Le mystère des origines de l'Islam enfin éclairci : Différence entre versions

De Salve Regina

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Version du 6 janvier 2013 à 00:06

Le mystère des origines de l’islam enfin éclairci

Présentation de la thèse d’Edouard-Marie Gallez,
intitulée « Le Messie et son prophète. Aux origines de l’islam »[1]


Où en est la recherche historique sur cette religion en pleine expansion, dont les fidèles ont largement dépassé le milliard et qui attire de plus en plus les intellectuels ? Comme dans de nombreu­ses questions « sensibles », il y a une « histoire partiale » et une « histoire vraie », pour reprendre l’expression de Jean Guiraud[2] dans ses études sur la « légende noire » anti-catholique. Officiellement, alors que de semblables affirmations sont ridiculisées lorsqu’il s’agit du christianisme, les « spécialistes » feignent de croire aux révélations reçues par Mahomet[3], sur le mont Hira, de l’ange Gabriel, à son voyage nocturne sur Burak, sa jument à tête de femme, et à d’autres éléments fort peu scientifiques de sa lé­gende, et chaque année des thèses universitaires avalisent les ré­cits merveilleux de la sira[4], à grand renfort de citations et de notes érudites. Nous ne nous étendrons pas sur les raisons du véritable terrorisme intellectuel qui a imposé cette version offi­cielle, encore en vigueur, du moins en France jusque dans les débuts du XXI siècle.

Avec la récente parution de la thèse d’Edouard-Marie Gallez, Le Messie et son prophète. Aux origines de l’islam, nous passons véritablement de la légende à l’histoire. Par sa critique impitoya­ble des sources, l’auteur écarte systématiquement toutes les inven­tions orientales et toutes les forgeries des prétendus historiens. Il se fonde, pour en faire une grande synthèse, sur les travaux du petit nombre de chercheurs honnêtes qui, surtout depuis une trentaine d’années, ont osé, dans des études partielles, s’écarter de la version admise par les islamologues patentés. Voyons d’abord, avant de présenter les travaux d’Edouard-Marie Gallez, quels sont ces savants qui ont étudié de façon scientifique la question de l’apparition au Proche-Orient d’une nouvelle religion dans la première moitié du VIIee siècle.


Les chercheurs

Déjà, dans les années 1950, le dominicain Gabriel Théry, écrivant sous le pseudonyme de Hanna Zakarias[5], avait imaginé une hypothèse[6] capable de rendre compte, principalement à partir d’une analyse du texte officiel du Coran[7], des incohérences et des absurdités qui s’y trouvent. Pour lui, l’islam est une « entreprise juive » mise en œuvre par le rabbin de la Mecque, qui aurait converti au judaïsme un jeune arabe nommé Mohammed. Ayant traduit en langue arabe un résumé du Pentateuque (aujourd’hui perdu, mais dont on retrouve des fragments dans le Coran actuel), ce rabbin aurait tenté d’utiliser cet Arabe pour entraîner son peuple dans l’entreprise messianique de reconquête de la Terre promise… pour le compte des Juifs. Possédant maintenant un livre sacré capable de faire pièce à l’Ancien et au Nouveau Testament, les Arabes auraient repris ce projet à leur compte. Cette hypothèse, qui ne tenait déjà pas compte de certaines études partielles publiées antérieurement sur le sujet, est aujourd’hui abandonnée à la suite des travaux des chercheurs que nous allons mentionner. Il n’en reste pas moins que nous pouvons saluer le courage de ce savant, qui a contribué à faire sauter la chape de plomb qui étouffait alors la recherche en matière d’islam.

Tout va changer avec la publication en 1977 de la thèse du professeur (à Cambridge, puis à Princeton), Patricia Crone[8], qui, faisant la synthèse des travaux antérieurs et des découvertes récentes, en particulier en matière d’archéologie, donne enfin une explication plausible des événements qui se déroulèrent au Proche-Orient à partir de 614 (prise de Jérusalem par les Perses).

Ce grand savant a définitivement établi :

- que l’islam n’est pas né dans le Hedjaz (nord-ouest de la péninsule arabique), mais en Syrie ;

- que le Coran ne peut pas être considéré comme un document historique authentique du Vile siècle ;

- que le Mahomet historique n’a rien à voir avec le person­nage dépeint par la sira ;

- que le mécanisme de la tradition islamique empêche de considérer les textes qui en sont issus comme des documents exploitables par les historiens.

Ces études du professeur Patricia Crone ont donné les nouvelles pistes les plus intéressantes de la recherche actuelle.

