiens plus récents disent que les paroles « à l’exception des espèces qui demeurent » n’ont pas été dites par mode de définition, mais par mode d’explication et disent que cette doctrine n’est pas de fide, mais proche de la foi et théologiquement certaine. Ainsi les Salmanticenses. 

Il était certainement dans l’esprit des Pères Conciliaires d’attribuer aux espèces du pain et du vin, sous lesquelles sont désignées les accidents, une certaine réalité et les paroles ci-dessus mentionnées, quoi qu’il en soit de leur définition, apportent une grande autorité à notre thèse. 

  1. Les Pères de l’Église. Constamment les Pères ont tenu à distinguer soigneusement dans l’Eucharistie un aspect interne et invisible, qui est adoré, et un aspect sensible, objet de la vue, du toucher et de l’odorat. L’aspect invisible qui est adoré est le corps du Christ et l’aspect sensible qui est touché et vu sont les accidents ou les espèces du pain et du vin. C’est ce que dit Saint Augustin : « Ce que vous voyez, c’est du pain et un coupe , c’est ce que vous disent vos propres yeux. Mais ce que votre foi doit encore vous apprendre est ceci : le pain est le corps du Christ, la coupe est le sang du Christ ». Ainsi le peuple chrétien, à la suite de l’enseignement des Pères, a toujours cru que les accidents eucharistiques avaient une réalité objective.
  2. L’autorité des anciens théologiens. Les anciens théologiens ont confirmé de leur autorité la tradition reçue des Pères. Les représentants principaux de toutes les écoles théologiques ont unanimement affirmé que les accidents demeuraient réellement dans ce vénérable sacrement. On peut se reporter à Saint Albert le Grand, Saint Bonaventure, Saint Thomas, Scot et aux autres.
  3. La raison. Saint Thomas donne clairement la raison de cette doctrine : « Il est toutefois nécessaire que quelque chose demeure pour qu’il soit vrai de dire Ceci est mon corps : en effet, ces paroles signifient et opèrent une conversion. Comme nous avons montré que la substance du pain ne demeure pas, ni aucune matière antérieure, il est donc nécessaire d’affirmer que demeure ce que s’ajoute à la substance du pain. C’est le cas de l’accident du pain. Les accidents demeurent donc, même après la conversion dont nous parlons ». (SCG, Livre IV, chap. 63) « Nous ne disons cependant pas que cela se produit comme si ce que les sens perçoivent du sacrement n’existait que dans l’imagination de ceux qui le voient, comme cela se produit habituellement dans les illusions produites par la magie, parce qu’il ne serait inconvenant que le sacrement de la vérité soit entaché de fiction ».

THÈSE II. Les accidents du pain et du vin, après la consécration, demeurent dans l’Eucharistie, sans leur sujet propre.

Arguments. 

  1. Les Conciles. Le Concile de Constance a condamné la deuxième proposition de Wicleff rédigée en ces termes : «  Les accidents du pain ne demeurent pas sans leur sujet dans ce sacrement ». Le Concile de Trente enseigne que la substance du pain et du vin est convertie dans le corps et le sang du Christ « à l’exception des espèces qui demeurent »[9]. Par conséquent, ces accidents ne demeurent pas dans leur sujet.
  2. Le Catéchisme de Saint Pie V. « La troisième merveille de ce Sacrement, la plus grande et la plus étonnante de toutes, (…), c'est que les espèces du pain et du vin y subsistent sans être soutenues d'aucun sujet. En effet, nous avons démontré d'une part que le Corps et la Sang de Notre Seigneur sont véritablement présents dans ce Sacrement et de manière qu'il ne reste absolument rien de la substance du pain et du vin. Mais d'autre part, comme il est impossible que les accidents qui demeurent, soient inhérents à son Corps et à son Sang. Par conséquent il est de toute nécessité que, contre toute l’ordre de la nature, ces accidents subsistent en eux-mêmes, et sans être soutenus par aucun sujet. Telle fut la doctrine constante et perpétuelle de l’Église catholique ».
  3. Raison avancée par Saint Thomas. Le Docteur Angélique écrit sur cette question : « Les accidents du pain et du vin, que les sens appréhendent dans ce sacrement comme subsistant après la consécration, a) n'ont pas pour sujet la substance du pain et du vin, qui ne subsiste pas, comme on l'a vu,b) ils n'ont pas non plus pour sujet leur forme substantielle, qui ne subsiste pas ; et subsisterait-elle que, selon Boèce " elle ne pourrait être un sujet " (De Trinitate, Livre I ). En outre, il est évident que ces accidents c) n'ont pas pour sujet la substance du corps et du sang du Christ, car la substance d'un corps humain ne peut aucunement être affectée de ces accidents ; en outre, il est impossible que le corps du Christ, qui existe dans la gloire et l'impassibilité, soit altéré de façon à recevoir des qualités de ce genre. 

