La profanation du dimanche

De Salve Regina

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"Rien n'est propre à matérialiser un peuple comme la profanation du dimanche. Un peuple matérialisé est un peuple fini."

1ère LETTRE : RAISON ET PLAN DE CETTE CORRESPONDANCE

10 février

I

MONSIEUR ET CHER AMI (1),

Pour répondre à vos désirs, je vous envoie quelques considérations sur la grande question, dont vous faites depuis longtemps l'objet d'une étude approfondie. Rien n'est plus digne, en effet, des Méditations d'un homme vraiment politique : la loi sacrée du repos hebdomadaire, étant le fondement de la Religion, est la sauvegarde des États. Aussi, vous avez mille fois raison de dire que si, en nos jours d'aberration, quelque chose avait le droit d'étonner, c'est assurément l'oubli général dans lequel on laisse un point de cette importance. Sans autre préambule, j'arrive à ma préface. Je la crois nécessaire ; mais, rassurez-vous, elle ne sera pas longue.


(1) Ces lettres sont adressées à M. N..., Membre .de l'Assemblée législative.


II

Vous le savez, cinq témoignages immortels appuient tous les dogmes catholiques : la parole de Dieu, qui les révèle; le sang des martyrs, qui les confirme; la haine des méchants, qui les attaque; l'amour des bons, qui les défend; le bonheur, qu'ils laissent à leur suite. Telle est, dans les temps ordinaires, la démonstration victorieuse de la foi. Cependant il arrive des époques de vertige où l'homme, emporté par l'orgueil, dominé par les sens, nonseulement ferme les yeux pour ne point voir, et les oreilles pour ne point entendre ; mais encore essaye de tous les moyens, afin d'obscurcir la vérité qui l'importune. Pour ces jours néfastes, Dieu, réserve, en faveur de son œuvre, un dernier témoignage.


Semblable à la foudre, qui déchire l'épais nuage dont les vastes flancs interceptent les rayons du soleil, ce dernier argument dissipe toues les ténèbres amoncelées sur les intelligences. La vérité est montrée à l'homme comme elle lui fut montrée au sommet du Sinaï, à la lueur des éclairs et au bruit du tonnerre ; ou, comme au Calvaire, dans l'épouvante de l'humanité et dans l'ébranlement de toute la nature. Ce dernier argument de la Providence, ce sont les RÉVOLUTIONS.


A la suite de ces formidables ouragans, le sol, bouleversé et profondément entr'ouvert, laisse voir à nu les bases cachées des sociétés humaines. On aperçoit alors celles des grandes assises dont l'ébranlement a déterminé la catastrophe ; on découvre la mine qui est venue l'atteindre; on comprend ce qu'il aurait fallu faire pour l'éventer, ce qu'il faut faire pour prévenir le retour de ces coupables attaques.


III

Depuis plus trois siècles, la Providence donne aux nations de l'Europe cette démonstration suprême. Pas un de nos dogmes dont la nécessité sociale ne soit aujourd'hui prouvée par une catastrophe. « La société est un fait divin ; le Symbole avec tous ses articles, le Décalogue avec tous ses préceptes, sans en excepter aucun, sont les conditions vitales des nations civilisées. » Voilà ce que disent les montagnes de ruines amoncelées sur le sol européen du nord au midi. Voilà aussi, et je me trouve heureux de le constater, ce qu'un vague instinct commence à faire pressentir aux hommes naguère les plus indifférents, pour ne pas dire les plus hostiles à la Révélation. Y revenir ou mourir, et cela sans délai, tel est le point actuel de la question dans l'Europe entière.


Les faciles développements de cette vérité m'entraîneraient trop loin. Le but de notre correspondance est d'appeler l'attention sur une de ces lois chrétiennes qui, elle aussi, est démontrée par des catastrophes. J'oserai même dire qu'ici la démonstration est plus complète et plus éclatante. En effet, si, en parlant de la nécessité des lois et des vérités catholiques, on pouvait admettre du plus et du moins, il serait manifeste que cette loi, plus que les autres, est indispensable à la société : j'ai nommé la loi de la sanctification du dimanche.


IV

La désastreuse influence de la violation du repos hebdomadaire, que je ne puis m'empêcher d'exprimer de nouveau mon douloureux étonnement de l'oubli profond dans lequel est restée cette cause essentielle de la maladie qui nous dévore. Pendant ces dernières années, une longue et noble lutte a été soutenue, par les catholiques de l'Europe entière, en faveur des libertés de l'Église, et par les catholiques de France en faveur de la liberté particulière de l'enseignement. La question est vitale, en effet. L'éducation, c'est l'empire ; car l'éducation, c'est l'homme. Qui d'entre nous ne l'a pas compris ?

Mais si l'éducation religieuse est nécessaire pour former des enfants chrétiens, n'oublions pas que la sanctification du dimanche peut seule assurer la persévérance de l'homme. Qu'au sortir des écoles catholiques les jeunes générations entrent dans un monde indifférent et antichrétien, elles ne tarderont pas, soyez-en sûr, à devenir elles-mêmes indifférentes et antichrétiennes. Or, toute nation qui ne respecte pas le jour sacré du repos et de la prière est une nation indifférente et antichrétienne, dont le contact est meurtrier pour les générations naissantes. Dès lors, tout espoir de salut disparait : la société se condamne elle-même à une ruine inévitable.


V

D'ailleurs, toute illusion est désormais impossible. Nous touchons de la main à la plus grande catastrophe de l'histoire. Qu'on ne compte, pour la prévenir, ni sur le verbe humain, ni sur les gros bataillons. Si nous voulons être nous-mêmes nos sauveurs, nous ne sauverons rien, pas même un débris de ces biens matériels auxquels nous avons sacrifié tous les autres. Dieu seul, agissant dans la plénitude de sa miséricorde, peut nous retirer de l'abîme dans lequel nous sommes déjà à moitié plongés. Mais qui peut toucher en notre faveur son cœur paternel ? Une seule chose : le retour à lui.


Placés dans une situation moins grave que la nôtre, les peuples malades ne connurent jamais d'autre voie de salut : Ninive est un type immortel, un type obligé. Qui sait si ce n'est pas pour nous rappeler vivement l'exemple de la cité pénitente, que la Providence vient de nous envoyer ses gigantesques monuments ? Mais par où commencera le retour à Dieu, sinon par le repentir ? Quel sera le premier acte social de ce repentir, sinon l'accomplissement d'un devoir qui conduit à la pratique .de tous les autres ? c'est-à-dire la sanctification du dimanche, sans laquelle, nous le verrons bientôt, tout retour social au christianisme est impossible ou illusoire.


VI

Il est plus vrai qu'on ne le pense, et surtout qu'on ne le dit : la France périt par la profanation du dimanche. Malgré les avertissements de tous genres qui lui sont prodigués, consommera-t-elle sa ruine ?... Dieu seul connaît ce redoutable mystère. A nous, qui l'ignorons, notre devoir est de combattre de toutes nos forces, et jusqu'au dernier soupir, en faveur de cette société mourante. En dégageant notre responsabilité, les efforts que nous tentons, si Dieu daigne les bénir, auront pour résultat d'arracher le malade au trépas, ou d'amortir, à l'égard de plusieurs, le terible choc des événements que tout le monde redoute.


Afin de montrer la vérité dans tout son éclat et de ne laisser ni excuse à l'ignorance, ni prétexte à l'indifférence, ni subterfuge au mauvais vouloir, je vais examiner la question capitale de la sanctification du dimanche sous toutes ses faces ; en d'autres termes, je vais la présenter dans tous ses points de contact avec les intérêts de l'homme et de la société. Ainsi, j'ose dire à tous, riches et pauvres, maîtres et ouvriers, acheteurs et vendeurs, habitants des villes et habitants des campagnes : si vous voulez conjurer les fléaux suspendus sur vos têtes et échapper à la barbarie qui vous envahit, le plus pressant de vos devoirs est de faire cesser parmi, vous la scandaleuse, la désastreuse profanation du dimanche. Oui, vous le devez; et, du jour où vous le voudrez, vous le pourrez.

1° Vous le devez, si vous tenez encore tant soit peu à la religion de vos pères qui, après tout, est l'unique source des avantages temporels que vous estimez exclusivement. En effet, la profanation. du dimanche est la ruine de la religion.

2° Si vous ne tenez plus à votre religion, vous le devez encore, si vous tenez à la société humaine qui protége votre fortune, votre liberté, votre vie. En effet, la profanation du dimanche est la ruine de la société.

3° Si vous ne tenez plus à la société, vous le devez encore, si vous tenez à la famille, le seul bien commun qui nous reste aujourd'hui. En effet, la profanation du dimanche est la ruine de la famille.

4° Si vous ne tenez plus à la famille, vous le devez encore, si vous tenez à la liberté, pour laquelle vous professez un culte si ardent. En effet, la profanation du dimanche est la ruine de la liberté.

5° Si vous ne tenez plus à la liberté, vous le devez encore, si vous tenez à votre bien-être, objet de tous vos la beurs. En effet, la profanation du dimanche est la ruine du bien-être.

6° Si vous ne tenez plus à votre bien-être, vous le devez encore, si vous tenez à votre dignité d'homme, à cette dignité dont vous vous montrez si jaloux. En effet, la profanation du dimanche est lu ruine de la dignité humaine.

7° Si vous ne tenez plus à votre dignité d'homme, vous le devez encore, si vous tenez à votre santé et à la santé de ce qui vous est cher. En effet, la profanation du dimanche est la ruine de la santé.


Profanation du dimanche veut donc dire :

Ruine de la religion ;

Ruine de la société ;

Ruine de la famille ;

Ruine de la liberté ;

Ruine du bien-être ;

Ruine de la dignité humaine ;

Ruine de la santé.


Chacune de ces ruines sera l'objet d'une ou de plusieurs lettres, selon l'importance des développements. Comme vous le désirez, monsieur et cher ami, notre correspondance finira par l'indication des moyens de remédier immédiatement au mal. Je dis immédiatement; car ces moyens sont à la disposition de tout le monde et d'une application aussi sûre que facile.

La longueur de cette lettre ne me permet pas d'entrer en matière aujourd'hui : je le ferai dans peu de jours.


Agréez, etc.


IIe LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DE LA RELIGION

6 avril.


MONSIEUR ET CHER AMI,


On m'apporte à l'instant votre lettre. Je ré-ponds à ce qu'elle contient, dans l'ordre où vous l'exprimez. « J'ai peur, tu as peur, il a peur, nous avons peur, vous avez peur, ils ont peur : tel est, me dites-vous, le refrain de tous les discours que vous entendez. »


I

Vous me demandez ce que je pense de ce sentiment, et si vous faites bien de le partager. Oui, mon ami, le monde a raison de craindre ; je dirai même qu'il ne craint pas encore assez : ou plutôt il craint mal, en ce sens qu'il ne craint pas ce qu'il devrait craindre. Comme son père, son grand père et son bisaïeul, le dix-neuvième siècle s'est obstiné à semer du vent; il doit donc s'attendre à moissonner des tempêtes. Et quelles tempêtes, grand Dieu ! Oui, je le répète, le monde a raison de craindre. Mais il s'égare en portant sa crainte sur les causes secondes, au lieu de la porter sur la cause première. Comme les typhons qui bouleversent l'Océan, ou comme les sauterelles qui humilièrent la puissante Égypte, les barbares qui menacent l'Europe ne sont que les agents subalternes de l'Arbitre suprême. Lui seul a le pouvoir de leur dire : Vous irez jusque-là, et vous n'irez pas plus loin. Voilà celui qu'il faut craindre et craindre ayant tout. Malheureusement, voilà celui que le monde ne craint pas. Je ne dit point assez : voilà celui que le monde continue de braver par le mépris obstiné de ses avertissements paternels, par la négation même de son existence. Tel est tout ensemble le châtiment et le malheur des peuples matérialistes, qu'ils perdent la conscience des lois vitales de la société. Cet aveuglement fut toujours le précurseur de la ruine (1).


(1) Terribili et ei qui aufert spiritual principum, terribili apud reges terræ. (Ps. LXX.)


II

Vous ajoutez que les engagements, contenus dans ma dernière lettre, vous paraissent difficiles, et que la démonstration de ma thèse sera un vrai tour de force. Sans partager votre avis sur ce dernier chef, je vais entreprendre de dégager ma parole. Avant tout, je dois vous exprimer le regret de n'avoir, dans cette correspondance, à fixer votre attention que sur des ruines; mais vous conviendrez que ce n'est pas ma faute. De nos jours, où porter sès regards sans rencontrer des ruines ? La face de la terre en est couverte : ruines morales, ruines intellectuelles, ruines matérielles, ruines sociales, ruines domestiques.


Une chose nous consolera, vous et moi, en étudiant ce lugubre spectacle : c'est la pensée que nous ne parcourons tous ces monuments de la justice divine que pour reconnaître les causes de la catastrophe, et les signaler hautement à ceux qui doivent les combattre.


III

Enfin, vous désirez savoir quel est, dans la langue religieuse, le sens précis de ces mots : Profanation du dimanche. Vraiment, c'est bien ainsi qu'il faut commencer. En bonne et loyale philosophie, la première règle de toute discussion, c'est de définir les mots qu'on emploie.


A ce propos, voudriez-vous, monsieur le représentant, prier quelques-uns de vos plus célèbres collègues de pratiquer ce principe élémentaire, au moins une fois pendant toute la durée de leur mandat ? Si par hasard la rhétorique y perd quelque chose, à coup sûr la vérité y gagnera, et l'intelligence des lecteurs s'en trouvera notablement soulagée.


Nous appelons sainte une chose qui est exclusivement consacrée au culte de Dieu. La faire servir à des usages ordinaires, c'est la profaner, ou, suivant la rigueur de l'étymologie, la jeter hors du temple. Pour exprimer la violation du dimanche par le mot de profanation, il faut donc que le dimanche soit une chose sainte : il en est ainsi.


L'auteur de nos jours en prélève un sur sept ; c'est une dîme, une redevance qu'il exige, en témoignage de son domaine souverain et inaliénable : ce jour, il le fait sien. Ordre formel de le consacrer tout entier au repos de l'âme, au travail moral, à la prière, à la reconnaissance, à l'adoration ; défense non moins rigoureuse de le donner au travail corporel, à l'oisiveté, aux plaisirs mondains.

Ainsi, travailler, vendre, acheter, etc., c'est profaner le dimanche:l'employer aux exercices religieux, c'est le sanctifier. Avec une sagesse égale à sa divine autorité, l'Église détermine un acte spécial qui, sous peine de faute grave, doit être religieusement accompli : j'ai nommé l'assistance à l'auguste sacrifice de la messe. Même au point de vue social, quel utile précepte que celui-là ! Quelle leçon d'égalité et de fraternité dans cette réunion des riches et des pauvres, des maîtres et des serviteurs, sous les yeux du Père commun, pour s'entendre rappeler leurs devoirs, et reprendre de leurs fautes ! Quel principe de liberté véritable, c'est-à-dire d'émancipation des mauvais penchants, dans l'assistance religieuse, et périodiquement obligatoire, à l'immolation d'un Dieu pour ses créatures ! Mais je coupe court à ces considérations, et j'aborde le sujet de ma lettre : profanation du dimanche veut dire ruine de la Religion.


IV

Suivant la belle définition de saint Augustin, fondée sur la nature même de la chose et sur les termes formels de l'Écriture, Religion signifie alliance ou société de l'homme avec Dieu, lien qui unit l'homme à Dieu. Toute alliance suppose des engagements réciproques entre les parties contractantes, je veux dire certaines conditions fondamentales dont la violation entraîne la rupture du contrat. Il en est ainsi de la Religion. Reste à savoir si la sanctification du septième jour est une condition fondamentale de cette divine société, en sorte que la violation de ce précepte entraîne la dissolution de l'alliance. Je dirai d'abord, non pour vous l'apprendre, que dans la Religion, dogme et précepte, tout est fondamental.

Tout venant de Dieu lui-même est également respectable; et doit être également respecté. Néanmoins, si, comme vous le savez, une distinction quelconque pouvait être faite, je dirais volontiers que le repos du septième jour est la base même de l'alliance auguste de l'homme avec eu.

D'où il suit manifestement que la profanation du dimanche, publique, générale, habituelle, comme nous le voyons aujourd'hui dans la plupart de nos villes et de nos campagnes, est la ruine de la Religion. J'aurais une foule de raisons pour le prouver; je me contente de trois :


1° Dans tout le code divin, vous ne trouvez pas de précepte plus ancien, plus universel, plus souvent réitéré, plus fortement sanctionné, par conséquent plus essentiel ;

2° Vous n'en trouvez pas dont la violation entraîne aussi infailliblement la ruine de tous les autres ;

3° Vous n'en trouvez pas dont la violation porte au même degré le caractère de l'injustice et de la révolte, et devienne au' même titre une profession publique d'athéisme.

En faut-il davantage pour établir, que le repos sacré du septième jour est une condition fondamentale de l'alliance de l'homme avec Dieu ?


V

D'abord, nul précepte plus ancien. Il est une loi qui date de l'origine des temps ; une loi qui survécut à toutes les catastrophes qui ont bouleversé l'univers, à toutes les migrations, qui ont fractionné en mille pièces la famille primitive ; une loi qui n'a pas d'instituteur humain ; une loi qui est le fondement de la religion universelle et le pivot du monde. Cette loi, c'est la division du temps en sept jours, avec le repos obligé du septième.

Aussi, lorsque, du haut du Sinaï, le Créateur intime ses volontés au peuple d'Israël, il ne lui dit pas : Sanctifie le jour du sabbat, mais : Souviens-toi de sanctifier le jour du-sabbat. Ce précepte n'est pas nouveau : tes aïeux l'ont cornu il remonte à l'origine des temps (1). Tu travailleras six jours et tu feras tous tes ouvrages ; mais le septième, c'est le sabbat du Seigneur, ton Dieu,

En ce jour tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni ta bête de somme, ni l'étranger qui sera sur ton territoire. Car le Seigneur a fait le ciel et la terre et la mer en six jours ; avec tout ce qu’ils enfer-ment, et il s'est reposé le septième : c'est pourquoi le Seigneur a béni le jour du sabbat et l'a sanctifié (2).


(1) Deus a mundi exordio hoc primo sabbati die, illum sanctificavit, id est acte festum instituit, olique volut ab Atdamo ejusque posteris sacro otio et cultu Dei, maxime recolendo beneficium creationis suæ totiusque mundi illo die completæ. Unde patet sabbatutn fuisse festum institutum et sancitum primitus... ab origine mundi. Ita Ribera; Philo, Catharinus, etc. (Corn a Lapid. in Gen., II, 3).

(2) Exod., XV, 8-11.


VI

Nul précepte plus universel. L'obligation de consacrer exclusivement au service de Dieu un jour sur sept a,  comme je l'ai dit, survécu à toutes les vicissitudes des temps, et passé de la loi ancienne dans la loi nouvelle. Par la détermination souveraine de l'Église, l'accomplissement en est fixé au dimanche. Le fait n'est contestable pour personne, attendu qu'il n'est contesté par personne.


La loi de la prière et du repos septénaire do-mine le monde entier. Il serait aisé de faire de l'érudition et de justifier ma phrase par vingt pages de textes grecs, latins, arabes, etc. Ici les philosophes, les historiens, les poètes, les orateurs de l'antiquité, les savants protestants et catholiques, les voyageurs modernes, les missionnaires les plus instruits, sont tous les échos d'un illustre Père de l'Église, saint Théophile. Vers le milieu du second siècle, ce docte évêque d'Antioche écrivait à son ami Autolycus : « Tous les peuples de la terre connais-sent le septième jour (1). »


Développant naguère cette pensée, l'esti¬mable auteur du Dimanche ajoute : « La vérité d'un jour réservé à Dieu est impérissable, comme la connaissance même de l'Être suprême. On peut encore en déchiffrer les caractères primitifs, malgré les surcharges de l'erreur ; et l'on retrouve partout, jusqu'à un certain point, la division septénaire, l'observation d'un jour sur sept, et la sanctification de ce jour par le repos et par le culte (2). »


(1) Ac de die etiam septimo locuti sunt (pœtæ, scriptores, philosophi), cujus nomen omnes homines usurpant, sed plerique quam vim habeat ignorant. Quod enim apud Hebræos sabbatum dicitur, græce redditur hebdomas, quæ quidem apud omne humanum genus appellatur. (Ad Autolyc., lib. II, n° 12.). Voir sur le Septième jour, les excellents articles des Annales de phil. chrét.

(2) M. Le COURTIER, p. 31. — Si vos loisirs vous le per-mettent, vous pouvez lire les passages des auteurs de toute nation dans dom Calmet, Commentaire sur la Genèse, liv. II ; dans Godescard, le Dimanche, ch. I et Il; dans M. Perennès, Instit. du dimanche, p. 51-67, etc.


VII

Nul précepte plus souvent réitéré. Souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat : Si vous prêtez l'oreille aux oracles divins, tel est l'ordre que vous entendrez répéter continuellement du Paradis terrestre au Sinaï, du Sinaï au Calvaire, du Calvaire aux quatre coins du monde. Les échos des siècles futurs ne cesseront de le redire jusqu'au seuil de l'éternité, où commencera le repos absolu dont le sabbat est l'image.

Inspiré de Dieu, Moïse l'intime jusqu'à douze fois au peuple d'Israël. Les auteurs sacrés qui, se succèdent avant et après la captivité de Babylone, insistent tous avec une force particulière sur l'accomplissement de ce précepte. Isaïe, Jérémie, Ézéchiel, Osée, Amos, les grands et les petits prophètes, semblent avoir pour but essentiel de leur mission d'annoncer les biens ou les maux, qui sont la suite de l'observation ou de la profanation du jour de Dieu. Voulez-vous, mon cher ami, vous procurer l'avantage de retenir sans peine leurs éloquentes paroles ? Procurez-vous un livre qui n'est plus guère connu que des ecclésiastiques : il s'appelle la Concordance. Un exemplaire devrait orner la bibliothèque de chaque représentant du peuple.


Maintenant, si on voulait entendre toutes les voix qui, depuis dix-huit siècles, se sont élevées en Orient et en Occident pour réclamer, pour recommander, pour ordonner la sanctification du dimanche, il faudrait s'enfermer pendant des semaines entières dans une de nos bibliothèques nationales, et compulser tous les ouvrages des Pères, depuis saint Justin et Tertullien jusqu'à saint Bernard ; les codes et constitutions des empereurs romains, de-puis Constantin jusqu'à Justinien et en deçà ; les capitulaires et les chartes de tous les rois de l'Europe, depuis Charlemagne jusqu'à Louis XVIII.


Il faudrait parcourir encore les règlements à la fois si sages, si formels et si variés des communes, des corporations d'artisans et d'ouvriers. Enfin, il faudrait lire les immenses collections des conciles, des encycliques et des bulles pontificales ; les recueils non moins immenses de sermons et de mandements épiscopaux, avec l'obligation de s'arrêter presque à chaque page, pour écouter les graves enseignements qui sont donnés aux particuliers et aux nations sur ce point fondamental (1).


VIII

Il est une autre voix qui réunit le double avantage de n'être pas moins éloquente et d'être très-facile à entendre : c'est la voix du firmament. Vous le savez, les cieux sont des prédicateurs (2) ; et, si vous me permettez de le dire, les prédicateurs spéciaux de la brièveté du temps et du repos septénaire. A ce titre, ils sont .faits pour notre siècle, où les hommes vivent comme s'ils ne devaient jamais mourir ; où ils travaillent comme s'ils n'étaient jamais obligés de se reposer. Avec cette sublime philosophie qui rend raison de tout et sans laquelle on ne peut rendre raison de rien ; l'écrivain sacré nous dit que le Créateur a fait le soleil, la lune et les étoiles pour marquer les temps, les saisons, les jours et les années (3).


(1) On trouvera une partie de ces monuments, avec l'indication de plusieurs autres, dans le Code de la Religion et des mœurs, 2 vol. in 12.

(2) Cœli enarrant gloriam Dei. (Ps. xvut.)

(3) Fiant luminaria in firmamento cœli, et dividant diem ac noctem, et sint in signa et tempora, et dies et annos. (Gen., I, 14 ; Ps. CXXXV.)


Le ciel est donc une magnifique horloge. Sur son cadran d'azur je vois deux aiguilles lumineuses qui, se promenant sur des heures marquées par des rubis, indiquent les jours, les semaines, les mois et les années. En paraissant et en disparaissant tour à tour de l'horizon, le Soleil marque la division des jours, composés de ténèbres et de lumière. Croire que cette succession si rapide et si régulière n'a d'autre but que de déterminer matériellement la mesure des instants dont se compose notre vie, serait une erreur : la pensée du Créateur est plus haute.


Si les créatures sont faites pour l'homme, l'homme est fait pour Dieu : chacune d'elles est chargée de le lui redire à sa manière. « En me voyant chaque jour commencer et finir pour recommencer encore, je vous enseigne trois mystères : le mystère de la vie, elle est courte ; le mystère de la mort, elle n'est pas éternelle ; le mystère de la résurrection, elle est aussi certaine que la vie et la mort. » Voilà ce que nous dit, par son mouvement diurne, l'astre éloquent qui nous éclaire. Il nous dit encore que le commencement et la fin de la vie sont deux heures solennelles : qu'ainsi le commencement et la fin de chaque jour doivent étre marqués par l'adoration. Que ce langage soit vrai et qu'il ait été compris, la preuve en est dans l'usage constant chez tous les peuples, et surtout dans l'Église catholique, de prier le matin et le soir.

Par ses phases diverses, la lune marque les semaines. Au bout de sept jours, on la voit arriver à une moitié régulière ; au bout d'un nouveau septénaire son disque est plein; au bout de sept autres jours, il a décru d'une moitié parfaite ; enfin, après vingt-huit jours à peu près d'apparition, il disparaît pour se renouveler bientôt. Cette lune qui se montre en travail de croissance et de décroissance pendant six jours consécutifs, puis, qui se repose dans une forme fixe chaque septième jour, peut-elle remplir mieux l'intention du Créateur et indiquer plus clairement à l'homme les six jours de travail et le septième de repos (1) ?


(1) Voyez le Dimanche, p. 18


Que tel soit dans la réalité l'enseignement qu'elle est chargée de nous donner, il suffit, pour en être parfaitement certain, de se rappeler le mot déjà cité du savant évêque d'Antioche, que tous les peuples de la terre connaissent le septième jour ; et d'entendre Celui qui forma la reine des nuits : La lune citez tous les peuples et par toutes ses phases, dit le Créateur lui-même, marque le temps et forme le mois ; mais elle sert aussi à indiquer les jours de fêtes : elle en est le signal. Ce magnifique héraut de-l'armée des cieux entonne au milieu des astres les louanges du Très-Haut dans les jours où l'homme doit le bénir (1). On le voit, d'après cette peinture grandiose, la lune est le coryphée de Dieu, chargé de donner le signal, la mesure et le ton aux exercices religieux de l'homme ; en sorte que les hommes, aux jours saints, ne font que reprendre en chœur le cantique que le ciel a entonné (2).


(1) Et luna in omnibus in tempore suo, ostensio temporis, et signum ævi. A luna signum diei festi,... . vas castrorum in excelcis, in firmament cæli resplendens gloriose. (Eccli., XLIII, 6-9; voyez le Commentaire de Cor. a Lapid.)

(2) Le Dimanche, page 24.


IX

Permettez-moi, monsieur et cher ami, de vous dire en passant que le texte sacré me met sur la voie d'un mystère dont je ne m'étais pas rendu compte. L'histoire profane nous apprend que, chez les différents peuples dè l'antiquité, il y avait des jours fastes et des jours néfastes.

Les nations païennes croyaient donc à la différence naturelle des jours. Cette opinion était à mes yeux un préjugé ou une superstition de plus ; et j'en gratifiais libéralement les Égyptiens, les Grecs et les Romains. Une réparation leur est due : cette croyance est fondée.