D’autres érudits ont continué sur cette lancée :

- Le P. Antoine Moussali, par sa connaissance de l’arabe et de la psalmodie, a rétabli le texte de certains versets du Coran et identifié des ajouts postérieurs dans certaines sourates impor­tantes, permettant de nouvelles interprétations. Ce travail, qui semble indispensable avant toute traduction définitive, n’avait jamais été seulement commencé par la pléiade de spécialistes qui, depuis le XIX siècle, se sont penchés sur cet écrit, et qui faisaient confiance au texte officiel du Coran établi par les docteurs de la foi ! Le P. Moussali[9] a dégagé des indices très clairs qui montrent que le « Coran » dont parle (65 fois) l’actuel livre sacré des musulmans était un lectionnaire, traduit de l’araméen en arabe dans les années 610-630. Ce lectionnaire était en usage dans une secte dont nous parlerons plus loin, les judéo-nazaréens. A ce « Coran » primitif, les premiers califes ont ajouté un texte fait d’une compilation d’écrits en arabe, qui, remaniée peu à peu, devint l’actuel Coran au cours du VIII siècle.

- D’autres chercheurs se sont attachés à des aspects partiels de la question et à l’établissement de certains points d’histoire. Parmi eux, citons Ray A. Pritz pour son étude sur la secte des judéo-nazaréens[10] – même si l’affirmation de leur disparition au IVe siècle est aujourd’hui contestée – et Alfred-Louis de Prémare pour sa publication de la liste des documents nouveaux découverts et étudiés depuis une trentaine d’années, avec de très intéressantes monographies sur les différents auteurs et chroniques[11], ainsi que son étude sur l’élaboration du corpus coranique aux VII et VIIIee siècles[12]. Travail indispensable, même si on peut regretter qu’il ait montré trop de timidité à en tirer les conclusions qui pourraient sembler logiques et fait dans ses commentaires sur Mahomet quelques erreurs pour sacrifier à la vérité officielle.

- Cependant, la véritable synthèse de toutes ces études est la thèse d’un jeune savant, Edouard-Marie Gallez, qui a été soutenue en novembre 2004, sous le titre Du messianisme nazaréen au prophétisme islamique. Cette thèse a été publiée en juillet 2005 sous le titre de Le Messie et son prophète. Aux origines de l’islam. Auparavant, l’auteur nous a autorisés à en publier un résumé et quelques « bonnes feuilles »[13]. Les quelques notes qui vont suivre ne font qu’exposer cette nouvelle hypothèse historique qui donne enfin une explication plausible de la naissance de l’islam.


Les Qurayshites

Les Arabes sont un très vieux peuple du Proche et Moyen- Orient, qui n’a jamais eu d’histoire propre. Divisé en de nom­breuses tribus nomades ou sédentaires, ils formaient déjà une des composantes de l’empire perse de Darius I à la fin du Vere siècle avant Jésus-Christ. Les textes bibliques en parlent comme de riches négo­ciants faisant le commerce des aromates, de l’or et des pierres précieuses, et des pasteurs nomades vivant de brigandage. La razzia leur permettait de compléter leur ordinaire par l’appro­priation de biens divers et d’esclaves. Ils peuplaient les confins de la Mésopotamie le long de l’Euphrate, et à l’est de la Syrie.

Ces nomades étaient devenus partiellement sédentaires, formant à partir de la fin du Ille siècle, deux royaumes, les Lakhmides autour de Hira (en Mésopotamie, sur l’Euphrate), et les Ghassanides avec trois lieux de résidence aux confins du désert de Syrie et dans le Golan[14].

« En raison de leur mobilité et de leurs capacités guerrières, les Ghassan étaient pour Byzance des alliés indispensables, qu’il lui fallait ménager », écrit A.L. de Prémare. « Aussi jouaient-ils, comme les Lakhmides, leurs ennemis du côté perse, un rôle important sur l’échiquier politique ».

Au IV siècle, une autre tribu, celle des Saracènes (Saraceni)[15], sous la direction de la « reine » Mauvia (Mawiyya) tentera de secouer la tutelle de Rome : après avoir battu les trou­pes de l’empereur arien Valens (373), elle finit par s’entendre avec les Romains. C’est à partir de cette date que les Arabes com­mencèrent à prendre conscience de leur force militaire : au VIsiècle, ils se mirent, comme mercenaires, au service des deux grands empires qui se disputaient la suprématie au Proche-Orient, Byzance et les Perses. Les Ghassanides seront vassaux de Byzance, les Lakhmides de la Perse.

