Qu'est-ce que la vie ?

De Salve Regina

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Psychologie
Auteur : Godeleine Lafargue
Source : Extrait des Cahiers St Raphaël n° 75
Source web : Consulter
Date de publication originale : juin 2004

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

La vietrésor inestimable, bien très précieux, sans doute la notion la plus connue de nous tous puisque nous en sommes tous possesseurs et pourtant saurions-nous la définir précisément ? La vie est une notion expérimentale tout à fait claire, toutefois lorsqu’il s’agit d’en préciser la nature et les propriétés, nous restons sans réponse. Tant de choses appartenant au monde des vivants nous entourent, mais comment distinguer les êtres animés des êtres inanimés ? Quelle différence y a-t-il entre la vie d’une plante, la vie d’un animal, celle d’un homme, ou même celle de Dieu ? Comment expliquer la vie ? Est-elle un simple agencement de matière ? Un élan vital au sein de la nature ? Cette notion simple a de multiples facettes et pose de véritables problèmes si elle est appro­fondie.


Il convient avant tout de définir la vie dans ce qu’elle a de plus simple. Il faut tout d’abord remarquer que le terme de vie ne désigne pas un être, une substance et encore moins une personne. C’est un terme abstrait comme la bonté et la vitesse. La Vie n’existe pas, elle est une propriété de l’être qui accomplit des actes. Ainsi le terme d’être vivant conviendrait mieux. Toutefois dans le langage courant le terme de vie désigne l’être vivant, les deux termes seront donc employés indifféremment.


L’organisation de la vie

D’un point de vue scientifique, la vie se définit par ses opérations : l’organi­sation, la nutrition, la reproduction, la conservation, l’évolution. La vie manifeste une organisation de nature tout à fait particulière. Dans « De la matière à la vie », Colin écrivait : « Ce qui déconcerte, dans le chimisme vital ce n’est pas que les êtres vivants élaborent tant de substances variées et si complexes qu’un très grand nombre n’ont pu, jusqu’alors, être préparés arti­ficiellement ; ce n’est même pas qu’un travail aussi remarquable soit mené à bien avec des moyens en apparence tout ordinaires, le plus curieux, c’est qu’une infinité de réactions délicates, dont chacune est pour nous un problème, se trouvent merveilleusement coordonnées et, sans qu’aucune prenne au détriment des autres une importance exagérée, concourent à assurer le parfait équilibre des fonctions qui est la condition première de la vie »[1]. Un corps vivant est donc constitué d’organes différents qui concourent au bien de l’ensemble.

La vie est encore la nutrition qui consiste, explique le chanoine Verneaux, « dans la transformation d’une substance inerte en la substance même du vivant »[2]. Elle est aussi la reproduction, cette division de cellules aboutissant à un nouvel organisme semblable au premier. L’être vivant hérite alors avec la vie, de certaines qualités ou prédispositions qui lui viennent de ses ancêtres. Rien de tel ne peut s’observer dans le monde inorganique.

Enfin, la conservation et l’évolution, rien à voir bien sûr avec l’évolution­nisme d’un Lamarck ou d’un Darwin, il s’agit de l’évolution du vivant entre sa naissance et sa mort. L’être vivant évolue toute sa vie tout en gardant le même type, ainsi un cheval vieillit mais reste toujours un cheval. Ces deux aspects de la vie, explique Claude Bernard « caractérisent les êtres vivants et les dis­tingue absolument des corps bruts »[3] et nous donne une troisième différence par rapport aux êtres inanimés.

Cependant, cette définition est strictement scientifique, la vie est aussi une notion métaphysique. En soi, donc qu’est-ce que la vie ?


