L'espérance de salut pour les enfants morts sans baptême

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Les sacrements
Auteur : Commission Théologique Internationale
Date de publication originale : 19 avril 2007

Difficulté de lecture : ♦♦♦ Difficile
Remarque particulière : Texte original anglais de la Commission théologique internationale ; Traduction française des Bénédictins de Fontgombault revue par le P. Serge-Thomas Bonino. Numérisation par Salve-Regina.com d’après La Documentation Catholique n° 2387 du 7 octobre 2007, seule source française connue à ce jour.

L’espérance du salut pour les enfants qui meurent sans baptême

DOCUMENT DE LA COMMISSION THÉOLOGIQUE INTERNATIONALE


La Commission théologique internationale a étudié la question du sort des enfants non baptisés, en gardant à l’esprit le principe de la « hiérarchie des vérités », ainsi que d’autres principes théologiques tels la volonté salvifique universelle de Dieu, le caractère unique et indépassable de la médiation du Christ, la sacramentalité de l’Église dans l’ordre du salut et la réalité du péché originel. Dans le contexte contemporain de relativisme culturel et de pluralisme religieux, le nombre d’enfants non baptisés s’est considérablement accru, de sorte qu’il est devenu urgent de réfléchir à la possibilité du salut pour ces enfants. L’Eglise est consciente que ce salut ne peut se réaliser que dans le Christ, par l’Esprit. Mais l’Église, en tant que Mère et Maîtresse, ne peut pas ne pas réfléchir au sort de tous les hommes, créés à l’image de Dieu, et plus particulièrement au sort des plus faibles des membres de la famille humaine, et de ceux qui ne sont pas encore capables de faire usage de leur raison et de leur liberté.

Il est clair que l’enseignement traditionnel sur ce point s’est concentré sur la théorie des limbes, compris comme un état où se trouvent les âmes des enfants - qui meurent sujets au péché originel et sans baptême, et qui donc ni ne méritent la vision béatifique, ni non plus ne sont soumis à une punition, parce qu’ils ne sont coupables d’aucun péché personnel. Cette théorie, élaborée par les théologiens à partir du Moyen Âge, n’a jamais pris rang parmi les définitions dogmatiques du Magistère, même si, jusqu’au Concile Vatican II, ce même magistère a parfois mentionné cette théorie dans son enseignement. Elle demeure donc une hypothèse théologique possible. Toutefois, dans le Catéchisme de l’Église catholique (1992), la théorie des limbes n’est pas mentionnée. En revanche, le Catéchisme enseigne que les enfants qui meurent sans baptême sont confiés par l’Église à la miséricorde de Dieu, ce qui ressort du rite des funérailles, propre à ces enfants. Le principe selon lequel Dieu désire le salut de tout homme suscite l’espérance qu’il puisse y avoir un chemin de salut pour les enfants qui meurent sans baptême (CEC, n. 1261), et conduit donc aussi au désir théologique de trouver une articulation cohérente et logique entre les diverses affirmations de la foi catholique : la volonté salvifique universelle de Dieu ; l’unicité de la médiation du Christ ; la nécessité du baptême pour le salut ; l’action universelle de la grâce en relation aux sacrements ; le lien entre le péché originel et la privation de la vision béatifique ; la création de l’homme « dans le Christ ».

La conclusion de cette étude est qu’il existe des raisons théologiques et liturgiques d’espérer que les enfants qui meurent sans baptême puissent être sauvés et conduits à la béatitude éternelle, même si aucun enseignement explicite sur ce point ne se trouve dans la Révélation. Toutefois, aucune des considérations proposées dans le présent texte afin de justifier une nouvelle approche de la question, ne saurait être utilisée pour nier la nécessité du baptême, ni pour retarder l’administration du sacrement. Bien plutôt, ce sont des raisons d’espérer que Dieu voudra bien sauver ces enfants, précisément parce qu’il n’a pas été possible de faire pour eux ce qui eût été éminemment souhaitable : les baptiser dans la foi de l’Église et les incorporer visiblement au Corps du Christ.

Enfin, une observation sur la méthodologie de ce texte est nécessaire. Le traitement de ce thème doit être replacé dans le développement historique de la foi. Selon Dei Verbum (n. 8), les facteurs qui contribuent à ce développement sont la contemplation et l’étude des croyants, l’expérience des choses spirituelles, et l’enseignement du Magistère. Lorsque la question des enfants qui meurent sans baptême a initialement été soulevée dans l’histoire de la pensée chrétienne, il est possible que la nature doctrinale de cette question ou ses implications n’aient pas été pleinement comprises. C’est seulement quand elle est replacée dans la lumière du développement théologique au cours des temps jusqu’à Vatican II, que cette question spécifique trouve son contexte propre à l’intérieur de la doctrine catholique. De cette manière seulement - et en observant le principe de la hiérarchie des vérités mentionné dans le décret du Concile Vatican II, Unitatis redintegratio (n. 11) - le sujet peut être explicitement reconsidéré dans la perspective globale de la foi de l’Église. Le présent document, du point de vue de la théologie spéculative aussi bien que dans une perspective pastorale et pratique, constitue un moyen utile et opportun pour approfondir la compréhension que nous avons du problème, qui n’est pas seulement une question de doctrine, mais aussi une priorité pastorale de notre époque moderne.


NOTE PRELIMINAIRE

Le thème « L’espérance du salut pour les enfants qui meurent sans baptême » a été confié à l’étude de la Commission théologique internationale (CTI). Afin de préparer cette étude, une sous- commission a été constituée qui comprenait Son Exc. Mgr Ignazio Sanna, Son Exc. Mgr Basil Kyu- Man Cho, le R. P. Peter Damien Akpunonu, le R. P. Adelbert Denaux, le R. P. Gilles Émery o.p., Mgr Ricardo Ferrara, Mgr Istvân Ivancsô, Mgr Paul McPartlan, le R. E Dominic Veliath s.d.b. (président de la commission), Sœur Sara Butler m.s.b.t. La sous-commission a également bénéficié de la collaboration du R. P. Luis Ladaria s.j., secrétaire de la CTI, et de Mgr Guido Pozzo, secrétaire adjoint de la CTI, ainsi que d’autres membres de la Commission. La discussion générale du thème a eu lieu durant les sessions plénières de la CTI, qui se sont tenues à Rome en octobre 2005 et octobre 2006. Le présent texte a été approuvé in forma specifica par les membres de la Commission, et a ensuite été soumis à son président, le cardinal William Levada ; celui-ci, après avoir reçu l’approbation du Saint-Père lors d’une audience qui lui a été accordée le 19 janvier 2007, a approuvé la publication de ce texte.