Mais parmi les différentes tribus arabes, il y en a une qui va prendre une importance considérable dans l’Histoire, celle des Qoréchites (en arabe qurays), dont est issu Mahomet. L’écrivain syrien Narsaï, écrivant vers 485, mentionne déjà la cruauté des Qurays au cours des razzias qu’ils faisaient dans la région de Beith Aramayé, à l’ouest de l’Assyrie[16]. Il semble qu’au VI siècle, ils se soient reconvertis dans le commerce, peut-être à cause d’une christianisation, au moins superficielle[17]. De plus, de nombreux noms de lieux portent leur nom en Syrie, et non dans le Hedjaz, comme on pourrait s’y attendre. Le géographe René Dussaud[18] a relevé le nom d’une rivière qui porte leur nom (nar al quraysiy) qui traverse les ruines d’un village d’Arabes semi-nomades (un caravansérail, centre de commerce et halte pour les caravanes) appelé Khan el-Qourashiyé, situé 30 km au nord-est de Lattaquié. Les chroniques nous donnent encore d’autres indications sur l’activité de ces Arabes, qui se situe entre la Syrie et la Palestine : la Chronique de Jacob d’Edesse (fin du VIIe siècle), traduite par A.L. de Prémare[19] précise que Mahomet « alla pour le commerce en terres de Palestine, des Ara Çaya (région arabe de Mésopotamie) et de Phénicie des Tyriens ». D’autres traditions mentionnées par ce même chercheur situent autour de Gaza le lieu de l’activité commerciale de Mahomet et la tombe de son arrière-grand-père ; sa famille y possédait des terres[20].


Les judéo-nazaréens

Mais revenons en arrière, pour parler d’une autre force, spirituelle celle-là, sans laquelle l’islam n’aurait pas pu naître, la secte des judéo-nazaréens. Leur existence, très mal connue jus­qu’à ces dernières années, a été mise en valeur par Ray A. Pritz dans son étude Nazarene Jewish Christianity… Rappelons que c’est ce chercheur qui les a baptisés « judéo-nazaréens » pour éviter les ambiguïtés du vocable « nazaréens »[21] sous lequel ils étaient connus jusqu’ici. Il s’agit d’une déviation des chrétiens d’origine juive appartenant à la communauté du premier évêque de Jérusalem, Jacques (l’apôtre Jacques le Mineur ou le « frère de Jésus » Jacques le Juste ? ; la question est pendante), mort martyr en 62 après J.C. Ces judéo-nazaréens (avec E.M. Gallez, adoptons cette dénomination qui, à défaut d’être reconnue par tous les islamisants, a le mérite d’être claire) croient que Jésus n’est pas mort sur la croix (il y aurait eu une substitution), mais qu’il est gardé en réserve au ciel dans une perspective politique de conquête du monde.

Parmi les écrits qui expriment cette idéologie politico-religieuse, il faut détacher le Deuxième livre de Baruch ou Livre syriaque de Baruch, un apocryphe datant des années 80 après Jésus-Christ[22]. Tout en prônant l’observation scrupuleuse de la Loi dans le présent, ce texte annonce dans l’avenir un monde nouveau et bien concret, qui viendra sur la terre après les douze époques de cette vallée de larmes. Alors, le Messie, qui est comparé à une vigne et aussi à une source d’eau vive, régnera sur le monde entier, et Jérusalem sera rebâtie. Ce n’est qu’au terme du règne messianique qu’aura lieu la résurrection des corps : « C’est pour toute la terre que cela arrivera… Dès que sera accompli ce qui doit arriver dans ces parties (du temps), le Messie commencera de se révéler »[23].

Il y a dans ces textes, « Une vision dialectique du monde », selon l’expression d’E.M. Gallez. En effet, les judéo-nazaréens se distinguent de façon polémique des judéo-chrétiens (les chrétiens de Palestine) et des juifs orthodoxes. Aux chrétiens (ne recon­naissant que leur seul Evangile, copié de celui de Matthieu, à l’exclusion des autres), ils reprochent d’avoir contaminé de paganisme la pure tradition juive, le Messie-Jésus ne devant pas être « mêlé » à Dieu. Aux juifs, ils ne pardonnent pas la lapidation de Jacques le Juste, la non reconnaissance du Messie, et surtout l’introduction, dans le corpus des livres sacrés, de la Mishna et des Talmudin, qui donnent une fausse interprétation de la Tora. Ils sont donc les représentants de la vérité entre deux erreurs opposées.

Comme tous les hétérodoxes, les judéo-nazaréens auront tendance à se diviser, et au Proche-Orient, ce morcellement s’inscrit dans la géographie, chaque groupe sectaire possédant un ou plusieurs villages ou quartiers d’une ville. Et comme ceux-ci vivent habituellement en autarcie, leur religion peut parfaitement rester ignorée du monde intellectuel, même pendant plusieurs siècles. Cela doit être particulièrement vrai pour les judéo-nazaréens qui étaient coupés du monde religieux juif et chrétien. Ces coutumes expliquent l’ignorance et les confusions faites par les Pères de l’Eglise, qui ont voulu appréhender le phénomène du développement des hérésies qui s’étendent, en particulier en Syrie, dans les premiers siècles après Jésus-Christ. En ce qui concerne les judéo-nazaréens, la plupart des exégètes sont incapables de les définir clairement. C’est le cas par exemple de saint Jérôme qui en 404 écrit à saint Augustin à leur propos : « Tandis qu’ils veulent tout ensemble être juifs et chrétiens, (ces hérétiques) ne sont ni juifs ni chrétiens »[24].