Certains prétendent qu'ils ont pour sujet l'air ambiant. Mais c'est impossible aussi. Parce que l'air ne peut recevoir de tels accidents. Parce que de tels accidents ne sont pas dans le même lieu que l'air ; au contraire, le déplacement de ces espèces chasse l'air. Parce que " les accidents ne passent pas d'un sujet à l'autre ", c'est-à-dire que le même accident déterminé ne peut pas, après avoir existé dans un sujet, exister ensuite dans un autre. En effet, l'accident reçoit sa détermination individuelle du sujet qui le supporte. Il est donc impossible qu'en gardant la même unité déterminée il soit tantôt dans un sujet, tantôt dans un autre. Parce que, l'air n'étant pas dépouillé de ses accidents propres, il aurait en même temps ses accidents propres et des accidents étrangers. Et l'on ne peut pas dire que cela soit réalisé miraculeusement en vertu de la consécration, car les paroles de la consécration ne signifient rien de tel ; or elles ne réalisent que ce qu'elles signifient. 

On est donc contraint d'admettre que, dans ce sacrement, les accidents subsistent sans sujet. Ce qui peut être produit par la vertu divine. Car, puisque l'effet dépend davantage de la cause première que de la cause seconde, Dieu, qui est la cause première de la substance et de l'accident, peut par sa vertu infinie conserver dans l'être un accident dont la substance a été enlevée, alors que cette substance le conservait dans l'être comme étant sa cause propre » (III, q. 77, a. 1).

  1. Les accidents se distinguent réellement de la substance et rien n’empêche que la vertu divine les fasse exister en dehors d’elle.

Corollaires. De ces raisons, on déduit facilement les choses suivantes :

  1. Les accidents eucharistiques ne sont pas seulement des sensations immédiatement produites par Dieu en nous, comme se le sont imaginés les cartésiens. En effet, on ne peut à appliquer à ces seules sensations les expressions des Conciles qui parlent toujours de accidents du pain et du vin.
  2. Il faut rejeter la théorie des atomistes selon laquelle les accidents du pain et du vin disparaissent et que Dieu en lieu et place du pain soutient une force objective de résistance à partir de laquelle, au moyen d’ondes, les sensations parviennent à nos sens, parce que dans cette théorie il ne reste rien des accidents du pain et du vin.
  3. La matière impondérable que Palmieri suppose mêlée au pain, ne reste pas non plus dans l’Eucharistie, parce que cette matière impondérable, à supposer qu’elle existe, serait quelque chose de la substance du pain et non un accident. Or selon le Concile de Trente et les théologiens catholiques rien de la substance du pain ne reste dans ce sacrement après la consécration.
  4. La théorie du Père Leray qui tient que les accidents du pain et du vin après la consécration sont en inhésion dans le corps du Christ est réfutée dans l’article cité de Saint Thomas.
  5. Enfin le système des dynamistes n’explique pas bien la permanence des accidents du pain et du vin après la consécration. Elle se trompe premièrement en déterminant la constitution des corps qui ne sont pas constitués de noyaux d’énergie, mais de la matière et de la forme, et, en deuxième lieu, comme le démontre bien Pesch, bien qu’on admette un suppôt, c’est sans fondement qu’on déclare qu’un impulsion ou une action transitive de la substance du pain est conservée par Dieu.

THÈSE III. Seule la quantité du pain et du vin reste dans l’Eucharistie sans sujet, les autres accidents sont en inhésion dans la quantité, comme dans un sujet.

Le Docteur Angélique explique et défend cette thèse en disant : « On est contraint d'affirmer que tous les accidents qui subsistent dans ce sacrement ont, en guise de sujet, la quantité du pain et du vin, laquelle subsiste. En effet : 1° Il apparaît aux sens qu'une certaine quantité existe ici comme colorée et affectée d'autres accidents. Et en ces matières les sens ne se trompent pas. 