Le Père des jours, qui vient de nous indiquer ce mystère, va nous le révéler clairement : Quelle est la raison, dit-il, pour laquelle un jour l'emporte sur l'autre, puisque tous les jours de l'année, mesurés et éclairés par le même soleil, semblent de même nature et de même condition ?


Cette distinction n'est point vaine et arbitraire. C'est la science du Seigneur qui a séparé, réservé certains jours et établi cette mystérieuse différence. Dieu a disposé les temps dans sa sagesse ; il a pris certains jours, et les a élevés à l'honneur de jours solennels et sacrés, et il a laissé les autres dans le rang ordinaire qui ne sert qu'à remplir les semaines et les mois (1)

Quelle nouvelle et sublime image nous présente ici le texte sacré ! Voyez-vous le souverain Maître prendre d'une main une portion de notre vie, la bénir, la sanctifier, et la réserver comme dîme et comme hommage ; et, de l'autre main, rejeter le plus grand nombre de nos jours dans le cercle monotone des mois et des années, ne leur assignant d'autre mérite que celui de compléter la sanctification de notre existence, par la pratique journalière des vertus et des devoirs (2) ?


(1) Quare dies diem superat, et iterum lux lucem, et annus annum a sole ? A Domini scientia separati sunt... et immutavit tempora et dies festos ipsorum, et in illis dies festos celebraverunt ad horam, et ex ipsis exaltavit et magnificavit Deus, et ex ipsis posuit in numerum dierum. (Eccli., XXXIII, 7-10 ; voir Cor. a Lapid.)

(2) Ces belles paroles de l'auteur du Dimanche sont la traduction de la pensée des interprètes et le commentaire de ce vers éloquent : Dies vulgares, qui nihil habent prie aliis singulare, sed tantum numerum cæterorum adaugent instar ciphræ, juxta illud : nos numerus sumus, et fruges consumere nati. (Cor. a Lapid., in Eccli., XXXIII, 9.)


L'adoration quotidienne du matin et du soir, le repos sacré du septième jour, sont éloquemment prêchés par le soleil et la lune, ces deux infatigables hérauts de l'Éternel : mais ce n'est pas assez. Des constellations, appelées vulgairement les signes du zodiaque, c'est-à-dire des groupes d'étoiles, ou, pour dire le vrai mot, des signes célestes, apparaissent chaque soir du côté du ciel opposé au couchant du soleil. Chacune à son tour se montre sur l'horizon pendant une lunaison entière. Quand la douzième a disparu, la première revient ; et vous avez vu passer sur la voûte du firmament, comme sur un cadran mobile, chacun des douze mois de l'année et l'année elle-même, dont ils sont les parties intégrantes.


Ce renouvellement des mois et des années est encore un moment sacré, et le prédicateur d'un renouvellement moral. Aussi, chez tous les peuples, le commencement de l'année et les nouvelles lunes ont été des jours de fête.


Il est donc vrai : grâce au cours parfaitement régulier du soleil, de la lune et des étoiles, la grande horloge des cieux sonne, chaque jour, chaque semaine, chaque mois, chaque année, l'heure du recueillement, de la prière et du repos sacré. Au son de cette heure solennelle, toutes les nations du globe sont jusqu'ici tombées à genoux pour adorer et bénir. Comment qualifier la conduite des hommes, la conduite de tout un peuple qui, ne respectant plus les jours saints, ne tiennent aucun compte de cette magnifique harmonie, et bouleversent tout le plan divin ? Estce stupidité ? est-ce malice ? est-ce l'une et l'autre ? Je vous laisse à décider.


Agréez, etc.


IIIe LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DE LA RELIGION (suite)

9 avril,


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Vous me pardonnez, je l'espère, d'avoir un peu trop laissé, courir ma plume dans ma dernière lettre. Au besoin je vous apporte deux excuses : d'une part, il m'a semblé que les dernières considérations que je vous ai soumises, beaucoup trop oubliées aujourd'hui, étaient de nature à pénétrer l'âme d'un grand respect pour le repos sacré du septième jour ; d'autre part, la conversation écrite ou parlée jouit, à mes yeux, de l'heureux privilége d'être un peu vagabonde : je n'ai pas voulu l'en dépouiller. Si c'est une erreur, je vais me tenir sur mes gardes et ne rien négliger pour être bref. Je continue :


II

Nul précepte plus fortement sanctionné que le précepte du repos hebdomadaire.

L'importance d'une loi se reconnaît à la sévérité des peines et à la grandeur des récompenses, par lesquelles le législateur en assure l'exécution. Envisagée à ce nouveau point de vue, il est incontestable que la loi du repos hebdomadaire tient le premier rang parmi les lois divines et même dans les .codes des nations chrétiennes. Si ce fait avait besoin de preuves, vos connaissances en législation, monsieur le représentant, vols mettraient en état de les déduire beaucoup mieux gue je ne pourrais le faire. Ainsi, à d'autres qu'à vous s'adressent les détails qui vont suivre.


Le repos sacré du septième, jour n'est ni un simple conseil qu'il soit permis de pratiquer ou de ne pas pratiquer ; ni mi commandement sans importance qu'il soit loisible de violer sous les moindres prétextes, ou dont chacun puisse se dispenser de son autorité privée. C'est un précepte capital : peine de mort pour qui osera l'enfreindre.

Israël était campé au milieu du désert. Un jour de sabbat, on trouve dans les environs un homme ramassant quelques morceaux de bois : il est conduit à Moïse. Le saint législateur, que l'Écriture appelle le plus doux des hommes, n'ose prendre sur lui de faire exécuter la loi dans toute sa sévérité ; il s'en va consulter le Seigneur. Pas de grâce, répond le Dieu d'Israël : qu'il soit lapidé. Et il fut lapidé (1).


A l'imitation de cet exemple venu de si haut, tous les peuples sérieusement chrétiens ont eu des lois terribles contre les profanateurs du .dimanche. L'amende, la flagellation, la dégradation, la mutilation de la main droite, la servitude à perpétuité, sont les peines portées, soit par les empereurs romains de l'Orient et de l'Occident, soit par les plus grands monarques de l'Europe (2) : Voilà pour les particuliers.


(1) Num., XV, 32.

(2) Voyez Instit. du dimanche, par M. Perrenès, pages 84 et suiv.


III

Si le crime devient national, des menaces terribles suivies d'affreuses calamités rappelleront aux sociétés coupables la sainteté de cette loi fondamentale. Va, prophète, dit le Seigneur à Jérémie, tiens-toi debout à, la porte de la ville par laquelle passent les enfants et les rois d'Israël, et dis-leur : Voici ce que dit le Seigneur : Voulez-vous sauver vos biens et votre vie ? ne portez point de fardeaux, et n'en apportez point le jour du sabbat ; ne sortez point de marchandises de vos maisons le jour du sabbat, et abstenez-vous de toute oeuvre servile : sanctifiez le jour du sabbat comme je l'ai prescrit à vos pères. Si vous ne le faites pas, je mettrai le feu aux por.tes de votre ville ; il dévorera les maisons de Jérusalem, et vous aurez beau faire, vous ne l'éteindrez pas (1) : Juda fut sourd à la voix du prophète. Nabuchodonosor se chargea d'accomplir la menace du Tout-Puissant et de venger la loi sacrée du repos hebdomadaire : on sait de quelle manière il s'en acquitta.


Saccagée, ruinée, emmenée en esclavage, foulée aux pieds des infidèles pour avoir violé le sabbat du Seigneur, la nation juive -ne se corrige pas. Revenue de sa captivité, elle commet de nouveau le crime qui a causé tous ses malheurs. Et je vis alors, dit un de ses conducteurs, des Israélites qui foulaient des pressoirs le le jour du sabbat; d'autres qui portaient des fardeaux, d’autres qui transportaient sur des bêtes de somme du vin et des raisins, des figues et toutes sottes de marchandises, et qui les introduisaient dans Jérusalem. Et les Tyriens y venaient également, et vendaient, le jour du sabbat, toutes sortes d'objets aux fils de Juda et de Jérusalem.

J'en fis les plus sévères reproches aux chefs de la cité, et je leur dis : Quel est donc le crime que vous commettez ? Quoi ! vous profanez le jour du sabbat ! Est-ce que nos pères ne se sont pas rendus coupables du même forfait ? et avez-vous oublié que c'est pour cela que notre Dieu a déversé sur nous et sur la ville tous les maux que nous avons soufferts ? Et vous voulez rallumer la colère du Seigneur en violant le jour sacré du repos (2) !


(1) Jer., XVII, 19-27.

(2) II Esdr., 15-20.


Les menaces et les châtiments ne suffisent pas au souverain législateur. L'observation du septième jour est, de tous les actes de soumission de la part de l'homme, celui dont il se montre le plus jaloux. Aussi, pour assurer l'accomplissement de cette loi, il lui présente un nouveau motif dans les récompenses magnifiques dont il couronnera sa fidélité. Si vous écoutez ma voix, dit-il et que vous ne profaniez le jour du sabbat ni par le négoce ni par le travail, les princes et les rois passeront par les portes de Jérusalem on y viendra de toutes parts les mains pleines d'offrandes„ et cette prospérité sera éternelle (1).


A la prospérité matérielle il ajoute l'allégresse, la gloire et la puissance de la nation. Si vous vous abstenez, dit-il, de voyager le jour du sabbat, et de faire votre volonté au jour qui m'est consacré ; si vous le regardez comme un repos délicieux, comme le jour saint et glorieux du Seigneur, dans lequel vous lui rendrez l'hommage qui lui est dû, alors vous trouverez votre joie dans le Seigneur ; je vous élèverai au-dessus de tout ce qu'il y a de plus élevé sur la terre (2). Rien ne serait plus facile que de multiplier les passages où sont contenues, sous des formes différentes, les mêmes promesses et les mêmes menaces.


(1) Jer, XVII,, 24-26.

(2) Is., LVIII, 13.14.


IV

Dieu a-t-il changé ? Pour avoir été transféré au dimanche, le repos du septième jour en est-il moins sacré ? Parce qu'il a comblé les chrétiens de faveurs plus grandes que les Juifs, le souverain Maître exige-t-il moins de reconnaissance, et la dîme qu'il s'est réservée sur les jours de l'homme doit-elle être payée avec moins de fidélité ? Le fils du Calvaire est-il moins obligé à la perfection que l'esclave du Sinaï, et le repos septénaire a-t-il cessé d'être la condition indispensable de la culture de l'âme ? S'il n'est qu'une seule manière de résoudre ces questions, il s'ensuit que l'importance extrême du sabbat sous la loi de Moïse, le dimanche la conserve sous l'Évangile. Or, nous l'avons vu, cette importance est telle, qu'il n'y a pas dans le code divin de précepte plus ancien, plus universel, plus souvent réitéré, plus fortement sanctionné, par conséquent plus fondamental, que le précepte de la sanctification du septième jour.


Si donc Religion veut dire alliance ou société de l'homme avec Dieu, lien qui unit l'homme à Dieu, il est évident que la profanation française du dimanche, c'està-dire la violation publique, générale, permanente de la condition essentielle de cette alliance, est la ruine même du divin contrat. Parmi les hommes, est-ce qu'une convention n'est pas rompue, lorsqu'une des parties en viole, même une fois, les conditions fondamentales ? Que serait-ce si, comme dans le cas présent, la violation était habituelle ?

A ce premier titre, la profanation du di-manche est donc la ruine de la Religion.


V

Ce n'est pas assez. Elle jouit de ce lamentable privilège à un second titre beaucoup plus marqué. En effet, monsieur et cher ami, vous ne trouverez pas dans le code divin de précepte dont la violation entraîne aussi infailliblement la ruine de tous les autres. Savez-vous quel fut chez tous les peuples, et si haut qu'on puisse remonter dans les annales du monde, le cri de guerre de tous les hommes dont l'orgueil entreprit de détrôner Dieu ? L'athéisme ? Non. Le déisme ? Non. La volupté ? Non ; mais la destruction du jour de la prière. Sur tous les étendards, je vois écrit ce que David y lisait déjà, il y a trois mille ans : Effaçons les jours de fête de Dieu des calendriers de toute la terre (1).  


(1) Quiescere faciamus omnes dies festos Dei a terra. (Ps.LXXIII.) Le calendrier républicain en est la preuve.


Ici, mieux qu'ailleurs, se vérifie le mot du comte de Maistre : « Le mal a un instinct infaillible : il .ne frappe pas toujours fort, mais i1 frappe toujours juste. » Supprimez le dimanche, ou, ce qui revient au même, faites qu'il soit généralement profané chez un peuple, et bientôt vous n'avez plus ni connaissance ni pratique de la Religion, ni fréquentation des sacrements, ni culte extérieur. L'expérience en est faite ; elle est palpable à toutes les mains, visible à tous les yeux.


S'il fallait en donner la raison, je dirais qu'on ne peut appeler connaître la Religion, avoir sur cette science tout à la fois si profonde et si variée les notions imparfaites reçues dans l'enfance. J'ajouterais que ces notions, nécessairement fort incomplètes, souvent écoutées légèrement, plus souvent mal comprises, sont bien vite oubliées dans le bruit de l'atelier, dans la dissipation du collége, au contact d'une société comme la nôtre, dont les habitudes, les préoccupations, les maximes sont éminemment propres à obscurcir les idées chrétiennes, et à éteindre jusqu'au sens de la foi.


Si donc, sorti de l'enfance, l'homme, quel qu'il soit, ne vient plus entendre les maîtres de la Religion, il perd, beaucoup plus vite qu'on ne peut le penser, le mince bagage de connaissances religieuses qu'il avait acquises.

Combien de fois n'ai-je pas entendu des vieil-lards, embarrassés de répondre aux questions les plus élémentaires du catéchisme, dire publiquement : « J'ai bien su cela autrefois ; mais il y a longtemps que je l'ai oublié ! »


Combien d'autres fois n'ai-je pas vu des jeunes gens, des jeunes personnes de seize à dix-sept ans, ou muets sur les choses qu'ils avaient apprises à l'époque de leur première communion, ou malheureux jusqu'au ridicule dans leurs réponses hasardées ? Or, avec la profanation du dimanche, plus d'instruction religieuse. Le temps, les moyens ou la volonté manqueront : c'est un fait évident comme la lumière du jour.


Mais supposons qu'on n'oublie point les enseignements élémentaires qu'on a reçus, supposons même que ces enseignements soient complets. Dans ce cas, la profanation du dimanche n'en est pas moins la ruine de la Religion, qui ne peut plus exercer aucune influence sérieuse. En effet, on conviendra sans peine qu'il ne suffit pas de connaître en spéculation les conditions du divin contrat, il faut les méditer, les méditer encore ; ou, comme dit le législateur lui-même, les lier à son bras, les placer sur son cœur, afin qu'elles deviennent la règle constante de la conduite. Ce début de méditation des vérités de la Religion est la cause de tous les maux du monde (1).


Ici encore, avec la profanation du dimanche, nulle méditation sérieuse de ces vérités salutaires. Qui donc les méditera pendant la semaine ? L'ouvrier, le laboureur obligé de gagner son pain à la sueur de son front ? mais il n'en a pas le temps. L'homme d'une classe plus élevée mais le temps lui manque aussi. N'a-t-il pas pour l'occuper ses affaires, ses plaisirs, son journal ? Et puis, donnez-lui le temps : en a-t il la volonté ? En thèse générale, non, il ne l'a pas. Pour lui, non moins que pour l'homme de peine, la profanation du dimanche est donc la ruine de la Religion.


Ces considérations décisives acquièrent une nouvelle forte, si on réfléchit que l'observation du repos septenaire est plus qu'une condition fondamentale de la société de l'homme avec Dieu : elle est, en quelque sorte, cette société même. J'ai pour l'avancer la parole formelle de Dieu : Le sabbat, dit-il, est mon pacte avec les enfants d'Israël, et le signe éternel de ce pacte (2).

 

(1) Desolalione desclata est omnis terra, quia nullus est qui rccogiet corde. (Jer., xu, 11.)

(2) Pactum est sempiternum inter me et filios Israel, signumqne


Ce qu'était, sous ce rapport, le sabbat dans l'ancienne alliance, le dimanche ne l'est-il pas sous la loi nouvelle ? De là, cette locution si profondément vraie des premiers persécuteurs de l'Église à nos pères dans la foi : Je ne te demande pas situ es chrétien, je te demande si tu as observé le dimanche. La fidélité en ce point dispensait de toute autre question. Tant il est vrai, au jugement même du simple bon sens, que la sanctification du dimanche est la base de la Religion, et que la profanation du dimanche en est la ruine, c'est-à-dire que la Religion est ou n'est pas, suivant que le dimanche est ou n'est pas sanctifié.


VI

Allons plus loin. La profanation du dimanche est, encore la ruine de la Religion, parce qu'elle est une révolte ouverte contre Dieu, et une profession publique d'athéisme.

Ceci, je l'avoue, m'effraye beaucoup plus que le socialisme, dont nous sommes menacés. Quel spectacle, monsieur et cher ami, présente chaque semaine notre malheureuse patrie ! Tous les huit jours, la France se met en insurrection publique contre Dieu ! Tous les huit jours, elle jette au Tout-Puissant un insolent défi ! Quand du haut de nos vieilles cathédrales les cloches appellent à la prière, la foule reste immobile et le temple désert. Le bruit de la rue, le roulement des voitures, l'agitation du commerce, le retentissement du marteau, l'étalage des marchandises continuent comme la veille !

L'insulte n'est pas assez sanglante. Dans les pays chrétiens, on se prépare au dimanche, dès la veille, par des dispositions d'ordre et de propreté dans les maisons et dans les rues; et, si la fête est solennelle, par des jeûnes, des purifications ou des prières publiques. Voyez, dans la plupart de nos cités françaises, la sacrilége parodie de ces perpetuum. (Exod., XXI, 16, 17, etc.) choses si saintes ! Le lundi est le dimanche de la débauche et de l'impiété : il a ses premières vêpres. Lors donc que l'heure solennelle du grand sacrifice est passée, et qu'ainsi la profanation du dimanche est consommée, le mouvement extérieur se ralentit, les magasins se ferment peu à peu. A la tenue négligée du travail, succèdent les habits de fête : la foule envahit la rue.


Où vont ces hommes, et ces femmes de tout âge, libres désormais de leur temps ? Ils tiennent sans doute le chemin du temple ; là, ils vont réparer dans un repos deux fois salutaire les forces de leur corps et la santé de leur âme. Non ; enfants , prodigues, ils ne connaissent plus la maison de leur père. Où vont-ils donc ? Demandez-le aux Barrières, aux théatres, aux cabarets, aux lieux de débauche. Pour eux, les tables de l'orgie ont remplacé la table sainte ; les chants de la licence sont leurs hymnes sacrées. Le théatre est leur temple ; les danses et les spectacles leur tiennent lieu d'instructions et de prières. La nuit elle-même n'apporte pas un terme à l'immense scandale. A cette heure mauvaise, l'innocence rencontre plus souvent °la séduction ; des mystères d'iniquité s'accomplissent dans l'ombre. Le lendemain on va reprendre ses travaux, le corps usé par les intempérances de la veille, l'esprit fatigué de dissipations et d'intrigues, le cœur corrompu, l'âme poursuivie de remords, et la semaine recommence avec la malédiction de Dieu. Ainsi, par un désordre qui crie vengeance au ciel, le jour saint est le jour le plus profané de la semaine. L'outrage peut-il monter plus haut ?


Oui, il le peut. Tous les profanateurs du dimanche sont loin de retourner au travail le lundi. La plupart consacrent ce jour à l'oisiveté et à la débauche : c'est le dimanche de l'orgie, et ils le font. Mais pourquoi ce jour-là plutôt qu'un autre ? Comment ne pas voir dans ce choix je ne sais quelle inspiration satanique, qui veut, par ce rapprochement, rendre plus insultant le mépris de Dieu et de sa loi ? Je vous le répète, ce désordre m'effraye plus que le socialisme.


VII

A la crainte il ajoute la honte : il me fait rougir. Quel exemple nous donnons au monde entier ! Que doivent penser de nous les étrangers qui viennent en France, et qui voient notre scandaleuse profanation du jour sacré ? Je ne parle pas seulement des catholiques, dont nous blessons profondément le sentiment religieux, et que nous humilions cruellement par le mépris d'une religion qui est aussi la leur ; je parle des protestants.

Passez dans l'hérétique Angleterre, la métropole de l'activité et du commercé. Y verrez-vous un seul mètre d'étoffe étalé devant un seul magasin ? Non, pas un. Du moins les magasins sont-ils ouverts ? Non; si ce n'est les magasins de comestibles, et cela jusqu'à midi seulement ; et cela sans aucun étalage ; et cela même est une simple tolérance. Les voitures circulent-elles comme dans nos villes, faisant trembler les vitraux de nos églises, troublant sans cesse le calme de la prière, et rendant tout recueillement impossible ? Non ; les voitures de transport ne circulent pas ; les voitures particulières seules se montrent, et en très-petit nombre, aux heures du service religieux.


Les usines, ces immenses usines qui ont à fournir des produits à l'univers entier, fonctionnent-elles ? Non. En Écosse même, les chemins de fer oublient leur dévorante activité ; l'intérêt, le plaisir, tout s'arrête respectueusement devant la loi sacrée. Les postes, elles-mêmes, qui apportent des quatre coins du monde et qui doivent y reporter des lettres et si nombreuses et si pressées, et si importantes à tous les points de vue, les postes font-elles leur service ? Non. Ni à Londres, ni en Écosse, pas une lettre n'est distritribuée, et ne part le dimanche. Il y a une distribution unique dans les autres villes du royaume.


Mais ce temps qu'elle ôte au travail, l'Angle-terre le donne peut-être, comme nous, aux théâtres et aux cabarets ? Non. Jamais un théâtre n'est ouvert le dimanche ; jamais une taverne, pendant les heures de l'office (1).


(1) Que dans les Banlieues des grandes villes anglaises, où la foulese porte le dimanche, il y ait des désordres, nous sommes loin de le contester. Seulement le respect extérieur est gardé, la liberté respéctée et le scandale public évité : c'est immense.


Même sévérité aux États-Unis d'Amérique.

Que résulte-t-il de cet humiliant contraste? C'est que notre scandaleuse violation de la loi sacrée du repos hebdomadaire, si religieuse-ment observée dans tous les lieux qu'éclaire le soleil, met tous les peuples en défiance vis-à-vis de nous, et nous place au dernier rang de leur estime. En Europe, elle nous relègue au ban des nations civilisées; et en Afrique, au rang des chiens.

Dire que ce mépris est l'effet d'un préjugé, serait nous défendre par une injure. Aux yeux de tous les peuples, la violation publique, habituelle, générale du repos sacré, est une in-surrection périodique contre Dieu même. Or, l'horreur qu'inspire au genre humain la révolte d'un peuple contre Dieu ne fut jamais l'effet d'un préjugé. Nous obstiner à le prétendre, ce serait ajouter la sottise à l'injure, et recueillir, par surcroît, la dérision du monde entier, légitime salaire de la suffisance et de l'entêtement.


VIII

Ce mépris est d'autant mieux justifié, que notre profanation du dimanche n'est pas seulement une insurrection contre Dieu, mais une profession publique d'athéisme. Tel est son plus vrai et son plus odieux caractère. La Religion, vous le savez, est le lien qui unit à Dieu non- seulement l'homme individuel, mais encore l'homme collectif qu'on appelle peuple. Ce lien n'existe pas pour un peuple, à moins qu'il ne se manifeste par certains actes publics, accomplis en commun, au moyen desquels ce peuple témoigne sa foi comme peuple, et sa dépendance à l'égard de la Divinité.


Donc, toute nation qui n'a pas de culte public, obligatoire pour la nation, fait profession publique d'athéisme.

Les membres de cette nation peuvent avoir individuellement une religion ; mais la nation elle-même n'en a pas : elle est athée comme nation. Voilà ce qu'ont cru, ce qu'ont compris, ce que croient, ce que comprennent encore .tous les peuples du globe. Chrétiens, juifs, mahométans, païens, tous, un seul excepté : le peuple de France.


Or, ces actes du culte public, accomplis en commun et obligatoires pour la nation, exigent, de toute rigueur, un temps, un jour fixe, où, libre de tout travail, le peuple entier puisse s'assembler dans ses temples, et montrer, par des prières et des sacrifices solennels, le lien sacré qui le rattache à Dieu. Voilà encore ce que comprennent toutes les nations de la terre.


Aussi, on n'en trouve pas une qui n'ait son jour de repos et de culte public. Pour les chrétiens, c'est le dimanche; pour les juifs, le samedi; pour les musulmans, le vendredi ; pour les idolâtres d'Ormuz et de Goa, le lundi ; pour les nègres de la Guinée, le mardi; pour les Mongols, le jeudi. Chez certaines nations, dépositaires moins fidèles de la loi primitive du repos septenaire, comme les Chinois, les Cochinchinois, les Japonais, on trouve le commencement de l'année, plusieurs nouvelles lunes, et même le 15 et le 28 de chaque mois, consacrés au culte solennel de la Divinité (1).


(1) Voyez Lamothe le Vayer, t. XII, épit. II : ps. 32.


Donc, tout peuple qui n'a pas de jours légalement réservés au culte national est un peuple qui n'a pas de nom religieux parmi les peuples : il n'est ni chrétien, ni juif, ni mahométan, ni païen il est quelque chose de monstrueux : il est athée.


IX

Profanation du dimanche veut dire ruine de la Religion : telle- est, monsieur et cher ami, la proposition que j'avais à établir dans mes premières lettres : la tâche me semble remplie. Avant de finir, jé veux appeler un instant votre attention sur ces deux mots : ruine de la Religion !

Envisagée sous ce premier rapport, comprend-on bien toute la gravité de la question qui nous occupe ; ou, si vous aimez mieux l'inexprimable gravité du désordre que nous combattons ? En présence de ce qui se passe en Europe, et plus'encore dans l'appréhension de ce qui nous menace, est-il besoin de redire la nécessité absolue. de la Religion et la coupable démence de ceux qui la détruisent ?


Qui dit ruine de la Religion, dit : rupture du lien qui unit l'hommeà Dieu, négation de Dieu, négation de la Providence, négation de l'autorité, négation de la société, négation de la fa-mille, négation de la propriété, négation de la moralité des actes humains.

Qui dit ruine de la Religion, dit : anarchie dans les intelligences, anarchie dans les cœurs, anarchie dans les faits ; doutes, ténèbres, angoisses, sensualisme, égoïsme, orgueil, révolte; fièvre de l'or, fièvre du plaisir, déchaînement complet de toutes ces bêtes furieuses qu'on appelle passions, et dont le repaire immonde est le cœur de chaque homme.

Qui dit ruine de la religion, dit : pouvoirs sans droit, institutions sans fondements, autorité sans respect, société sans défense ; privations sans dédommagements, sacrifices sans récompense, douleurs sans consolations démence, désespoir, suicides, révolutions, pillages, despotisme, bouleversements, barbarie, chaos.

Qui dit ruine de la Religion, dit, en un mot : dégradation de l'homme jusqu'au niveau de la bête, et au-dessous.


Agréez, etc.


IVe LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DE LA SOCIÉTÉ

14 avril.


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Avec vous, comme avec tout homme habitué à réfléchir; je pourrais m'en tenir à ce qui précède, et ma thèse entière n'en serait pas moins établie.

Quand il est prouvé que la base d'un édifice est détruite, n'est-il pas évident que toutes les parties de l'édifice sont condamnées à une ruine inévitable ? Toutefois, il est bon d'aller plus loin, afin de montrer aux plus aveugles l'influence directe, spéciale et fatalement irrésistible de la profanation du dimanche sur toutes les ruines, énumérées en tête de notre correspondance. Ainsi, comme je l'ai annoncé, profanation du dimanche veut dire ruine de la société.


II

Par cela même que la profanation du dimanche est la ruine de la religion, elle est aussi la ruine de la société ; car il n'y a pas de société sans religion. Cela pour deux raisons entre mille : la première, parce qu'il n'y a pas de société possible sans sacrifice de l'intérêt privé à l'intérêt public. La seconde, parce qu'il n'y a pas de société sans autorité.