En réalité, ils voulaient fortement se distinguer des uns et des autres ! Aussi bien le petit nombre de documents que nous possédons sur cette secte ne signifie pas qu’elle n’a pas existé et même prospéré, non seulement jusqu’au IV siècle, mais bien au-delà, contrairement à l’opinion de Ray A. Pritz. En effet, celui-ci ignore un témoignage capital qui n’a pas échappé à un autre chercheur, Simon Claude Mimouni[25], à savoir celui du pèlerin anonyme de Plaisance qui, vers 570, visita la Palestine. Il fait état d’une communauté d’Hébreux qui ne s’entendaient pas avec les chrétiens, mais qui n’étaient pas non plus des juifs talmudistes. Il ne pouvait s’agir que de judéo-nazaréens, analyse E.M. Gallez, qui donne d’autres preuves épigraphiques se trouvant en parti­culier dans des villages ruinés du plateau du Golan. Mais le texte capital qui nous fournit la preuve que, au VII siècle, les judéo- nazaréens n’avaient nullement disparu, c’est… le Coran lui-même, aussi curieux que cela puisse paraître. Mais le Coran étudié, non avec les lunettes roses de la légende musulmane, mais avec les outils de l’analyse historique et théologique utilisés par E.M. Gallez. En effet, le Coran que nous connaissons mentionne un « coran » auquel il se réfère, et cela soixante-cinq fois. Comme il ne peut pas se référer à lui-même, il s’agit bien d’un autre texte. Quel est-il ? Pour répondre à la question, il faut faire appel à l’étymologie. Le Mot Quran vient de Qara, verbe hébreu signi­fiant crier, lire ou réciter en public. C’est également le sens du syriaque qorono qui désignait un florilège chrétien d’extraits bi­bliques, destiné à la lecture publique, appelé aussi « lection­naire ». Cela s’applique parfaitement à l’usage que les musulmans firent du Coran élaboré par les califes à partir du VIIIee siècle, qui servait à des lectures journalières. Mais de quel lectionnaire s’agit-il dans les sourates qui parlent du « coran » ? La Sourate 3, 113 fait allusion à « Une communauté debout (umma) (qui) récite les versets de Dieu durant la nuit et ils se prosternent. »

Ce n’est évidemment pas la communauté naissante des musulmans, mais une autre, qui est désignée ailleurs (Sourate 5, 66) : « Parmi eux (les Juifs), il y a une communauté qui va sans dévier ». Cette communauté qui, selon une tradition biblique ancienne, se lève la nuit pour réciter des psaumes, est évidemment celle de l’auteur qui, n’étant pas un Juif orthodoxe (ceux-ci constituent l’autre communauté qui « dévie »), ne peut que faire partie du groupe judéo-nazaréen qui nous occupe. Des citations de nombreuses autres sourates viennent conforter cette analyse d’Edouard-Marie Gallez.

Ainsi, nous avons la preuve que les judéo-nazaréens n’avaient pas du tout disparu au début du VIIe siècle, puisque leur lectionnaire, avec le Pentateuque (tora) et l’Evangile (celui de Matthieu, injil), se retrouve dans l’actuel Coran. A partir de ce moment, nous avons une « grille » qui va nous faire avancer dans l’explication des événements qui vont se produire dans la pre­mière moitié du VIIe siècle. Cette découverte d’Edouard-Marie Gallez va lui permettre de bâtir une hypothèse scientifique qui va « coller » à la réalité géographique et historique.