2° La première disposition de la matière est la quantité mesurée par les dimensions. C'est pourquoi Platon a donné le ‘‘grand ’’ et le ‘‘petit ’’ comme étant les premières différences de la matière. Et puisque le premier sujet est la matière, il s'ensuit que tous les autres accidents se réfèrent au sujet par l'intermédiaire de la quantité déterminée par les dimensions : de même dit-on que la surface est le premier sujet de la couleur ; c’est pourquoi certains ont donné les dimensions comme constituant les substances des corps, selon Aristote. Et parce que, alors qu'on a enlevé le sujet, les accidents demeurent selon l'être qu'ils possédaient antérieurement, il s'ensuit que tous les accidents demeurent fondés sur la quantité » (III, q. 77, a. 1). 

Autre raison : « Les qualités ne sont divisibles que par accident, c'est-à-dire en raison de leur sujet. Or, les qualités qui subsistent dans ce sacrement sont divisées par la division de leur quantité, ce dont nos sens ont l'évidence. Donc la quantité est le sujet des accidents qui subsistent dans ce sacrement »(III, q. 77, a. 1, sed contra).

Par conséquent, Dieu par un influx spécial, c’est-à-dire surnaturel, conserve la quantité du pain et du vin sans leur sujet, comme l’enseigne remarquablement Philippe de la Sainte Trinité et les Salmanticenses, et par la suite, il soutient par un concours ordinaire et sans miracle les autres accidents dans la quantité.

Scolie I. Il ne semble pas que la quantité acquière un nouveau mode de perséité, puisque Dieu la conserve dans l’être sans sujet par une action surnaturelle, mais, de même qu’elle était d’abord conservée dans la substance par une existence accidentelle distincte de la substance du pain, de même, après la consécration,elle est conservée par Dieu dans son existence accidentelle sans aucune autre mutation intrinsèque avec une dépendance aptitudinale à son propre sujet sans souffrir cependant aucune violence. 

Scolie II. Les actions des espèces. Les accidents eucharistiques peuvent sans un nouveau miracle exercer toutes les actions qu’ils exerçaient auparavant dans leur sujet. Saint Thomas dit sur la question : « Puisque tout être agit selon qu'il est un être en acte, il s'ensuit que tout être est dans la même relation avec son agir qu'avec son être. Puisque, selon ce qui précède, la vertu divine accorde aux espèces sacramentelles de subsister dans l'être qu'elles possédaient lorsque existait encore la substance du pain et du vin, il s'ensuit qu'elles conservent encore leur agir. Et c'est pourquoi toute l'action qu'elles pouvaient exercer lorsque la substance du pain et du vin existait encore, elles peuvent aussi l'exercer lorsque la substance du pain et du vin se convertit au corps et au sang du Christ. Il n'est donc pas douteux quelles peuvent modifier les corps extérieurs »(III, q. 77, a. 3).

Afin de clarifier cette doctrine et de l’expliquer dans sa racine, il faut noter, avec Philippe de la Sainte Trinité, qu’il y a trois genres d’actions qui peuvent être attribués aux accidents : 1) Certaines sont des actions intentionnelles, qui modifient les sens au moyen d’espèces. 2) D’autres sont appelées physiquement accidentelles. Elles produisent ou changent les qualités dans les réalités, comme par exemple, les altérations réelles de chaleur, de froid, etc. 3) Les dernières enfin sont dites actions substantielles, par lesquelles une substance est générée ou détruite, comme c’est le cas dans la génération ou la corruption.

Bien qu’il n’y ait pas d’unanimité parmi les théologiens sur cette question, la plupart des docteurs enseignent à juste titre que les accidents eucharistiques peuvent exercer ces trois genres d’actions.

Ainsi les accidents eucharistiques : 1) sont l’objet de la vue, de l’odorat et du toucher et par la suite envoient des espèces intentionnelles et atteignent nos sens. 2) Refroidissent les dents, réchauffent l’estomac etc. par une action physique accidentelle. 3) Peuvent être, et sont quelquefois, principe de génération et exercent des actions substantielles.

Scolie III. La corruption des espèces. Nous savons par nos sens que les accidents eucharistiques se corrompent souvent. En effet, si du feu entre en contact avec une hostie consacrée, celle-ci se change aussitôt en cendre, elle change de couleur et les autres accidents sont altérés. 

Que ceci se produise par la vertu d’agents naturels, c’est une doctrine certaine des théologiens contre Scot et Durand qui prétendent que ce genre de corruption ne peut se faire que par Dieu seul. 