D'abord, il n'y a pas de société possible sans sacrifice de l'intérêt privé à l'intérêt public. Prenez n'importe quelle agrégation d'hommes qui veulent vivre ensemble, un atelier, par exemple. Vous vous adressez au premier ouvrier qui se présente, et vous lui dites. « Ton intérêt privé, ta volonté personnelle, tes désirs, tes caprices, tes goûts sont la règle unique de tes actions ; tu n'es jamais obligé d'en faire le sacrifice au bien des autres. » Vous tenez le même langage au second, au troisième, à tous; et vous ajoutez : « Voilà votre charte, vivez en société »

Que vois-je ? l'heure du travail a sonné. Nul n'arrive. « Pourquoi es-tu en retard ? demandez-vous au plus diligent. » - « Parce que cela me Plaît ; mon intérêt privé est la règle suprême de ma conduite ; je suis libre d'en faire ou de n'en pas faire le sacrifice. » Tous font la même réponse ; les uns travaillent, les autres jouent, et, le lendemain, l'atelier est fermé.

Je prends l'armée. On assiège une forteresse ; le général désigne un régiment pour monter à l'assaut. Le régiment demeure immobile. « Pourquoi ne marchez-vous pas ? - Notre intérêt personnel avant tout ; et notre intérêt personnel est de vivre. Pas si fous que d'aller joncher de nos cadavres les fossés de la place ! » Les autres régiments sont successivement commandés, tous font la même réponse. Le général brise son épée, et s'éloigne au plus vite ; l'armée n'existe plus.

Je prends enfin la société elle-même. Je vois un nombre infini de professions pénibles, peu lucratives, peu honorées. Or, il arrive qu'un jour toutes ces professions se disent entre elles : « Assez longtemps nous avons porté le poids du travail ; à d'autres la fatigue, à nous le repos. » Et toutes se mettent en grève. La charrue, dirigée par les mains intelligentes du laboureur, ne déchire plus le sein de la terre ; l'enclume ne retentit plus sous le marteau du forgeron ; le bois ne se façonne plus eu meubles de toute espèce sous les doigts de l'ébéniste ; le maçon renonce à son équerre, et le plâtrier à sa truelle.

« Mes amis, pourquoi ne travaillez vous plus ? — A chacun son tour. — Mais, que prétendez-vous faire ? — Rien, si bon nous semble. Notre intérêt personnel avant tout : nous ne connais-sons d'autre loi que celle-là. Tout au plus nous accepterons d'être représentants du peuple, préfets, magistrats, généraux, ambassadeurs et surtout rentiers. — C'est votre dernier mot ? — Vous l'avez dit.

Mais sans travail, comment vivrez-vous ? — Nous partagerons. » Le lendemain j'entends le canon qui mitraille les insoumis et les partageux, apprenant aux uns et aux autres par des arguments irrésistibles, qu'il n'y a pas de société possible sans sacrifice de l'intérêt privé à l'intérêt public.


III

On le voit, monsieur et cher ami, la loi du dévouement est la grande loi de l'humanité. Mais le moyen d'obtenir ainsi de l'ouvrier, du soldat, du citoyen, quelle que soit d'ailleurs sa profusion, le sacrifice constant de son intérêt privé à l'intérêt public, sacrifice qui va quelquefois jusqu'à la ruine de la santé et à l'effusion du sang ? Il n'en est qu'un seul : la Religion. Pourquoi ? Parce que la Religion seule offre dans ses récompenses éternelles une compensation suffisante pour payer tous les sacrifices : comme les supplices éternels dont elle menace le méchant suffisent seuls pour enchaîner les passions terribles qui rugissent au fond du cœur de l'homme. Inutile de vouloir prouver par des raisonnements une vérité, que l'expérience des nations modernes élève au-dessus de toute contestation.


IV

Eh bien ! que fait la profanation du dimanche ? Plus que toute autre doctrine, plus que tout autre scandale, elle empêche fatalement la Religion d'exercer sur le mondé cette influence victorieuse et indispensable à la société. D'une part, il est évident que la Religion ne saurait exercer cette influence à moins d'être connue et méditée. Mais j'ai prouvé qu'avec la profanation du dimanche, la Religion ne sera jamais ni connue ni méditée. D'autre part, il n'est pas moins évident que la Religion ne saurait avoir l'influence dont nous parlons, si chaque dimanche on vient donner un démenti public à ses enseignements sur la nécessité du sacrifice et du dévouement, en vue des récompenses et des châtiments futurs.


Or, que dit aux populations la profanation publique du dimanche ? « Le ciel, c'est le plaisir; l'instrument du plaisir, c'est l'argent : gagner de l'argent à tout prix, c'est toute la Religion. Ainsi nous le croyons, nous les favoris de la fortune, propriétaires, négociants, industriels, nous les vrais saints de l'unique paradis. Peuple, vois-nous à l'œuvre. Pour nous pas de jours de repos. Nous travaillons et nous faisons travailler ; nous vendons et nous faisons vendre ; nous achetons et nous faisons acheter le dimanche comme les antres jours. Fais comme nous ; le temps est compté, hâte-toi. Un jour perdu par semaine te donne cinquante-deux chances de malheur par an. — Mais la Religion défend le travail du dimanche, sous peine de perdre le ciel et de mériter l'enfer ? — Le ciel ! l'enfer ! sont des contes de nourrice ; bons pour égayer ou effrayer les enfants. »

Voilà, monsieur, ce que prêche littéralement tous 1es huit jours sur tous les points de la France, la profanation du dimanche. Et dans quel langage ? Dans le langage le plus populaire et le plus éloquent, le langage de l'exemple. Et par qui ? Par des hommes qui s'intitulent conservateurs, qui se disent le grand parti de l'ordre, comme si l'ordre n'était pas le respect des lois, et comme si la première loi à respecter n'était pas celle qui est la base de toutes les autres, la loi divine ! Si l'esprit d'aveuglement et de vertige est le précurseur de-la chute des nations, que penser de notre avenir ?

Quoi ! le culte de l'or poussé jusqu'au mépris public et national des préceptes et des dogmes du christianisme, toutes les espérances de l'homme concentrées sur la terre, le plaisir présenté comme but suprême de la vie ; connaissez-vous rien de plus incompatible avec l'esprit de sacrifice indispensable à la société ? Rien qui l'attaque plus directement ? Rien qui le tue plus infailliblement ? Telle est pourtant la profanation du dimanche. Avais-je tort de vous la signaler comme la 'ruine de la société ? Ai-je tort d'ajouter qu'il n'est pas de moyen plus sûr et plus prompt de matérialiser une nation et de la conduire au socialisme ?


Voyez, en effet, la conséquence que les classes ouvrières ont tirée de ce scandaleux sermon.

Avides de jouissances, et incapables de parvenir par le travail au paradis du plaisir, elles ont dit : « Puisque le ciel et l'enfer de la Religion ne sont que des mots, notre destinée s'accomplit donc ici-bas. Le travail est pénible, il est ingrat ; le temps est court. Pendant que nous travaillons, il en est qui se reposent; ils jouis-sent, pendant que nous souffrons. Quoi de plus injuste que les uns aient tout et les autres rien ? La justice est de partager, partageons ! »

Ainsi procède ta logique des peuples. Qui osera dire qu'elle n'est pas rigoureuse, et niera cette proposition : Si la profanation du dimanche n'est pas la mère du socialisme, elle en est la nourrice ?


V

J'ai indiqué, en commençant ma lettre, une seconde raison pour laquelle la profanation du dimanche est la ruine de la société, savoir qu'il n'y a pas de société sans autorité. Il va de soi que si, dans un atelier, dans une famille, dans une nation, tout le monde veut être maître, il n'y a plus de société possible. Il faut une autorité, il la faut partout.

Mais qu'est-ce que l'autorité? C'est le droit de commander, le droit d'être obéi. D'où vient à l'homme le droit de commander ? De lui-même ? Non ; car tous les hommes sont égaux par nature. De la société ? Non; car la société, n'étant qu'une réunion d'hommes, n'a pas plus par elle-même le droit de commander qu'un seul homme.

Si la racine du droit était en elle, la règle du bien et du mal y serait aussi. Il faudrait admettre comme vrai le monstrueux sophisme de Rousseau, et dire que le peuple est la seule autorité qui n'a pas besoin d'avoir raison pour légitimer ses actes. Sans doute, la société peut parler au nom de la force, mais la force seule n'est pas l'autorité, c'est le despotisme. De qui vient donc l'autorité et toute espèce d'autorité ? Elle vient de Dieu, et de Dieu seul : Non est potestas nisi a Deo (1).


(1) Rom.XIII.


Dans ce mot, un des plus importants de nos divines Écritures, est la raison du droit.Oui, toute espèce d'autorité vient de Dieu : autorité sacerdotale, autorité royale, autorité législative, autorité judiciaire; autorité paternelle : Non est potestas nisi a Deo. Toutes les fois qu'un homme, quel que soit son nom, prêtre ou roi, chambre, sénat, tribunal, père ou garde champêtre, vient me commander, si je n'entends pas dans sa voix la voix de Dieu, je me révolte. Je crie au despotisme, et, s'il m'impose des fers, je n'aspire qu'au moment de m'en débarrasser et de les lui briser sur la tête.

Il est donc d'une évidence palpable que tous les hommes dépositaires d'une autorité quelconque, que tous les citoyens à qui l'autorité est aussi nécessaire que le pain, n'ont pas de devoir plus sacré que de faire respecter et, de respecter eux-mêmes l'autorité de Dieu ; autrement toutes les autres autorités perdent leur puissance, parce qu'elles perdent leur droit : et sans autorité la société est impossible.


VI

N'admirez-vous pas ici la naïveté de nos honnêtes gens, de nos bons représentants, de nos bons propriétaires, de nos bons bourgeois, de tous ceux qui, parmi nous, ont quelque chose à conserver ? Vous n'en rencontrez pas un qui ne se lamente sur l'esprit général d'insubordination, de révolte, de cupidité, de jalousie et de mépris pour toute autorité, et qui ne tremble pour l'avenir. Or, tout en exprimant ses doléances et ses alarmes, vous voyez ce même honnête homme saper par sa con-duite le peu qui lui reste d'autorité, en sapant, aux yeux de ses domestiques, de ses enfants, de ses voisins et de ses amis, l'autorité de Dieu et de son Église. Conservateur de nom, comment ne s'aperçoit-il pas qu'il est révolutionnaire de fait, et révolutionnaire de la pire espèce ? Peut-on perdre le sens au point de ne plus comprendre que L'UNIQUE. MOYEN D'OBTENIR LE RESPECT DE SES INFÉRIEURS, C'EST DE RESPECTER SOI-MÊME SES SUPÉRIEURS ?


VII

Maintenant, monsieur et cher ami, je vous le demande, qu'est-ce que la profanation du dimanche publique, générale, habituelle, comme la France en offre le spectacle, tous les huit jours, depuis quatre-vingts ans ? N'est-ce pas le mépris public, général, habituel, national de l'autorité de Dieu, de l'autorité de Dieu dans un point fondamental, respecté religieusement par toutes les nations civilisées ? Et vous voulez que le peuple, auquel on donne chaque semaine cette leçon publique de mépris insolent pour l'autorité de Dieu, base de toutes les autres, vous voulez que ce peuple en respecte aucune ?


Que diriez-vous d'une armée dont les officiers,de tout grade donneraient, chaque dimanche, l'exemple du mépris pour l'autorité du général en chef, refusant publiquement d'obéir à ses ordres, faisant eux-mêmes et laissant faire à leurs soldats positivement le con-traire ? Vous diriez, et avec raison, que cette armée va tomber dans l'anarchie ; vous diriez que les officiers, en ébranlant l'autorité de leur chef ; ébranlent la leur; vous diriez que si, au jour de la révolte, ils sont insultés et chassés honteusement, ils ne font que recueillir ce qu'ils ont semé.


VIII

Ce raisonnement s'applique de tout point à la profanation du dimanche, et il implique cette conséquence nécessaire, savoir : qu'en livrant chaque semaine au mépris des populations l'autorité de Dieu, la profanation du dimanche y livre toutes les autres, les ébranle toutes dans leur base, et conduit inévitablement à la ruine de la société, dont l'autorité est la condition indispensable. Telle est l'extrémité fatale à la-quelle nous touchons.

Aujourd'hui plus d'autorité debout dans le respect des peuples : ni autorité pontificale, ni autorité royale, ni autorité législative, ni autorité paternelle. Une fois enhardi à porter le marteau sur la base de l'édifice, ce monde a tout abattu, et il continue de frapper ; et, à la place d'une hiérarchie régulière,, on voit s'agiter vers un brutal niveau une multitude d'atomes humains, poussés par un désir effréné de jouissances, qu'aucune puissance humaine ne peut ni modérer ni satisfaire.


D'où vient cette anarchie formidable qui con-duit le monde à la barbarie ? De l'adoration de la matière et du mépris de l'autorité ? Quel est tout ensemble l'excitateur le plus populaire et le signe le plus expressif de cette adoration et de ce mépris ? Je n'hésite pas un instant à répondre : c'est la profanation du dimanche ; car, jouir et mépriser, telle est sa signification.


Telle est aussi, je le sais, la signification de tout discours, de toute parole, de tout acte privé ou public contre la loi divine ; mais tout discours n'est pas lu, toute parole n'est pas entendue, tout acte privé n'est pas vu, tout acte publie n'est pas permanent. Il en est autrement de la profanation française du dimanche. Tous la voient, tous la comprennent, et cela constamment; car toutes les semaines elle élève la voix, et d'un bout de la France à l'autre, elle crie à tout le peuple : « Jouis et méprise ! »

Ce n'est pas tout : non-seulement la profanation du dimanche ébranle directement la société, parce qu'elle est une révolte ouverte contre l'autorité, et une prime donnée à l'adoration de la matière ; mais encore parce qu'elle est la cause d'attaques innombrables contre toute espèce d'autorité. Le cabaret est la conséquence inévitable de la profanation du dimanche.


Qu'est-ce que le cabaret, au point de vue du respect de l'autorité et de la tranquillité publiques? Le cabaret, c'est le club en permanence; pas une autorité divine ou humaine qui n'y soit attaquée, moquée, chansonnée, jetée dans la fange de l'orgie (1). Or, on compte en France 332,000 cabarets. La profanation du dimanche remplit donc chaque lundi 332,000 clubs sur tous les points de l'Empire, Avec cela, dites-moi si un peuple est gouvernable ? Sans attendre votre réponse, j'affirme qu'avec une pareille machine de guerre, il n'y a pas de société qui résiste.


IX

Je me demande maintenant si les hommes chargés de nous défendre savent bien ce que, pour une nation chrétienne, signifient ces deux mots : ruine de la société. A voir l'indifférence des uns et l'inintelligence des autres (2), il est permis d'en douter, et ce doute n'est pas ce qu'il y a de moins effrayant dans notre situation. Qu'attendre d'un malade que le médecin se contente de plaindre, ignorant ou la nature du mal ou la nature du remède nécessaire à la guérison ?


(1) En ajoutant les cafés et les autres établissements ou l'on vend des liquides, on arrive, d'après les dernières statistiques, au chiffre monstrueux de 550,000.

(2) Après la Révolution de 1848, le gouvernement effrayé des dangers qu'avait couru l'ordre social, fit fermer des milliers de cabarets; depuis quelques années on en laisse ouvrir tant qu'on veut. Ô sagesse !


Eh bien, il faut le dire, le mal qui nous dévore est dans les âmes ! La Religion seule peut le guérir. La profanation du dimanche étant la ruine de la Religion entraîne la ruine de la société qui devient impérissable. Or, pour nous, la ruine de la société, ce n'est pas seulement le paganisme, c'est la Barbarie.


Comme celle des, individus, la chute des nations se mesure à la grandeur des vérités et des grâces dont elles abusent : corruptio optimi pessima. Si, pour avoir abusé des lumières de la révélation primitive, le monde ancien dut tomber dans l'abjection du paganisme, le monde actuel, contempteur superbe des lumières de l'Évangile et du sang du Calvaire, doit tomber plus bas que le paganisme : il doit rouler jusqu'à la barbarie. Déjà cette barbarie, sans exemple dans l'histoire, envahit les idées. Il faut que les plus grandes intelligences de l'époque prennent sérieusement la défense des vérités et des droits les plus élémentaires de toute société ; droits et vérités qui furent toujours sacrés chez les peuples païens, qui le, sont encore chez les nations barbares et même chez les hordes sauvages : Dieu, la distinction du bien et du mal, la famille, la propriété, l'homme.


Or, quand la barbarie est dans les idées, son passage dans les mœurs et dans les faits n'est plus qu'une question de temps. Quand, du sommet des hauteurs où il s'est formé, le torrent impétueux est déjà descendu à mi-côte de la montagne, soyez-en sûrs, à moins d'un miracle, il sera bientôt dans la plaine. Voilà ce qui nous menace, ce qui nous arrivera, aussi infailliblement que la nuit au déclin du soleil, si on ne se hâte d'élever la seule digue capable de prévenir la dernière catastrophe. Cette digue, c'est la foi; et ce qui doit être l'application immédiate, l'application sociale de la foi, c'est la sanctification du dimanche. L'Europe le comprend-elle ?


Agréez, etc.


Ve LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DE LA FAMILLE

13 avril.


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Ce que vous me dites dans votre réponse de l'inintelligence du pays légal, n'a rien qui doive étonner. Notre pays légal n'est pas chrétien ; ce qui veut dire, je lui en demande pardon, qu'en fait de lois sociales, de salut social, de progrès social, il est aveugle et impuissant. Le mot est aussi vrai qu'il est vieux, et il a trois mille ans ; s'il le trouve dur, il peut s'en prendre à celui qui l'a prononcé. « Vains sont tous les hommes politiques et autres, ou qui n'est pas la science de Dieu (1). »


(1) Vani enim sunt omnes homines in quibus non subest scientia Dei. (Sap. XIII, I.) -- Nisi Dominus ædificaverit domum, etc., Ps

.

En attendant, je le répète, c'est le malheur et le châtiment des peuples matérialistes de perdre la connaissance des lois fondamentales des sociétés. L'homme sans foi religieuse ne sait pas que la société est un fait divin ; un fait qui subsiste en vertu des lois que l'homme n'a pas établies, et auxquelles il ne peut toucher sans produire un ébranlement ou une ruine. Il croit, au contraire, qu'il lui est donné de faire une société, comme à l'architecte de bâtir une maison ; de soutenir la société chancelante avec des lois de sa façon, comme on soutient une masure avec des étais.

Cerces, si les lois humaines pouvaient seules assurer l'existence d'une nation, jamais nation n'aurait eu de gage plus positif de longévité que la France moderne. Plus de soixante-dix mille lois et décrets : quelle source de vie ! quelle garantie de prospérité ! Il n'en va pas ainsi; malgré toutes les lois humaines si nombreuses et si savamment élaborées qu'elles soient, la violation d'une seule loi divine suffit pour amener une série de ruines partielles, qui finissent tôt ou tard par une ruine complète.

A l'exemple que je vous en ai donné dans ma dernière lettre, je vais en ajouter un second, et montrer non pas à vous, monsieur le représentant, qui le savez, mais à plusieurs de vos collègues qui ont l'air de l'ignorer, que la profanation du dimanche est la ruine de la famille.


II

Rien de plus nécessaire, rien de plus délicieux, rien de plus honorable que la famille : voilà qui est vrai toujours. Mais, dans les temps actuels, où la société est divisée en mille partis qui se détestent, en attendant qu'ils se déchirent, la famille est le seul bien commun qui reste à l'homme. Si donc j'établis avec la dernière évidence que la profanation du dimanche détruit cette chose si indispensable, si sainte et si douce, sera-t-il besoin d'autre motif pour ramener immédiatement le repos sacré du septième jour ? Eh bien ! oui ; la profanation du dimanche est la ruine de la famille. En effet, il n'y a pas de famille, sans la pratique des devoirs qui la constituent, et sans le lien qui unit les membres qui la composent.


III

Élément primitif de l'Église et de l'État, la famille a pour but d'alimenter l'une et l'autre, en entretenant le fleuve des générations humaines. A l'église, elle donne des fidèles : à l'État, des citoyens. De là, des devoirs religieux et des devoirs civils. Ces devoirs sont les lois qui unissent entre eux les membres qui la composent : devoirs de nourrir, d'instruire, de surveiller, de reprendre et d'édifier, de la part du père et de la mère ; et, de la part des enfants, devoirs de respecter, d'aimer, d'obéir, d'assister les auteurs de leurs jours. La connaissance de ces devoirs sacrés, c'est la religion qui la donne, comme elle donne le dévouement nécessaire pour les accomplir. Faites maintenant que le dimanche soit profané par tous les membres ou seulement par le chef de la famille, aussitôt c'en est fait des devoirs qui la constituent.


IV

En effet, plus d'assistance commune aux instructions qui apprennent à tous les membres de la famille leurs obligations réciproques.

Instructions nécessaires au père, à qui elles redisent, et cela en présence de tous les fidèles, en présence de sa femme et de ses enfants, qu'une grande dignité lui est conférée, mais qu'une grande responsabilité pèse sur lui; qu'il est revêtu de la double autorité du sacerdoce et de l'empire, non pour être un despote, mais le ministre de Dieu pour le bien ; qu'il doit, image vivante de Dieu, commander, reprendre, gouverner sa maison avec sagesse et équité, comme Dieu lui-même gouverne le monde.

Instructions nécessaires à la mère, à qui elles redisent, et cela en présence de tous les fidèles, en présence de son mari et de ses enfants, que sa vie doit être un dévouement de tous les jours et de toutes les heures ; qu'elle-même doit être l'ange de la,soumission, de la pudeur, de la clémence, de la charité, du travail et de la paix, afin de diriger l'intérieur de sa famille, comme la Providence elle-même dirige toutes choses par la double puissance de la douceur et de la force.

Instructions nécessaires au père et à la mère, à qui elles redisent, et cela en présence de tous les fidèles, en présence de l'un et de l'autre et de leurs enfants, que la religion et la société ont les regards fixés sur eux ; que leurs enfants sont un dépôt sacré, et qu'il leur en sera demandé compte sang pour sang.


Instructions nécessaires aux enfants, à qui elles redisent, et cela en présence de tous les fidèles, en présence de leurs pères et mères, de leurs frères et sœurs, qu'ils ont, sous peine de crime devant Dieu et devant les hommes, et de malheur en ce monde et en l'autre, quatre devoirs sacrés à remplir envers leurs parents : le respect, l'amour, l'obéissance, l'assistance spirituelle et corporelle avant et après leur mort.


V

Que ces instructions viennent à cesser, et sur-le-champ la connaissance des devoirs de la fa-mille s'affaiblit, pour n'être bientôt qu'un vague souvenir sans influence sur la conduite.La sainte dignité de leur mission est oubliée par les parents. À leurs yeux l'enfant n.'est plus un candidat du ciel, mais un citoyen de la terre, mais un petit de l'espèce humaine. Ils croiront avoir accompli toute justice, lorsqu'ils auront soufflé au cœur de leurs fils et de leurs filles l'amour des biens de ce monde, en leur procurant les moyens de le satisfaire : c'est-à-dire lorsqu'ils auront formé des recrues au socialisme et au communisme, terme final auquel aboutissent, nécessairement, par une route ou par une autre, les tendances de l'homme sans espérance au delà du tombeau.


Alors du foyer domestique s'échappent des essaims d'êtres malfaisants, et d'autant plus dangereux que rien dans leur âme ne répond aux grandes notions de devoir de sacrifice et de vertu. Comment la société, dans laquelle ils entrent ainsi préparés, ne ressentirait-elle pas profondément le contre-coup des principes de désordre qu'ils lui apportent ?


Et puis, la con-naissance des devoirs ne suffit pas : il faut le courage de les accomplir. Or, nuls devoirs n'exigent autant de dévouement, de sollicitude, de sacrifices, de persévérance, c'est-à-dire de véritable courage, que les devoirs de la famille. Dieu seul peut le donner et le soutenir. Le donnera-t-il si l'on ne daigne pas même le lui demander ? et le demande-t-on sérieusement, quand on profane le jour consacré à la prière ?


Hélas ! les parents profanateurs du dimanche ne prient ni ce jour-là ni les autres, et bientôt les enfants eux-mêmes ne prient plus. Mais sans prières, et surtout sans prières en commun au pied des saints autels sans participation commune au banquet divin ; sans édification mutuelle, par conséquent sans la grâce divine, que devient le courage chrétien, que devient la famille ?


Les mauvais instincts, inhérents à la nature humaine reprennent l'empire, et vous avez des pères durs, emportés, capricieux, insouciants, débauchés ; vous avez des mères molles, impatientes ; mondaines, paresseuses et trop souvent infidèles ; vous avez des enfants irrespectueux ! insoumis, libertins, sans affection ; dévorés du désir de l'indépendance ; et, au, lieu d'abriter un paradis, le toit domestique ne couvre qu'un enfer : la famille n'existe plus.


Ce n'est point ici une supposition gratuite, c'est un fait connu ; un fait dont le plus obscur village de la plus obscure province présente la triste preuve ; un fait que toutes nos villes vous offrent vingt fois dans la longueur d'une rue ; un fait qui se révèle chaque jour par des querelles, des divisions, des procès scandaleux, des blasphèmes, des larmes, des traits d'ingratitude et de dureté qui font trembler et rougir.


VI

Combien de fois, monsieur et cher ami, n'avez-vous pas été frappé de ce symptôme de décadence qu'offre, parmi nous, la société domestique ! L'insubordination y semble à l'ordre du jour, et j'avoue que c'est pour moi un des présages les plus certains de la ruine prochaine dont sont menacées les nations vieillies de l'Europe méridionale. L'état de la famille détermine l'état des sociétés.


Jusqu'à un certain point, les États peuvent exister sans mœurs publiques, mais non sans mœurs domestiques : témoins deux grands faits qui n'ont point échappé à. vos méditations. Le premier appartient au monde antique, le second subsiste encore : je veux parler de l'empire romain et de l'empire chinois.


Je me suis souvent demandé quel était le lien social qui avait maintenu si longtemps ces deux colosses.à l'état de nation ?

Si je considère la religion, la législation, la justice, les mœurs publiques de ces deux peuples, loin de trouver des principes de vie, je vois partout les germes les plus actifs de dissolution. Le matérialisme le plus grossier y pénètre tout, y domine tout, y tient lieu de tout ; si bien que le Chinois d'aujourd'hui vous dira qu'il est sur la terre pour manger du riz, comme le Romain d'autrefois disait qu'il y était pour manger du pain et assister aux jeux du cirque : panem et circenses.


Néanmoins, toute chose a sa raison d'être. Où trouver celle de ces deux gigantesques empires ? Uniquement dans le respect de l'autorité paternelle, c'est-à-dire dans le lien domestique. Nulle part, vous le savez mieux que moi, ce lien ne fut plus étendu, plus fort, plus sacré. Quand il se rompit, l'empire romain tomba en poussière ; quand il se rompra dans le Céleste-Empire, nous verrons la même catastrophe.


VII

Mais la profanation du dimanche n'est pas la ruine de la famille seulement parce qu'elle conduit à l'ignorance et à l'oubli des devoirs qui la constituent, elle l'est encore parce qu'elle brise le lien qui unit les membres qui la composent. Connaît-on bien la vie des artisans, des ouvriers, et de la plupart des habitants des campagnes, c'est-à-dire des trois quarts des hommes ?,Avant le jour, le chef de la famille est debout. L'heure du travail l'appelle ; il sort de sa maison sans avoir vu sa famille, qui repose encore dans les bras du sommeil. Deux fois le jour, il vient prendre, en courant, la nourriture nécessaire au soutien de ses forces. Alors ses enfants sont absents, retenus à l'école ou au travail, et il ne les voit ni ne leur parle ; s'ils sont présents, il ne les voit, il ne leur parle qu'à la hâte.