Du mouvement vers l’acte

« Nomen vitae sumitur ad significandam substantiam cui convenit secundum suam naturam movere seipsam »[4] écrit saint Thomas, c’est-à-dire : le nom de vie est employé pour signifier une substance à laquelle il convient selon sa nature de se mouvoir elle-même. La vie se définit donc selon deux caractères : le mouvement et l’immanence[5]. « Un animal vit, dit encore saint Thomas, à partir du moment où il se meut lui-même et tant qu’en lui un tel mouvement se fait reconnaître. Dès qu’il n’a plus qu’une motion étrangère, on dit qu’il est mort et que la vie a défailli en lui. Il est donc clair que ceux-là, à proprement parler sont vivants, qui se meuvent eux-mêmes de quelque espèce de mouvement »[6]. Il faut bien comprendre que ce mouvement n’est pas seulement le déplacement dans l’espace. Il faut le voir d’un point de vue métaphysique : le passage de la puissance à l’acte. Quant à son origine, ce mou­vement est spontané, quant à son terme l’action est dite immanente. Cela s’entend par opposition à l’action transitive qui passe dans un patient autre que l’agent. Dans l’action immanente, l’agent agit sur lui-même. Bouger une pierre est une action transitive, respirer une action immanente. Toutefois l’im­manence du vivant n’est pas absolue car son mouvement dépend de l’agencement des parties de son corps. Cependant l’action reste toujours en lui et peut donc être dite immanente à un certain degré. Ainsi il existe différents degrés d’immanence et plus l’être vivant saura se mouvoir par lui-même, plus la vie se réalisera en lui de manière parfaite. La graine par exemple ne semble exercer aucune activité, mais elle est vivante dans la mesure où elle peut ger­mer. Mais cette possibilité de se donner à elle-même ce mouvement est bien imparfaite. Un chien lorsqu’il court après un voleur ou guide un aveugle réalise la vie d’une manière plus parfaite. Quant à l’homme par son intelli­gence, il peut déterminer de manière plus parfaite ses actions puisqu’il a la connaissance des fins et des moyens pour l’atteindre. Pour éclairer ces degrés d’immanence, saint Thomas pose trois façons de se mouvoir vers une fin : tout d’abord les vivants se meuvent vers une fin infuse : « Ainsi sont les plantes, qui croissent et décroissent selon une forme de mouvement réglée en elles par la nature ». La plante ne se propose donc pas une fin, elle agit selon ce qui est inscrit en elle. Ensuite, les êtres vivants peuvent se mouvoir vers une fin non pas infuse par nature, mais acquise par les sens comme pour les animaux. Plus les sens seront développés chez l’animal, plus parfait sera son mouvement. Ainsi par exemple l’huître qui ne possède que le toucher aura pour seul mouvement la contractilité. Sa capacité de se mouvoir ne dépasse pas de beaucoup celle de la plante.

Cependant, bien que la fin de ces êtres vivants ne soit pas infuse par la nature, ils ne se proposent pas pour autant par eux-mêmes la fin de leurs mouve­ments qu’ils exécutent. « Cette fin, explique saint Thomas, leur est immanente par nature, et l’instinct de cette nature les pousse à faire ceci ou cela en raison de la forme appréhendée par les sens »[7].

Enfin, au-dessus des animaux, sont les êtres vivants qui se déterminent eux-mêmes vers leur fin par l’intelligence. Cette faculté permet à l’homme de rap­porter les moyens à leur fin, et d’en avoir une juste proportion. « Les êtres intelligents, commente donc saint Thomas, ont donc une vie plus parfaite, possédant une plus complète autonomie de mouvement ». Trois mouvements donc : le premier infus par la nature, le second selon les sens, le troisième selon l’intelligence. Toutefois, le mouvement des êtres intelligents n’est pas encore le mouvement le plus parfait.


Dieu en ses actes

En effet, bien que l’intelligence détermine le mouvement pour ces êtres vivants, certains lui sont fixés par la nature. Par exemple, l’homme ne pourra se trouver dans deux endroits en même temps. L’homme est donc mu en un cer­tain sens par autre chose que lui-même à savoir des principes naturels. Ainsi, l’être qui peut se mouvoir par lui-même de manière parfaite sans aucun facteur extérieur occupera le suprême sommet de la vie : « Tel est Dieu. En Dieu donc la vie éclate souverainement » commente saint Thomas. Dès lors, bien que la vie soit un mou­vement, et que Dieu soit immuable, Il est vie comme le Christ le disait : « Je suis la voie, la vérité et la vie ». En se mettant en mouvement lui-même, Dieu n’altère pas son immuabilité, puisque son action est parfaitement immanente. Son être est ici absolument identique à son intelligence. « Dieu est acte pur, pensée de la pensée » disait Aristote[8]. Dans le sens donc où l’intellection est un mouvement, Dieu est vie. Et c’est ce qui a fait dire à Platon que Dieu se meut lui-même, mais non pas d’un mouvement qui soit un acte de l’imparfait.


L’homme machine ?

Finalement, il y a divers degrés de vie selon le degré d’immanence de l’acti­vité. La véritable immanence ne se trouve qu’au niveau de l’intelligence, et l’immanence absolue seulement en Dieu, où l’acte est pur, c’est-à-dire sans changement. Il reste maintenant à comprendre comment la vie est possible ? Comment un être peut se mouvoir de lui-même ? Quel en est son principe ?

La plupart des réponses à ces questions peuvent se classer en deux doctrines : le mécanisme et le vitalisme. Le mécanisme est de nos jours la doctrine la plus courante pour expliquer la vie. Il fut soutenu dès l’Antiquité par Démocrite et Épicure, puis dans les temps modernes par Descartes avec sa théorie de l’animal-machine, au XIXème siècle par Le Dantec, Haeckel, Huxley.