Saint Thomas explique remarquablement comme cela se produit : « La dissolution est ‘‘ un mouvement de l'être vers le non-être ’’. Or on a vu plus haut, article précédent, que les espèces sacramentelles gardent le même être qu'elles avaient auparavant, quand la substance du pain et du vin existait. C'est pourquoi, de même que l'être de ces accidents pouvait se dissoudre lorsque la substance du pain et du vin existait, de même peut-il se dissoudre lorsque cette substance s'en va. Ces accidents pouvaient alors se dissoudre de deux façons : par soi et par accident

Par soi, par exemple lorsque les qualités s'altéraient ou que la quantité augmentait ou diminuait. Il ne pouvait s'agir de ce mode d'augmentation ou de diminution qui est réservé aux corps animés. Les substances du pain et du vin ne pouvaient augmenter ou diminuer que par addition ou division : car, selon Aristote, par division une dimension se dissout et en donne deux ; par addition, à l'inverse, deux dimensions en donnent une seule. C'est de cette manière, évidemment, que peuvent se dissoudre ces accidents après la consécration, car la dimension qui subsiste peut subir une division aussi bien qu'une addition ; et puisqu'elle est le sujet de qualités sensibles, elle peut encore être le sujet de leur altération, par exemple si la couleur ou la saveur du pain ou du vin est changée. 

Ces espèces peuvent encore se dissoudre par accident, à cause de la dissolution du sujet. Et elles peuvent se dissoudre de cette façon même après la consécration. Bien que le sujet, en effet, ne subsiste pas, l'être que ces accidents possédaient dans le sujet subsiste cependant, et c'est un être propre et conforme au sujet. C'est pourquoi cet être peut être dissous par un agent contraire, de la manière dont se dissolvait la substance du pain et du vin ; et d'ailleurs celle-ci ne se dissolvait qu'à la suite d'une altération portant sur des accidents » (III, q. 77, a. 4).

Philippe de la Trinité apporte sur cette question les précisions suivantes : « Certaines espèces sacramentelles ont un contraire, par exemple la couleur, l’odeur, la saveur. Celles-ci se corrompent aussi bien par soi que par accident. D’autres en revanche n’ont pas de contraire, comme la quantité. Celles-ci se corrompent seulement par accident, lorsque le sujet se corrompt, si sujet il avait ».

Scolie IV. La génération d’autres réalités à partir des espèces sacramentelles.

  1. Les théologiens scolastiques admettent facilement contre Alger et Waldens, qu’à partir des espèces sacramentelles dissoutes quelque chose peut être généré, et ils défendent contre Scot et Durand que cela se produit par la vertu d’agents créés ou naturels.

« On voit sensiblement, dit le Docteur Angélique, que les espèces sacramentelles peuvent donner naissance à des êtres nouveaux : de la cendre si l’on les brûle ; des vers si elles pourrissent ; de la poussière si l’on les broie »(III, q. 77, a. 5, sed contra).

Il prouve cette possibilité par l’argument suivant : « La dissolution d'un être donne naissance à un autre être, dit Aristote. Il est donc nécessaire que les espèces sacramentelles donnent naissance à un autre être lorsqu'elles se dissolvent, ce qui leur arrive, nous venons de le voir. Or elles ne se dissolvent pas de façon à disparaître entièrement comme si elles étaient réduites à rien, mais il est manifeste qu'un être sensible les remplace » (III, q. 77, a. 5).

Ces choses se produisent naturellement et non miraculeusement. En effet, il semble bien que Dieu ne fasse pas de miracle pour que les espèces pourrissent ou soient dissoutes par la combustion, mais il semble plutôt que nous voyons la combustion ou la putréfaction des accidents selon un ordre naturel ou habituel. Ainsi le feu brûle les espèces naturellement et engendre de la cendre, les espèces se putréfient et engendrent des vers par une action des causes naturelles, l’homme digère les hosties consacrées et se rassasie et se nourrit d’elles naturellement. On peut se reporter à Capréolus, Cajétan, Soto et à d’autres.

  1. Cependant il demeure une difficulté de taille que Saint Thomas reconnaît lui-même et que les scolastiques résolvent de différents façons.

Voici la difficulté. Dans toute génération est requise la matière première à partir de laquelle est éduite une forme substantielle. Or aucune matière première, à partir de laquelle une forme substantielle peut être générée, ne subsiste sous les accidents sacramentels. Par conséquent, rien ne peut être généré à partir des accidents sacramentels.En effet, il n’y a plus aucune matière sous les espèces sacramentelles qui puisse recevoir une nouvelle forme.