INTRODUCTION

1. Saint Pierre exhorte les chrétiens à être toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en eux (cf. 1 P 3, 15-16)[1]. Le présent document traite de l’espérance que les chrétiens peuvent avoir quant au salut des enfants qui meurent sans baptême. Il indique comment une telle espérance s’est développée durant les dernières décennies et quels sont ses fondements, afin de permettre de rendre compte de cette espérance. Bien qu’à première vue ce sujet puisse apparaître périphérique dans les préoccupations théologiques, des questions extrêmement profondes et complexes sont impliquées pour l’expliquer correctement, et une telle explication est requise aujourd’hui par d’urgentes nécessités pastorales.

2. De nos jours, le nombre d’enfants qui meurent sans baptême s’accroît beaucoup. Ceci est dû en partie au fait que leurs parents sont non pratiquants, sous l’influence du relativisme culturel et du pluralisme religieux, mais aussi en partie aux conséquences de la fécondation in vitro et de l’avortement. Étant donné ces développements, la question du sort de ces enfants se pose avec une urgence nouvelle. Dans une telle situation, les voies par lesquelles un tel salut peut se réaliser paraissent toujours plus complexes et sujettes à problème. L’Eglise, fidèle gardienne de la voie du salut, sait que le salut ne peut se réaliser que dans le Christ et par le Saint-Esprit. Cependant, en tant que Mère et Maîtresse, elle ne peut pas ne pas réfléchir à la destinée de tous les êtres humains, créés à l’image de Dieu[2], et spécialement des plus faibles. Les adultes, parce qu’ils sont doués de raison, de conscience et de liberté, sont responsables de leur propre destinée dans la mesure où ils acceptent ou rejettent la grâce de Dieu. En revanche, les enfants qui n’ont pas encore l’usage de la raison, de la conscience et de la liberté ne peuvent pas décider pour eux-mêmes. Les parents, lorsqu’ils n’ont pas l’assurance morale du salut de leurs enfants, en éprouvent une profonde souffrance ainsi que des sentiments de culpabilité ; et on manifeste une difficulté toujours croissante à accepter que Dieu soit juste et miséricordieux, s’il exclut les enfants qui n’ont pas de péchés personnels de la béatitude éternelle, qu’ils soient chrétiens ou non. D’un point de vue théologique, le développement d’une théologie de l’espérance et d’une ecclésiologie de communion, en même temps que la reconnaissance de la grandeur de la divine miséricorde, remettent en cause une vision indûment restrictive du salut. En fait, la volonté salvifique universelle de Dieu et la médiation corrélativement universelle du Christ signifient que toutes les notions théologiques qui, en définitive, remettent en question la toute- puissance de Dieu, et en particulier sa miséricorde, sont inadéquates.

3. L’idée des limbes, que l’Église a utilisée pendant des siècles pour désigner le sort des enfants qui meurent sans baptême, n’a pas de fondement clair dans la Révélation, même si elle a été longtemps utilisée dans l’enseignement théologique traditionnel. De plus, penser que les enfants qui meurent sans baptême sont privés de la vision béatifique, ce qui a depuis si longtemps été considéré comme la doctrine commune de l’Église, suscite de nombreux problèmes pastoraux, à un point tel que beaucoup de pasteurs d’âmes ont réclamé une réflexion plus approfondie sur les voies du salut. Cette nécessaire reconsidération des enjeux théologiques ne peut faire l’impasse sur les conséquences tragiques du péché originel. Le péché originel implique un état de séparation d’avec le Christ, et ceci assurément exclut la possibilité de la vision de Dieu pour ceux qui meurent en cet état.

4. Dans sa réflexion sur la question du sort des enfants qui meurent sans baptême, la communauté ecclésiale doit garder à l’esprit le fait que Dieu est à proprement parler le sujet, plus que l’objet, de la théologie. La première tâche de la théologie consiste donc à écouter la Parole de Dieu. La théologie écoute la Parole de Dieu exprimée dans les Écritures afin de la communiquer avec amour à tous les hommes. Cependant, en ce qui concerne le salut de ceux qui meurent sans baptême, la Parole de Dieu dit peu de choses, voire rien. Il est donc nécessaire d’interpréter la réticence de l’Écriture à ce sujet à la lumière des textes qui concernent le plan universel du salut et les voies du salut. En bref, le problème qui se pose à la fois à la théologie et à la pastorale est celui qui consiste à sauvegarder et à réconcilier deux séries d’affirmations bibliques : celles qui ont trait à la volonté salvifique universelle de Dieu (cf. 1 Tm 2, 4), et celles qui touchent à la nécessité du baptême comme voie pour être libéré du péché et conformé au Christ (cf. Mc 16, 16 ; Mt 28, 18-19).

5. Deuxièmement, en tenant compte du principe lex orandi lex credendi, la communauté chrétienne remarque qu’il n’est pas fait mention des limbes dans la liturgie. De fait, la liturgie comporte une fête des saints Innocents, qui sont vénérés comme martyrs, bien qu’ils ne fussent pas baptisés, parce qu’ils furent tués « à cause du Christ »[3]. Il y a même eu un développement liturgique important avec l’introduction de funérailles pour les enfants morts sans baptême. Nous ne prions pas pour ceux qui sont damnés. Le Missel romain de 1970 a introduit une messe de funérailles pour les enfants non baptisés que leurs parents avaient l’intention de présenter au baptême. L’Église confie donc à la divine miséricorde ces enfants qui meurent sans être baptisés. Dans son Instruction sur le baptême des enfants de 1980, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi a de nouveau affirmé que « en ce qui concerne les enfants qui meurent sans avoir reçu le baptême, l’Église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu, ce qu’elle fait en effet dans le rite des funérailles établi pour eux »[4]. Le Catéchisme de l’Église catholique ajoute que « la grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (cf. 1 Tm 2, 4), et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui lui a fait dire : "Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas" (Me 10, 14), nous permettent d’espérer qu’il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême »[5].