Le soir arrive; et le père — succombant à la fatigue —, s'empresse d'aller chercher dans un sommeil réparateur la vigueur indispensable au travail du lendemain. D'autres fois, une course nécessaire ; ou l'entraînement des camarades, lui enlève les quelques instants dont il pourrait disposer en faveur de sa famille. Il en est à peu près de même de cette classe, aujourd'hui fort nombreuse, d'hommes employés dans les comptoirs du commerce, dans les compagnies de chemins de fer, ou dans les bureaux des administrations de l'État.


Or, cette absence, cette séparation de la famille a lieu tous les jours de la semaine, depuis le commencement de l'année jusqu'à la fin avec la profanation du dimanche, elle devient perpétuelle. Dans ce cas, le père et la mère ressemblent aux animaux sauvages, dont l'un est en course dès le matin pour chercher la pâture aux petits, tandis que l'autre nettoie la caverne et protège la jeune progéniture, jusqu'à ce que celle-ci, devenue plus forte, quitte elle-même la demeure où elle est née, et oublie sans retour les auteurs de son existence. Tel est le rôle dégradant auquel la profanation du dimanche condamne la chose la plus sainte, la plus noble du monde, la famille,


VIII

Le saint repos du dimanche est seul capable de l'y soustraire. Ce jour-là, tous les membres de la famille, libres de travail, peuvent passer ensemble de précieux instants. Le père peut à loisir interroger ses enfants, les faire causer, étudier leur caractère, leurs défauts, leurs bonnes qualités ; encourager les uns, reprendre les autres, donner à tous d'utiles conseils, puisés soit dans les confidences de la mère, soit dans les aveux qu'il a reçus des enfants eux-mêmes, soit dans les instructions de l'Église, soit dans une lecture utile et agréable faite en commun. Il peut s'enquérir sérieusement, et non à la légère, auprès de leurs maîtres et de leurs maîtresses, de leur aptitude, de leur conduite, de leurs fréquentations, de leur exactitude à l'école ou à l'atelier ; en un mot, il peut accomplir le plus doux comme le plus sacré de ses devoirs, l'éducation de ses enfants.


De leur côté, les enfants, voyant, d'une part, leur père respectueusement soumis au Père qui est dans les cieux ; d'autre part, sa sollicitude et sa bonté, apprennent à le mieux connaître, à le respecter plus religieusement, à le craindre, de cette crainte si bien nommée la crainte filiale.


En devenant plus chrétien, le lien de famille devient et plus doux et plus fort. Pour tous, l'intérieur du foyer domestique prend un nouvel attrait, gage précieux de la concorde et sauvegarde des mœurs.


Ce résultat est infaillible surtout lorsque la journée, sanctifiée par l'assistance commune aux offices de la paroisse, se termine par de visites, faites ou reçues, aux différents membres de la famille, par des promenades agréables, par des jeux innocents, et par ces soupers à jamais regret tables, qui réunissaient autour d'une table, simplement servie, plusieurs générations de parents et d'amis. Toutes ces joies si morales et si vives, les seules, hélas ! auxquelles on puisse prétendre aujourd'hui, deviennent le fruit de la sanctification du dimanche. Avec la profanation du dimanche, au contraire, rien de tout cela n'est possible. J'ai donc eu raison, pour ce nouveau motif, de dire qu'elle est la ruine de la famille, puisqu'elle en brise le lien, comme elle en fait oublier les devoirs.


Agréez, etc.


VIe. LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DE LA LIBERTÉ

23 avril.


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Auriez-vous la charitable et très-intéressante fantaisie d'égayer un nombre de vos collègues et de jouir de leurs gros rires d'incrédulité ; ou, mieux encore, seriez-vous dominé du désir de vous entendre appeler réactionnaire, et moi jésuite ? En ce cas, je vais vous indiquer l'infaillible moyen de réussir à l'un et à l'autre. Communiquez à messieurs tels et tels, qui siègent sur la montagne rouge, et même sur la montagne blanche, cette lettre, où j'ai la prétention d'établir que la profanation du dimanche est la ruine de la liberté.

Comme je dois m'attendre à opérer sous un feu croisé d'objections, vous ne trouverez pas mauvais que je commence par me mettre à couvert. Dans les guerres de discussion, le vrai bouclier c'est la logique. Pour être de bon aloi, la logique doit procéder de définitions inattaquables et se développer en inductions rigoureusement enchaînées les unes aux autres ; c'est ainsi que la rose sort du bouton, et le bouton de la graine. Mes préliminaires établis, j'arrive aux définitions et je demande : Qu'est-ce que la liberté ? quelles en sont les limites ? quelle en est la base et la condition ?


II

Nous pouvons bien dire de la liberté, mon-sieur et cher ami, ce qu'on a dit d'une institution célèbre : « Beaucoup en ont parlé, mais bien peu l'ont connue. » D'abord, il existe par le monde, à l'heure qu'il est, des millions d'hommes qui regardent la liberté comme le droit de faire tout ce qu'on veut. S'il en était ainsi, je me hâterais de prendre mon bâton et mon bréviaire, et j'irais habiter l'empire de la lune ; et cela pour une excellente raison : c'est que la terre serait inhabitable.

Admettons, en elle, que la liberté soit le droit pour chacun de dire et de faire tout ce qui lui passe par l'esprit, sans autre règle que ses caprices ; supposons ensuite un pays jouissant de cette heureuse liberté. Voici un homme qui déchire votre réputation, comme l'animal affamé déchire sa proie. Vous lui en demandez la raison. — La raison ? c'est que cela me plaît et que je suis libre de le faire. — Ah ! tu es libre de déchirer ma réputation, et cela te plaît ! Je suis donc libre, moi aussi, de déchirer la tienne, et j'y trouve mon plaisir. Et voilà deux citoyens qui, en vertu de la liberté, se disent toutes les injures imaginables.


En voici un autre qui, s'approchant d'un air caressant, vous donne un vigoureux soufflet et vous vole votre bourse. — Coquin ! lui dites-vous, non content de me frapper, tu me voles ?—Eh ! oui, je suis libre de le faire, et cela me plaît. — Ah ! tu es libre de me souffleter et de me voler !Je suis donc libre, moi aussi, de te rendre la pareille, Et voilà deux citoyens qui en vertu de la liberté, se battent comme des boxeurs et se dévalisent comme des brigands. Ou la liberté donne de pareils droits, ou elle ne les donne pas. Si elle les donne, j'ai eu raison de dire que le pays-soumis à son empire est un coupe-gorge ; si elle ne les donne pas, il faut nécessairement reconnaître que la liberté se renferme dans certaines limites.


III

Quelles sont ces limites ? Avant de le dire, concluons que la liberté n'est pas, ne peut pas être le droit de tout-faire. Bien plus, quoique l'homme libre puisse faire le bien et le mal, le pouvoir de faire le mal n'est nullement essentiel à la liberté; autrement Dieu ne serait pas libre, ou sa liberté serait moins parfaite que celle de l'homme.


Autrement encore, toutes les lois des nations seraient de monstrueux attentats car toutes ont pour but d'enchaîner la puissance de faire le mal, et M. Proudhon aurait raison de soutenir que l'anarchie est l'état normal de l'homme. La liberté ne consistant ni dans le pouvoir de faire tout ce qu'on veut, ni dans la faculté de faire le mal, elle doit donc se définir : le pouvoir de faire le bien ; ou, ce que j'aime moins, le droit de faire ce qui ne nuit à personne.


Me demanderez-vous maintenant quelles sont les limites de la liberté ? Je viens de le dire : les limites de la liberté sont les droits d'autrui. Par autrui, j'entends Dieu, le prochain, et nous-mêmes, si vous le permettez. Celui-là seul est donc libre, et mérite d'être appelé tel, qui, dans ses paroles et dans ses actions, respecte tous les droits, ou, en d'autres termes, qui accomplit tous ses devoirs envers Dieu, envers ses semblables et envers lui-même. Ces devoirs ont leur raison et leur règle dans la volonté infaillible de Dieu.


De là, cette conséquence inévitable, que. l'homme ou le peuple le plus libre est celui qui rencontre le moins d'obstacles pour accomplir et qui accomplit le.plus.fidèlement la volonté de Dieu en toutes choses. Telle est la belle définition que l'Église trous donne de la liberté humaine : Servir Dieu, dit-elle, c'est régner (1).


(1) Servire Deo regnare est. Paroles du Pontifical.


IV

Or, deux obstacles permanents s'opposent à. cette puissance du bien, et tendent, par conséquent, à violer la liberté de l'homme : j'ai nommé nos propres passions et les passions d'autrui. C'est un fait que tout homme se trouve gêné dans le cercle de ses devoirs, qu'il éprouve je ne sais quelle secrète démangeaison d'en sortir, et ainsi d'usurper sur les droits de Dieu, de ses semblables et de son âme elle-même au bénéfice de son corps. Pour n'être pas vaincu, il est obligé de rester constamment sous les armes. Telle est même la violence de la lutte, que les plus braves s'écrient en gémissant : Infortuné que je suis ! je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas (1).


(1) Non en 1m quod volo bonum hoc ago, sed quod odi malum, il lud facto. (Rom., VII, 13.)


Tant que l'homme n'est point parvenu à maîtriser ses puissances fougueuses, il est esclave. En cette qualité, vous le voyez traîné, la corde au cou, vers tout ce qu'il y a d'opposé au devoir, et sa liberté ne semble plus être que le funeste pouvoir de faire le mal. Il arrive même qu'il ne la sent plus, qu'il ne la comprend plus que par là. Dans cet étrange renversement, il appelle entrave, tyrannie, despotisme, tout ce qui tend à délivrer en lui la puissance du bien, en enchaînant la puissance du mal.

Alors, quel que soit son nom, toute autorité lui pèse ; il l'insulte en lui-même, il la hait, il la maudit. Afin de lui ôter son prestige, il la livre à la dérision; et son plus ardent désir est de voir le jour, où il pourra en briser le sceptre et le fouler aux pieds. Qu'un homme, qu'un peuple qu'un monde réussisse dans cette lutte aveugle contre sa propre liberté : aussitôt les passions érigées en lois deviennent de nouveaux et redoutables obstacles à la liberté de tous. Le bien ne peut plus s'accomplir qu'au péril de la fortune ou de la vie, et le martyr seul demeure indépendant.


V

Il est donc bien évident que l'affranchissement des passions ou la liberté intérieure est la source de la liberté extérieure. Un homme, un peuple corrompu qui parle de liberté, est un aveugle qui parle des couleurs; un homme, un peuple corrompu, qui se croit libre, est un fou qui, dans le cabanon où il est chargé de chaînes, se croit le modérateur du monde ; un homme, un peuple corrompu, qui se flatte de parvenir à la liberté en renversant Dieu de ses autels, et les rois de leur trône, est un forcené qui abat les digues d'un fleuve pour empêcher l'inondation.

Non, monsieur, et mille fois non, la liberté n'eut jamais la corruption pour mère ni pour sœur ; jamais pour piédestal un pavé souillé de sang ; jamais pour garantie un chiffon de papier sur lequel est écrit, fût ce en lettres d'or : liberté, égalité, fraternité. La liberté est fille du courage et compagne de la vertu : elle a sa base dans les profondeurs du cœur. Tout cœur affranchi de la tyrannie des passions est libre ; s'il n'en est pas affranchi, il peut usurper le nom de la liberté, mais la réalité lui manque : il n'a que la licence, et la licence c'est l'esclavage.


En un mot, et dans nos temps d'illusions et de mensonge, permettez que j'insiste sur ce point essentiel la corruption est la tyrannie des vices ; la tyrannie des vices est la servitude des âmes ; la servitude des âmes est le présage infaillible de la servitude des corps. Tout peuple corrompu est esclave de droit. C'est un bétail exposé sur un champ de foire, qui n'attend que l'acheteur. Vous savez que l'Abd-el-Kader de son époque : Jugurtha, jeta cette foudroyante prédiction à la face de la Reine du monde, et Jugurtha disait vrai (1). Sa parole n'a pas vieilli, en sorte que nous devons tenir pour certain que le peuple le plus près de l'esclavage est le peuple le plus corrompu, à moins qu'il ne soit condamné à périr.


(1) Urbem Venalem,et mature perituram si emptorem invenerit. (Sallust., in .Jugurth.)


VI

Mais qui peut affranchir l'homme de la tyrannie des  passions ? Dans les lettres précédentes, nous avons dit, nous avons mieux fait, nous avons démontré qu'une seule chose en est capable : la foi. Or, il n'y a pas de foi sans religion, et il n'y a pas de religion avec la profanation du dimanche nous en avons aussi donné la preuve. Avis maintenant à notre siècle, qui ne rêve que la liberté, qui ne parle que de -la liberté, qui ne travaille que pour la liberté, qui ne peut vivre sans la liberté.

Eh bien ! dans son langage et dans son culte, il est sincère, ou il ne l'est pas. S'il est sincère, qu'il prenne donc les moyens d'arriver à la fin il les connaît maintenant. Ni les lois, ni les formes gouvernementales, ni les révolutions, ni les utopies, ni les discours, ni les agitations fébriles, ni les émeutes, ni les barricades ne changeront la nature des choses la liberté est incompatible avec la corruption ; la corruption règne partout où ne domine pas la foi ; la foi cesse de dominer partout où la loi sacrée du dimanche est méconnue : c'est à prendre ou à laisser.

S'il n'est pas sincère, je n'ai rien à lui dire le seul sentiment qu'il puisse inspirer est une profonde pitié.


VII

A ce point de vue général et comme ruine de la religion, la profanation du dimanche est donc bien réellement la ruine delà liberté. Elle l'est encore pour une raison plus directe et plus sensible. En effet, la Constitution française proclame la liberté des cultes. Si ce n'est pas un.vain mot, nul n'a le droit d'insulter au culte catholique, qui, après tout, est le culte de la majorité. A plus forte raison, nul n'a-t-il le droit d'empêcher les catholiques d'accomplir les préceptes de leur religion.


Eh bien ! je vous le demande, monsieur le représentant, qu'est-ce que la profanation du dimanche, sinon une insulte sanglante, jetée périodiquement à la face du catholicisme, un outrage odieux fait à tout ce qu'il y a de chrétiens fidèles ? Est-ce en les froissant ou en les laissant froisser dans tout ce qu'elle sont de plus sensible, que le gouvernement espère conquérir les sympathies des populations religieuses de nos provinces ? Son intérêt ne lui commande-t-il pas de les ménager ? N'est-ce pas encore là que se trouvent les principes d'ordre, de fidélité, de dévouement, dernière digue au flot qui menace de nous envahir ?


Ce n'est pas tout : la profanation du dimanche est un attentat direct à la liberté d'une foule de négociants, d'entrepreneurs et d'ouvriers. Elle force le négociant catholique à transgresser la loi sacrée du dimanche en ouvrant ses magasins, en restant à son comptoir, en vendant à qui se présenté, sous peine de perdre ses pratiques, de manquer la vente et de n'être pas, au jour de l'échéance, en mesure de faire face à ses engagements. Elle y force l'entrepreneur, l'industriel, sous peine de succomber à la concurrence écrasante que lui feront des confrères moins fidèles. que lui.


Surtout elle y force l'ouvrier « C'est demain dimanche, je ne viendrai pas travailler, dit-il le samedi soir à son maître, en recevant sa rente : C'est ton affaire ; mais, si tu ne viens pas de-main, tu peux chercher de l'ouvrage ailleurs. »

Et le malheureux père de famille, qui n'a que ses bras pour vivre et pour faire vivre ses enfants, se voit contraint de profaner le jour du repos.

S'il était chrétien, dit-on, ainsi que tous les autres profanateurs du dimanche, ils sauraient bien conserver leur liberté, et prendre pour règle la devise de leurs maîtres dans la foi : il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes ; puis, refusant de vendre ou de travailler, ils s'abandonneraient aux soins de la Providence. Vous comprenez sans peine que je suis loin d'applaudir à la conduite des uns ou des autres ; mais il faut convenir aussi que la contrainte morale qu'on leur impose, n'en est pas moins une violation de la liberté.


Ignore-t-on que le travail refusé par les ouvriers bons chrétiens, sera offert aux ouvriers moins fidèles et accepté par eux ? N'est-il pas clair que les pratiques vont de préférence chez celui qui satisfait le plus promptement à leurs demandes ? Or, est-il moral de frapper dans ses intérêts le chrétien fidèle à sa religion, et d'assurer un gain à celui qui se moque des lois religieuses ?


Est-il équitable, et cela au mépris de la loi civile elle-même, de placer chaque dimanche les catholiques entre leur intérêt et leur devoir ? Est-il permis de les exposer à une tentation permanente à laquelle, malgré leur volonté, un très-grand nombre se laissent entraîner ? Le gouvernement qui tolère un pareil abus, qui l'autorise même par son exemple, est-il le protecteur sincère de la liberté ? est-il le gardien loyal de la Constitution ? Je vous en fais juge.


En attendant, il demeure bien établi que la profanation du dimanche est la ruine de la vraie liberté, qu'elle tue dans son principe, et la violation flagrante de la liberté religieuse, consacrée par les lois ; en sorte qu'elle tend à, faire de nous un peuple d'esclaves. Grâce à elle, riches et pauvres sont esclaves ; elle rive à leur cou les chaînes des passions, comme le grillet au pied du forçat. •Le négociant est esclave ; elle l'attache à. son comptoir, comme le janitor des Romains à la garde de la maison. L'entrepreneur est esclave ; elle le fixe à son bureau, et fait de lui une mécanique à calculer. L'ouvrier est esclave ; elle le cloue à son métier, à son établi, à son enclume, comme les rouages secondaires sont cloués au volant d'une machine à vapeur.


Agréez, etc.


VIIe LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DU BIEN-ÊTRE

4 mai.


I

MONSIEUR ET CHER AMI,

Plus j'avance dans la tâche que votre amitié m'impose, plus l'abîme que je sonde devient large et profond. Chaque pas me conduit à la conviction raisonnée qu'on ne peut toucher à une seule des bases données par le christianisme à la société, sans opérer un ébranlement général. En particulier, il me devient évident comme le jour qu'on ne peut violer publique-ment la grande loi du repos hebdomadaire sans transformer bientôt le sol d'une nation en un vaste champ de ruines (1). La ruine du bien-être, dont je viens vous parler aujourd'hui, en est une nouvelle preuve.


(1) Qui offendit in uno, factus est omnium reus: (Jacob, II, 40.)


« Pourquoi travaillez-vous le dimanche ? Adressée à tous les profanateurs du saint jour, cette question amène invariablement sur leurs lèvres la réponse suivante : « Je ne puis pas faire autrement. — Et pourquoi ? — Parce que je suis obligé de contenter mes pratiques ; parce que je suis obligé de soutenir la concurrence ; parce qu'il est nécessaire que je sois en mesure à l'échéance de mes billets ; parce qu'il faut bien que je fasse mes affaires et que je réalise quelque bénéfice. » En d'autres termes, cette réponse signifie : Je travaille le dimanche parce que j'ai peur de perdre ou de ne pas gagner assez ; j'ai peur de ne pas arriver au bien-être que j'ambitionne, ou de ne pas conserver celui que je possède, ou de tomber dans le besoin.

Il est donc bien évident que l'intérêt, dans le plus grand nombre, est le vrai mobile de la profanation du dimanche. Or, jamais il ne fut plus clairement démontré que l'iniquité se ment à elle-même. Vous allez reconnaître que votre calcul est faux de tout point, absolument faux ; c'est-à-dire : 1° que le travail du dimanche ne procure aucun bien-être ; 2° qu'il est la cause la plus féconde du mal-être et de la misère.


II

De là, ce mot du saint curé d'Ars à ses paroissiens : « Je connais un bon moyen de se ruiner, c'est de prendre le bien d'autrui et de travailler le dimanche. »

D'abord, le travail du dimanche ne procure aucun bien-être. Pour faire croître un arbre, une plante, il ne suffit pas de les cultiver et de les arroser, il faut que Dieu leur donne l'accroissement, en leur ménageant avec sagesse l'air, la rosée, le froid et la chaleur. Qu'une seule de ces choses vienne à manquer, et tous les soins du jardinier sont perdus. De même, pour acquérir du bien-être et gagner de l'argent, il ne suffit pas de se livrer au travail, il faut que Dieu le bénisse et le fasse prospérer : vouloir se passer de lui, c'est bâtir sur le sable. L'homme a beau faire, c'est ici une loi qu'il ne parviendra point à éluder. Or, Dieu ne peut pas bénir, il n'a jamais béni, il ne bénira jamais le travail du dimanche. La raison en est que le travail du dimanche est un outrage à sa bonté et une révolte contre son autorité.


C'est un outrage à sa bonté. Ce divin Père, qui habille les lis des champs et qui nourrit les oiseaux du ciel, nous a dit : « Je sais mieux que vous-mêmes que vous avez besoin d'habillements et de nourriture : accomplissez avant tout ma volonté : travaillez, priez, reposez-vous quand je l'ordonne ; et soyez en paix, ma bonté vous donnera ce qui vous manque. En d'autres termes, travaillez comme je le veux, six jours de la semaine, et je vous nourrirai le septième. »


Il a dit; et depuis six mille ans il tient parole. Je défie de citer dans l'histoire ancienne ou dans l'histoire contemporaine un homme, une famille ; une nation qui ait manqué du nécessaire, pour avoir respecté le repos du dimanche. S'il en était autrement, Dieu serait-il un père ? ne serait-il pas le plus injuste de tous les tyrans ? Quoi ! il me défend de travailler, et parce que je lui obéis, il me laisse manquer du nécessaire ! il me prive d'un légitime bien-être ! il me punit de ma docilité !- Lui-même encourage donc la violation de sa loi ! Dans le délire de son orgueil, Proudhon prononça-t-il jamais un plus horrible blasphème ?


C'est une révolte contre son autorité : nouvelle raison pour laquelle Dieu ne peut pas le bénir, ne l'a jamais béni, ne le bénira jamais : Quoi ! Dieu condamne, Dieu frappe de châtiments terribles la révolte contre l'autorité humaine, la révolte des sujets contre leurs princes, la révolte des enfants contre leur père, et il sanctifierait par des bénédictions, la révolte contre lui-même et contre sa loi !! Évidemment il n'en peut être ainsi : la raison le dit, et les faits le démontrent. Afin de rendre la preuve plus péremptoire, j'établis la question sur sa plus grande échelle, et, comparant les nations aux nations, je dis : Si le travail du dimanche est une source de bien-être, la nation qui travaille le dimanche doit, toutes choses égales d'ailleurs, jouir de plus de bien-être que la nation qui ne travaille pas ; et la même nation qui ne travaillait pas hier et qui travaille aujourd'hui, doit être plus riche aujourd'hui qu'hier. Voyons.


III

Autrefois la France était le modèle des peuples pour le respect du jour sacré : sa fidélité l’avait-elle appauvrie ? l'avait-elle empêchée de parvenir à ce degré de bien-être et de prospérité qui faisait sa gloire et le légitime sujet de l'ambition de ses voisins ? Depuis qu'elle foule aux pieds la loi divine, est-elle devenue plus riche, plus heureuse? Ses impôts sont-ils moins lourds ? ses finances plus prospères ? sa dette moins considérable ? Le bien-être général a-t-il augmenté ? Les utopistes ont beau chanter, sur vingt gammes composées de chiffres groupés à leur manière, le bien-être toujours croissant du peuple émancipé ; le peuple émancipé n'en croit rien, et jamais il ne se trouva plus mécontent.


« Dans le fait, dit un homme aussi judicieux observateur que spirituel écrivain, il n'est nullement prouvé que les objets de première nécessité soient aujourd'hui plus abondants et à meilleur compte qu'autrefois. Ce qui se fait à la mécanique, ce qui est d'industrie pure, présente sous ce rapport un magnifique perfectionnement : on a pour rien des bonnets de coton, des blouses, des journaux, des polichinelles et des épingles. Mais paye-t-on moins cher qu'il y a cent ans le pain, la viande, le vin passable, les légumes, les œufs, les fruits et le lait ? Le pauvre peuple a-t-il plus abondamment et à meilleur marché du bois pour son hiver ? Dépense-t-il.moins en huile et en chandelle ? Est-il mieux logé pour le même prix ? A-t-il des vêtements plus chauds dans la mauvaise saison ? « Sur tout cela, il y a des allégations affirmatives, mais des preuves, je n'en connais pas, et je crois que le contraire serait plus facile à établir. Et puis, quand on aura fait le compte des prix absolus, il faudra faire la comparaison des salaires, et après celle-ci, celle de la quantité du travail demandé avec le nombre de bras travailleurs ; et si nous voulons bien regarder avec nos deux yeux le fléau de la concurrence ouvrière et commerciale, nous enquérir de ce que gagnent aujourd'hui la plupart des femmes par douze heures de travail à l'aiguille ; enfin, compter les jours de chômage de la .plupart des industries, nous serons fondés à douter que la condition des lasses pauvres soit aujourd'hui comparativement prospère, et nous comprendrons comment les meilleurs et les plus raisonnables se plaignent de leur sort, beaucoup plus amèrement que ne faisaient les générations précédentes. »


L'augmentation de bien-être dont on parle tant est donc au moins fort contestable ; ce qui ne l'est pas, c'est l'augmentation du nombre des pauvres. Tandis qu'en 1789, la France, fidèle à l'observation du dimanche, ne comptait que quatre millions de pauvres sur vingt-six millions d'habitants, elle en compte aujourd'hui sept millions sur trente-cinq millions d'âmes.


Ce qui n'est pas contestable non plus, c'est que la consommation de la viande était, à la même époque, beaucoup plus considérable qu'elle ne l'est aujourd'hui. Pour n'en citer qu'un exemple, la consommation particulière de la ville de Paris était, en 1789, de 25 pour 100 plus forte qu'en 1845. Si donc, comme on le dit, on mangeait moins de pain, c'est qu'on mangeait plus de viande. Aujourd'hui nous suivons la- marche inverse, et le terme du progrès sera une population mise au complet régime des pommes de terre ou du pain sec.


IV

Après avoir comparé la France avec elle-même, comparons les nations avec les nations. Il y a quatre-vingts ans, toutes les nations civilisées du globe observaient religieusement le dimanche ; une seule exceptée, toutes l'observent encore.

L'exception, c'est la France. Or, sa position géographique, la fertilité de son sol, l'industrie de ses habitants, leur activité, leur génie même, ne la rendent inférieure à aucun peuple. Nul soin religieux n'a distrait sa pensée du travail et de la spéculation, et Chaque année elle a eu cinquante-deux jours de travail de plus que les autres. Si le travail du dimanche est une source de richesses, à coup sûr le peuple profanateur doit être aujourd'hui le premier pour le bien-être et la prospérité. C'est justement le contraire qui est la vérité .


Tandis que tous les peuples ont grandi en force, en territoire, en richesse, en tranquillité et en bien-être, la France a déchu sous tous ces rapports. A ceux qui en doutent je conseille de lire l'ouvrage que vient de publier un de vos plus savants collègues, M. Raudot. La décadence morale et matérielle de la France, depuis soixante ans, y est écrite en faits et en chiffres qui défient tous les optimistes et tous les incrédules.


Mais, sans aller si loin, il suffit d'ouvrir les yeux et de regarder, Pour restreindre l'horizon, je vous dirai, voyez seulement l'Angleterre et les États-Unis. Parce qu'ils continuent de témoigner le respect le plus édifiant pour le jour sacré du repos, ces deux peuples, auxquels nous ne le cédons sous aucun autre rapport, en sont-ils moins les deux rois de la fortune et de l'opulence ? Leur commerce est-il moins florissant que le nôtre ? leur marine moins puissante et moins belle ? leur industrie moins avancée ?

leur agriculture moins intelligente ? leur bien-être moins général et moins solide ? Si le cadre vous parait trop restreint, parcourez l'Europe entière, et j'ose de nouveau défier tous les chercheurs de citer un seul homme, une seule famille, une seule province, une seule nation que la sanctification du dimanche ait appauvrie ou empêchée de s'enrichir.