  1. Quelques-uns ont dit que la génération ne se produisait pas des accidents que nous voyions, mais à partir de l’air environnant. Saint Thomas rapporte cette opinion, mais la rejette explicitement (III, q. 77, a.5). En effet, si les hosties qui sont dans une grande pyxide brûlent, sont générées des cendres en plus grande quantité que ne peut en produire l’air qui se trouve enfermé dans la pyxide.
  2. D’autres ont dit que seule la quantité du pain et du vin est le sujet de la génération, si bien que le nouveau composé est fait uniquement de quantité et de forme substantielle et que les réalités provenant de là persistent dans l’existence sans sujet propre, c’est-à-dire sans matière. Ainsi, Égide, Sylvestre de Ferrare et d’autres. Mais, dans cette explication, on multiplie trop les miracles.
  3. D’autres disent que la même matière première qui a disparu dans la consécration est reproduite au moment de la consécration, et que c’est à partir d’elle que la forme substantielle est éduite. Ainsi Lugo. Cette explication doit être rejetée. En effet, la matière du pain a été convertie en même que la forme par les paroles de la consécration dans le corps du Christ. On ne peut donc pas admettre qu’elle est de nouveau convertie dans la matière première du pain, lors de la corruption des espèces, à partir du corps du Christ.
  4. D’autres prétendent qu’une substance composée est créée par Dieu au moment de la corruption des espèces de sorte qu’un agent naturel puisse agir dans les générations subséquentes. Ainsi Scot, Suarez et d’autres. Mais dans ce cas, le génération ne se produirait pas à partir des espèces sacramentelles, comme le démontre Capréolus, mais à partir de ce composé nouvellement créé. Il faut donc rejeter cette théorie.
  5. D’autres enseignent plus communément et plus certainement que la quantité du pain et du vin est miraculeusement convertie par Dieu, au moment de la génération, en matière première à partir de laquelle la forme substantielle est éduite. C’est ce qu’enseigne semble-t-il Saint Thomas et c’est la théorie que défendent Capréolus, Cajétan, Gabriel de Saint-Vincent, Philippe de la Trinité, les Salmanticenses, Billuart et d’autres. 

Cette explication est la meilleure pour résoudre la difficulté proposée. En effet, on doit essayer, pour poser une matière qui sauve la génération à partir des espèces sacramentelles, de ne pas multiplier les miracles. Or dans cette théorie on pose la matière avec la seule continuité du miracle déjà existant.

Lorsque le feu ou un principe de corruption est appliqué à une hostie consacrée, sont reçues dans les accidents toutes les dispositions nécessaires à l’altération, jusqu’à ce que les qualités se désagrègent et la quantité soit détruite. Or, comme la corruption d’un être engendre la génération d’un autre et comme la génération ne peut se produire sans matière première, à l’instant même où par la vertu de la chaleur ou d’une action contraire les qualités se désagrègent et la quantité est détruite, Dieu par la vertu du miracle précédent, par lequel il soutenait la quantité sans sujet, convertit cette dernière en matière première, afin qu’un agent naturel éduise à partir d’elle la forme substantielle.

Il semble que Saint Thomas a enseigné cette doctrine lorsqu’il dit : « La quantité du pain et du vin garde sa nature propre et reçoit miraculeusement la vertu et la propriété de la substance. C'est pourquoi elle peut se changer dans l'une et dans l'autre, c'est-à-dire dans la substance et dans la dimension » (III, q. 77, a. 5, ad 3). « Les espèces sacramentelles, bien qu'elles n'appartiennent pas aux éléments qui constituent le corps, se convertissent cependant en eux » (III, q. 76, a. 6, ad 2). Ces paroles, comme le note bien Philippe de la Trinité, ne peuvent pas être comprises comme une conversion immédiate des espèces dans une substance nouvelle, parce que, si tel était le cas, la génération serait niée. Mais, elles doivent être comprises comme parlant de la conversion des espèces dans la matière à partir de laquelle est éduite une forme substantielle au même instant. 

De cette manière on admet un miracle, à savoir l’action de Dieu en la vertu du miracle précédent et on attribue la génération à un agent naturel. « Quelle que soit la position adoptée, dit Saint Thomas, il faut poser dans cette génération quelque chose de miraculeux et quelque chose de naturel. En effet,le retour de la substance, la création de la matière, ou la conversion des dimensions du pain dans la matière est miraculeux. Mais le fait qu’une matière déjà existante reçoive une telle forme, dont les dispositions étaient précédemment présentes dans les dimensions, voilà ce qui est naturel » (In IV Sent, dist. 12, q. 1, a. 2, q. 4 ad 4).