Il s’agit pour eux de réduire le vivant aux lois physico-chimiques. Tout est explicable selon des phénomènes mécaniques, électriques ou chimiques. Lorsqu’il s’agit d’étudier les phénomènes du vivant d’un point de vue scien­tifique, le mécanisme n’est pas faux. Cependant, appliqué au domaine de la philosophie il devient une erreur. Il ne peut être qu’une méthode, en aucun cas une doctrine philosophique.

En effet, le vivant présente certains phénomènes irréductibles aux lois de la matière et inexplicables mécaniquement. Comment expliquer par exemple la finalité interne des opérations du vivant ? Le chanoine Verneaux prend un exemple très révélateur : le scientifique peut très bien reproduire le phénomène de la digestion dans un laboratoire, mais il n’a alors aucune raison, aucune finalité. La cornue n’a pas besoin de digérer. Par contre dans le corps humain, dans l’estomac, ils se terminent par l’assimilation des sub­stances étrangères par le vivant. C’est la question du "pourquoi" ? Pourquoi par exemple le cerveau envoie tel ou tel stimuli ? Il nous faut trouver un principe directeur qui organise le corps. Les éléments matériels "livrés à eux-mêmes" ne peuvent pas s’organiser seuls. Pour s’organiser, les parties doivent "savoir" pourquoi il faut les agencer. Un maçon ne peut pas construire une maison sans un architecte ou un dessin. Il agence les matériaux en ayant d’abord une idée directrice pour savoir comment procéder. Il en est de même pour les vivants et plus ils sont complexes, plus le principe directeur montre sa nécessité. Ainsi le mécanisme comme doctrine philosophique est insouten­able, comme l’écrit Jolivet « plus le mécanisme est parfait, moins il se suffit »[9]. Le déterminisme mécanique ne peut suffire à lui seul à expliquer l’ordre naturel, car cela reviendrait rigoureusement à vouloir tout expliquer par le hasard.


Le rôle de l’âme

Face au mécanisme s’opposent alors le vitalisme et le néo-vitalisme (école de Montpellier, Bergson, Cuénot, Driesh). A partir du problème de la finalité interne du monde des vivants, ils posent un principe immatériel, une sub­stance complète appelée diversement suivant les écoles : archée[10], principe vital, élan vital, etc. Ce principe n’informe donc pas la matière mais la com­mande de manière extrinsèque tout comme l’âme chez Descartes. Cette doc­trine dualiste n’est pas sans poser quelque problème. Si le principe est extérieur à la matière comment comprendre qu’il puisse l’animer ? La vie et la matière sont juxtaposées. Cette conception est inconciliable avec l’expéri­ence qui induit à considérer la vie comme absolument immanente au corps. Le problème consiste à savoir comment le principe vital est capable de diriger du dehors les manifestations de la vie ? Pour le résoudre il faut poser l’unité du vivant et ainsi un principe vital uni au corps. Ici intervient alors la notion d’âme qui uni au corps forme une substance. Il ne faut donc pas dire que l’âme meut le corps, mais c’est le vivant qui se meut lui-même puisque l’unité de l’âme et du corps est substantielle. Toutefois, l’âme fait que le vivant est vivant et capable de se mouvoir. Aristote et saint Thomas définissent donc l’âme de la manière suivante : « L’acte premier d’un corps naturel ayant la vie en puissance, c’est-à-dire la forme d’un corps organisé »[11]. L’âme est donc la forme du corps vivant. Elle constitue le corps dans son être de vivant en unifi­ant de manière originale les éléments chimiques dont il est constitué.


L’immortalité de l’âme humaine

De plus, étant donné qu’il a été distingué trois façons de posséder la vie, il faut alors distinguer trois sortes d’âmes : l’âme végétative, l’âme animale et l’âme humaine. L’âme d’une plante ne peut pas avoir la même perfection que celle d’un homme, puisque son organisation est beaucoup plus simple. Ces différences sont essentielles et irréductibles. En effet, les fonctions végéta­tives et sensibles ne dépassent pas le niveau du corps, et l’âme qui en est le principe immatériel se trouve unie indissolublement à la matière qu’elle informe. Aussi ne survit-elle pas à la dissolution du composé. Comme les formes du monde anorganique, elle rentre dans la puissance de la matière. Il en va tout autrement pour l’âme humaine, dont les opérations supérieures se font sans le concours intrinsèque des organes corporels, mais avec leur seul concours extrinsèque (conditions). L’âme humaine est donc, dans son exis­tence, indépendante du corps et subsiste après la dissolution de l’organisme corporel. Mais cela ne signifie pas qu’elle est une substance complète. L’âme humaine est aliquid subsistens, quod per se c’est-à-dire quelque chose de sub­sistant, qui existe par soi. L’âme humaine est donc immortelle. En effet, un être peut être corrompu de deux manières : per se ou per accidens. Dans le premier cas, il est corrompu en lui-même directement, dans le second, il l’est en raison de la dépendance où il se trouve par rapport à un autre qui est corrompu. Mais l’âme ne peut être corrompue per se, puisqu’elle est simple (elle n’a pas de parties physiques)[12]. Elle ne peut être non plus corrompue per acci­dens, puisqu’elle ne dépend pas du corps pour exister. L’âme humaine est donc bien immortelle.