V

Ma tâche n'est pas finie; car j'ai ajouté que la profanation du dimanche est la cause la plus féconde du mal-être et de la misère. Qu'il s'appelle homme ou peuple, le profanateur du repos sacré foule aux pieds la défense divine, par l'amour d'un gain temporel. La crainte de perdre ou le désir d'avoir, tel est, sous un nom ou sous un autre, le motif de son coupable travail. Ici encore il est dupe ; il oublie que vouloir édifier quand Dieu le défend, c'est faire des ruines, et parce qu'il n'est pas toujours frappé immédiatement dans son bien-être, il dit fièrement : J'ai travaillé le dimanche, et quel mal m'en est-il arrivé ? Attendons un peu. Les peuples d'Italie ont un proverbe qui dit : Dieu ne paye pas tous les samedis, mais il ne fait jamais banqueroute.


Depuis 1789, la France ne cesse de répéter : J'ai travaillé le dimanche, et quel mal m'en est-il arrivé ? en quoi mon bien-être en a-t-il souffert ? Voici la réponse : Depuis 1789, il n'est sorte d'épreuves, d'humiliations, de douleurs, de misères et de calamités que la France n'ait subies. La terre a continuellement tremblé sous ses pas, elle tremble encore ; des révolutions sans égales dans l'histoire l'ont couverte de ruines, de sang et d'ossements. Sur sa tête le ciel est devenu d'airain, et des fléaux de tout genre sont tombés sur elle.


Nulle autre nation n'a été aussi souvent déchirée par la guerre civile ; deux fois elle a été visitée par la peste ; deux fois la disette a livré aux angoisses de la misère ceux de ses enfants qu'elle ne livrait pas aux horreurs de la faim ; pendant cinq années, les débordements de ses grands fleuves ont ravagé ses villes et ses campagnes ; enfin, une inondation, telle qu'on n'en vit jamais de mémoire d'homme, a porté la désolation dans ses plus riches provinces, et complété la conspiration générale des éléments contre le peuple profanateur du dimanche.

Malgré tout cela, la France aveugle continuait de tout sacrifier au culte de l'or et de répéter fièrement : J'ai travaillé le dimanche, et quel mal m'en est-il arrivé ? Pendant dix-huit ans, son roi ne prononça pas un discours officiel sans la féliciter de sa prospérité toujours croissante, sans glorifier le culte de la matière et sans l'encourager dans la voie où elle était entrée. Dieu laisse dire tous ces flatteurs ; il laisse faire tous les artisans d’iniquité : il se tait sur la profanation de sa loi. Cependant son heure arrive ; et dans un clin d'œil, sans qu'on puisse dire comment, la royauté de la matière, avec toute cette prospérité, s'évanouit comme une bulle de savon au souffle du vent.

La panique est générale, le capital s'effraye, la confiance se retire, le commerce est ébranlé, le travail est en chômage, toutes les fortunes chancellent, les faillites tombent comme la grêle dans un jour d'orage, la banque route publique menace d'engloutir, je ne dis pas ce qui reste de prospérité, mais d'aisance : jamais crise aussi violente, aussi générale, aussi durable, n'avait torturé la France, dont le bilan accuse dix milliards de perte en trois jours ! Tel est le bénéfice net de la profanation du dimanche pendant soixante ans.


VI

Qu’en savez-vous ? et sur quel motif attribuez-vous les calamités de la France à la profanation du dimanche ? Voilà ce que des milliers d'hommes grands et petits me crient avec, froncement de sourcil, haussement d'épaules et rires de toute nature. Ce que j'en sais ? Je vais vous le dire : Je sais qu'il n'y a pas d'effet sans cause ; Je sais que Dieu gouverne les nations d'après des lois également justes et invariables; Je sais que, parmi ces lois, il en est une qui dit : Le coupable sera puni par où il aura péché (1) ; Je sais que l'amour du gain est la vraie cause de la profanation du dimanche; Je sais que les pertes temporelles sont la punition adéquate de la cupidité ; Je sais donc que nos calamités financières sont le salaire légitime de la profanation du dimanche ; Je le sais et par les lois de la logique et par la notion même de la sagesse de Dieu. Ne vous semble-t-il pas à vous-même très-logique et très-conforme à la sagesse infinie de guérir le mal par un remède qui l'atteint dans sa cause ? Voilà ce que je sais ; voici maintenant ce que je ne sais pas..


(1) Per quæ peccat quis, per hæc et torquetur. (Sap. xi, 17.)


Je ne sais pas qu'il y ait des effets sans cause ; Je ne sais pas que Dieu ait abdiqué ; Je ne sais pas que la loi qui condamne l'homme à être puni par où il pèche, ait cessé d'être en vigueur ; Je ne sais pas pourquoi Dieu n'ôterait pas les biens temporels à un peuple qui veut s'enrichir malgré lui ; Je ne sais pas pourquoi Dieu serait moins habile qu'un médecin ordinaire, dont le premier soin est de proportionner le remède au mal ; Je ne sais pas pourquoi, humainement parlant, le peuple profanateur du dimanche est depuis soixante ans le plus bouleversé, le plus agité, le moins tranquille, et, comparativement, le moins prospère de tous les peuples ; Je ne sais pas pourquoi, toujours humaine-ment parlant, l'Angleterre et les États-Unis, qui, sous aucun rapport, ne valent mieux que la France, mais dont le respect pour le jour du Seigneur nous fait rougir, marchent à la tête. de la prospérité matérielle et de la fortune. Voilà ce que je ne sais pas, et ce que je serais charmé d’apprendre de nos grands hommes.

Vous comprenez, du reste, monsieur et cher ami, que je suis loin de vouloir attribuer exclusivement à la profanation du dimanche, toutes les calamités de la France : j'ai voulu seulement rendre à cette cause de ruine la trop large part qui lui revient dans nos malheurs. Déterminer l'étendue de son influence, je ne le puis ; mes lettres précédentes vous ont montré qu'elle est incalculable. Si donc les peuples ou les hommes profanateurs du dimanche veulent entendre un conseil, je leur dirai : Prenez garde ; vous vous attaquez à plus fort que vous : on ne se moque pas de Dieu impunément ; vouloir vous enrichir sans Dieu et malgré Dieu, c'est tenter l'impossible, c'est provoquer la foudre.


Agréez, etc.


VIIIe LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DU BIEN-ÊTRE

12 mai.


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Les mesures prises pour la défense de Paris ne laissent rien à désirer ; la confiance renaît ; les fonds ont monté de soixante centimes ; la loi électorale va purifier le suffrage universel et donner la victoire au parti de l'ordre ; ce n'est pas de sitôt que l'émeute ose descendre dans la rue. » Voilà ce que vous m'apprenez dans votre dernière lettre, en me disant que telle est l'opinion de tous les honnêtes gens. J'en demande pardon à vos honnêtes gens ; mais ils me permettront de ne pas partager toute leur confiance.


Le mal est dans les âmes, et tant que je ne verrai pas porter le remède là où est le mal, je serai fort peu rassuré. Or, jusqu'ici je ne vois pas qu'on s'en occupe bien sérieusement. Quand une société est minée comme la nôtre, on ne la sauve ni à coups de lois, ni à coups de canon, ni à coups de bulletins. Je plains sincèrement le peuple qui ne connaît d'autres ressources que celles-là, et qui mesure sa sécurité à la hausse ou la baisse de l'agiotage.

Il est vrai, l'émeute ne descend pas dans la rue, le mousquet sur l'épaule et le pavé dans la main ; mais elle y descend tous les jours sous le masque du bourgeois voltairien, sous le masque du journal impie, sous le masque du livre obscène, sous le masque du profanateur du dimanche ; et toujours elle corrode, elle ébranle, elle mine ce qui seul soutient les royaumes et les républiques, les principes du christianisme. Si, pour l'arrêter dans son œuvre de destruction, on s'en tient aux moyens de législation et d'intimidation, soyez sûr qu'on ne l'empêchera pas d'arriver à ses fins, un peu plus tôt ou un peu plus tard. Je ne veux pas dire qu'on ne doive pas armer le pouvoir ; loin de là. Je pense comme vous : que le seul moyen humain qui nous reste, est d'étendre sur la France une main puissante, capable d'enchaîner les factions anarchiques ; et, à l'ombre de cette protection tutélaire, de supplier l'Église catholique de travailler activement à la guérison des âmes.

Afin de rendre sa tâche possible, il faut non-seulement lui donner libre carrière, il faut de plus que chacun mette la main à l'œuvre pour son propre compte, et commence par donner l'exemple de la réforme, qu'il désire voir opérer dans les autres. En un mot, ce n'est pas la réforme électorale qui sauvera la France, c'est la réforme morale. A ce but tend ma lettre d'aujourd'hui, comme les précédentes : je reprends la suite de notre étude.


II

Si des nations nous passons aux particuliers, nous verrons encore que la profanation du dimanche, loin d'être une source de prospérité, est une cause incessante de misère. J'ai à vous présenter la question dans ses rapports avec le maître et avec l'ouvrier, et j'affirme que le travail profanateur est aussi nuisible à l'un qu'à l'autre.

Permettez-moi d'abord de vous faire remarquer que, même en ce monde, les individus n'échappent pas plus que la société à l'action des lois divines ; que ces lois, intelligentes comme le feu de l'enfer, suivant l'expression de Tertullien, frappent chaque crime d'un châtiment particulier, le frappent dans la mesure de sa gravité ; et, à la différence des supplices éternels, frappent toujours le coupable pour le convertir.

Dans les trésors de sa justice, Dieu a de la monnaie pour tous ceux qui l'offensent. Au négociant, à l'industriel, au cultivateur, au propriétaire profanateur du dimanche, il envoie tour à tour la banqueroute, la grêle, la sécheresse, l'incendie, l'épidémie, la stagnation des affaires : et, en quelques heures, il lui fait escompter, avec intérêt toutes les obligations contractées envers sa justice par un travail défendu.


Pour payer l'ouvrier de sa révolte, il lui envoie, à lui, à sa femme, à ses enfants, ou la maladie, ou le terrible chômage, ou la disette qui lui emporte le gain illicite dont il s'enorgueillit, et souvent bien au delà. Rien de plus commun, surtout aujourd'hui, que ces liquidations providentielles. A moins d'admettre des effets sans cause, manque-t-on de logique en y reconnaissant le châtiment de la cupidité et de la profanation du dimanche, qui en est la sacrilège et la permanente manifestation ?


Je passe au côté purement humain de la question, et je ne sépare point encore le maître de l'ouvrier. Écoutons un homme parfaitement compétent. Dans un rapport récemment adressé au gouvernement, le premier magistrat d'une de nos grandes villes manufacturières s'exprime en ces termes :


« De l'activité incessante du travail qui ne respecte pas le jour saint, sont nés : 

« La concurrence illimitée qui produit les fraudes dans la production ; »

« La rivalité ardente et de mauvaise foi ; »

« La ruine des artisans ; »

« Le monopole des grands établissements ; »

« L'augmentation du nombre des faillites ; »

« Le désordre et l'abrutissement des travail-leurs ; »

« La destruction de la vie de famille ; »

« L'absence de tout lien moral entre le maître et l'ouvrier. »


Ce riche bénéfice est indivis entre celui qui profane et celui qui fait profaner le dimanche. Passons à celui qui appartient exclusivement au maître ; nous verrons ensuite le dividende qui revient à l'ouvrier.


III

Soit un chef d'usine, et la question qui nous occupe. Cet homme me disait avec un bon sens remarquable « Le travail du dimanche ne vaut pas mieux pour le maître que pour l'ouvrier. »

En effet, si on travaille tous les dimanches et tous les autres jours sans se reposer, on fabrique trop, surtout depuis l'invention des machines. Puisqu'il y a dans l'année cinquante-deux dimanches et quelques fêtes, il en résulte une augmentation considérable de produits. Or, il ne suffit pas de produire, il faut vendre. Si toutes les industries de France font la même chose, vous aurez bientôt une fabrication supérieure à la consommation.

Est-ce que la profanation du dimanche augmentera le nombre des consommateurs ? Chacun ne continuera-t-il pas de dépenser à peu près la même somme, pour son habillement, pour sa nourriture ? Dès lors, les produits, en tout ou en partie, resteront en magasin, et vous subirez infailliblement une triple perte : les avaries inévitables des marchandises, les frais prolongés d'emmagasinage et le sommeil des capitaux. Voilà pour les temps ordinaires. Que sera-ce s'il survient une crise commerciale ? si la confiance se perd, si la vente ne donne plus ? Vous voilà ruinés avec vos magasins remplis de marchandises, ou du moins vous voilà obligés de restreindre la production, de vendre au rabais, de recourir aux attermoiernents, et de mettre vos ouvriers sur le pavé : toutes choses déplorables qu'on aurait évitées beaucoup plus sûrement par une fabrication modérée. Combien ne pourrait-on pas citer de maisons de commerce, qui subissent aujourd'hui la peine de leur fabrication, exagérée au point de vue de l'intérêt temporel, et coupable au point de vue religieux ?

Dira-t-on que cet inconvénient n'est pas à craindre, puisque, au lieu de chômer le dimanche, l'ouvrier chôme le lundi ; ce qui ramène au même chiffre le nombre des jours de travail ? Non, certes, ce n'est pas la même chose pour le maître, et cela pour trois raisons : la première, parce que l'ouvrier qui chôme le lundi, chôme souvent le mardi en tout ou en partie. D'où il résulte pour le maître un autre inconvénient, c'est de ne pouvoir compter certainement sur l'ouvrier, et de rester ainsi avec des travaux pressés sur les bras, dans l'impossibilité de les livrer à jour fixe, et de remplir ses engagements.

De là quelquefois, des dédits considérables, à la charge du maître ; de là, des mécontentements de la part des clients, des murmures et enfin le retrait, de la confiance.

L'a seconde, parce que l'ouvrier qui passe habituellement le lundi au cabaret se perd la main. L'ouvrage qu'il fait le mardi, sous les dernières émotions de l'ivresse, ne vaut pas la moitié de son prix. Souvent, me disait un contre-maître de manufacture, je me suis vu obligé de le faire recommencer.

La troisième, parce que l'ouvrier qui chôme le lundi s'habitue à faire la loi au patron. Si l'ouvrage donne partout, chaque jour il vous met le marché à la main ; et, comme il dit, il fait aller le bourgeois, ce qui ne rend pas le bourgeois plus riche ni plus heureux. S'il y a peu d'ouvrage et qu'on le renvoie, comme il est de principe que personne ne meure de faim, c'est encore le maître, qui, de concert avec d'autres personnes charitables, supporte la charge de le nourrir lui et sa famille ; car l'ouvrier qui chôme le lundi ne fait pas d'économie. Sa caisse d'épargne, c'est le comptoir du marchand de vin, et ce comptoir-là reçoit tout et ne rend rien.

Je me trompe, il rend beaucoup. Il rend l'ouvrier débauché, infidèle, envieux, menaçant. Débauché, le travail lui pèse, et il travaille mal : premier bénéfice du maître. Infidèle, il ne se fait aucun scrupule de voler le temps. N'est-ce pas un cri général contre la lenteur et la paresse des ouvriers, quand ils ne sont pas sous l'œil du maître ? Il faut néanmoins que celui-ci paye leur journée comme s'ils l'avaient consciencieusement employée : second bénéfice du maître.

Envieux, l'habitude de jouissances et d'oisiveté qu'il contracte au cabaret, lui fait ambitionner le sort de ceux .qui peuvent vivre sans rien faire ; et il voue aux aristos une haine égale à sa jalousie : troisième bénéfice du maître. Menaçant, il a prêté l'ôreille aux chants et aux propos anarchiques, langage habituel des lieux qu'il fréquente. Et son désir du bien-être s'est enflammé, et l'expérience prouve que dans l'occasion il ne reculera pas, pour le satisfaire, devant les moyens les plus violents : quatrième bénéfice du maître.

En résumé, la concurrence illimitée et dé-loyale, l'encombrement des produits, le sommeil des capitaux, des faillites nombreuses, une menace perpétuelle à votre tranquillité et à votre fortune, une épée de Damoclès suspendue sur vos têtes : voilà, industriels, négociants, cultivateurs, propriétaires, riches qui que vous soyez dont l'aveugle cupidité commande, ou dont la stupide indifférence autorise la violation du jour sacré, voilà les bénéfices particuliers qui vous en reviennent. Dieu veuille qu'il ne.vous en revienne pas d'autres ! Dieu veuille que vous n'ayez rien de plus grave à craindre de ces masses populaires dont votre insolent mépris de la loi de Dieu a déchaîné les robustes passions ! Mais si jamais ce flot qui vous menace, et qui monte sans cesse vient à rompre sa dernière digue, vous saurez à qui vous en prendre : les avertissements ne vous ont pas manqué.


IV

Si la profanation du dimanche est funeste aux intérêts du maître, elle l'est plus encore aux intérêts de l'ouvrier. C'est ici, monsieur le représentant, que nous touchons au vif de la plaie.


D'abord, l'ouvrier ne gagne absolument rien au travail du septième jour. On lui a dit : Cinquante à soixante jours de travail de plus par an te produisent un bénéfice considérable. Mais à côté de ce calcul qui l'a séduit, on a fait une opération dont il ne s'est pas aperçu : on a baissé le salaire. Il est aujourd'hui prouvé que l'ouvrier ne gagne pas plus en sept jours de travail, qu'il ne gagnait autrefois en six jours.


Ensuite, ce septième jour, l'ouvrier ne l'a pas consacré au travail, mais à la débauche ; si bien qu'il se trouve aujourd'hui, grâce à la profanation du dimanche, réduit, comme autrefois, à six jours de travail par semaine, avec la différence d'un abaissement de salaire en plus, et de la bonne conduite en moins (1).


(1) Quoique matériellement plus fort qu'autrefois, le salaire est au jourd'hui relativement moins élevé.


V

Hélas ! oui ! la profanation du dimanche coûte à l'ouvrier son unique trésor, la bonne conduite. Depuis longtemps, monsieur et cher ami, vous recherchez les causes de la misère et du malaise des classes laborieuses; vous avez tourné et retourné la question sous toutes les faces, et, comme tous les observateurs dignes de ce nom, vous ne connaissez que deux causes réelles de misère pour l'ouvrier : le chômage, et l'inconduite.


Le chômage provient de circonstances extéieures, que les moyens ordinaires peuvent atténuer ou détruire ; l'inconduite naît d'un mal interne qui échappe à l'action ordinaire de l'homme. Le chômage n'est heureusement que partiel et temporaire ; l'inconduite est malheureusement générale et permanente.


Par inconduite de l'ouvrier, j'entends les habitudes de paresse, d'imprévoyance, de luxe dans le vêtement, dans l'ameublement, dans la nourriture ; de débauche, c'est-àdire la fréquentation des cabarets, des cafés, des théâtres et autres lieux. Or, on ne peut se le dissimuler, l'inconduite ainsi entendue, et, sauf erreur, c'est ainsi qu'elle doit l'être, existe sur une vaste échelle au sein des classes laborieuses de nos cités.


Que cette inconduite soit une cause profonde et permanente de misère, il serait superflu de le prouver. Dans toute famille ouvrière où il n'y a pas équilibre entre la dépense et la recette, il y a misère. Eh bien ! l'inconduite est incompatible avec cet équilibre nécessaire ; elle le détruit, en dévorant bien au delà du salaire quotidien, unique recette de la famille.


D'où vient l'inconduite de l'ouvrier ? Elle vient de ce qu'il a brisé le seul frein capable d'enchaîner ses penchants, ses caprices, ses appétits déréglés, devenus tellement impérieux qu'ils sont la règle habituelle de sa vie. Ce frein, quel est-il ? Le monde entier se lève pour répondre : C'est la religion. La religion, qui d'une main trace infailliblement à l'homme les limites du bien et du mal et, de l'autre, lui donne la force pour lutter victorieusement contre ses penchants ; la religion, qui le place continuellement sous l'œil d'un Dieu qui voit tout, en face d'un juge souverain qu'on ne peut ni tromper ni corrompre ; la religion, enfin, qui lui montre, au delà du tombeau, le ciel et l'enfer, inévitable salaire de ses vertus ou de ses crimes.


Qu'est-ce qui brise ce frein salutaire ? Qu'est-ce qui tue la religion au cœur de l'ouvrier, et le livre, par conséquent, comme une proie sans défense, à ses passions dévorantes ? Avant tout, par-dessus tout, la profanation du dimanche.


VI

Pour le prouver, je ne dirai pas qu'avec la profanation du dimanche, la Religion n'est plus ni connue, ni méditée, ni pratiquée ; il faudrait refaire la lettre où j'ai développé ces con-sidérations. J'établis ma thèse en considérant la question sous un nouveau point de vue, et je dis que l'homme ne peut pas toujours travailler ; il faut qu'il se repose. C'est là une loi aussi immuable, aussi inflexible que celle qui préside à la marche du soleil. Or, si 'ouvrier ne se repose pas le dimanche à l'église, il se repose le lundi au cabaret. C'est encore là une loi invariable, dont l'accomplissement est aussi universel et aussi constant que la profanation du dimanche.


Mais le repos du cabaret, savez-vous ce que c'est ? C'est l'inconduite en permanence ; c'est l'inconduite dans tout ce qu'elle a de plus dégradant et de plus ruineux. Voyez cet ouvrier, ce père de famille accoudé sur une table, souillée des débris d'une longue orgie, échangeant avec ses compagnons de débauche des chants anarchiques ou des propos obscènes. Savez-vous ce qu'il boit dans le verre qui vacille en sa main tremblante d'ivresse ? il boit les larmes, le sang, la vie de sa femme et de ses enfants.


En moyenne, le cabaret lui conte cent écus par an : trois francs de journée perdue, trois francs de dépense, et c'est le moins ; double perte qui, renouvelée cinquante fois par an, donne bien la triste somme indiquée plus haut. Or, cent écus de plus par an dans une famille, d'ouvriers, c'est l'aisance : cent écus de moins, c'est la misère. Que ce désordre soit général, c'est la misère permanente, la misère incurable pour la classe ouvrière de toute une ville, de tout un royaume...


Eh bien ! il faut le dire en rougissant, ce désordre a grandi en proportion directe de la profanation du dimanche, dont il est la conséquence ; elle est devenue générale, il l'est devenu ; et, en le devenant, il nous a dotés de la misère et tué la vie de famille. Un coup d'œil seulement sur cet effrayant progrès, plus ou moins rapide suivant les provinces, mais incontestable partout.

Je connais une de nos villes qui, en 1789, comptait une population de 14,000 habitants. On y trouvait trois hôtels, deux cafés, où le peuple n'entrait jamais, et dixhuit ou vingt cabarets ; en revanche, on y donnait presque tous les dimanches et dans presque toutes les maisons de petits soupers de famille dont tout le monde profitait : père, mère, amis, enfants mangeaient, causaient, se délassaient en-semble.


Aujourd'hui cette même ville, pour une population de 16,000 âmes, possède huit hôtels, vingt-six cafés, trèsconnus du peuple, et deux cent quatre-vingt-trois cabarets ; en tout trois cent vingt et un débitants de boissons. Nul besoin d'ajouter qu'à partir du dimanche après midi, jusqu'au lundi soir, et même au delà, la plupart de ces cabarets sont toujours pleins.


En calculant d'après les chiffres officiels (1), outre la perte de la journée, les dépenses de liquides, vous arrivez, en mettant tout au minimum, à un impôt annuel de plus de 50,000 fr., prélevé sur l'inconduite. C'est plus du double de ce que la ville dépense en aumônes. Mais aussi, plus de dîners de famille, plus d'union, plus d'éducation domestique, plus de société. A la place de tout cela, la misère sous tous les noms et sous toutes les formes. Voilà ce que rapporte de bénéfice direct la profanation du dimanche et la fréquentation du cabaret, qui en est la conséquence inévitable.


(1) Pris par moi chez le receveur des contributions indirectes.


Passons au benéfice indirect. L'inconduite des classes ouvrières, conséquence de la profanation du dimanche, ne consiste pas seulement dans les débauches du cabaret, elle mène à d'autres que je ne veux pas nommer, et qui sont une nouvelle source de dépenses. Je dirai seulement, parce que tout le monde le voit, qu'elle conduit au luxe exagéré dans la toilette, dans l'ameublement, dans la nourriture ; elle conduit aux plaisirs du spectacle et de la danse. Or, toutes ces choses seraient évitées, du moins en partie, avec un peu plus de crainte de Dieu et de fidélité à la religion, par conséquent avec la sanctification du dimanche, sans laquelle, je l'ai démontré, la religion est impossible.


Pour rester même en deçà de la réalité, ces diverses dépenses, occasionnées par l'inconduite, s'élèvent, chaque année, au moins à trente francs par famille. Or, la ville dont je parle compte environ 1,500 familles ouvrières. Voilà donc un nouvel impôt de 45,000 francs qui, ajoutés à. 50,000, nous donne une contribution annuelle de 95,000 francs. Que cette somme effrayante reçoive un emploi normal, c'est-à-dire que l'ouvrier ait de la religion, par conséquent de la conduite, et au lieu de la misère profonde, incurable, vous aurez l'aisance et le bien-être général. Tel est le bilan de la mal-heureuse ville dont je parle, laquelle, je n'ai pas besoin de le dire, se distingue tristement entre toutes par la profanation du dimanche.


VII

Voici celui de la France entière. D'après le recensement général, opéré il y a quelques mois à peine, on compte en France 332,000 cabarets, où il se dépense annuellement 105 millions (1). En y ajoutant les autres dépenses de luxe et de plaisir, que nous avons signalées comme la conséquence ordinaire de la profanation du dimanche, et calculées à 30 francs par famille, vous avez, pour quatre millions de familles ouvrières, une nouvelle somme de 120 millions, ce qui donne; pour la France entière, le chiffre effrayant de 225 millions (2).


(1) Cette statistique remonte à la fin de 1848. Une autre, beaucoup plus récente, accuse une augmentation de 200,000. Soit, 532,000 établissements où l'on débite des liquides : calculez la dépense.

(2) Je crains que le nombre des familles ouvrières, soit de la ville et de la campagne qui profanent le dimanche et dont les pères et les fils fréquentent le cabaret, ne soit bien plus considérable. En 1841, le nombre des ouvriers dans les usines, fabriques, manufactures, ateliers de diverses professions, était de 6,000,000 ; celui des agriculteurs et journaliers de la campagne de 12,978,278.


Je ne prétends pas attribuer à la débauche seule toutes les dépenses faites au cabaret; mais, en réduisant à la moitié celles qui lui sont imputables, voyez encore quel énorme budget payé par l'inconduite. Et puis, qu'est devenue, dans la France entière, la vie de fa-mille, l'éducation des enfants, l'esprit de société, la réunion dominicale des parents et des amis autour de la table modestement servie ? Tout a disparu avec la sanctification du dimanche.


Vous expliquez-vous, maintenant, pourquoi les nombreuses aumônes qu'on verse chaque année dans le sein des populations n'améliorent pas leur sort ; pourquoi ces fleuves d'or coulent comme des gouttes d'eau dans le tonneau des Danaïdes ; pourquoi, malgré tant d'œuvres diverses de charité spirituelle et corporelle, l'immoralité devient de jour en jour plus générale et plus profonde ; pourquoi le paupérisme, ce chancre rongeur des sociétés modernes, au lieu d'être arrêté dans sa marche envahissante, menace, sous le nom de communisme, de dévorer bientôt les peuples profanateurs du dimanche ; pourquoi, enfin, à Paris, où ce désordre est au comble, les deux cinquièmes de la population meurent à l'hôpital ?

Eh ! mon Dieu ! l'explication n'est pas difficile à trouver : les sueurs de l'ouvrier et une partie des aumônes du riche vont au cabaret, et c'est la profanation du dimanche qui multiplie, qui enrichit le cabaret ; et le cabaret est le chemin de l'hôpital, quand il n'est pas celui du bagne.