Les apories de l’histoire officielle

Mais voyons d’abord ce qui s’est passé et comment la pseudo-histoire officielle nous explique la naissance et le dévelop­pement de cette religion guerrière qui, comme un raz-de-marée, va bientôt submerger non seulement le Moyen-Orient, mais une partie du bassin méditerranéen. Le début du VIIe siècle est une période de troubles dans l’empire romain d’Orient. L’empereur Maurice est détrôné et assassiné par un centurion, Phocas, élevé au trône par ses soldats (602). Ce dernier laisse ravager et conquérir ses provinces d’Asie par le Perse Chosroès II (Khusraw II). Mais en 610, il est à son tour détrôné et tué par Héraclius, le fils de l’exarque ou gouverneur général de la province d’Afrique. Attaqué de tous les côtés par diverses peuplades, l’Empire est sauvé par Sergius, le patriarche de Constantinople, qui fait jurer à Héraclius de le défendre, alors qu’il voulait transporter le centre du pouvoir à Carthage. Mais les Perses continuent leurs conquêtes et en 614 s’emparent de Jérusalem emportant la Sainte Croix à Ctésiphon (aujourd’hui Bagdad), leur capitale. Ayant enfin pu réunir une armée suffisante, Héraclius recommence la conquête de l’Asie mineure à partir de 622 et finit par vaincre les Perses à Ninive (628). Chosroès II est renversé par une révolution de palais et ses successeurs restituent aux Byzantins toutes leurs conquêtes, ainsi que la Sainte Croix qu’Héraclius replace solennellement à Jérusalem (631). C’est alors que les Arabes, qui n’avaient pas participé en tant que peuple à ces événements, vont soudain apparaître et tout balayer sur leur passage, faisant en l’espace d’un siècle, la conquête de la Palestine, de la Syrie, de la Perse, de l’Egypte, puis dans un second temps, du Maghreb et de l’Espagne (632-750).

Les explications données par les historiens officiels sur la rapidité de cette conquête sont les suivantes : le Prophète, inspiré par Dieu, aurait essayé de convertir les polythéistes de la Mecque. Il aurait été d’abord expulsé et se serait replié sur Yatrib (future Médine), où il aurait composé le Coran et créé l’islam, aurait levé une armée, reconquis la Mecque, et de là serait monté vers le nord, comme un ouragan qui aurait tout renversé sur son passage.

Or cette version, qui ressemble à un conte des mille et une nuits[26] butte contre les impossibilités ou les absurdités suivantes :

- La Mecque, située dans un lieu particulièrement insalubre, n’existait pas au temps de Mahomet. Cette ville a été créée quelques dizaines d’années après par les califes pour des raisons religieuses et politiques[27] ;

- Le Coran est truffé d’histoires juives et de recomman­dations d’appliquer les prescriptions de la religion judaïque. Or, les sources juives, comme le reconnaît de Prémare[28], sont muettes sur la présence de colonies juives dans cette partie du Hedjaz. Et ce n’est pas l’activité de marchand de Mahomet qui a pu lui donner une pareille érudition ;

- L’idéologie messianique de conquête du monde qui était celle des conquérants arabes, est dénoncée par l’évêque de Jérusalem Sophrone en 635[29]. Or cette idéologie n’est pas arabe, ces peuples s’étant contentés jusqu’au VII siècle de guerroyer pour faire du butin ou d’être mercenaires des Byzantins ou des Perses ;

- Contrairement à ce qu’affirme A.L. de Prémare après les islamologues officiels, Mahomet n’a jamais revendiqué pour lui la qualité de prophète. Dans les documents d’époque cités, il est écrit que les gens disaient qu’il l’était, ce qui n’est pas la même chose[30].


Un essai d’explication : de Gabriel Théry à Edouard-Marie Gallez

Voilà quelques objections (il y en a d’autres) qui sont insurmontables pour la vulgate officielle. Le Père Gabriel Théry avait bien vu les trois dernières, et pour y répondre, il avait avancé l’hypothèse du rabbin de la Mecque, mentor de Mahomet, qui l’aurait initié au Pentateuque, aux commentaires rabbiniques de la Bible, et aux arcanes de la religion juive. Il expliquait aussi l’importance de l’Evangile (injil) dans le Coran par la nécessité pour le rabbin de tenir compte de la communauté chrétienne de la Mecque. Les découvertes de Patricia Crone ont ruiné l’hypothèse du rabbin et de son adversaire, le curé. De toute façon, comment un juif, pour qui Jésus est un imposteur, aurait-il pu parler de façon laudative du Messie et de sa mère Marie ? Cette fausse piste devait donc être abandonnée : les Juifs « orthodoxes » n’étaient nullement responsables de la création de l’islam, c’est un fait maintenant établi. Une autre raison historique militait encore contre cette thèse : les Juifs venaient de subir, de la part des Perses, des persécutions qui ne les mettaient pas en position de force. En 614, par haine des Byzantins chrétiens, ils avaient aidé Chosroès lors du siège de Jérusalem par celui-ci. Pour les récompenser, le Roi des Rois leur avait confié l’administration de la ville. Ils en profitèrent pour se livrer à un grand massacre de chrétiens, si bien que les Perses leur retirèrent cette charge, les expulsèrent de la ville et les déportèrent dans plusieurs villes de leur empire.