Saint Thomas donne encore un second argument pour démontrer l’immortal­ité de l’âme s’appuyant sur l’idée que tout être tend à persévérer dans l’exis­tence : « De cela on peut trouver un signe dans le fait que tout être désire naturellement exister à sa manière. Mais le désir, dans les êtres connaissants, suit la connaissance. Or le sens ne connaît l’existence qu’ici et maintenant, tandis que l’intelligence appréhende l’existence absolument et selon tout temps. D’où suit que tout être doué d’intelligence désire naturellement exis­ter toujours. Mais un désir naturel ne peut être vain. Donc toute substance intellectuelle est incorruptible »[13].

Ainsi pour saint Thomas, le désir d’éternité présent au fond de notre être manifeste l’immortalité de notre âme.


La joie de l’Éternité

Finalement, comprendre la vie humaine c’est réaliser l’immortalité de l’âme humaine et poser un lien nécessaire avec la vie éternelle. L’âme humaine est immortelle, la vie ne s’arrête pas à la dissolution du corps : « J’entre dans la vie » disait sainte Thérèse de l’Enfant Jésus au moment de mourir. Et cette vie éternelle est un état de joie, si l’âme est auprès de Dieu car LUI la possède de manière parfaite. Cette Vie si pleinement vie, qui fera dire à Aristote ces phrases admirables : « Ce principe est une vie, comparable à la plus parfaite qu’il nous soit donnée, à nous, de vivre pour un bref moment (). Et cet état de joie que nous ne possédons qu’à certains moments, DIEU l’a toujours, cela est admirable ; et s’il l’a plus grand, cela est plus admirable encore. Or c’est ainsi qu’il l’a. Et la vie aussi appartient à DIEU, car l’acte de l’intelli­gence est vie, et DIEU est cet acte même ; et l’acte subsistant en soi de Dieu est une vie parfaite et éternelle. Aussi appelons-nous DIEU un vivant éternel parfait ; la vie et la durée continue et éternelle appartiennent donc à Dieu, car c’est cela même qui est DIEU »[14].

Mais en attendant cette béatitude, l’âme peut dès ici-bas participer à cette joie. Pas seulement la joie d’une méditation philosophique comme Aristote l’entend. La révélation apportée aux hommes leur permet de goûter véritablement à la vie divine. Vivons alors pleinement notre vie humaine par l’union la plus parfaite possible à la vie de Dieu et comprenons que si la vie est un trésor ce n’est pas en raison de la beauté et la perfection du corps. L’âme qui l’anime est un bien plus précieux encore.


Notes et références

  1. P. 138.
  2. Philosophie de l’homme, Beauchesne, Paris, 1956, p. 14.
  3. Leçons sur les phénomènes de la vie, I, p. 389.
  4. Somme théologique, Ia, q. 18, a. 2.
  5. Qualité de ce qui existe et agit de soi-même.
  6. « Primo autem dicimus animal vivere, quando incipit ex se motum habere ; et tamdiu judicatur animal vivere, quamdiu talis motus in eo apparet ; quando vero jam ex se non habet aliquem motum, sed move­tur tantum ab alio, tune dicitur animal mortuum per defectum vitae. Ex quo patet quod illa proprie sunt viventia, quae seipsa secundum aliquam speciem motus movent. » Somme théologique, Ia, q. 18, a. 1.
  7. Somme théologique, Ia, q. 18, a.3.
  8. Métaphysique, L, 7, 1072b10.
  9. Logique et cosmologie, Emmanuel Vitte éditeur, Paris, 1939, p. 415.
  10. Principe immatériel qui en physiologie ancienne détermine l’organisation matérielle des corps et dirigeait les actes de l’organisme vivant.
  11. De l’âme, II, 1, 412a25.
  12. Aristote, De l’âme, I, 14.
  13. Aristote, De l’âme, I, 14.
  14. Métaphysique, L, 7, 1072b25.
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