Comment pourrait-il en être autrement ? L'ouvrier qui travaille le dimanche se trouve seul le lundi. Sa femme est occupée soit au de-hors, soit dans l'intérieur du ménage; ses enfants sont en apprentissage ou à l'école: que voulez-vous qu'il devienne ? Il s'ennuie de sa solitude, et il va naturellement chercher au cabaret la société et les joies qu'il ne trouve pas au foyer domestique.

Au contraire, s'il se reposait le dimanche, le danger de la solitude n'existerait pas pour lui. Libres d'occupations extérieures, sa femme et ses enfants seraient là pour le fixer. Leurs exemples, leurs sollicitations, la crainte seule de rester isolé, suffiraient, à la longue, pour lui faire prendre avec eux le chemin de l'église, et le rendre, ce qu'il ne sera jamais en profanant le dimanche, un bon père, un bon époux, un ouvrier honnête, laborieux, économe.


Il reste donc bien établi que le mensonge le plus monstrueux qui ait jamais été commis, après celui de Satan au Paradis terrestre, consiste à dire que le travail du dimanche est une source de bien-être pour les particuliers ou pour les peuples. Il en est, il en a été, et il en sera toujours la ruine.


Agréez, etc.


IXe LETTRE : LE TRAVAIL DU DIMANCHE, RUINE DE LA DIGNITÉ HUMAINE

5 mai.


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Vous m'apprenez que vous n'avez pas été nommé membre de la commission du budget : je vous en félicite. Il me semble que rien ne doit être plus désagréable qu'un pareil titre. Voici, sauf erreur, la situation de vos honorables collègues qui en sont revêtus. Se heurter la tête contre les murs d'un cachot, attaquer les pyramides à coups d'épingle ; c'est ainsi que l'imagination me peint leur labeur. Parlons sans figure : être mandataire d'un peuple écrasé d'impôts ; n'être accrédité par lui que pour alléger son fardeau ; lui avoir promis de le faire ; en avoir la volonté, et se voir frappé d'impuissance ; ce n'est pas tout avoir devant les yeux un gouffre béant, où quelques degrés de moins au thermomètre de la confiance suffisent pour engloutir l'honneur et la fortune, de la nation ; être condamné pendant des mois entiers à rogner, à grappiller par-ci, par-là, sur tous les services publics quelques centaines de mille francs ; puis, en fin de compte, être réduit à venir présenter au peuple ces économies in-signifiantes, comme les seules réductions possibles sur la masse énorme des dépenses, et à lui dire pour toute consolation : Souffre et paye : est-il une tâche plus pénible ?

Je ressens cette peine, et jusqu'à un certain point je comprends cette impossibilité. D'une part, l'organisation révolutionnaire de la France conduit fatalement à l'augmentation de la dépense publique ; d'autre part, je crois, comme on le dit, que des réductions sérieuses ne peuvent être faites que sur deux budgets : le budget de la guerre et celui de la marine, dont le chiffre annuel s'élève à six ou sept cents millions. Mais je crois aussi que, dans les circonstances où se trouve l'Europe, ces réductions ne sont pas faciles (1). Réduire, c'est désarmer ; désarmer, c'est livrer le monde au socialisme. D'un autre côté, ne pas désarmer, c'est aller à la banqueroute banqueroute ou barbarie, telle est l'alternative, où se sont placées les nations modernes. Elle a été éloquemment démontrée par Donoso Cortès.


(1) Elles le sont bien moins aujourd'hui qu'on a transformé la France en un camp armé.


Reste cependant un moyen d'en sortir : c'est d'attaquer un troisième budget qui grossit chaque année, et auquel on n'a jamais touché ; un budget qui nous dévore directement, et au minimum, plus de cent millions par an ; un budget qui nous force à. tenir les autres au maximum : c'est le budget de l'inconduite, dépensé principalement au cabaret et alimenté surtout par la profanation du dimanche.


Je le sais, tout ne sera pas obtenu dans un jour ; mais, pour me servir d'une expression usitée à la chambre, il y a certainement quelque chose à faire. Puisque vous avez qualité, faites donc, faites promptement, faites sérieusement. Croyez-le bien, une loi vraiment morale sera la meilleure loi d'économie, la meilleure loi sur les caisses de retraite, la meilleure loi sur l'assistance publique, la meilleure de toutes les lois sur l'amélioration du sort des classes laborieuses. Sans celle là, les autres ne produiront rien, rien, rien : Quid proficiunt vanæ leges sine moribus ? J'espère vous montrer plus tard qu'ici, vouloir c'est pouvoir. En ce moment, je dois aborder le sujet de ma lettre, et établir que la profanation du dimanche est la ruine de la dignité humaine.


II

La question est d'une extrême importance, nonseulement au point de vue religieux, mais encore au point de vue purement humain. En effet, pour peu que vous veuilliez y réfléchir, monsieur et cher ami, vous verrez que les societés chrétiennes sont toutes fondées sur le dogme de la dignité humaine, par conséquent sur le respect de l'homme pour l'homme et de l'homme pour luimême. En recevant le baptême, elles ont reçu le sentiment et la connaissance de cette grande loi.

Dieu en personne était descendu du ciel pour leur dire : L'homme est mon fils ; il est quelque chose de si grand, que je ne le traite moi-même qu'avec un profond respect ; sa liberté est pour moi une chose sacrée à laquelle je ne touche jamais (1). Aux yeux de ma justice souveraine, l'enfer, avec ses éternels supplices, n'est pas trop pour punir le coupable, qui par ses paroles ou par ses actes, ose attenter à sa dignité personnelle ou à celle de son frère, ce frère fût-il un petit enfant, le plus pauvre et le dernier des hommes (2).


(1) Cum magna reverentia disponis nos. (Sap., XII, 18.) — Reliquit illum in manu consilii sui. (Eccle., XV, IX.)

(2) Si quis autem templum Dei violaverit, disperdet illum Deus. Templum enim Dei sanctum est, quod estis vos. (I Cor., III, 17.) — Qui autem dixerit fratri suo : Raca, reus erit concile. Qui autem dixe rit : Fatue, reus erit gehennae ignis. (Matlh., V, 22.) — Et quisquis scandalizaverit unum ex his pusillis credentibus in me, bonum est ei magis si circumdaretur mola asinaria collo ejus, et in mare mittere tur. (Marc., IX, 41.)


Cette charte divine une fois donnée, deux voix s'élevèrent aussitôt pour la promulguer de générations en générations, et ces deux voix n'ont jamais cessé de se faire entendre : la voix de la mère au foyer, la voix de l'Église au temple. Et voilà que la première notion qui est donnée à l'homme, c'est la notion de la dignité humaine. Sur tous les points du globe, sur les genoux de toutes les mères, le petit enfant bégaye depuis dix-huit siècles ces mots sublimes : Notre Père qui êtes au ciel ; je suis l'enfant de Dieu.


Mais ce n'est pas assez que l'homme con-naisse sa dignité, il faut qu'il s'en souvienne et qu'il conforme sa conduite au sentiment qu'il en a : noblesse oblige. Dans cette vue, Dieu, qui connaît et la faiblesse de l'homme et les passions dégradantes dont il est assiégé, veut qu'il consacre un jour sur sept à réfléchir sur sa dignité, à réparer les brèches qu'elle a pu recevoir, à recueillir les forces dont-il a besoin pour la soutenir. Quel haut enseignement que ce précepte lui-même !


En le donnant à l'homme, Dieu lui dit par ce seul fait : « Tu es le plus noble des êtres ; car tu es mon image au milieu de l'univers, que je t'ai donné pour empire. Artisan du monde, j'ai travaillé pendant six jours, et le septième, glorieux de la perfection de mon ouvrage, je suis rentré dans mon repos éternel. Toi aussi, ouvrier comme moi, pendant six jours tu créeras un monde de merveilles, dans ce monde que tu habites. Tu te bâtiras des maisons et des palais; tu embelliras ton séjour de toutes les œuvres du génie : tu te procureras, par ton industrie, tout ce qui peut entretenir ton existence et même contribuer à tes plaisirs. Quand viendra le septième, enfant de Dieu, tu te souviendras de ton père. Comme moi, tu jetteras un regard sur tes œuvres : tu entreras dans un saint repos ; puis lorsque l'ouvrage de ta création sera achevé, tu viendras te réunir à moi, dans le repos de l'éternité, dont le repos septénaire est tout ensemble la condition et l'image (1). »


(1)...Et requievit Deus die septima ab omnibus operibus suis... Itaque relinquitur sabbatismus populo Dei. Qui enim ingressus est in requiem ejus, etiam requievit ab operibus suis, sicut a suis Deus. (Hebr., IV, 4, 9, 19.)


A ce point de vue que l'homme est grand ! quelle haute moralité préside à son travail !


Dociles à cette lumineuse parole, les nations baptisées vinrent religieusement, pendant de longs siècles, entendre l'Église catholique la leur expliquer dans ses temples, et le senti-ment chrétien de la dignité humaine entra pro¬fondément dans les âmes. De là sont nés, avec la pureté des mœurs et la sainteté du mariage, les soins pour l'être faible, les égards pour le malheureux, le salut pour l'enfant, la liberté pour la femme, la charité pour tous. De là. en¬core, l'abolition de l'esclavage et l'impossibilité pour le despotisme de prendre racine chez les nations demeurées catholiques.


III

Cependant des jours mauvais sont venus, où les peuples ont oublié et le repos septénaire et le chemin du temple. Qu'est-il arrivé ? En cessant d'entendre la voix de l'Église, l'homme a cessé d'être chrétien, et, en cessant d'être chrétien, il a perdu la connaissance et le sentiment de sa dignité. Malgré les grands mots de progrès, de civilisation, d'égalité, d'émancipation, de perfectibilité et d'autres encore (1), je ne crains pas de le dire, c'est là ce qui nous manque le plus surtout en France.


(1) Chacun de ces vocables se trouve sous la plume des Lumières : Rousseau, Condillac, Helvétius, d’Alembert, successeurs de Fr. Bacon et sophistes comme lui. Vocables repris dans les loges par la franc-maçonnerie qui préparait 1789. Il fallait, selon eux, un homme nouveau : « périsse le peuple, plutôt que nos principes », disait Robespierre (NDE.)


Évidemment nous retournons au paganisme, alors que le mépris de soi et des autres était au comble. Qu'étaient, pour les fiers bourgeois de Rome, les troupeaux d'esclaves qui rampaient à leurs pieds ? Qu'étaient, pour les Césars, ces bourgeois eux-mêmes ? Et les Césars, qu'étaient-ils à leurs propres yeux ? Quelle idée avaientils de la dignité humaine, et comment la respectaient-ils en leur personne ? Orgueil, d'un côté ; bassesse, de l'autre ; turpitude et mépris partout ; dégradation universelle, et, pour me servir d'une expression fameuse, exploitation générale de l'homme par l'homme : voilà le portrait historique de cette inqualifiable époque. Peu s'en faut que déjà il ne soit le nôtre.


A part les exceptions dues à l'influence des idées chrétiennes, l'homme aujourd'hui respecte-t-il beaucoup plus son semblable, se respecte-il beaucoup plus lui-même, qu'avant la régénération du Calvaire ? La supériorité, l'autorité, l'honneur, l'innocence, la liberté, la réputation, la bonne foi, la fortune, la fille, l'épouse, l'âme d'autrui, sont-ils l'objet cons-tant d'un respect sincère ? Obstacle ou moyen, n'est-ce pas tout ce que l'homme voit dans son semblable ? Et dans lui-même, que voit-il, si-non un être créé pour jouir ? Et se procurer des jouissances, des jouissances trompeuses et dégradantes, au prix de toutes les bassesses, n'est-ce pas sa vie ?


Qu'est-ce donc que cette scandaleuse, cette humiliante mobililé d'opinions et de caractère, qui fait de l'homme actuel un véritable caméléon, qu'on voit changer du matin au soir de conduite et de langage ; passer tour à tour dans les camps les plus opposés ; soutenir avec la même chaleur le pour et le contre ; brûler aujourd'hui ce qu'il adorait hier ; arborer toutes les cocardes : prêter vingt serments de fidélité à tous les partis, et n'en garder qu'un seul, celui de les violer tous, si son intérêt le demande. Pourquoi tant de Brutus devenus valets ? Pourquoi tant de fiers écrivains, naguère libéraux et impies, sont-ils aujourd'hui conservateurs et religieux, et pourquoi demain seront-ils le contraire ? Pourquoi la même bouche parle-t-elle pour édifier et pour détruire ? Est-ce que le bien et le mal, le vrai et le faux, le blanc et le rouge ne sont pas également tarifés ? Est-ce qu'à les soutenir, suivant les circonstances, il n'y a pas de l'argent à gagner et des jouissances à obtenir ? La vie est-elle autre chose qu'une spéculation, et la société n'est-elle pas un vaste bazar, où tout se vend parce que tout s'achète, même la conscience ?


Ce portrait est-il chargé ? J'en appelle aux yeux de tous. Dès lors ne peut-on pas dire, en modifiant un mot célèbre, que l'Europe actuelle est la plus grande école de mépris qui ait jamais existé ? Or, mépris et respect s'excluent ? et là où il n'y a pas de respect, il n'y a plus ni con-naissance ni sentiment de la dignité humaine. Telle est, sans contredit, une des plaies les plus profondes de notre époque, et une des plus grandes difficultés de la régénération.


IV

Je viens de montrer l'effet de la profanation .du dimanche sur la dignité humaine dans la société en général. Cela ne suffit pas : il est deux classes d'hommes sur qui l'influence déplorable du désordre que nous combattons, s'est fait sentir d'une manière plus marquée. Ces deux classes sont justement celles qui s'étaient promis un résultat plus avantageux de la violation du repos hebdomadaire ; celles qui en ont donné et qui continuent d'en donner le plus scandaleux exemple : vous avez nommé les maîtres et les ouvriers. Puisque, même aujourd'hui, à tout seigneur tout honneur, commençons par les maîtres. Sauf les exceptions, d'autant plus honorables qu'elles sont plus rares, qu'est-ce que notre bourgeoisie industrielle et marchande ; cette bourgeoisie qui trône au comptoir, au magasin, à l'usine, à la manufacture, à l'atelier, à la filature ; cette bourgeoisie qui, devenue l'aristocratie de l'argent et la souveraine du pays, s'est emparée de tous les emplois depuis la mairie de village jusqu'à la représentation nationale; qui écrit, qui légifère, qui administre, qui plaide, qui juge, qui enseigne ; qui, jusqu'à la Révolution de février et après, a coudoyé tout le monde pour se faire place, et dit sur tous les tons à tout ce qui n'est pas elle : Ote-toi de là que je m'y mette, qu'est-elle cette bourgeoisie ? Un lingot.


Après les affranchis de l'ancienne Rome, connaissezvous dans l'histoire une race d'hommes plus cupides, plus étroits, plus secs, plus vaniteux, plus jaloux, plus impies, plus étrangers, à tous les sentiments élevés, à toutes les pensées généreuses ? Véritables Chinois de l'Occident, ils ont dépassé leurs confrères d'Orient. Ceux-ci, disait naguère l'un d'entre eux, admettent quatre vérités : boire, manger, digérer et dormir (1) ; les nôtres n'en admettent qu'une : gagner de l'argent. S'ils refusent de se reconnaître à ces traits, qu'ils contemplent la France, la France, tour à tour la dérision, la pitié et l'effroi des nations : elle n'est pas seulement leur ouvrage, elle est leur image. Quelle dignité ! O matre pulchra filia pulchrior ! Au reste, que la bourgeoisie française ne prenne pas pour elle seule mes paroles, elles s'adressent à toute la bourgeoisie européenne.


(1) Annales de la prop. de la foi, n°126.


Il m'en coûte, monsieur et cher ami, de tracer ce portrait, hélas ! trop ressemblant. Ce n'est pas un reproche que je fais, c'est un malheur que je déplore ; ce n'est pas la haine que je provoque, c'est la compassion que j'appelle. Si je signale des défauts qu'on nierait en vain, c'est pour en indiquer la cause et le remède. Quand le pilote, le sachant ou sans le savoir, pousse le navire contre les écueils, les passagers n'ont-ils pas le droit de lui dire : Vous nous perdez ?


Voilà donc l'état d'abaissement, pour ne pas employer une expression plus forte, où est descendue une classe si nombreuse et d'ailleurs si intéressante de la société. Comment s'est-elle matérialisée à ce point ? En s'occupant exclusivement de la matière, en ne faisant rien pour se spiritualiser, c'est-à-dire en consacrant obstinément, persévéramment au travail matériel même les jours divinement destinés au travail moral ; en un mot, en profanant le dimanche depuis quatre-vingts ans. Si telle n'est pas la cause exclusive de la dégradation qui nous afflige, pas un observateur qui ne convienne qu'elle en est au moins la plus efficace.


V

Que dirai-je de l'ouvrier ? Ah ! c'est lui surtout qui s'est dégradé en violant la loi sacrée du repos hebdomadaire. Vous n'êtes pas sans avoir remarqué, monsieur et cher ami, que, dans tous les commandements de Dieu, la place du père est toujours beaucoup plus large que celle du législateur : on dirait que Dieu n'est législateur que parce qu'il est père. Entre mille, le précepte de la prière et du repos septénaire en est une preuve attendrissante.

Sondant tous les mystères de l'avenir, Dieu a vu, dès le commencement, l'homme, si heureux au sortir du berceau, tomber dans l'abîme du malheur, et y tomber par sa faute. Il l'a vu fléchissant sous le joug d'un travail pénible, courbé vers la terre, traînant derrière lui la longue et lourde chaîne du besoin. Il voit ce noble enfant baisser chaque jour d'un degré dans l'ordre moral. Sa pensée s'affaisse sous le poids des nécessités terrestres ; ses sentiments descendent au niveau du sol qu'il foule aux pieds ; son front même semble avoir perdu le caractère sublime dont il l'avait orné. A cette condition déjà si dure, il voit l'égoïsme ajoutant ses cruelles exigences et obligeant le pauvre à se consumer dans un labeur, qui ne connaît de repos que le repos forçé de la maladie et l'épuisement prématuré de la nature.


Qu'a fait ce Dieu législateur et père ? Sur sept jours de fatigue, il en a donné un au repos de son enfant. Luimême a publié cet ordre, qui sera immuable, qui sera sacré aussi bien pour ; le riche que pour le pauvre, et il l'a signé de son nom : Moi, le Seigneur, ego Dominus.


Puis, appelant l'Église son épouse, il lui a dit : Allez, et dites à ce pauvre ouvrier : « Au nom du roi des cieux, dont vous êtes le fils, prenez un jour du moins l'attitude et la démarche qui conviennent à votre origine. Vous aviez été créé pour régner sur la nature souvenez-vous-en aujourd'hui. Vous êtes né pour vous reposer glorieusement au sein de l'immortalité, venez l'apprendre dans ma maison. Venez, et je vous ferai asseoir au milieu de vos maîtres ; je vous recevrai à la même table, je vous donnerai le même pain et la même coupe ; je vous offrirai les mêmes conseils et les mêmes joies. Votre âme, à mes yeux, vaut celle d'un prince ; tous deux et au même titre vous êtes mes enfants; mais si je dois une préférence de tendresse, c'est à celui qui est pauvre et petit (1). »

Dociles à cette voix si douce, les classes laborieuses se montrèrent, pendant une longue suite de siècles, les plus empressées à se réunir dans les temples, à goûter le repos salutaire qui leur était préparé, à recueillir les leçons consolantes qui leur étaient données, et à participer aux joies si pures qui leur étaient offertes. Moralisées, ennoblies, consolées par la religion, ces classes, divisées en mille corporations, furent le véritable nerf de la France et le piédestal de sa gloire. La révolution de 89 les trouva généralement fidèles aux croyances et aux habitudes catholiques. Pour défendre ce noble héritage, elles eurent de nombreux martyrs.


(1) Voyez le mandement de monseigneur l'évêque de Beauvais, 1844.


Victorieuse par la terreur, l'impiété ne se fit point illusion, elle comprit que l'unique moyen d'assurer son triomphe était de décatholiciser la France. Ni les parodies sacriléges de nos augustes mystères, ni les fêtes de la déesse Raison ne lui parurent suffisantes pour atteindre ce but. Avec cette intelligence qui ne lui fit jamais défaut, elle institua le décadi, portant peine de mort contre qui ne travaillerait pas le ci-devant dimanche ; c'est-à-dire qu'elle décréta la profanation permanente du jour sacré (1).

Cette mesure fut désastreuse : les classes laborieuses, privées d'ailleurs de leurs églises et de leurs prêtres, perdirent peu à peu l'habitude du repos hebdomadaire, et avec elle la sauvegarde de leur foi, la source de leurs consolations, les titres de leur noblesse et le sentiment de leur dignité.


VI

Il faudrait, monsieur et cher ami, des larmes le sang pour pleurer la dégradation de ce mal-heureux peuple, devenu profanateur du di-manche. Qu'est-il aux yeux de ses maîtres, aux yeux de ceux-là mêmes qui l'ont poussé dans le précipice et qui l'y retiennent ? Suivant l'énergique expression d'un prophète, qui ne trouva jamais une application plus vraie, il est un instrument, un outil, une machine, une bête de somme (2).


(1) La preuve évidente que la haine de la Religion fit substituer le calendrier républicain au calendrier catholique, est écrite en toutes lettres dans les deux pièces suivantes : Un arrêté du 13 germinal an VI (4 avril 1798) dit expressément que « l'observation du calendrier français est une des institutions les plus propres à faire oublier le régime sacerdotal. » Un message du 18 germinal an VIL (8 avril 1799) ajoute : « Que ce calendrier a pour objet de déraciner du cœur du peuple la superstition, en généralisant dans toutes les communes les fêtes décadaires. »

(2) Comparatus est jumentis insipientibus. (Ps. XVIII.)


Parcourez les usines, les manufactures, les fabriques, les ateliers, les domaines, les villes et les campagnes, où le jour du Seigneur n'est plus connu. Je le dis, et vous le direz comme moi..ayec un profond sentiment de pitié, là, sauf de rares exceptions dues à l'action secrète du christianisme, l'artisan, le cultivateur, l'homme du peuple, n'est plus considéré que comme une machine et une bête de somme. Machine à labourer la terre, machine à fabriquer des tissus, machine à forger le fer, machine à façonner l'argile, machine à raboter le bois ou à tailler la pierre ; mais toujours machine.


Et la preuve : c'est que l'estime qu'on lui accorde se mesure au nombre, à la facilité et à. la précision des mouvements qu'il exécute.

Et la preuve : c'est qu'on croit avoir rempli toute justice à son égard lorsqu'on lui a donné de quoi réparer ses forces musculaires, comme on verse de temps en temps, dans les rouages d'une machine, l'huile nécessaire pour la faire fonctionner.

Et la preuve : c'est que, une fois épuisé par un travail forcé, on le congédie sans miséricorde, comme on met au rebut la machine hors de service. Mais cet être a-t-il une âme, ou n'en a-t-il point ? La délicatesse de sa complexion ou de ses sentiments mérite-t-elle des ménagements, ou peut-elle s'en passer ? Est-ce un blasphémateur, un libertin ou quelque autre chose ? Peu importe. Il n'y a qu'une question qu'on examine attentivement : quel produit positif peut-on retirer de ses bras ? voilà tout.

Oui, voilà tout, pour cette créature faite à l'image de Dieu ; voilà tout pour cette âme immortelle rachetée au prix d'un sang divin ; voilà tout pour cet enfant du ciel, pour cet héritier présomptif d'un royaume éternel ! Ai-je eu tort de dire que le respect de la dignité humaine s'est perdu et que nous retournons au paganisme ?


VII

Tel est l'ouvrier aux yeux de tous les Maîtres de l'école anglaise, et cette école a des disciples partout. Qu'est-il à ses propres yeux ? Il est ce qu'on l'a fait. Oui, ce qu'il y a de plus déplorable, l'ouvrier profanateur du dimanche ne comprend pas la dégradation à laquelle il est descendu. Sans difficulté, il accepte le rôle humiliant qui lui est assigné ; il accepte, lui noble enfant de Dieu, il accepte d'être machine et bête de somme : c'est encore une expression prophétique (1).


(1) Et similis factus est illis. (Ps. XLVIII.)


Du pain à manger, du vin à boire, une couche pour s'étendre, un toit pour s'abriter, quelques pièces de monnaie pour participer à l'orgie : il ne demande rien de plus. S'il soupçonne des besoins d'un autre ordre, on peut en douter ; car, lorsqu'il a pu, comme la bête de somme, satisfaire ses appétits, il est content. L'entendez-vous chaque semaine, transformant le jour de la prière en jour de débauche, faire retentir, jusqu'au milieu des ténèbres de la nuit, et ses cabarets et ses tripots, et nos places et nos rues, des chants avinés de son ignoble bonheur ? Mangeons, buvons, amusons-nous ; car nous mourrons demain.


Gardez-vous, mon cher ami, de vouloir lui adresser quelques observations et de le rappeler au sentiment de sa dignité. Il pourrait bien vous répondre ce qui m'a été répondu à moi-même : « Vous dites que l'ouvrier ne doit pas boire ; et moi je dis que l'ouvrier n'est pas un esclave, et, quand il a de l'argent, il doit boire et s'amuser. » Ô dignité humaine !


Que sa femme surtout ne lui fasse jamais de reproches; que jamais elle ne lui parle de ses enfants, qui manquent de vêtements et de pain. Elle provoquerait des accès de fureur, et tout ce qu'elle obtiendrait de cet homme, qui n'en est plus un, serait des blasphèmes et de mauvais traitements. Les faits de ce genre sont innombrables : personne qui ne puisse en raconter. Au risque de tomber dans une redite, je vais vous en rapporter un qui m'est particulièrement connu.

Un ouvrier métallurgiste, père de cinq enfants, gagnait cinq francs par jour. Sa paye reçue, il s'en allait au cabaret, où il restait jus-qu'à ce qu'il eût tout dépensé. Après plusieurs jours et plusieurs nuits d'absence, il rentrait enfin dans son domicile : et il demandait à boire !


Une nuit d'hiver, sa femme et ses enfants, qui souffraient également les angoisses de la faim et les rigueurs du froid, osèrent lui demander de quoi acheter un peu de pain et de charbon. Pour toute réponse, cet époux, ce père tel que les forment la profanation du dimanche et son inévitable compagne, la fréquentation des cabarets, se précipite sur sa, femme et sur ses enfants, les maltraite indignement, puis les jette dans la rue ; après quoi, fermant la porte à double tour, il fait un ballot de tout ce qu'il peut emporter, sort et disparaît pour ne plus revenir.

Si c'était un exemple isolé, je sais qu'on n'en pourrait rien conclure à l'égard des classes ouvrières ; malheureusement ces faits, à quelques variantes près, sont tellement nombreux qu'ils né seront bientôt plus l'exception, mais la règle. Dès lors, quel indicateur plus certain de l'influence exercée par le matérialisme profanateur du dimanche, sur les sentiments de dignité et d'humanité, si développés autrefois dans nos populations françaises !


Agréez, etc.


Xe LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE, RUINE DE LA SANTÉ

5 juin.


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Les impies ont des entrailles de bronze (1). Vérifié par tous les faits de l'histoire et par les détails contenus dans ma dernière lettre, ce mot de nos divines Écritures va l'être surabondamment, par les considérations que j'ai à vous soumettre aujourd'hui. Les impies qui ont introduit parmi nous la profanation du dimanche, aussi bien que leurs continuateurs dans cette œuvre d'iniquité, ont arraché au peuple les seuls biens qu'il possédait. Sa religion, ce n'est pas assez ; ses joies de famille, ce n'est pas assez ; son bien-être, ce n'est assez ; le sentiment de sa dignité, ce n'est pas assez. Il lui reste une dernière ressource : la santé, et il faut qu'ils l'en dépouillent.


(1) Viscera autem impiorum crudelia (Prov. XII,10.)


La fortune de l'ouvrier, c'est sa santé. Or, la profanation du dimanche en est la ruine. D'une part, l'homme ne peut pas toujours travailler, il faut qu'il se repose ; d'autre part, il ne peut se reposer que le dimanche à l'église ou le lundi au cabaret. Je dois avant tout établir ma proposition : je rechercherai ensuite quelles sont les conséquences hygiéniques de ce double repos.