6. Troisièmement, l’Église ne peut manquer d’encourager l’espérance du salut pour les enfants qui meurent sans le baptême par le fait même qu’elle « prie pour que personne ne se perde »[6] et qu’elle prie dans l’espérance que « tous les hommes soient sauvés »[7]. Sur la base d’une anthropologie de la solidarité[8], fortifiée par une compréhension ecclésiale de la personnalité corporative, elle connaît l’aide que peut apporter la foi des croyants. L’Évangile de saint Marc décrit de fait une occasion où la foi de certains a été efficace pour le salut d’un autre (cf. Mc 2, 5). Ainsi, alors même qu’elle sait que la voie normale pour obtenir le salut dans le Christ est le baptême in re, l’Église espère qu’il puisse y avoir d’autres voies pour obtenir la même fin. Puisque, « par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme », et puisque le Christ est mort pour tous et que tous sont en fait « appelés à une unique et même destinée, qui est divine », l’Église croit que « l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (GS 22)[9].

7. Enfin, dans sa réflexion théologique sur le salut des enfants qui meurent sans baptême, l’Église respecte la hiérarchie des vérités et commence par réaffirmer clairement la primauté du Christ et de sa grâce, qui l’emporte sur Adam et le péché. Jésus-Christ, dans son existence pour nous et dans la puissance rédemptrice de son sacrifice, est mort et ressuscité pour tous. Par toute sa vie et son enseignement, il a révélé la paternité de Dieu et son amour universel. Alors que la nécessité du baptême est de foi, la Tradition et les documents du Magistère qui ont réaffirmé cette nécessité ont besoin d’être interprétés. Alors qu’il est vrai que la volonté salvifique universelle de Dieu ne s’oppose pas à la nécessité du baptême, il est également vrai que les enfants, quant à eux, n’opposent aucun obstacle volontaire à la voie de la grâce rédemptrice. D’autre part, le baptême est conféré aux enfants qui sont indemnes de péché personnel, non seulement pour les libérer du péché originel, mais encore pour les insérer dans la communion de salut qu’est l’Église, au moyen de la communion à la mort et à la résurrection du Christ (cf. Rm 6, 1-7). La grâce est entièrement libre, parce qu’elle est toujours un pur don de Dieu. La damnation, toutefois, est méritée parce qu’elle est la conséquence du libre choix de l’homme[10]. L’enfant qui meurt avec le baptême est sauvé par la grâce du Christ et par l’intercession de l’Église, même sans sa coopération. On peut se demander si l’enfant qui meurt sans baptême, mais pour lequel l’Église exprime dans sa prière le désir qu’il soit sauvé, peut être privé de la vision de Dieu, même sans sa coopération.


1. HISTORIA QUÆSTIONIS - HISTOIRE ET HERMÉNEUTIQUE DE LA DOCTRINE CATHOLIQUE

1.1. Fondements bibliques

8. Une saine enquête théologique se doit de commencer par une étude des fondements bibliques de toute doctrine ou pratique ecclésiale. Il en découle que, pour le sujet qui nous intéresse, il faudrait poser la question de savoir si les saintes Écritures traitent, d’une façon ou d’une autre, de la question du sort des enfants non baptisés. Mais un coup d’œil, même rapide, à travers le Nouveau Testament fait voir clairement que les premières communautés chrétiennes n’étaient pas encore confrontées à la question de savoir si les nouveau- nés ou les enfants morts sans baptême recevraient le salut de Dieu. Quand le Nouveau Testament parle du baptême, il s’agit en général du baptême des adultes. Toutefois les témoignages apportés par le Nouveau Testament n’excluent pas la possibilité que des enfants soient baptisés. Dans les maisons (oikos) où il est fait mention du baptême, au livre des Actes (16, 15 et 33 ; cf. 18, 8) et dans la première aux Corinthiens (1, 16), des enfants ont pu être baptisés en même temps que les adultes. L’absence de témoignages positifs peut s’expliquer par le fait que les écrits du Nouveau Testament concernent principalement la diffusion première du christianisme dans le monde.

9. L’absence d’enseignement positif dans le Nouveau Testament en ce qui concerne le sort des enfants non baptisés ne signifie pas que la discussion théologique de cette question ne soit informée par un certain nombre de doctrines bibliques fondamentales. Celles-ci sont :

(i) Dieu désire sauver tous les hommes (cf. Gn 3, 15 ; 22, 18 ; 1 Tm 2, 3-6), par la victoire de Jésus-Christ sur le péché et la mort (cf. Ep 1, 20-22 ; Ph 2, 7-11 ; Rm 14, 9 ; 1 Co 15, 20-28) ;

(ii) La culpabilité universelle des êtres humains (cf. Gn 6, 5-6 ; 8, 21 ; 1 R 8, 46 ; Ps 130, 3), et le fait qu’ils sont nés dans le péché (cf. Ps 51, 7 ; Si 25, 24) depuis Adam, et donc qu’ils sont destinés à mourir (cf. Rm 5, 12 1 Co 15, 22) ;

(iii) La nécessité pour le salut, d’une part, de la foi du croyant (cf. Rm 1, 16) et, d’autre part, du baptême (cf. Me 16,16 ; Mt 28,19 ; Ac 2,40-41 ; 16, 30-33) et de l’Eucharistie (cf. Jn 6, 53), administrés par l’Église ;

(iv) L’espérance chrétienne dépasse infiniment tout espoir humain (cf. Rm 4, 18-21) ; l’espérance chrétienne est que le Dieu vivant, le Sauveur de toute l’humanité (cf. 1 Tm4, 10), partagera sa gloire avec tous les hommes et que tous vivront avec le Christ (cf. 1 Th 5, 9-11 ; Rm 8, 2-5.23-25), et les chrétiens doivent être prêts à rendre compte de l’espérance qui est en eux (cf. 1 P 3, 15) ;

(v) L’Église doit faire « des demandes, des prières, des supplications … pour tous les hommes » (1 Tm 2, 1-8), fondées sur la foi que pour le pouvoir créateur de Dieu « rien n’est impossible » (Jb 42, 2 ; Me 10, 27 ; 12, 24.27 ; Le 1, 37), et sur l’espérance que la création tout entière partagera au terme la gloire de Dieu (cf. Rm 8, 22-27).