Il fallait donc trouver autre chose. C’est ce qu’a fait E.M. Gallez en avançant l’hypothèse de l’alliance des Arabes qurayshites et du groupe des judéo-nazaréens, qui, nous allons le voir, non seulement intègre les découvertes récentes (ou qui avaient été oubliées) de la science historique, mais surtout répond à toutes les objections que nous venons de mentionner, et explique les obscurités qui entourent l’apparition et le développement d’une nouvelle religion au VII siècle, l’islam. Nous nous borne­rons, dans le cadre de cet article, à mentionner les principaux points de cette hypothèse scientifique :

- l’islam est né de la conjonction, dans la première moitié du VIIee siècle, de trois éléments : les peuplades arabes puissantes et riches lasses de combattre pour des étrangers (Byzantins et Perses) et récemment humiliées par eux ; ensuite le groupe de chrétiens hérétiques de sang juif, les judéo-nazaréens, porteurs d’une idéologie messianique de conquête non seulement de la Terre (la Palestine), mais du monde entier ; enfin un homme, Mahomet, appartenant à une tribu arabe de marchands disposant donc du « nerf de la guerre » nécessaire au démarrage et à la poursuite d’une opération de cette envergure ;

- Un contingent d’Arabes ennemis des Byzantins aurait participé activement au siège de Jérusalem par les Perses en 614. En 622, devant l’avance des armées d’Héraclius qui a commencé la reconquête de l’Anatolie, les Qurayshites de Mahomet et les judéo-nazaréens qui les accompagnent, et qui sans doute avaient participé au massacre des chrétiens, décident d’émigrer (ils se nomment d’ailleurs ainsi, les « émigrés », muhadjirun) à Yatrib, la grande oasis du Hedjaz, où les armées byzantines ne risquent pas d’aller les chercher.

- Là, Mahomet et les docteurs judéo-nazaréens qui l’entourent (les liens entre eux étaient anciens, et il est probable qu’il avait épousé une jeune femme de ce groupe, nommée Khadija ou autrement) ont une idée de génie, camoufler cette fuite en un repli stratégique pour la reconquête de la Terre (la Palestine), rappelant non seulement l’épisode égyptien de l’« Exode », mais aussi ce qu’avaient fait les Macchabées. Pour bien affirmer cette volonté agressive, ils vont jusqu’à rebaptiser Yatrib en Médine, allusion à la petite ville de Modin[31] d’où ces héros juifs, après avoir abandonné Jérusalem (167 avant J.C.) étaient repartis pour y revenir victorieux, fondant un éphémère royaume asmonéen de 163 à 135 av. J.C. Une autre façon frappante d’exalter ce repli en l’intégrant dans une stratégie offensive fut de transformer 622 en l’an I du calendrier musulman.

- C’est ce repli de Jérusalem sur Yatrib (et non de La Mecque sur Yatrib, comme le prétend la vulgate officielle), où vivaient déjà d’autres judéo-nazaréens, qui fut nommé l’Hégire (= l’exode). De 622 à 634, Mahomet a sans doute fort à faire pour asseoir sa domination sur les Arabes de la péninsule. Il tente plusieurs opérations militaires, en particulier en 629 où il se fait battre à Mouta, au sud-est de la Mer morte. Ce n’est qu’en 634 que les opérations d’invasion commencent du côté de la Syrie, sous la direction de Mahomet lui-même (qui est censé être mort depuis deux ans), selon divers documents très anciens.

- Ce sont les califes successeurs de Mahomet qui mettront en œuvre son plan. La prise de Jérusalem a lieu sans combat par les troupes d’Omar en 635, 636 ou 637. Omar, maître de la ville, fait déblayer l’esplanade du Temple, devenue un dépôt d’immondices et, avec ses alliés judéo-nazaréens, offre un sacrifice pour faire revenir le Messie.

- Celui-ci ne se manifestant pas, les Arabes (les Qurayshites et les Ghassanides, naguère au service de Byzance, qui les ont rejoints) se débarrassent de leurs mentors, les docteurs de la foi judéo-nazaréens, et prennent à leur compte leur lectionnaire, le Coran, qu’ils font réécrire par ceux d’entre eux qui acceptent de « collaborer », pour en faire un livre sacré qui fasse pièce à celui des juifs (la Bible) et à celui des chrétiens (les Evangiles).

- Cette lente élaboration (qui durera près de deux siècles) d’une religion de conquête sera la base de l’expansion islamique qui s’étendra vers la Perse et le bassin méditerranéen…


Mahomet

Mais le plus grand mérite de la thèse d’E.M. Gallez est de donner enfin son vrai relief au personnage de Mahomet. Laissant de côté la « sira », qui en fait un personnage aussi peu crédible que le sont de nos jours les biographies officielles d’un Staline ou d’un Mao par exemple, ce grand érudit, s’appuyant principa­lement sur les (trop) rares témoignages des chroniques du temps, nous peint un de ces grands hommes qui ont marqué l’histoire de leur forte personnalité.

En effet, il fut à la fois négociant, prédicateur, conquérant et chef d’Etat, plus exactement « Seigneur des Arabes ».