Par conséquent, comme Saint Thomas, d’après les passages cités plus haut, donne sa préférence à l’opinion qui tient que la quantité seule est le sujet d’une telle génération, il faut comprendre que c’est la quantité qui est convertie par Dieu en matière première[10].

Scolie V.C’est un principe inébranlable dans la théologie catholique que le corps et le sang du Christ restent dans l’Eucharistie tant que demeurent intacts les accidents du pain et du vin. Dès que les accidents disparaissent, le corps et le sang du Christ cessent pareillement d’exister dans ce sacrement.

Quand cela se produit, voilà qui n’est pas facile à déterminer. Il est certain que les accidents, quand ils se corrompent ou sont brûlés, et qu’à partir d’eux se produit la génération d’une autre réalité, comme de la cendre ou un vers, cessent d’exister et que le corps et le sang du Christ cessent d’être présents.Cependant le corps du Christ n’est ni corrompu, ni annihilé ou converti dans quelque chose d’autre, il ne s’en va pas par mouvement local, mais il cesse d’être présent, négativement ou indirectement, par la corruption des accidents.

Scolie VI. Le mélange des espèces sacramentelles avec d’autres matières.

Il apparaît, au témoignage de nos sens, que les espèces sacramentelles peuvent être mélangées avec d’autres matières.

  1. Si les accidents sacramentels sont mélangés au pain avec d’autres corps solides par juxtaposition, par exemple, si les particules consacrées sont mélangées avec des particules non consacrées, le corps du Seigneur reste certainement le même sacramentellement jusqu’à ce que les espèces soient détruites.
  2. Si un liquide d’une autre espèce, de l’eau par exemple, est mélangé aux espèces du vin dans une quantité telle qu’ils se coupent l’un l’autre, il se produit une corruption des espèces à laquelle correspond une nouvelle génération, et le sang du Christ cesse d’exister. « Si le liquide qu'on y mêle était d'une autre espèce, dit Saint Thomas, par exemple, si l’on y mélangeait de l'eau, l'espèce du vin serait détruite et on aurait un liquide d'une autre espèce » (III, q. 77, a. 8).
  3. Si l’on ajoute aux espèces en question du vin d’une autre qualité, il est plus probable, contre Durand et Scot, que les espèces sacramentelles sont corrompues et que se vérifierait une nouvelle génération et pour cette raison le Christ cesserait d’exister sous ces espèces.
  4. Si l’on verse au vin consacré un vin de la même espèce et de la même qualité, les théologiens disputent pour savoir si se vérifierait une génération. Alès, Saint Bonaventure, Capréolus, Solo, Gabriel de Saint-Vincent l’affirment. Cependant Tolet et les Salmanticenses le nient de façon plus probable.

Innocent III favorise plutôt l’opinion négative en disant : « Si, après la consécration, on met d'autre vin dans le calice, cet autre vin ne devient pas du sang et ne se mêle pas au sang ; mais mêlé aux accidents du premier vin, il entoure de tous côtés le corps qui s'y trouve caché, sans mouiller ce corps ainsi entouré ».


  1. Contra Amimantum manich., c. 12, n° 3 ; ML 42, 144.
  2. Kirch, Enchiridion fontium hist. Eccles.,n° 155.
  3. Hom. 5 de Paschale, ML 67, 1056 ; Journel, 2231.
  4. Cyrille de Jérusalem, Catch. Mystag., IV, 2.
  5. De corpore et sanguine Domine, livre 4 ; ML 120, 1270 et sq.
  6. Denz.-Bannw., 876.
  7. De mysteriis, 9, 58, ML 16, 246.
  8. Constitution « De summa Trinitate et de fide catholica », Denz.-Bannw., 480.
  9. Denz.-Bannw, 582.
  10. Saint Thomas donne dans les Sentences trois possibilités. Dans la Somme, il écarte les deux premières qui sont un nouveau miracle et non un prolongement du premier : « Mais il ne semble pas rationnel de dire que quelque chose arrive miraculeusement dans ce sacrement, sinon précisément par la consécration en vertu de laquelle il n'est pas question qu'une matière soit créée ou revienne. » (III, q. 77, a. 5) [N.d.t.]
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