10. Il semble y avoir une tension entre deux des doctrines bibliques qui viennent d’être évoquées : la volonté salvifique universelle de Dieu d’une part, et la nécessité du baptême sacramentel d’autre part. Cette dernière semble limiter l’extension de la volonté salvifique universelle de Dieu. D’où le besoin d’une réflexion herméneutique sur la façon dont les témoins de la Tradition (les Pères de l’Église, le Magistère, les théologiens) lisent et utilisent les textes bibliques et les doctrines par rapport au problème qui nous préoccupe. De façon plus spécifique, il est nécessaire de clarifier quelle sorte de « nécessité » est exigée en ce qui concerne le sacrement du baptême, afin d’éviter une erreur de compréhension. La nécessité du baptême sacramentel est une nécessité de second ordre par rapport à la nécessité absolue de l’acte sauveur de Dieu par Jésus-Christ en vue du salut final de tout être humain. Le baptême sacramentel est nécessaire parce qu’il est le moyen ordinaire par lequel quelqu’un prend part aux effets bénéfiques de la mort et de la résurrection de Jésus. Dans ce qui va suivre, nous allons prêter attention à la façon dont les témoignages scripturaires ont été utilisés dans la Tradition. En outre, quand nous traiterons des principes théologiques (ch. 2) et de nos raisons d’espérer (ch. 3), nous discuterons plus en détail les doctrines bibliques et les textes impliqués.


1.2 Les Pères grecs

11. Très peu de Pères grecs ont traité du sort des enfants qui meurent sans baptême, parce qu’il n’y a pas eu de controverse sur ce sujet en Orient. Qui plus est, ils avaient une vision différente de la condition présente de l’humanité. Pour les Pères grecs, les êtres humains ont hérité en conséquence du péché d’Adam la corruption, la passibilité et la mortalité, et ils ont pu être restaurés par un processus de déification rendu possible par l’œuvre rédemptrice du Christ. L’idée d’un héritage du péché ou de la culpabilité - commune dans la tradition occidentale - était étrangère à cette perspective puisque, selon eux, le péché ne pouvait être qu’un acte libre et personnel[11]. Voilà pourquoi peu de Pères grecs ont explicitement traité du problème du salut des enfants non baptisés. Ils discutent cependant du statut ou de la situation - mais non du lieu - de ces enfants après leur mort. Dans cette perspective, le principal problème auquel ils sont confrontés est celui de la tension entre la volonté salvifique universelle de Dieu et l’enseignement de l’Évangile à propos de la nécessité du baptême. Le Pseudo- Athanase affirme clairement qu’une personne non baptisée ne peut entrer dans le Royaume de Dieu. Il soutient également que les enfants non baptisés n’entreront pas dans le Royaume, mais qu’ils ne seront pas non plus perdus, car ils n’ont pas péché[12]. Anastase du Sinaï exprime ceci encore plus clairement : pour lui, les enfants non baptisés ne vont pas dans la Géhenne. Mais il ne peut en dire plus ; il n’exprime pas d’opinion sur où ils vont en fait, mais il abandonne leur sort au jugement de Dieu[13].

12. Seul parmi les Pères grecs, Grégoire de Nysse a écrit un ouvrage spécifique traitant du sort des enfants qui meurent, De infantibus præmature abreptis libellum[14]. L’angoisse de l’Église se manifeste dans les questions qu’il se pose à lui-même : le sort de ces enfants est un mystère, « quelque chose de beaucoup plus grand que ce que l’esprit humain peut saisir »[15]. Il exprime son opinion en fonction de la vertu et de sa récompense ; selon lui, il n’y a pas de raison que Dieu accorde ce qui est espéré comme récompense. La vertu ne vaut rien si ceux qui quittent cette vie prématurément sans avoir pratiqué la vertu sont immédiatement accueillis dans la félicité. Dans la même ligne, Grégoire demande : « Qu’adviendra- t-il de celui qui finit sa vie à un âge tendre, qui n’a rien fait, ni bien ni mal ? Est-il digne d’une récompense ? »[16]. Il répond : « La béatitude espérée appartient aux êtres humains par nature, et n’est appelée récompense qu’en un certain sens »[17]. La jouissance de la vraie vie (zoe et non pas bios) correspond à la nature humaine, et elle est possédée selon le degré où la vertu a été pratiquée. Puisque l’enfant innocent n’a pas besoin de purification pour ses péchés personnels, il prend part à cette vie qui correspond à sa nature en une sorte de progression régulière, selon sa capacité. Grégoire de Nysse effectue une distinction entre le sort des enfants et celui des adultes qui ont mené une vie vertueuse. « La mort prématurée des enfants nouveau-nés ne fournit pas un fondement permettant de présupposer qu’ils souffriront les tourments ou bien qu’ils seront dans le même état que ceux qui ont été purifiés en cette vie par toutes les vertus »[18]. Enfin, il offre à la réflexion de l’Église cette perspective : « La contemplation apostolique renforce notre recherche, car l’Unique qui a tout bien fait avec sagesse (Ps 104, 24), est capable de tirer le bien du mal »[19].

