Sermon sur l'article 3 : Différence entre versions
De Salve Regina
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Version actuelle datée du 24 novembre 2012 à 22:50
Loi et principes | |
Auteur : | P. Revet |
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Source : | Sermon donné à Calais |
Date de publication originale : | 14 février 1945 |
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Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
Le scout est fait pour servir et sauver son prochain
Mes Frères,
Il est un jour inoubliable dans la vie d'un scout. C'est celui où, au milieu de la troupe rassemblée en rectangle, face au chef et à l'aumônier, le jeune éclaireur s'avance seul et, au toujours prêt, la main gauche posée sur la hampe du drapeau incliné, il articule bien haut et le cœur battant le texte de sa promesse :
Sur mon honneur avec la grâce de Dieu,
Je m'engage :
A servir de mon mieux Dieu, l'Église et la Patrie
A aider mon prochain en toutes circonstances
A observer la loi scoute.
Promesse sans réalisation, enthousiasme sans lendemain hélas, pour quelques-uns, mais pour tant d'autres point de départ de merveilleuses ascensions vers des âmes de pureté et de dévouement.
Je voudrais en ce jour où nous sommes réunis autour du catafalque vide d'un scout de France tombé pour sa patrie, vous faire voir combien la vie et la mort de notre assistant Philippe Bernard, n'a pas été autre chose que la réalisation des engagements pris le 6 octobre 1933, jour de sa promesse.
Dès qu'il se fut donné au scoutisme, Philippe, avec une logique absolue y accroche sa vie. Élève, étudiant, soldat, il resta toujours et avec fierté scout de France... Bien vite il monta les échelons : 2ème classe, lère classe, second C.P. ... En 1936, il avait la cordelière d'or, en 1937, il était chevalier de France, alors que notre pays n'en comptait que quatorze. Cela ne l'empêchait pas d'être un bon élève au pensionnat St Pierre où il passait ses deux baccalauréats, puis à Lille où il préparait sa licence de géographie ; cela ne l'empêchait pas non plus d'être chez lui le soutien d'une maman restée veuve avec ses quatre garçons et privée par surcroît de son aîné pris par le Seigneur pour un plus haut service. Il faudrait pénétrer dans l'intimité familiale pour savoir tout ce que sous un aspect parfois bourru il y avait de délicatesse dans le cœur de Philippe à l'égard de sa mère et de ses plus jeunes frères... c'est qu'il avait compris sa loi et médité souvent ce 3ème principe, que seul fait le vrai scout : « le devoir du scout commence à la maison. »
Mais son devoir d'état et son devoir familial rempli, comme il restait encore une large part du temps et de l'activité de Philippe pour sa chère troupe Eustache de St Pierre... Quand José Gros fut parti, appelé sous les drapeaux par la France en péril, Philippe fut un de ceux qui ne voulurent pas que s'éteignit la flamme et qui la maintiennent coûte que coûte au milieu des tourmentes... Oui, mes petits frères scouts, si nous sommes si nombreux aujourd'hui sous la bannière verte, si nous avons l'espoir d'être bien plus nombreux encore demain, c'est en grande partie à Philippe que nous le devons. Devenu assistant à la lère Calais, car il ne voulut jamais prendre la place de chef laissée vide par la captivité de José Gros, il consacrait une bonne partie des dimanches de congé à entretenir l'ardeur des scouts et des routiers que décourageait parfois la longueur de l'épreuve. Que de fois, en dépit des interdictions de la Gestapo hitlérienne, il revint la serviette bourrée de livres et de revues qui nous permettaient de garder le contact avec notre mouvement et d'entretenir l'espérance et la foi. Et quand, doucement sa mère se plaignait de le voir si peu il lui répondait d'un ton bourru : « c'est pour mes scouts que je reviens à Calais », tandis que dans ses yeux se dessinait un sourire affectueux qui arrête tout reproche sur les lèvres d'une maman.
Mais cependant, de plus en plus lourde pesait sur notre France l'occupation nazie, de plus en plus se resserrait la surveillance de la Gestapo, mais aussi de plus en plus se redressait la volonté farouche de la France qui ne voulait pas donner son cœur à qui voulait d'abord piétiner son âme et asservir sa liberté... Que fit alors Philippe ? Pourquoi fut‑il recherché par la Gestapo et emprisonné à Loos avec sa mère et son frère ? On ne l'a au fond jamais bien su, il est trop tôt encore pour parler, mais des lettres d'amis, de camarades de combat, laissent deviner que là aussi, il servit : il sauva son prochain en l'aidant à l'évasion d'aviateurs anglais risquant sa vie simplement et sans gloire pour accomplir sa loi en servant la patrie...
Un jour vient où un vent d'enthousiasme balaya la France... Après des années d'épreuves, des mois d'angoisses, l'aigle noir qui s'était vanté de tenir pour jamais la France dans ses griffes, dût resserrer son ,étreinte... Partout le front craquait... Caen, Rennes, Orléans, Chartres, Paris, noms de victoires, les cloches sonnaient à perdre haleine le Te Deum dont elles avaient oublié le son, tandis que vers l'Est s'éloignait de plus en plus le bruit du canon et le fracas des bombes. Mais il ne fut pas donné à Philippe d'être de ceux qui prirent les armes pour libérer le sol et ce lui fut très dur. Mais bien vite son parti fut pris et sachant bien ce qu'il quittait, sachant aussi ce à quoi il courait, il s'engagea dans la Division Leclerc dans un régiment de spahis.