II

D'abord, l'homme ne peut pas toujours travailler. L'arc toujours tendu finit bientôt par perdre son ressort. De même l'homme qui voudrait toujours travailler, ne travaillerait pas longtemps. Les infirmités précoces, l'allaiblissement des organes, des maladies de plus d'une espèce, ne tarderont pas à venger la nature outragée dans ses lois et à condamner à un chômage forcé le téméraire, qui aura dédaigné de S'accorder le repos commandé par le Créateur. Le repos est donc une loi pour l'homme : comme il ne peut vivre sans manger, il ne peut vivre sansse reposer. Bon gré, mal gré, qu'il en ait, il faut que chaque soir il obéisse à ce besoin impérieux dont aucune découverte, aucun système, aucun progrès n'a pu jusqu'ici le rendre maître.

Mais ce repos de chaque jour suffit-il pour réparer dans une juste mesure les forces de l'homme et l'entretenir longtemps dans un état de, vigueur et de santé ? Demandons la réponse non aux théologiens et aux Pères de l'Église, mais aux philosophes les moins suspects, aux médecins les plus expérimentés, aux physiologistes les plus habiles tant en France qu'à l'étranger. Voici d'abord un philosophe contre lequel n'ont rien à dire ceux que nous combattons.


Que doit-on penser, demande Rousseau, de ceux qui veulent ôter au peuple ses fêtes, comme autant de distractions qui le détournent du travail ? Cette maxime est barbare et fausse. Tant pis si le peuple n'a de temps que pour gagner son pain ; il lui en faut encore pour le manger avec joie ; sans quoi il ne le gagnera pas longtemps. Le Dieu juste et bienfaisant qui veut qu'il s'occupe, veut aussi qu'il se délasse. La nature lui impose également l'exercice et le repos, le plaisir et la peine. Le dégoût du travail accable plus les malheureux que le travail même. Voulezvous rendre un peuple actif et laborieux ? Donnez-lui des fêtes... Des jours ainsi perdus feront mieux valoir les autres (1). »


(1) Lettre à d'Alembert.


Suivant Rousseau, le repos ordinaire de chaque jour ne suffit donc pas ; il faut, à des intervalles réglés, un repos  plus complet. « Il le faut, dit Cabanis, dans les ateliers clos ; surtout dans ceux où l'air se renouvelle avec difficulté. Là, les forces musculaires diminuent rapidement : la reprodution de la chaleur animale languit, et les hommes de la constitution la plus robuste contractent le tempérament mobile et capricieux des femmes. Loin de l'influence de cet air actif et de cette vive lumière dont on jouit sous la voûte du ciel, le corps s'étiole en quelque sorte, comme une plante privée d'air et de jour ; le système nerveux peut tomber dans la stupeur, et, trop souvent, il n'en sort que par des excitations irrégulières (1). »


(1) Rapports de physique, etc., t. Il, p. 215. 9.


« Il ne le faut pas moins, ajoute un observa-leur judicieux, dans les ateliers plus ouverts, où se rassemblent un grand nombre d'ouvriers. L'exercice même de leur profession et leur agglomération ne tardent pas à vicier l'air... l'atmosphère se trouve bientôt chargée d'acide carbonique, de miasmes délétères, de poussière et de molécules métalliques, toutes choses qui introduisent dans les organes pulmonaires des agents de destruction plus ou moins rapides. Aussi, presque partout où il existe des manufactures, des usines, des fabriques, une industrie de quelque genre que ce soit, qui exige le concours d'une grande quantité de bras, on est frappé de l'espèce de dégénération qui se manifeste promptement chez les individus.


« Des visages pâles qui conservent une expression dure et repoussante, l'étiolement de la taille dans les hommes, une physionomie languissante et douloureuse dans les femmes, des enfants qui portent, dès leur entrée dans la vie, les marques indélébiles de la malédiction qui semble peser sur les auteurs de leurs jours : tel est l'affligeant spectacle que présentent communément ces réunions d'ouvriers. Si, pour nourrir leurs fa-milles, ils ont dû se courber toute la semaine sur leurs métiers ou leurs établis, qu'au moins le dimanche chacun d'eux puisse se remettre des fatigues passées, et recueillir les forces qui lui feront ensuite reprendre le travail avec une énergie nouvelle (1). »


(1) Perennès, Institution du dimanche, p. 108.


« Il le faut aux hommes, qui, travaillant au dehors, portent le poids du jouir : les uns, exposés au soleil, à la pluie, au vent, à toutes les intempéries des saisons, labourent la terre, et déposent dans son sein, avec la semence qui fructifiera, une portion de leur force et de leur vie ; les autres exploitent, avec de longs efforts, les forêts et les carrières ; ceux-là descendent dans les entrailles de la terre, et aventurent leur existence au sein des vapeurs mortelles que recèlent les profondeurs du globe, en butte aux éboulements, à mille accidents de toute espèce. Qui ne conçoit combien tous ces hommes, de professions si pénibles, ont besoin d'un repos réparateur ?


« Il le faut aux hommes de cabinet, dont le travail agit plus que tout autre d'une manière désastreuse sur la santé. Il le faut particulière encore au commerçant assis dans son comptoir et à ceux qu'il associe à sa sollicitude. Pour peu qu'on réfléchisse sur le déploiement prodigieux d'activité, nécessité par le développement de l'industrie, par l'accroissement rapide des relations commerciales, par l'extension des opérations journalières des divers établissements de négoce, on demeure persuadé qu'une journée périodique de repos est devenue plus nécessaire que jamais.


« Du temps de nos pères, les maisons les plus modestes où se faisait la vente des objets nécessaires de consommation, avaient tous les jours certaines heures de repos, pendant lesquelles le marchand s'enfermait, pour prendre en liberté des repas que suivaient quelques instants d'un loisir absolu. Un client qui se serait présenté pour faire ses achats eût été poliment invité à revenir dans un autre moment.


Aujourd'hui plus de répit. Le marchand et son commis prennent à la hâte leur repas sans discontinuer leurs opérations et leurs calculs, et, dans certaines villes, les fatigues du commerçant sont encore augmentées par es veilles prolongées, d'où cette foule de maladies dont la liste remplit des pages dans les physiologies médicales. Loin donc que le jour du chômage religieux soit devenu moins utile pour cette classe d'hommes, on doit reconnaître, au contraire, que, pour eux, il faudrait l'inventer, s'il n'existait pas : car c'est peut-être pour eux que ces bienfaits ont le plus d'à-propos (1). »


III

Il est donc bien évident que le repos ordinaire de chaque jour ne suffit pas à l'homme ; sa santé exige de temps en temps un repos plus complet. Telle est la conclusion de la science, et nous verrons bientôt que telle est aussi celle de l'expérience. Je dis mal ; car déjà notre expérience personnelle ne nous laisse aucun doute sur ce point. Mais à quels intervalles doit revenir ce repos pour être vrai-ment réparateur ? Si les jours que vous chômez sont trop fréquents, le malaise, la fatigue du désœuvrement et les conséquences funestes qu'elle engendre dénaturent votre institution. Si des-intervalles trop grands les séparent, l'inconvénient de la fatigue trop prolongée subsiste, et le repos incomplet ne réparera qu’à demi la perte des forces.


Il n'y a, pour résoudre ce problème important, que deux moyens : la révélation et l'observation (2). Or, le Dieu qui a créé l'homme et qui a mesuré ses forces, lui a dit, Tu te reposeras le septième jour. Et toute science, toute philosophie s'est inclinée muette devant la loi du Seigneur. Des essais ont été faits avec grand fracas pour lui substituer des lois humaines, et ces lois éphémères sont devenues un objet de dérision et de mépris.


(1) Perennès, Institution du dimanche, p. 112.

(2) Perennes, Institution du dimanche, p.116, 118.


Tu te reposeras le septième jour, quelle que soit la nature de tes occupations, et cela sous peine des plus graves périls pour ta santé et même pour ta vie : telle est aussi la conclusion à laquelle conduit l'observation approfondie des lois physiologiques de l'homme.


Écoutons là-dessus un célèbre médecin pro-testant, le docteur Fur. Dans un rapport adressé au Parlement anglais, il s'exprime en ces termes « L'observation du dimanche doit être comptée non-seulement parmi les devoirs religieux, mais parmi les devoirs naturels, si la conservation de sa vie est un devoir, et si l'on est coupable de suicide en la détruisant prématurément, Je ne parle ici que comme médecin, et sans m'occuper d'aucune manière de la question théologique (1). »


Ainsi, à moins d'accuser Dieu même d'imprévoyance, la Révélation de mensonge, l'observation la plus consciencieuse de rêverie, notre expérience personnelle d'illusion, il faut reconnaître deux choses : la première, que le repos est nécessaire à l'homme ; la seconde, que le repos ordinaire de chaque jour ne suffit pas, et qu'il faut donner à un repos plus complet un jour sur sept. C'est un point désormais acquis à la discussion (2).


(1) Archives du Christ, 1833, p. 183 et suiv.

(2) On pourrait citer comme objection l'exemple des Chinois, des Indiens, etc., qui ne respectent pas le repos du septième jour. Je réponds : 1° que ces peuples ont cependant, à diffirentes saisons, des jours de repos, comme au nouvel an, qu'ils célèbrent par huit et douze jours de fête ; au petit nouvel an, c'est-à-dire au milieu de l'année, et même au renouvellement de la lune ; 2° que, par suite de leurs préoccupations exclusivement matérialistes, ils sont énervés : la mollesse, la lâcheté forment leurcaractère ; l'immoralité est chez eux à son comble ; la misère en permanence : les maladies épidémiques y sont plus terribles et plus fréquentes ; 3° qu'à raison de la différence de climats et de l'habitude qui les oblige à prolonger beaucoup plus que nous le repos quotidien, il est possible que le repos régulier du septième jour leur soit moins nécessaire. Mais en Europe, avec notre activité dévorante, avec notre vocation intellectuelle, on conçoit également l'indispensable nécessité d'un repos régulier.


Agréez, etc.


XIe LETTRE : LA PROFANATION DU DIMANCHE RUINE DE LA SANTÉ (SUITE)

10 juin.


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

Ce que vous me dites dans votre réponse de l'incrédulité de certains hommes à l'égard du fait de Rimini, n'a rien qui doive étonner, et pourtant elle tient du prodige. Voilà, en effet, des hommes qui se disent esprits forts, esprits supérieurs, esprits avancés, et qui le croient encore plus qu'ils ne le disent ; des hommes qui, chaque jour, admettent, sur la foi de deux ou trois de leurs semblables, des anecdoctes, des faits, des doctrines dont mille autres prétendent avoir de trèsbonnes raisons de douter, et qui les admettent comme parole d'Évangile, comme base de gouvernement, comme règle infaillible de conduite. Et ces mêmes hommes, sans motif avouable, nient un fait éclatant, répété cent fois pendant quinze jours en présence de milliers de témoins, sains de corps et d'esprit, et qui l'attestent comme ils pourraient attester leur existence.


Voilà une obstination qui certes tient du prodige ; mais leur prétention en tient bien davantage. Ils ne veulent pas admettre le miracle de Rimini, et ils prétendent en faire admettre une autre devant lequel pâlissent tous ceux qui ont jamais été faits, y compris la création du monde : c'est le miracle de la Berlue dans soixante mille personnes, pendant quinze jours ! ! ! En fait de miracles, vous voyez que l'incrédulité n'y va pas de main morte. Four moi, tout catholique que je suis, j'avoue que ma foi n'est pas assez robuste pour dévorer une pareille couleuvre ; et, si on ne peut être incrédule qu'à ce prix, j'y renonce.


Vous me demandez la cause de cette négation si parfaitement ridicule : fouillez, non pas l'esprit, mais le cœur de ces messieurs, et vous là trouverez. Dans un des recoins les plus cachés de ce pauvre cœur, gît une raison de ne pas croire, et cette raison est un intérêt : alors tout vous sera expliqué. Laissez-vous prendre le doigt dans les engrenages de certaines machines, et il faudra que tout votre corps passe entre les cylindres. Admettre un miracle, un seul, c'est se laisser prendre dans les engrenages du catholicisme. Or, soyez sûr qu'ils n'admettront pas ce miracle, fût-ce la résurrection d'un mort ; car, pour rien au monde, ils ne veulent se laisser cylindrer par le catholicisme : un intérêt s'y oppose.


Si vous en doutez, je fais une gageure avec vous. Supposons que demain l'Assemblée législative décrète que quiconque, sur le territoire de l'empire français, croira que deux et deux font quatre, sera obligé, sous peine de mort, de se confesser ; j'ose parier qu'après demain il y aura cinquante journaux et cinquante mille hommes qui auront prouvé, par cinquante raisons meilleures les unes que les autres, que deux et deux ne font pas quatre ; que cela n'est pas démontré ; qu'ils ne peuvent le croire ; qu'ils ne l'ont jamais cru. Voilà l'homme ! c'est toujours le cœur qui lui fait mal à la tête !


II

Prenez-vous-en, s'il vous plaît, monsieur le représentant, à vous tout seul de ma digression : c'est votre lettre qui m'y a entraîné. Du reste, je ne crois pas m'être beaucoup écarté de mon sujet, puisque j'ai encore aujourd'hui des incrédules à convaincre. Or, après avoir établi l'absolue nécessité du repos septénaire pour la santé, j'arrive à la seconde partie de ma proposition, et je dis que l'homme ne peut se reposer que le dimanche à l'église ou le lundi au cabaret.


En soutenant que l'homme ne peut se reposer que le dimanche ou le lundi, vous comprenez que je ne parle pas d'un pouvoir absolu. Je sais parfaitement qu'il est loisible à l'homme de choisir, pour son repos, le jour qu'il lui plaît; mais je raisonne d'après un fait constant et passé en habitude. Or, ce fait, que chacun voit de ses yeux, est qu'en réalité le travail n'est suspendu que le dimanche ou le lundi. Telle est la puissance de cette habitude, que l'industriel, le négociant, l'ouvrier, ne pourraient, sans exciter la surprise générale et provoquer les railleries de toute nature, prendre le mercredi ou le jeudi, par exemple, pour se livrer au repos. Reste donc à choisir entre le dimanche et le lundi, entre le repos de l'église et le repos du cabaret. Voyons lequel des deux est vraiment réparateur, vraiment-hygiénique.


III

« Si on fait attention, continue le docteur anglais déjà cité, que la religion produit la paix de l'âme, la confiance en Dieu, les sentiments intérieurs de bien-être, on ne tardera pas à se convaincre qu'elle est une source de vigueur pour l'esprit, et par l'intermédiaire de l'esprit un principe de forces pour le corps. Le saint repos du dimanche met dans le corps un nouveau germe de vie. L'exercice laborieux du corps et de l'esprit, de même que la dissipation des plaisirs sensuels, sont les ennemis de l'homme aussi bien qu'une profanation du sabbat ; tandis que la jouissance du repos dans la famille, jouissance unie aux études et aux devoirs qu'impose le jour du Seigneur, tend à prolonger la vie humaine. C'est la seule et parfaite science qui rend le présent plus certain et assure le bonheur de l'avenir.


« Il est vrai que l'ecclésiastique et le médecin doivent travailler le dimanche pour le bien de a communauté ; mais j'ai regardé comme essentiel à ma conservation de restreindre mon travail du dimanche au strict nécessaire.


J'ai sou-vent observé la mort des médecins qui travaillent continuellement : cela est surtout visible dans les pays chauds. Quant aux écclésiastiques, je leur ai conseillé de se reposer un autre jour de la semaine. J'en ai connu plusieurs qui sont morts à cause de leurs travaux pendant ce jour, parce qu'ils n'avaient pas ensuite pris un, repos équivalent. J'ai aussi connu des hommes parlementaires qui se sont détruits pour avoir négligé cette économie de la vie. En résumé, l'homme a besoin que son corps ait du repos un jour sur sept, et que son esprit se livre au changement d'idées qu'amène le jour institué par une ineffable sagesse (1).


(1) Archives du Christ, 1833, 168.


Ainsi, une heureuse diversion aux pensées qui, durant toute la semaine, ont occupé l'es-prit et fatigué les rganes, le calme de l'âme, l'apaisement du cœur, la prière, la conversation avec soi-même et avec Dieu, la pompe des cérémonies, la gravité et l'onction de la parole sainte, le silence qui règne partout, les joies de la famille, le souvenir des aïeux dont on a visité la tombe, l'aspiration de l'être tout entier vers le ciel : toutes ces choses placent l'homme comme dans un monde nouveau, le font respirer dans une atmosphère plus pure, et sont merveilleusement propres à reposer à la fois et le corps et l'âme. Sans être physiologiste ni médecin, on conçoit sans peine combien un pareil repos est hygiénique et réparateur.


IV

Tel est le repos du dimanche. En est-il de même du repos du lundi ? Évidemment non; car le repos du lundi n'est pas le repos de l'âme ni du corps. Le repos du lundi, c'est le repos dans la débauche, car c'est le repos au cabaret : loin d'être bienfaisant, ce repos est plus meurtrier que le travail. Croirait-on,par hasard, que l'excès dans la nourriture et dans la boisson ; que l'usage exagéré des liqueurs fortes ; que les veilles prolongées dans l'orgie; que les passions surexcitées par le vin, par des chants ou par des discours obcènes ; que les emportements,les querelles, les rixes ; que le renversement de toutes les habitudes d'ordre et de sobriété.sont de bons moyens hygiéniques, capables de remplacer équivalemment le repos salutaire dii dimanche, et parfaitement propres à réparer les forces épuisées, à affermir le tempérament età entretenir la santé ? Poser la question, c'est la résoudre.

Je veux bien que la profanation du dimanche et le repos funeste du cabaret qui en est la suite ordinaire, ne conduisent pas subitement à la maladie ou à la mort. Toutefois, tenez pour certain qu'ils les appellent l'une et l'autre. On ne se moque pas de Dieu impunément pas plus de Dieu auteur des lois morales qui règlent les conditions de la vie de l'âme, que de Dieu auteur des lois physiques qui président à la conservation de la vie et de la santé du corps. L'intempérance du travail, aussi bien que l'intempérance de la table, est la violation de la première loi hygiénique que Dieu ait donnée à l'homme, et l'intempérance en fait plus mourir que le glaive.

Interrogez l'expérience. Sur qui tombent principalement les maladies contagieuses ? Pour qui sont les fièvres endémiques ? Dans quelles classés, parmi quels hommes la suette et le choléra ont-ils fait récemment le plus de victimes ? Partout on vous dira que c'est dans les classes laborieuses et parmi les hommes que la profanation habituelle du dimanche avait préparés à ces horribles fléaux, en minant leur constitution par un travail excessif et en les conduisant à l'intempérance et à l'irrégularité dans les habitudes de vivre : telle est la règle.


Il y a trois mille ans que le Créateur et le médecin de l'homme lui a prédit que le choléra serait le châtiment de l'intempérance, c'est-à-dire du mépris des lois hygiéniques établies par la Providence, et parmi ces lois hygiéniques, nous l'avons prouvé, celle qui tient le premier rang, c'est la loi du repos hebdomadaire (1).


(1) Vigilia, cholera, et tortura viro infrunito... in multis escis erit infirmitas, et aviditas appropinquat usque ad choleram. (Eccli., XXXI, 23; XXXVI,.33.)


Quelles révélations effrayantes la science n'aurait-elle pas à nous faire en preuve de ce que j'avance, si elle voulait rechercher, le flambeau de la foi à la main, les causes premières du suicide et de la folie, ces épidémies morales qui s'étendent comme une lèpre hideuse sur les peuples modernes ! Ni vous ni moi, Monsieur, n'en doutons, et nul n'en peut douter ; une large, une très-large place est ici occupée par la violation de la loi hygiénique du repos sacré.


Ce que je peux dire, c'est qu'au témoignage des médecins spéciaux, sur cent cas de folie, quatre-vingt-douze doivent être attribués à l'excès des passions, principalement de l'orgueil et de la volupté. Mais où s'exaltent surtout les passions des classes laborieuses, qui forment les deux tiers de la France ? où s'échauffent les têtes aux propos anarchiques, excitateurs de l'orgueil ? où se consume avec excès le vin, père de la luxure ? N'est-ce pas aux cabarets ? Et qui peuple les cabarets ? N'est-ce pas, avant tout, la profanation du dimanche ?


Ce que je, peux dire encore, c'est que les conseils de révision constatent la dégénération rapide de l'espèce dans les pays où le dimanche est habituellement profané, au point que sur cent jeunes gens, on en trouve à peine vingt qui soient aptes au service ; tous les autres sont étiolés.


Ce que je puis dire, enfin, bien que vous le sachiez mieux que moi, c'est que les municipalités des grands centres d'industrie ont réclamé énergiquement et à plusieurs reprises les mesures les plus urgentes pour obtenir le repos du dimanche et régler les conditions du travail qui épuise la population. En effet, la situation est des plus graves.


Deux ou trois preuves seulement. En 1837, la SeineInférieure avait à fournir un contingent de 1,609 hommes ; il fallut en réformer 2,044. La ville de Rouen, inscrite pour un contingent de 184, a présenté 317 réformés ; ainsi, pour avoir 100 hommes valides, il a fallu en repousser 166. A Mulhouse, on est allé jusqu'au chiffre 100 ; à Elbeuf, à 168 ; à Nîmes, à 7.


« Au rapport des officiers expérimentés, la constitution de nos soldats est, en général, des plus débiles. Il en résulte une grande perte d'effectif lorsqu'on entre en campagne ; et cette con-séquence a été tellement remarquée, que bien des écrivains militaires ont attribué à l'état physique de notre armée les désastres qui, en 1813 et 1814, on frappé la France.


« Sur 300,000 conscrits, un tiers entrait à l'hôpital dans les deux ou trois premiers mois de campagne ; car ces pauvres enfants, si braves sur les champs de bataille, n'ayant plus la force de porter leurs armes dans les marches forcées, ou de braver les intempéries des bivouacs, succombaient à la nostalgie, au typhus etc à toutes ces maladies épidémiques qui avaient fait de Dresde, de Mayence, en 1813, et de Paris, en 1814, de vastes et glorieux tombeaux (1). »


V

Je pourrais multiplier ces détails affligeants ; mais ils sont donnés ailleurs, et je m'arrête (2). Il est donc bien établi que la loi de la sanctification du dimanche est une loi hygiénique au premier chef ; que, par elle, Dieu protége la santé de l'homme contre un double danger : l'égoïsme du maître qui voudrait exiger un travail meurtrier, et l'ardeur inconsidérée de l'ouvrier pour le travail, ainsi que les excès d'un repos funeste.

L'homme n'a pas voulu en tenir compte, et toute l'économie de son existence a été troublée. Religion, société, famille, liberté, bien-être, dignité, santé, riche patrimoine qui faisait le bon-heur de ses aïeux et qui devait faire le sien, il voit tout cela tomber en ruines, et ces ruines, qu'il ne l'oublie pas, sont humainement irréparables.


(1) Infuence des fabriques, etc.

(2) Histoire de la société domestique, y. II, ch. VIII & IX

Encore un peu, et, s'il n'a hâte de se replacer sous la loi qui seule garantit tous ces biens, il périra corps et âme dans les convulsions de la plus affreuse anarchie qui ait jamais épouvanté le monde, et nul ne le plaindra. Au contraire, tous ceux qui entendront ses cris de douleur secoueront la tête, et diront : Il n'a que ce qu'il mérite : les avertissements ne lui ont pas manqué ; il a voulu aller au glaive, qu'il aille au glaive ; à la mort, qu'il aille à la mort ; à la misère et à l'esclavage, qu'il aille à la misère et à l'esclavage (1) !


Peuple infortuné ! prends donc enfin pitié de toimême : reconnais l'erreur fatale dont tu es la victime. Égaré par un sentiment funeste d'indépendance, tu as secoué le joug de ton père ; et, comme le prodigue de l'Évangile, tu es tombé dans un vasselage ignominieux. Tu as cherché la gloire, et tu as trouvé la honte. Étre intelligent, tu es devenu machine. Riche, tu es moteur, pauvre tu es le rouage. Ces nobles enfants du peuple, surtout, cette âme, cette vie, ce sang de la France, que sont-ils devenus en devenant profanateurs ? Ils ne prennent plus place dans nos saints temples, et la cupidité les a jetés dans des réduits malsains et corrupteurs (2). Ils ne vous, servent plus, ô bon et divin Maître : et, grâce à l'irréligion, les conditions du travail et de la domesticité deviennent pour eux, de jour en jour, plus dures et plus accablantes.


(1) Qui ad mortem ad mortem ; et qui ad gladium ad gladium ; et qui ad famem ad famem ; et qui ad captivitatem ad captivitatem. (Jerem., XV, 2.)

(2) En France, l'école économiste anglaise marche sur les traces de l'Angleterre. Or, il résulte des tables de morta lité en Angleterre, dressées en 1848, une donnée curieuse, savoir : que le soldat combattant sur la tranchée d'une ville assiégée, ou sur un champ de bataille, en présence des plus braves de ses ennemis, est exposé à moins de chances de mort que l'habitant de certaines villes manu-facturières d'Angleterre, telles que Manchester, Liverpool, etc. La chance de mort au siège d'Anvers était comme 1 est à 68 ; au siège de Badajoz, 1 à 54 ; à la bataille de Waterloo, 1 à 30. Pour l'ouvrier de Liverpool, la chance de mort est comme 1 est à 19 ; pour le tisserand de Manches-ter, comme 1 est à 18 ; pour le coutelier de Scheffield comme 1 est à 14.


« Pauvre peuple ! quand ouvriras-tu les yeux ? Hommes de peine, serviteurs, ouvriers, artisans, immense famille de travailleurs si chère à l'É-glise, quand reconnaîtrez-vous que l'on vous, trompe et que l'on vous perd ? On vous a prêché, au nom de la liberté, le mépris du dimanche : eh! ne sentez-vous pas que le joug s'est aggravé sur vos épaules, et que l'égoïsme vous traite maintenant avec une hauteur insultante ?

« On a fait devant vous grand étalage des pertes que vous occasionne le repos religieux : eh ! ne voyez-vous pas qu'il existe pour vous un repos à la fois plus ruineux et plus humiliant, celui du cabaret et celui de l'infirmité qui vient à la suite de la débauche ou d'un labeur excessif ? Chrétiens, reconnaissez votre dignité ; et, pour la comprendre, venez chaque dimanche vous ranger autour de cette tribune sacrée, où le prêtre de Jésus-Christ vous redira votre origine toute céleste, le prix de votre rédemption, qui est le sang d'un Dieu, votre sublime destinée, qui est la possession d'un bonheur sans fin et sans mesure (1). »


(1) Mandement de monseigneur l'évoque de Beauvais, 1844.


A ces paternels avertissements donnés aux peuples, ma prochaine lettre ajoutera quelques conseils à ses mandataires.


Agréez, etc.


XIIe LETTRE : REMÈDE AU MAL

11 juillet


MONSIEUR ET CHER AMI,


I

En commençant notre correspondance, je vous disais que l'Europe est malade, gravement malade; je vous le repète, en finissant, avec une conviction plus vive encore et que vous partagez avec moi. J'ajoutais que, si nous voulons nous sauver tout seuls, nous ne sauverons rien. Il faut, je le redis à dessein, il faut que Dieu vienne au secours de la société mourante par un de ces prodiges extraordinaires qu'il peut toujours opérer. Mais, pour qu'il l'opère, il faut que nous le voulions, ou plutôt il faut que nous voulions en profiter.