13. Grégoire de Nazianze n’écrit rien sur le lieu ni sur le statut après la mort des enfants qui meurent sans le baptême sacramentel, mais il élargit le sujet par une autre considération. En effet, il écrit que ces enfants ne reçoivent ni louange ni punition du juste Juge, parce qu’ils ont subi le mal plutôt qu’ils ne l’ont causé. « Celui qui ne mérite pas la punition n’est pas par là même digne de louange, et celui qui ne mérite pas la louange n’est pas par là même digne de punition »[20]. Le profond enseignement des Pères grecs peut se résumer dans l’opinion d’Anastase du Sinaï : « Il ne serait pas convenable de sonder par soi-même les jugements de Dieu »[21].

14. D’une part, les Pères grecs enseignent que les enfants qui meurent sans baptême ne souffrent pas la damnation éternelle, bien qu’ils n’atteignent pas le même état que ceux qui ont été baptisés. D’autre part, ils n’expliquent pas à quoi ressemble leur état, ni où ils vont. Sur ce sujet, les Pères grecs font preuve de leur sensibilité apophatique caractéristique.


1.3. Les Pères latins

15. Le sort des enfants non baptisés commença à faire l’objet en Occident d’une réflexion théologique soutenue lors des controverses anti-pélagiennes du début du Vème siècle. Saint Augustin aborda la question parce que Pélage enseignait que les enfants pouvaient être sauvés sans baptême. Pélage révoquait en doute que l’épître de saint Paul aux Romains enseignât réellement que tous eussent péché « en Adam » (5,12), et que la concupiscence, la souffrance et la mort fussent une conséquence de la chute[22]. Puisqu’il niait que le péché d’Adam fût transmis à ses descendants, il considérait que les enfants nouveau-nés étaient innocents. Pélage promettait aux enfants qui mouraient sans baptême l’entrée dans la « vie éternelle » (mais non, toutefois, dans le « Royaume de Dieu » [Jn 3, 5]). Il faisait valoir que Dieu ne condamnerait pas à l’enfer ceux qui n’étaient pas personnellement coupables de péché[23].

16. En réaction contre Pélage, Augustin fut amené à affirmer que les enfants qui meurent sans baptême sont envoyés en enfer[24]. Il en appelait au précepte du Seigneur (Jn 3, 5) ainsi qu’à la pratique liturgique de l’Église. Pourquoi les petits enfants sont-ils conduits aux fonts baptismaux, spécialement les enfants en danger de mort, si ce n’est pour leur assurer l’entrée dans le Royaume de Dieu ? Pourquoi sont-ils soumis aux exorcismes et aux exsufflations, s’ils n’ont pas besoin d’être délivrés du démon ?[25]. Pourquoi sont-ils nés à nouveau, s’ils n’ont pas besoin d’être renouvelés ? La pratique liturgique confirme la croyance de l’Église selon laquelle tous ont hérité du péché d’Adam et doivent être transférés du pouvoir des ténèbres dans le royaume de lumière (Col 1, 13)[26]. Il n’y a qu’un seul baptême, le même pour les enfants et pour les adultes, et il est en vue de la rémission des péchés[27]. Si les petits enfants sont baptisés, c’est donc parce qu’ils sont pécheurs. Bien qu’ils ne soient évidemment pas coupables d’un péché personnel, ils ont péché « en Adam », selon Rm 5, 12 (selon la version latine dont disposait Augustin)[28]. « Pourquoi le Christ est-il mort pour eux s’ils ne sont pas coupables ? »[29]. Tous ont besoin du Christ comme de leur Sauveur.

17. Au jugement d’Augustin, Pélage sapait la foi en Jésus-Christ, l’unique Médiateur (1 Tm 2, 5), et en la nécessité de la grâce salvifique qu’il nous a acquise sur la Croix. Le Christ est venu pour sauver les pécheurs. Il est le « grand Médecin » qui offre même aux enfants le remède du baptême pour les sauver du péché hérité d’Adam[30]. Le seul remède pour le péché d’Adam, transmis à chacun par la génération humaine, est le baptême. Ceux qui ne sont pas baptisés ne peuvent entrer dans le Royaume de Dieu. Lors du Jugement, ceux qui n’entrent pas dans le Royaume (Mt 25, 34) seront condamnés à l’enfer (Mt 25, 41). Il n’y a pas de « lieu intermédiaire » entre le ciel et l’enfer. « Il n’y a pas de place pour un lieu intermédiaire où vous pourriez mettre les petits enfants »[31]. Tout homme « qui n’est pas avec le Christ doit être avec le diable »[32].

18. Dieu est juste. S’il condamne les enfants non baptisés à l’enfer, c’est parce qu’ils sont pécheurs. Bien que ces enfants soient châtiés en enfer, ils ne souffriront que « la plus douce des peines »[33] (mitissima pœna), « le plus léger de tous les châtiments »[34], car il y a diversité de châtiments en proportion de la culpabilité du pécheur[35]. Ces enfants étaient dans l’incapacité de se venir en aide, mais il n’y a pas d’injustice dans leur condamnation, car ils appartiennent tous à « la même masse », la masse destinée à la perdition. Dieu ne fait pas d’injustice à ceux qui ne sont pas élus, car tous méritent l’enfer[36]. Comment se fait-il que certains sont des vases de colère alors que d’autres sont des vases de miséricorde ? Augustin convient qu’il « ne peut trouver une explication satisfaisante et valable ». Il ne peut que s’exclamer avec saint Paul : « Que les décrets [de Dieu] sont insondables et ses voies incompréhensibles ! »[37]. Plutôt que de condamner l’autorité divine, il donne une interprétation restrictive de la volonté salvifique universelle de Dieu[38]. L’Église croit que si quelqu’un est sauvé, ce n’est que par la miséricorde imméritée de Dieu ; mais si quelqu’un est condamné, c’est par son jugement bien mérité. Nous découvrirons la justice de la volonté divine dans le monde à venir[39].