Négociant, grâce à son appartenance à la tribu des Qurayshites et son mariage avec Khadija, la riche cousine d’un des « prêtres » judéo-nazaréens, Mahomet se déplaçait pour son commerce à travers la Palestine, la Mésopotamie et le Liban-Sud, et Yatrib.

Prédicateur « très bien instruit et à l’aise avec l’histoire de Moïse », Mahomet, « proclamait la venue du Messie », selon certaines chroniques[32]. Il laissait dire (sans l’affirmer) qu’il était un prophète annonçant en réalité non la venue, mais le retour[33] du Messie-Jésus qui devait être précédé par la « libération de la Terre (la Palestine) » et « la restauration de la Maison de Dieu (reconstruction du Temple) ».

Egalement, conquérant, Mahomet l’est par son « charisme » de chef de guerre, sa capacité de fédérer les tribus arabes et de leur imposer une idéologie guerrière, mais surtout par sa stratégie consistant à profiter de l’épuisement des deux grands empires pour lancer une grande offensive, et sa tactique géniale de repli sur Yatrib pour mieux revenir vers la Palestine en donnant à ces opérations un caractère messianique.

Chef d’Etat, enfin, Mahomet l’est par l’instauration de la nouvelle théocratie du califat, et sa vision de la communauté des croyants (umma) transcendant les nations et les empires, qui doit s’imposer au monde entier divisé en territoires soumis (dar el islam) et zones de guerre (dar el harb). Des projets qu’il n’aura pas le temps de mettre en œuvre, mais qui seront réalisés et développés par les califes qui lui succéderont.


Conclusion

C’est cette analyse originale que nous devons à Edouard-Marie Gallez, qui éclaire d’un jour nouveau cette période encore très mal connue de l’histoire du Proche-Orient.

Ces conclusions ne sont encore qu’une hypothèse scienti­fique bien étayée, mais que la recherche historique devra confirmer ou infirmer sur de nombreux points.

En tout état de cause, cette thèse devra dorénavant servir de référence à tout chercheur honnête sur la question des origines de l’islam.

Mais soyons réalistes : ces réelles avancées de la science n’empêcheront sans doute pas la désinformation d’avoir encore de beaux jours devant elle dans l’islamologie officielle et la vulgarisation.