Vous connaissez le mot profond d'un Père de l'Église : « Dieu, qui vous a créés tout seul, ne vous sauvera pas tout seul. » Cela est vrai dans l'ordre de la nature comme dans l'ordre de la grâce ; l'homme ne vit pas malgré lui ; il faut qu'il consente à observer les lois de sa vie. Cela est vrai des nations comme des particuliers. Or, l'unique moyen pour la société de prolonger son existence et de se guérir, c'est de revenir à Dieu, en se soumettant de nouveau aux conditions nécessaires de son existence et de sa santé. Le premier acte social de ce retour doit être la sanctification du jour que le souverain Maître s'est réservé, parce que l'accomplissement de ce devoir conduit à la pratique de tous les autres, comme la violation en-traîne la ruine de la religion tout entière. Grâce aux considérations que je vous ai soumises, cette double vérité, je l'espère du moins, est arrivée, pour tout homme de bonne foi, à l'évidence d'un axiome.


II

Comment la rendre pratique ? Telle est maintenant la question. Elle peut être résolue de den manières : spontanément ou légalement. La première serait de beaucoup la plus honorable et la meilleure ; la seconde est plus immédiatement applicable et d'un effet plus général : disons un mot de l'une et de l'autre.


Le premier moyen de faire cesser la profanation du dimanche, c'est l'accord général de tous les citoyens. Dans l'application, cet accord se formule par des compromis, avec ou sans amende, passés entre les parties intéressées. En conséquence, les négociants, les entrepreneurs, les chefs d'ateliers, les industriels s'obligent, les uns à ne point vendre, les autres à ne point faire travailler les dimanches ni les fêtes chômées.


Pour rendre ce compromis d'une exécution tout à la fois plus facile et plus sûre, chaque corps d'état s'oblige en particulier, et par une convention spéciale, à respecter la loi sacrée du repos. Dès lors, toutes les raisons d'intérêt qu'on oppose à la sanctification du dimanche perdent leur valeur, pour le corps d'état signataire du compromis, quelle que soit d'ailleurs la conduite des autres professions.


Par exemple, que, dans une ville ou localité quelconque, les selliers, les bijoutiers, les menuisiers, les charrons, continuent de profaner le dimanche : quel préjudice peut-il en résulter pour le maçon, le serrurier, le marchand de nouveautés, le cordonnier, le tailleur, dont tous les confrères refusent le travail ou la vente ? I1 faudra bien que la pratique revienne un autre jour. Qu'on réussisse dans une ville à faire passer des compromis semblables entre tous les corps d'état, et vous arriverez de plain-pied au repos hebdomadaire.


Comme moyen d'aider à ces transactions en les sanctionnant, les catholiques devraient en faire une autre. Elle consiste à prendre l'engagement de favoriser les marchands et les ouvriers, religieux observateurs du dimanche. Pour cela, il suffit d'adresser aux profanateurs un raisonnement bien simple, dont la justesse ne peut manquer de les frapper. La suspension de la vente ou du travail les jours de dimanche et de fête vous occasionnerait, dites vous, une perte considérable à laquelle il vous est impossible de vous résoudre. Nous voulons bien le croire ; mais, dans ce cas, vous ne trouverez pas mauvais que nous cherchions à indemniser ceux de vos confrères qui consentent à s'y ex-poser. Ainsi, ne vous étonnez pas si désormais nous leur donnons notre pratique et que nous leur procurions celle de nos amis. On peut en être certain, ce moyen ne sera pas sans influence ; et qui peut nier qu'il ne soit de bonne guerre ?


A ce conseil je me permettrai d'ajouter une question, et de demander à nos bons catholiques si plusieurs n'auraient pas quelques reproches à se faire sur la sanctification du diman¬che. On dit avec vérité que, s'il n'y avait pas d'acheteurs, il n'y aurait pas de vendeurs. Or, il y a malheureusement beaucoup d'acheteurs le dimanche : tous sont-ils sans religion ? Votre pays et le mien, monsieur le représentant, me sont particulièrement connus.


Eh bien ! nous avons vu dans votre pays certains maîtres, bons catholiques, envoyer leurs domestiques faire des emplettes le dimanche; oublier de stipuler dans leurs marchés avec les entrepreneurs qu'on ne travaillera ni le dimanche ni les fêtes ; certaines dames, également bonnes catholiques, courir entre les offices, et cela sans scrupule, les magasins de modes, de bijouterie, de nouveautés, etc. ; les mettre sens dessus dessous pour commander ou choisir des objets qui, dit-on, sont loin d'être de première nécessité ; rendre des visites, à l'heure même des offices du soir, sans crainte de les manquer ou de les faire manquer aux autres.


Dans mon pays, on est passablement, exigeant, et, tout catholique qu'on est, on ne veut rien changer aux heures de ses repas, bien qu'on expose souvent les domestiques à sacrifier le service de Dieu au service des maîtres ; on tourmente très-souvent les maîtres d'atelier, les ouvriers et les ouvrières, pour avoir l'ouvrage le dimanche : on souffre qu'ils l'apportent ce jour-là ; on va même jusqu'à se plaindre s'ils ne le font pas, et à les menacer, en cas de récidive, de s'adresser à d'autres. Qui sait si, dans les autres pays, ces détails ne pourraient pas s'ajouter utilement à l'examen de conscience de bons catholiques ?


III

Quoi qu'il en soit, arriver par un accord spontané à la suppression du travail serait, je le répète, le moyen le plus honorable devant les hommes et le plus utile devant Dieu. Mais il suppose déjà un peuple, sinon chrétien, du moins en voie de le devenir. Par malheur, nous n'en sommes pas encore là : aussi, grand est le chapitre des obstacles. Difficiles à former, ces compromis sont encore plus difficiles à maintenir. Ce n'est pas sans beaucoup de peines et de démarches qu'on parvient à les faire consentir par la totalité des marchands, des industriels; des membres d'une même profession. Quelques récalcitrants n'ont qu'à refuser et la convention devient impossible : or, il n'est pas rare d'en rencontrer.


Il faut le dire, la rougeur au front, l'intérêt spirituel, égal pour tous, n'est pas ordinairement le vrai motif de la transaction ; c'est l'intérêt matériel, variable pour chacun. Il ne manque ni de négociants ni d'industriels qui, avant de s'engager, font secrètement leurs calculs, afin de savoir s'il y a pour eux plus à perdre qu'à gagner, dans la cessation de la vente et du travail. S'ils y voient du bénéfice, ils signeront ; s'ils n'en voient pas, ils signeront peutêtre encore ; mais s'il y a perte, tenez pour certain qu'ils ne signeront pas. Ne leur parlez ni de conscience ni depéché ; ils ne comprennent pas ce langage : dans leur balance, l'intérêt de leur âme pèse moins qu'une pièce de monnaie. Persuadez-vous bien qu'en signant le compromis, ce n'est pas un acte religieux qu'ils font, c'est un calcul.


Les conventions une fois établies, bien des causes tendent à les rompre. Des occasions imprévues se présentent; le négociant, le chef d'atelier sont vivement sollicités. Le bénéfice est beau; on se laisse gagner ; on viole le contrat le plus secrètement possible. Bientôt cependant la fraude est connue ; viennent les réclamations ou les amendes. L'aigreur s'en mêle, le mauvais exemple gagne, et, au terme de la convention, personne ne veut la renouveler.


Ajoutons que ces compromis sont très-souvent insignifiants pour conduire au but, qui est la sanctification du dimanche. Les uns obligent à fermer les magasins et les ateliers depuis midi, les autres seulement depuis les deux heures ; en tout cas, la profanation du dimanche est consommée. Enfin, ils ne sont point applicables partout. Dans toutes les localités, on ne trouve pas des corps d'états ; et quand il y en aurait, les habitants de la campagne, les agriculteurs dont les intérêts ne sont pas indivis comme ceux des ouvriers, restent forcément en dehors de ces salutaires associations.


IV

Malgré toutes les difficultés qu'il présente, ce premier moyen d'arriver à l'observation du dimanche me paraîtrait possible, si nous avions la volonté sérieuse de redevenir chrétiens. Puisque telles ne sont pas encore nos dispositions, le moyen légal me semble le plus sûr et le seul immédiatement applicable. De quoi s'agit-il, en effet ? Il s'agit de faire une loi qui défende de profaner le dimanche, c'est-à-dire d'outrager la religion de la majorité et de violer la liberté des catholiques ; ou plutôt il s'agit tout simplement de faire exécuter une loi déjà existante, et qui conserve toute sa vigueur, car elle n'a jamais été rapportée.


Je n'ai pas besoin de vous la nommer, c'est la loi du 18 novembre 1814, confirmée plusieurs fois, depuis 1830, par les arrêts de la Cour de cassation. Tel est l'acte vraiment politique, parce qu'il est vraiment chrétien, que je vous charge, monsieur et cher ami, d'obtenir de l'Assemblée législative. En le faisant, elle aura bien mérité de la France, de l'Europe, de la société tout entière. Or, elle le peut, et elle le doit.


V

Elle le peut. L'Assemblée est souveraine. L'acte que nous sollicitons n'est pas seulement possible, il est facile. A moins d'admettre pour la société une condamnation à mort sans appel et sans sursis, tout ce qui est nécessaire à son existence est possible. Or, je crois avoir établi l'indispensable nécessité de la sanctification du dimanche, quel que soit le point de vue social sous lequel on envisage la question.


De plus, cet acte est facile, plus facile aujour-d'hui que jamais. D'une part, l'activité commerciale n'est pas la même qu'avant la Révolution de février ; il y a un ralentissement général dans les affaires, et six jours par semaine suffisent à les expédier. Le chômage même se fait encore sentir sur un grand nombre de points; autant de raisons pour faciliter l'acceptation de la loi (1). D'autre part, les grands événenments qui ébranlent l'Europe n'ont pas été tout à fait pérdu pour l'instruction des peuples. Un vague besoin de se rattacher à la Religion s'est fait sentir, et la sanctification du dimanche est une des bases de la Religion; nouvelle raison qui facilitera l'acceptation de la loi.


(1) Ceci était écrit en 1849.


Ce besoin de la Religion n'est pas resté à l'état de sentiment vague et indéfini, il s'est traduit par le désir formel et manifesté, aux quatre coins de la France, de voir la loi sacrée du repos hebdomadaire remise promptement et partout en vigueur.


Je ne rapporterai pas les pétitions si fortement motivées, qu'ont adressées, au gouvernement nos places de commerce les plus inportantes, telles que Rouen, Bordeaux, Toulouse Marseille, Lyon, etc., etc. ; vous pouvez les lire aux archives de la Chambre. Une voix plus forte encore vient de se faire entendre ; c'est la voix de l'agriculture, des manufactures et du commerce de la France entière. Leurs délégués, réunis en conseil général à Paris, au mois dernier, se sont exprimés par l'organe de M. Charles Dupin, en termes si formels, que vous me permettrez de les rapporter :


« Considérées sous le point de vue le plus étroit et le plus vulgaire, la régularité, l'uniformité des jours consacrés au repos sont un bienfait pour le travail même.


« Voilà pourquoi l'on a soumis au domaine de la loi purement humaine, la cessation du travail en certains jours périodiques, non-seulement lorsque le législateur obéissait aux principes communs à toutes les croyances religieuses, mais quand il niait ces principes comme au temps des décadis.


« C'est qu'en effet un repos périodique, ni trop éloigné, ni trop rapproché, est nécessaire à l'homme pour donner à sa force la plus grande énergie. Ce repos sert à compléter la réparation trop souvent imparfaite des pertes accumulées par la continuité des jours de labeur.


« Pour nous, messieurs, des raisons d'un ordre plus élevé nous font un devoir, non-seulement industriel et manufacturier, mais encore politique, moral et religieux, des jours de repos établis à des intervalles réguliers. A ces jours est réservé l'accomplissement des travaux de l’âme l'hommage en commun rendu par le peuple au Créateur de l'univers ; la fête intérieure de la famille, où l'absence du travail laisse la place et le loisir à la revue, passez-moi le mot, à la revue que le père et la mère font de l'enfance et du foyer domestiques. Enfin, quand tous les devoirs sont accomplis, le plus beau spectacle que puisse offrir un peuple civilisé, n'est-il pas celui de toutes ces familles laborieuses, parées du fruit de leur travail, et parcourant avec une joie décente les lieux publics embellis par nos arts ? (Approbation.)


« Voilà la célébration de nos fêtes, de nos di-manches, telle que les peuples chrétiens la conçoivent et la pratiquent, telle que la désirent toutes les familles honnêtes et patriotiques. (Très-bien ! Très-bien ! — Vif assentiment.)

« Ce n'est pas ainsi que l'entendent le vice et la démoralisation. Travailler le dimanche, quand le repos en est la règle, c'est afficher son indépendance ; fouler aux pieds la loi commune, c'est faire de la liberté ; traîner après soi sa femme et ses enfants, fût-ce pour se promener, c'est appesantir sa chaîne et se soumettre à la décence. Arrière ces passe-temps ! l'oisiveté n'y perdra rien.

« Quand, le lundi, les enfants et la femme seront retournés au travail, à l'école, à l'apprentissage, l'indépendant prendra l'essor. Plus il fuira le centre de la ville et le foyer du remords, plus il goûtera les grossiers plaisirs que chérit son égoïsme. Voilà la peinture trop fidèle de ces désordres hors-barrière, qui concourent à la ruine, à la démoralisation d'un si grand nombre'de familles. (Trèsbien !!)

« Applaudissons à la loi qui donnera les moyens de mettre un terme à ces désordres ; elle sera pour le peuple un bienfait immense.

« Nous demandons que le travail ostensible soit formellement défendu les dimanches et les fêtes reconnues par la loi.

« Nous demandons, et nous rougissons d'a-voir à le demander, qu'il soit interdit au gouvernement d'insérer aucune clause dans ses contrats pour permettre, pendant les jours fériés, l'exécution des travaux publics, quels qu'ils soient.

« Nous demandons que les chefs patents d'a-teliers, d'usine et de manufacture ne puissent pas faire travailler le dimanche ; nous demandons qu'ils soient condamnés à l'amende pour chaque contravention, proportionnellement au nombre de leurs ouvriers. »

En attendant la réalisation de ces vœux, plu-sieurs villes déjà ont donné l'exemple d'une glorieuse initiative. A Besançon, à Marseille, à Gex, etc., etc., les conseils municipaux et divers corps d'état se sont engagés spontanément à respecter le dimanche. Elbœuf s'est distingué dans cette intelligente croisade contre le mal qui nous envahit. Au mois de janvier de cette année, on y conçut le projet de faire cesser le travail et la vente du dimanche. Sur deux cent vingt-cinq négociants domiciliés dans la ville, deux cent vingt ont signé avec empressement.

Le premier dimanche de février, le compromis a été mis à exécution. Cette mesure a causé une atisfaction universelle. Maîtres et ouvriers, patrons et employés se sont donné deux mois de congé, par an, sans perdre une obole. De plus, ils ont fait une bonne action, que Dieu ne laissera pas sans récompense, même temporelle. Telle est leur consciencieuse fidélité, qu'ils ont écrit à leurs correspondants pour les informer de leur règlement, afin qu'ils eussent à s'en souvenir dans leurs relations commerciales. Honneur à la ville d'Elbeuf ! Ce qu'elle a fait, pourquoi d'autres ne le feraient-elles pas ?...


VI

Non-seulement les villes et les particuliers désirent le repos sacré du dimanche, mais encore le gouvernement lui-même. I1 va plus loin : il l'ordonne. Vous connaissez les circulaires des ministres de la marine, de la guerre et des travaux publics. Chacun, dans son département, interdit, au jour des dimanches et des fêtes, les travaux dépendants de l'État, ainsi que les exercices militaires ou revues qui ôteraient aux soldats la facilité d'assister à l'office divin. Vous me permettrez de citer celle du ministre des travaux publics : elle est adressée à MM. les préfets, ingénieurs et architectes, chargés de diriger les travaux publics :


Paris le 20 mars 1819.


« Monsieur,

« L'amélioration du sort des ouvriers est l'objet de la constante préoccupation du gouversement de la République. Vous êtes en position d'apprécier les efforts de l'administration pour accroître, dans la limite des ressources financières, le développement des travaux publics et particuliers.

« Mais, à côté du travail qui fait vivre, je placerai toujours l'amélioration de la condition morale, la satisfaction des besoins de l'intelligence qui élèvent et, fortifient chez tous le sentiment de la dignité personnelle, et la facilité laissée à l'ouvrier d'exercer librement les devoirs de la religion et de la famille.

« Le repos du dimanche est donc nécessaire à l'ouvrier ; il faut qu'il soit respecté au double point de vue de la moralité et de l'hygiène. L'exemple, à cet égard, doit être donné par les administrations publiques, dans les limites que leur imposent les exigences légitimes et la liberté, à laquelle le gouvernement entend ne porter aucune atteinte.

« En conséquence, j'ai décidé, monsieur, qu'à l'avenir aucun travail n'aura lieu, dans les ateliers dépendants des travaux publics, le dimanche et les jours fériés, pour les ouvriers em ployés à la journée au compte du gouvernement. Dans le cas où des circonstances exceptionnelles justifieraient une dérogation à cette règle, vous devez réclamer les autorisations nécessaires, assez à temps pour que l'autorité compétente en puisse apprécier l'opportunité.

Je vous invite, en faisant connaître ma décision à cet égard aux agents placés sous vos ordres, à prendre les mesures nécessaires pour en assurer l'exécution.

« Recevez, monsieur, l'assurance de ma con-sidération très-distinguée.

« Le ministre des travaux publics,


« T. LACROSSE.


VII

Enfin, je viens de lire, et bien d'autres comme moi, avec une indicible satisfaction, le rapport de votre honorable collègue, M. Desferris, sur le nouveau projet qui, je l'espère, sera bientôt soumis, je ne dis•pas aux délibérations, mais à l'approbation de l'Assemblée. Qui donc oserait le combattre ? Evidemment ceux-là seuls qui ont juré le renversement total de la religion et de la société, c'està-dire les ennemis du peuple, et, j'aime à le croire, la Chambre n'en compte aucun dans son sein. S'il en était autrement, elle est assez forte et assez-sage pour faire bonne justice de leurs déclamations.


D'ailleurs, quels moyens peuvent-ils plaider ? La neutralité obligée de l'État dans les choses de religion ? Mais ce n'est pas une loi religieuse qu'on demande, c'est une loi de police, une loi de nécessité sociale. Au législateur de faire cesser le travail ; .à la religion de sanctifier le repos. C'est la réponse péremptoire qui a été faite d'avance par votre honorable rapporteur.

« Dans l'état de société, dit-il, les relations créées par nos besoins ne peuvent être inter-rompues, selon le caprice de chacun, sans préjudice pour tous; aussi les jours de repos doivent-ils être régulièrement fixés. Or, une nation a bien le droit de choisir, pour ses jours de repos, les fêtes établies par la religion du plus grand nombre, et d'obliger tous les citoyens à les observer, dès qu'aucun d'eux n'est forcé de faire un acte contraire à ses opinions religieuses, ni gêné dans le libre exercice de son culte.

« D'ailleurs, lorsque la loi prescrit le repos pendant les fêtes instituées par la religion catholique, le citoyen qui ne la professe pas est tenu d'observer ces jours de repos, non pour obéir un précepte religieux, mais pour obéir à une loi de police obligatoire pour tous les citoyens, quelle que soit leur religion.

L'opposition de l'opinion publique ? Oui l'opinion de quelques hommes qui ont de yeux pour ne pas voir, ou qui ont tout intérêt à l'immoralité, parce qu'ils savent trèsbien qu'un peuple immoral est toujours un peuple facile à exploiter au profit de l'anarchie. Quant à l'opinion des hommes honnêtes et sérieusement préoccupés du danger de la situation, le faits et les pièces cités, il n'y a qu'un instant prouvent qu'elle accueillera avec reconnais sauce cette mesure de salut public.

Vous le voyez, la question est mûre, l'attention est éveillée, l'opinion vous est favorable : l'Assemblée peut donc faire une loi; mais, au nom de Dieu, qu'elle ne nous fasse pas une demi-loi ! Qu'elle se dégage des souvenirs rétrogrades d'un temps qui n'est plus : 1814 et 1830 sont passés. Entre les oppositions d'alors et les idées d'aujourd'hui, il y a plus d'un siècle d'intervalle. Qu'elle se gare des hommes politiques, des habiles, des conciliateurs, des éclectiques : leurs conseils, toujours marqués au coin de la faiblesse, ont fait avorter tous les projets de loi sur le travail dans les manufactures.

Qu'elle se souvienne qu'ici plus qu'ailleurs, fa franchise c'est la force, et la force c'est la loi. Qu'elle s'inspire donc du précepte divin et qu'elle traduise, en articles précis, l'interdiction de toute œuvre servile, négoce ou travail, publiquement àccomplie. Une demi-loi, croyez-le bien, ne contentera personne

pour les uns elle sera trop, pour les autres elle sera trop peu. Elle ne remédiera point au mal, puisqu'elle ne fera pas cesser la profanation. Elle ne réhabilitera pas la France aux yeux du monde, puisque la France continuera de commercer les jours de prière et de repos.


Qu'on ne dise pas qu'une demi-loi est tout ce qu'on peut faire ; que c'est un premier pas; que plus tard on en fera un second. Voilà l'oreiller sur lequel on voudra peutêtre endormir l'As-semblée; mais cet oreiller est placé sur la pente d'un abîme ; cet oreiller est un piége. D'a-bord, il est connu que, chez nous, le provisoire en fait de lois devient presque toujours le définitif : nous déchirons sans peine, le lendemain, nos constitutions de la veille. Quant aux lois, c'est autre chose : elles prennent, grâce à nos mœurs, à notre paresse, à notre égoïsme, à notre régime administratif, un caractère de stabilité qui les rend à peu près indestructibles.


Combien n'en trouve-t-on pas dans l'immense arsenal commencé en 1790 et enrichi continuellement jusqu'à nos jours, qui ont bravé toutes les révolutions, toutes les constitutions, toutes les transformations, et qui régissent encore la matière, bien que, dans la pensée de leurs auteurs, elles ne fussent qu'un provisoire, un premier pas ? A plus forte raison en sera-t-il de même de la loi du dimanche, à laquelle sa nature particulière fera craindre de toucher.


Ensuite, est-il permis d'oublier la gravité de la situation ? Avons-nous du temps à perdre en essais ? Les barbares ne sont-ils pas à nos portes, à nos côtés ? Est-il trop tôt de fortifier nos villes, de murer nos demeures, d'élever des digues aussi hautes que le flot qui monte toujours ? Est-il permis, est-il sensé de faire du provisoire, dans un moment où tout ce qui peut raffermir la société doit être fort, efficace, définitif ? Est-il raisonnable de donner des palliatifs, lorsque le mal ne peut être combattu que par les moyens les plus énergiques ? Hommes d'État ! regardez autour de vous le vrai comme le faux, le bien comme le mal, tout tend à devenir absolu, définitif, et vous feriez du provisoire :

Qu'avez-vous à craindre en faisant une bonne loi, une loi complète, une loi sérieusement efficace ? Rien que vous n'ayez à craindre en ne la faisant pas : l'anarchie. Or, ne vous faites pas illusion : à défaut de ce prétexte, elle en aura mille autres pour continuer sa lutte éternelle ; du moins vous vous serez assuré une chance de victoire ; car cette loi, qui comblera les vœux de toutes les populations catholiques, vous donnera autant de défenseurs qu'elle aura de soutiens. L'Assemblée peut donc faire une bonne loi, une loi efficace, une loi définitive, et elle le fera : elle le doit.


VIII

Elle le doit : à la Religion, dernière ancre de salut qui nous reste au milieu de la grande tour-mente, qui menace d'engloutir l'Europe entière.

Elle le doit: à la société, qui périt sous nos yeux, rongée toute vive par deux vers aux dents d'acier : l'égoïsme et le mépris de toute autorité.

Elle le doit : à la famille, unique élément d'une reconstitution nouvelle, et qui a perdu tous ses caractères de sainteté, de concorde et de moralité.

Elle-le doit: à la liberté, minée dans son principe et violée dans son application la plus haute, sous l'empire d'une constitution qui, pourtant, la déclare solennellement inviolable.

Elle le doit : au bien-être du peuple qui, chaque semaine, fait couler avec les aumônes des riches, ses sueurs et son sang dans les gouffres sans fond que la débauche et l'anarchie ouvrent à ses penchants déréglés.

Elle le doit : à la dignité humaine, dont l'habitude constante de calculs et de travaux matériels tend à effacer jusqu'aux derniers vestiges.

Elle le doit : à la santé du peuple, qu'ébranlent également ou le labeur sans repos ou le repos dans l'orgie.

Elle le doit : à l'honneur national. Le temps n'est-il pas venu pour la France de mettre un terme à cette débauche d'impiété et de matérialisme, à laquelle, chaque semaine, depuis quatre-vingts ans, elle se livre sans honte sous les yeux des nations ? N'est ilpas temps de montrer que le plus logique des peuples a cessé d'être inconséquent avec lui-même, et qu'il veut être catholique à Paris comme à Rome ; que, sous aucun rapport, la fille aînée de l'Église, la libératrice du magnanime Pie IX, n'est au-dessous ni des États-Unis d'Amérique ni de la protestante Angleterre.

Enfin, l'Assemblée le doit à elle-même et à la Providence.


A elle-même : sur soixante à quatre-vingt mille lois plus ou moins dignes de ce nom, pour ne pas dire plus ou moins révolutionnaires, qu'on a fabriquées à la France depuis plus d'un demi-siècle, n'est-il pas de la gloire de l'Assemblée, issue du suffrage universel, de lui en donner au moins une qui soit vraiment sociale, c'est-à-dire franchement chrétienne ?

A la Providence : que n'a-t-elle pas fait pour nous depuis deux ans ? Combien de fois sa main maternelle ne nous a-t-elle pas miraculeusement retenus au bord de l'abîme, où nous étions sur le point de tomber ? Évidemment elle ne demande qu'à nous sauver ; mais il faut que nous le voulions.

Eh bien ! monsieur et cher ami, une bonne loi sur la sanctification du dimanche, une loi qui sera un acte de bonne volonté sociale et de retour à l'ordre éternel, cette loi secondera merveilleusement les desseins miséricordieux de la Providence, puisqu'elle aura deux avantages capitaux : elle remédiera vraiment au mal ; car elle fera respecter la loi du suprême Législateur, dont elle nous attirera les bénédictions : et nous en avons grand besoin. Ensuite, elle contribuera plus immédiatement que toute autre à guérir ce peuple, dont l'esprit de Dieu s'est retiré, car il est devenu chair.


Or, c'est mon premier et mon dernier mot : Rien n'est propre à matérialiser un peuple, comme la profanation du dimanche. Un peuple matérialisé est un peuple fini.


Puisse ce, peuple n'être pas nous.


Agréez, etc.


FIN


TABLE DES MATIÈRES


Ie LETTRE - Raison et plan de cette correspondance.

IIe LETTRE - La profanation du Dimanche, ruine de la Religion.

IIIe LETTRE - La profanation du Dimanche, ruine de la Religion. (suite.).

IVe LETTRE - La profanation da Dimanche, ruine de la Société.

Ve LETTRE - La profanation du Dimanche, ruine de la famille.

VIe LETTRE - La profanation du Dimanche, ruine de la liberté.

VIIe LETTRE - La profanation du Dimanche, ruine du bien-être.

VIIIe LETTRE - La profanation du Dimanche, ruine du bien-être.

IXe LETTRE - Le travail du Dimanche, ruine de la dignité humaine.

Xe LETTRE - La profanation du Dimanche, ruine de la santé.

XIe LETTRE - La profanation du Dimanche ruine de la santé (suite).

XIIe LETTRE - Remède au mal.

Doctrine sociale de l'Église
Auteur : Mgr J.-J. Gaume, pronotaire apostolique
Date de publication originale : 1849

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Réédition papier aux éditions Saint-Rémi 2005. Titre original : "LA PROFANATION DU DIMANCHE CONSIDÉRÉE AU POINT DE VUE DE LA RELIGION DE LA SOCIÉTÉ, DE LA FAMILLE DE LA LIBERTÉ, DU BIEN-ÊTRE, DE LA DIGNITÉ HUMAINE ET DE LA SANTÉ". Les notes sont restées en bas de chaque paragraphe, comme dans l'original.
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