19. Le Concile de Carthage, en 418, rejeta l’enseignement de Pélage. Il condamna l’opinion selon laquelle les enfants « ne contractent d’Adam aucune trace du péché originel que le bain de la régénération qui mène à la vie éternelle aurait à expier ». De façon positive, ce Concile enseigna que « même les enfants qui n’ont pas pu commettre encore par eux-mêmes quelque péché, sont cependant vraiment baptisés en rémission des péchés, si bien que la régénération purifie en eux ce qu’ils ont contracté par la génération »[40]. Il fut également ajouté qu’il n’y a pas « de lieu intermédiaire ou d’autre lieu de séjour heureux pour les enfants qui ont quitté cette vie sans le baptême, sans lequel ils ne peuvent entrer dans le Royaume des cieux, c’est-à-dire la vie éternelle »[41]. Ce Concile n’a toutefois pas explicitement souscrit à tous les aspects de l’austère vision d’Augustin sur le sort des enfants qui meurent sans le baptême.

19. Telle fut cependant l’autorité d’Augustin en Occident : les Pères latins (par exemple, Jérôme, Fulgence, Avit de Vienne et Grégoire le Grand) adoptèrent en fait son opinion. Grégoire le Grand affirme que Dieu condamne même ceux qui n’ont que le péché originel sur leur âme ; même les enfants qui n’ont jamais péché par leur propre volonté iront dans « les tourments éternels ». Il cite Jb 14, 4-5 (LXX), Jn 3, 5 et Ep 2, 3 à propos de notre condition native « d’enfants de colère »[42].


1.4. Les scolastiques du Moyen Age

21. Augustin fut, en cette matière, la référence des théologiens latins tout au long du Moyen Age. Anselme de Cantorbéry en est un bon exemple : il croit que les petits enfants qui meurent sans baptême sont damnés en raison du péché originel et en accord avec la justice de Dieu[43]. La doctrine commune fut résumée par Hugues de Saint-Victor : les enfants qui meurent sans baptême ne peuvent être sauvés : 1) parce qu’ils n’ont pas reçu le sacrement ; et 2) parce qu’ils ne peuvent faire un acte de foi personnel qui suppléerait au sacrement[44]. Cette doctrine implique qu’il faut être justifié durant sa vie terrestre pour pouvoir entrer dans la vie éternelle après sa mort. La mort met un terme à la possibilité de choisir d’accepter ou de rejeter la grâce, c’est-à-dire d’adhérer à Dieu ou de se détourner de lui. Après la mort, les dispositions fondamentales envers Dieu ne reçoivent plus de modification.

22. Mais la plupart des auteurs médiévaux postérieurs, à partir de Pierre Abélard, soulignent la bonté de Dieu et interprètent « la plus douce des peines » d’Augustin comme la privation de la vision béatifique (carentia visionis Dei), sans espoir de pouvoir obtenir celle-ci mais sans peines supplémentaires[45]. Cet enseignement, qui modifiait l’opinion stricte de saint Augustin, fut répandu par Pierre Lombard : les petits enfants ne souffrent aucune peine, sinon la privation de la vision de Dieu[46]. Cette position conduisit la réflexion théologique du XIIIème siècle à attribuer aux enfants non baptisés un sort essentiellement différent de celui des saints au ciel, mais aussi en partie différent de celui des réprouvés, auxquels ils sont cependant associés. Ceci n’empêcha pas les théologiens médiévaux de tenir l’existence de deux (et non pas trois) issues possibles à l’existence humaine : le bonheur du ciel pour les saints, et la privation de ce bonheur céleste pour les damnés et pour les enfants qui meurent sans être baptisés. Dans les développements de la doctrine médiévale, on a compris la perte de la vision béatifique (pœna damni) comme étant la punition propre au péché originel, alors que « les tourments de l’enfer éternel » constituent la punition propre aux péchés mortels actuellement commis[47]. Au Moyen Age, le Magistère ecclésiastique a plus d’une fois affirmé que ceux « qui meurent en état de péché mortel » et ceux qui meurent « avec le péché originel seulement » reçoivent « des châtiments différents »[48].

23. Parce que les enfants ne commettent pas de péché actuel avant l’âge de raison, les théologiens en vinrent à considérer communément que ces enfants non baptisés ne ressentaient aucune souffrance, ou même qu’ils jouissaient d’un plein bonheur naturel par leur union à Dieu dans tous les biens naturels (Thomas d’Aquin, Duns Scot)[49]. La contribution de cette dernière thèse théologique consiste spécialement à reconnaître une joie authentique à ces enfants qui meurent sans le baptême sacramentel : ils possèdent une réelle forme d’union à Dieu, proportionnée à leur condition. Cette thèse repose sur une certaine façon de conceptualiser les rapports entre l’ordre naturel et l’ordre surnaturel, et en particulier l’orientation vers le surnaturel. Elle ne doit cependant pas être confondue avec le développement ultérieur de l’idée de « pure nature ». Thomas d’Aquin, par exemple, insista sur le fait que seule la foi nous permet de connaître que la fin surnaturelle de la vie humaine consiste dans la gloire des saints, c’est-à-dire dans la participation à la vie du Dieu Un et Trine par la vision béatifique. Puisque cette fin surnaturelle transcende la connaissance humaine naturelle, et que les enfants non baptisés n’ont pas reçu le sacrement qui leur aurait donné le germe d’une telle connaissance surnaturelle, l’Aquinate en conclut que les enfants qui meurent sans baptême ne savent pas ce dont ils sont privés, et, par conséquent, ne souffrent pas de la privation de la vision béatifique[50]. Même lorsqu’ils eurent adopté ce point de vue, les théologiens considérèrent la privation de la vision béatifique comme une affliction (une « punition ») à l’intérieur de l’économie divine. La doctrine théologique d’une « béatitude naturelle » (et l’absence de toute souffrance) peut être comprise comme une tentative pour rendre compte de la justice de Dieu et de sa miséricorde envers les enfants qui n’ont commis aucune faute actuelle, accordant ainsi plus de poids à la miséricorde de Dieu que la conception d’Augustin ne le faisait. Les théologiens qui soutiennent cette thèse de la béatitude naturelle pour les enfants qui sont morts sans baptême font preuve d’un sens très vif de la gratuité du salut, et du mystère de la volonté divine que la pensée humaine ne peut saisir entièrement.