« Je n'ai pas voulu, écrivait‑il à sa mère, qu'on m'accuse plus tard d'être resté dans un fauteuil quand il y avait encore des Allemands sur le sol de France. »
Et l'on n'entendit plus beaucoup parler de Philippe. Ses lettres ne pouvaient et ne devaient donner que des renseignements bien vagues sur les opérations. On savait seulement qu'il se battait au pied du Mont Sainte‑Odile, en un pays que jadis il avait parcouru en chantant avec sa patrouille. Il ne savait pas le petit Philippe, quand il grimpait allègrement les raccourcis des Vosges, quand il trempait ses pieds gonflés dans les eaux du Rhin, quand il chantait dans les sapins, qu'un jour il lui faudrait donner son sang pour arracher cette terre d'Alsace aux Germains qui nous l'avaient volée...
Mais, comme en ces jours d'hiver 1944, alors que la neige couvre les Vosges d'un manteau de blancheur et de silence, alors que la voix des innombrables sources coulant sous les sapins se tait sous la morsure du froid, comme Philippe devait se rappeler les excursions de jadis et remercier Dieu de l'avoir fait scout pour lui apprendre à donner sans compter et à travailler sans chercher le repos...
Mais l'heure approchait où Dieu allait demander le sacrifice total. Au jour du départ le chef dit au routier en lui remettant la tresse rouge : « rouge couleur de dévouement et de sang versé, les deux seules choses dont tu ne dois pas être économe, pour te rappeler à l'exemple de tes aînés tombés aux carrefours des voies sacrées de France et de Palestine, qu'un routier qui ne sait pas mourir n'est bon à rien ». Paroles terribles, qui font frissonner chaque fois qu'on les entend car elles obligent à marcher jusqu'au bout et à être toujours prêt au sacrifice suprême.
C'était le 27 décembre, à l'heure où dans les couvents les moines chantent les laudes de l'office de Saint Jean. La compagnie de Philippe venait d'enlever au bord de l'Ill à Elermunster, un îlot allemand tout protégé des mines... dans l'air froid de ce matin de gel, les mitrailleuses avaient crépité, les grenades avaient aboyé et quelques mètres carrés de plus étaient redevenus français... Mais le beau sang de chez nous dont la seule vue faisait frémir Jeanne d'Arc, avait encore coulé et sur la neige rouge, il y avait bien des cadavres raidis et bien des blessés qui se traînaient en gémissant ou attendaient la mort les yeux fixés vers les étoiles scintillant en un ciel sans nuages...
C'est alors que Philippe s'offrit comme volontaire pour aller ramasser les blessés sur un terrain que l'on savait miné. Peut‑être n'avait‑il pas encore fait sa bonne action et ne voulait‑il pas rester avec son foulard noué... Et s'il eut quelque hésitation, il dût murmurer tout bas : "Le scout est fait pour servir son prochain..."
Et il partit joyeux, sans deviner sans doute que là-haut, Dieu s'inclinait vers lui et lui tendait la main. Une ombre kaki qui s'avance sur la neige, une immense flamme qui monte vers le ciel et de nouveau le silence. Sur la neige d'Alsace gît, les deux reins arrachés, un soldat de chez nous, un scout de France pour qui s'ouvrent toutes grandes les portes de la Maison du Père.
Il est, mes frères, des morts qui nous déchirent le cœur, mais qui sont trop belles pour que nous fassions le blasphème de pouvoir les regretter... car Notre‑Seigneur a dit : "Si le grain de blé ne meurt pas, il demeure seul, mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruits." La mort de Philippe est une de ces morts fécondes et rédemptrices à l'égal des vies les plus longues et les mieux remplies.
Oh ! Ce n'est pas un saint, Philippe, ni peut‑être un héros. C'était l'un d'entre nous, un garçon qui avait eu ses colères comme vous, petits louveteaux, ses orgueils, ses difficultés comme vous, éclaireurs et routiers, pour qui souvent il avait fallu des efforts pour ne pas se décourager et s'asseoir sur les bords de la route si longue, si dure, qu'il faut suivre pour arriver au but. Mais c'est pour cela justement, qu'il est l'un des nôtres, et que nous l'admirons. Car, nous savons bien qu'un héros ne s'improvise pas, que le sacrifice suprême ne se fait pas au bout d'une vie d'égoïsme.
Pendant des années, Philippe dut faire de petites bonnes actions bien simples, mais un jour vint où sa B.A. fut d'aller ramasser des blessés et ce fut en la faisant qu'il sacrifia sa vie.
Quelle leçon il nous laisse frères scouts, et comme nous devons y être fidèles... Tout‑à‑l'heure, dans notre communion, nous promettrons au Maître descendu en notre âme, d'être de vrais scouts et non pas des fantoches sans promesses, des arbres sans fruits. C'est la plus belle offrande que nous puissions faire à Philippe et la plus belle assurance que son sacrifice n'aura pas été stérile.
Repose en paix, Philippe, notre assistant, notre grand frère, dans la terre d'Alsace que tu as reconquise et du ciel, regarde, la relève monte, tes frères arrivent, jaloux de t'imiter... Tu as rejoint dans notre souvenir les scouts et les routiers rentrés dans la Maison du Père : Guy de Larigaudie, mort comme toi en une nuit de bataille, Pierre‑Louis Gérin, englouti en pleine tempête avec le Lamoricière, Jean‑Pierre Alouis tué par une grenade au combat de Paris et tant de milliers d'autres, dont la mort est pour nous une assurance de vie.