  1. Le Messie et son prophète. Aux origines de l’Islam. (2 tomes - Editions de Paris 2005).
  2. Jean Guiraud, Histoire partiale et histoire vraie, 1911. Réédité en fac-similé par les Expéditions pamphiliennes, BP 51, 67044 Strasbourg.
  3. Les érudits modernes préfèrent la forme arabe Muhammad. Nous garderons la forme française traditionnelle.
  4. 11 s’agit de la biographie de Mahomet par Ibn Ishaq (Kitab sirat rasul Allah, livre de la vie de l’envoyé de Dieu) écrite 140 ans après sa mort. Mais cet ouvrage n’est connu que par la reproduction qu’en donne Ibn Isham au début du IXe siècle.
  5. Hanna Zakarias, De Moïse à Mohammed. L’islam, entreprise juive, tomes I et II, Cahors 1955 (autoédition). Les tomes III et IV furent publiés en 1964 (Editions du Scorpion) par son disciple Joseph Bertuel.
  6. Rappelons qu’il y a une grande différence entre une « vue » sur une question, que l’au­teur veut imposer en choisissant ses arguments, et une hypothèse, qui est un instrument scientifique permettant d’analyser la réalité historique, et qu’on peut être amené à abandonner si elle ne rend pas compte de tous les faits, en particulier de nouvelles découvertes.
  7. Le livre sacré de l’islam. Aucun manuscrit conservé jusqu’à nos jours, et peu de frag­ments connus, sont antérieurs au IXe siècle : les plus anciens, s’il s’agit de ceux du mu­sée Topkapi à Istamboul, datent réellement du IXe siècle.
  8. Hagarism. The making of the islamic world (en collaboration avec Michaël Cook), Cambridge University Press, 1977. Ses études sur l’islam se poursuivront par deux autres ouvrages : Meccan trade and the rise of islam, Oxford, Blackwell, 1987 et God’s Caliph (en collaboration avec Martin Hinds), Cambridge University Press, 1986.
  9. A. Moussali, La croix et le croissant. Editions de Paris, 1998. Judaïsme, christianisme et islam, Editions de Paris, 2005.
  10. Ray A. Pritz, Nazarene Jewish Christianity, from the end of New Testament period until its disappearence in the fourth century, Jerusalem-Leiden, Brill, 1988.
  11. A.L. de Prémare, Les fondations de l’islam, Le Seuil, mars 2002.
  12. A.L. de Prémare, Aux origines du Coran, Paris, Téraèdre, 2004.
  13. Cet article est un résumé du livre de Maxime Lenôtre, La création de l’islam, 2004. A commander à Publications MC, BP 16, 34270 Les Matelles, 150 p. - Prix : 22€ franco.
  14. A.L. de Prémare, Les fondations…, p. 44. Les plus importants de ces centres étaient Jabyra dans le Golan, Jilliq, à une douzaine de kilomètres autour de Damas, sans doute pour le campement des troupes, et Dumayr, à 30km au nord-est de Damas, vers Palmyre.
  15. Saint Jérôme précise que ces tribus « vivant sous la tente » nomadisaient dans le désert de Syrie, et Ammien Marcellin ajoute : le Sinaï.
  16. Alphonse Mingana, Leaves from the ancient Qurans possibly preothmanic, Cambridge University Press, 1914, p. JCIII.
  17. Dans l’empire byzantin, à partir de 380 (édit. de Théodose), le christianisme est devenu religion d’Etat. Ce qui n’empêcha pas les hérésies nestorienne et monophysite de prospérer avec ou sans la protection de l’empereur.
  18. René Dussaud, Topographie historique de la Syrie antique et médiévale, Paris, Geuthner, 1927.
  19. Les fondations de l’islam, op. cit., p.38-39.
  20. Ibid, p.70, 74-76, 78.
  21. Le terme « nazaréen » peut désigner : - une peuplade signalée par Pline l’Ancien (23- 79) installée à l’ouest de l’Oronte, qui a laissé son nom à de nombreux lieux (Wadi-n-nasara, monts des Nozairi; - des hérétiques appelés aussi « ébionites », signalés par saint Irénée (+ vers 208) dans son Contra Haereses, Eusèbe de Césarée (263-339), saint Jérôme (347-420), saint Augustin (355-430) ; - des « pauvres » (de l’hébreu ebionim) baptistes et végétariens – ce n’est pas une diététique, mais une ascèse qui respecte les formes supérieures d’âme animale, dans le cadre de la réincarnation – , gnostiques croyant que Jésus n’est qu’Adam revenu sur terre et qu’il est l’âme source de toutes les autres ; - des chrétiens d’origine juive restés attachés aux prescriptions de la Tora, reconnaissant Jésus comme le Messie attendu, mais niant sa divinité. Ce sont ceux qui nous intéressent ici, baptisés judéo-nazaréens par Ray A. Pritz. ; - plus généralement les chrétiens dans les talmuds.
  22. La Bible. Ecrits intertestamentaires, Paris, Gallimard, 1987.
  23. Ibid, p. 1504.
  24. Lettre 112, 13.
  25. Simon-Claude Mimouni, Le judéo-christianisme ancien. Essais historiques. Paris, Cerf 1998, p.63-67.
  26. Maxime Rodinson, un des vulgarisateurs de l’histoire officielle de Mahomet et de l’islam, avoue lui-même qu’il n’a pu faire autrement que d’utiliser « des données tirées de sources sur lesquelles nous n’avons que peu de garanties de véracité » (Mahomet, 1961, p. 12). Ce qu’A.L. de Prémare (op. cit., p.30) commente : « Autant dire que toute biographie du prophète de l’islam n’a de valeur que celle d’un roman que l’on espère historique ».
  27. La démonstration irréfutable en a été faite par Patricia Crone dans son étude Meccan trade and the rise of islam, Princeton University Press, 1980. Ces acquis de la recherche sont contestés par A.L. de Prémare (op. cit. p. 53) sans qu’il donne un seul argument.
  28. Opus cit. p. 98.
  29. A.L. de Premare, op. cit., p.53.
  30. Ibid, p. 149 et passim.
  31. E.M. Gallez montre que c’est la seule étymologie possible et crédible, la trans­formation du o en e ne présentant aucune difficulté dans la langue arabe, où les consonnes comptent davantage que les voyelles.
  32. Citations tirées de l’Histoire d’Héraclius par l’évêque Sebeos (ou Pseudo-Sebeos), chronique arménienne étudiée par Patricia Crone (Hagarism…, 1977) et de la Doctrina Jacobi ou Didascalie de Jacob, texte de 634 étudié par Robert G. Hoyland dans « Seeing islam as others saw it… », Princeton 1997.
  33. Le mot « venue » de la « Doctrina Jacobi » est à interpréter dans ce sens, puisque le Coran, qui reprend l’idéologie judéo-nazaréenne, admet que le Messie est déjà venu, qu’il n’est pas mort sur la Croix, mais a été enlevé au Ciel pour être gardé en réserve.
Histoire de l'Eglise
Auteur : Maxime Lenôtre
Source : Action Familiale et scolaire n° 184
Date de publication originale : 2005

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
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