24. Les théologiens qui enseignaient, sous une forme ou sous une autre, que les enfants non baptisés sont privés de la vision de Dieu, soutenaient généralement en même temps une double affirmation : a) Dieu veut que chacun soit sauvé, et b) Dieu, qui veut que tous soient sauvés, veut également les moyens qu’il a lui-même établis pour ce salut et qu’il nous a fait connaître par sa révélation. La seconde affirmation n’exclut pas de soi d’autres dispositions de l’économie divine (comme il apparaît clairement, par exemple, dans le témoignage des saints Innocents). En ce qui concerne l’expression « limbes des enfants », elle fut forgée à la charnière des XIIème et XIIIème siècles pour nommer le « lieu de repos » de ces enfants (la « bordure » de la région inférieure). Certains théologiens ont néanmoins pu discuter cette question sans utiliser le terme « limbes ». Leurs doctrines ne doivent donc pas être confondues avec l’utilisation du mot « limbes ».

25. L’affirmation principale de ces doctrines est que ceux qui n’étaient pas capables d’un acte libre par lequel ils auraient pu consentir à la grâce, et qui sont morts sans avoir été régénérés par le sacrement du baptême, sont privés de la vision de Dieu à cause du péché originel dont ils ont hérité par la génération humaine.


1.5. L’ère moderne et post-tridentine

26. La pensée d’Augustin connut un renouveau au XVIème siècle, et en même temps sa théorie concernant le sort des enfants non baptisés, comme en témoigne, par exemple, Robert Bellarmin[51]. L’une des conséquences de ce renouveau de l’augustinisme fut le jansénisme. En même temps que les théologiens catholiques de l’école augustinienne, les jansénistes s’opposèrent vigoureusement à la théorie des limbes. Durant cette période, les Papes (Paul III, Benoît XIV, Clément XIII)[52] défendirent le droit qu’avaient les catholiques d’enseigner l’austère conception d’Augustin, selon laquelle les enfants qui meurent avec le seul péché originel sont damnés et punis par les tourments éternels du feu de l’enfer, encore que ce soit avec une « peine très douce » (Augustin) par rapport à ce que souffrent les adultes punis pour leurs péchés mortels. D’autre part, lorsque le synode janséniste de Pistoie (1786) dénonça la théorie médiévale des « limbes », Pie VI défendit le droit qu’avaient les écoles catholiques d’enseigner que ceux qui meurent avec le seul péché originel sont punis par la privation de la vision béatifique (« peine du dam »), mais non par la peine du sens (« peine du feu »). Dans la bulle Auctorem fidei (1794), le Pape condamna comme « fausse, téméraire, injurieuse pour les écoles catholiques » la doctrine janséniste « qui rejette comme une fable pélagienne [fabula pelagiana] ce lieu des enfers (que les fidèles appellent "les limbes des enfants") dans lequel les âmes de ceux qui sont morts avec la seule faute originelle sont punies de la peine du dam, sans la peine du feu, comme si ceux qui écartent la peine du feu introduisaient par là ce lieu et cet état intermédiaire, sans faute et sans peine, entre le Royaume de Dieu et la damnation éternelle dont fabulaient les pélagiens »[53]. Les interventions pontificales durant cette période protégèrent donc la liberté des écoles catholiques de se confronter à cette question. Elles n’ont pas assumé la théorie des limbes comme une doctrine de foi. La théorie des limbes fut cependant la doctrine catholique commune jusqu’à la moitié du XXème siècle.


1.6. De l’époque de Vatican I à Vatican II

27. Avant le Concile Vatican I, et à nouveau avant le Concile Vatican II, un grand intérêt s’est manifesté dans certains milieux en vue de définir la doctrine catholique sur ce sujet. Cet intérêt apparaît à l’évidence dans le premier schéma révisé de la Constitution dogmatique De doctrina catholica préparé pour le premier Concile du Vatican (mais qui ne fut pas voté par le Concile), qui présente le sort des enfants qui meurent sans baptême comme se situant entre celui des damnés, d’une part, et celui des âmes du purgatoire et des bienheureux, d’autre part : « Etiam qui cum solo originali peccato mortem obeunt, beata Dei visione in perpetuum carebunt »[54]. Au XXe siècle, cependant, les théologiens se sont efforcés de trouver de nouvelles solutions, incluant la possibilité que le salut du Christ atteigne ces enfants dans toute sa plénitude[55].

28. Dans la phase préparatoire de Vatican II, il y eut de la part de certains le désir que le Concile affirme la doctrine commune que les enfants non baptisés ne peuvent atteindre la vision béatifique, et qu’ainsi la question soit dirimée. La Commission préparatoire centrale, qui était au fait de nombre d’arguments avancés contre la doctrine traditionnelle et du besoin de proposer une solution qui convînt mieux au développement du sensus fidelium, s’opposa à cette tendance. Parce que l’on jugea que la réflexion théologique sur cette question n’avait pas atteint une maturité suffisante, la question ne fut pas mise à l’ordre du jour du Concile ; elle ne fut pas soumise aux délibérations du Concile, et fut laissée ouverte pour de plus amples recherches[56]. La question soulevait un certain nombre de problèmes dont la solution était discutée entre les théologiens, en particulier : le statut de l’enseignement traditionnel de l’Église en ce qui concerne les enfants morts sans baptême ; l’absence dans la sainte Écriture de toute indication explicite à ce sujet ; la relation entre l’ordre naturel et la vocation surnaturelle des êtres humains ; le péché originel et la volonté salvifique universelle de Dieu ; et les « substitutions » du baptême sacramentel que l’on peut invoquer pour les petits enfants.

29. La croyance de l’Église catholique à la nécessité du baptême pour le salut fut énergiquement exprimée au Concile de Florence en 1442, dans le décret pour les Jacobites : « Il n’est pas possible de porter secours [aux petits enfants] par un autre remède que par le sacrement du baptême, par lequel ils sont arrachés à la domination du diable et sont adoptés comme enfants de Dieu »[57]. Cet enseignement suppose une perception très vive de la faveur divine manifestée dans l’économie sacramentelle instituée pat le Christ ; l’Église n’a connaissance d’aucun autre moyen qui assurerait de façon certaine aux petits enfants l’entrée dans la vie éternelle. Cependant, l’Église a également reconnu traditionnellement certaines substitutions au baptême d’eau (qui est l’incorporation sacramentelle dans le mystère du Christ mort et ressuscité), à savoir le baptême de sang (l’incorporation au Christ par le témoignage du martyre pour le Christ) et le baptême de désir (l’incorporation au Christ par le désir ou le souhait du baptême). Au long du XXème siècle, des théologiens, développant certaines thèses théologiques plus anciennes, ont proposé de reconnaître aux petits enfants soit une certaine sorte de baptême de sang (en prenant en compte la souffrance et la mort de ces enfants), soit une certaine sorte de baptême de désir (en invoquant chez ces enfants un « désir inconscient » du baptême orienté vers la justification, ou encore le désir de l’Église)[58]. Les propositions qui invoquent une sorte de baptême de désir ou de baptême de sang suscitent toutefois certaines difficultés. D’une part, l’acte de désir du baptême de l’adulte ne peut guère être imputé aux enfants. Le petit enfant n’est pratiquement pas capable de fournir l’acte personnel entièrement libre et responsable qui constituerait une substitution au baptême sacramentel ; un tel acte entièrement libre et responsable s’enracine dans un jugement de la raison et ne peut être accompli avant que la personne ait atteint un usage suffisant ou approprié de la raison (ætas discretionis : « l’âge de discrétion »). D’autre part, il est difficile de comprendre comment l’Église pourrait proprement « suppléer » pour les enfants non baptisés. Le cas du baptême sacramentel est très différent, parce que le baptême sacramentel administré aux enfants obtient la grâce en vertu de ce qui est spécifiquement propre au sacrement en tant que tel, c’est-à-dire le don assuré de la régénération par la puissance du Christ lui-même. C’est pourquoi le Pape Pie XII, rappelant l’importance du baptême sacramentel, expliquait dans son Allocution aux sages-femmes d’Italie en 1951 : « L’état de grâce est absolument nécessaire au salut : sans lui, le bonheur surnaturel, la vision béatifique de Dieu, ne peut être atteint. Chez un adulte, un acte d’amour peut suffire à lui obtenir la grâce sanctifiante et ainsi suppléer à l’absence du baptême ; chez l’enfant qui n’est pas encore né, ou nouveau-né, cette voie n’est pas ouverte »[59]. Ceci suscita parmi les théologiens une réflexion renouvelée sur les dispositions des petits enfants en ce qui concerne la réception de la grâce divine, sur la possibilité d’une configuration extra-sacramentelle au Christ, et sur la médiation maternelle de l’Église.

30. Il est également nécessaire de noter, parmi les questions débattues qui ont une incidence sur ce sujet, celle de la gratuité de l’ordre surnaturel. Avant le second Concile du Vatican, en d’autres circonstances et à propos d’autres questions, Pie XII avait vigoureusement rappelé celle-ci à la conscience de l’Église, en expliquant que l’on détruit la gratuité de l’ordre surnaturel si l’on affirme que Dieu ne pouvait créer des êtres intelligents sans les ordonner ni les appeler à la vision béatifique[60]. La bonté et la justice de Dieu n’impliquent pas que la grâce soit nécessairement ni « automatiquement » octroyée. Parmi les théologiens, la réflexion sur le sort des enfants non baptisés impliqua, à partir de ce moment-là, une considération renouvelée de l’absolue gratuité de la grâce et de l’ordination de tous les êtres humains au Christ et à la Rédemption qu’il nous a acquise.

31. Sans répondre directement à la question du sort des enfants non baptisés, le Concile Vatican II posa beaucoup de jalons pour guider la réflexion théologique. Le Concile rappela à de nombreuses reprises l’universalité de la volonté salvifique de Dieu, qui s’étend à tous les hommes (1 Tm 2, 4)[61]. Tous « ont aussi une seule fin dernière, Dieu, dont la providence, les témoignages de bonté et les desseins de salut s’étendent à tous » (NA 1, cf. LG 16). De façon plus particulière, en présentant une conception de la vie humaine fondée sur la dignité de l’être humain créé à l’image de Dieu, la Constitution Gaudium et spes rappelle que « la dignité humaine se trouve dans cette vocation de l’homme à communier avec Dieu », en spécifiant que « [l’]invitation que Dieu adresse à l’homme de dialoguer avec lui commence avec sa venue au monde » (GS 19). La même constitution proclame avec force que ce n’est que dans le mystère du Verbe incarné que le mystère de l’homme s’éclaire. De plus, il y a l’assertion célèbre du Concile qui affirme : « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (GS 22). Bien que le Concile n’ait pas expressément appliqué cet enseignement aux enfants qui meurent sans baptême, ces passages ouvrirent une voie permettant de rendre compte de l’espérance en leur faveur[62].


1.7. Enjeux de nature herméneutique

32. L’étude de l’histoire montre une évolution et un développement de l’enseignement catholique concernant le sort des enfants qui meurent sans baptême. Ce progrès implique certains principes doctrinaux fondamentaux, qui restent permanents, et certains éléments secondaires d’inégale valeur. Dans les faits, la révélation ne communique pas directement, de façon explicite, la connaissance du plan de Dieu sur les enfants non baptisés, mais elle éclaire l’Église sur les principes de foi qui doivent guider sa pensée et son action. Une lecture théologique de l’histoire de l’enseignement catholique jusqu’à Vatican II montre en particulier que trois affirmations principales, appartenant à la foi de l’Église, sont au cœur du problème du sort des enfants non baptisés.

(i) Dieu veut que tous les hommes soient sauvés.

(ii) Ce salut n’est accordé que par la participation au mystère pascal du Christ, c’est-à-dire par le baptême pour la rémission des péchés, qu’il soit sacramentel ou de quelque autre manière.

(iii) Les petits enfants n’entreront pas dans le Royaume de Dieu sans avoir été libérés du péché originel par la grâce rédemptrice.

33. L’histoire de la théologie et de l’enseignement du Magistère montre en particulier un développement quant à la manière de comprendre la volonté salvifique universelle de Dieu. La tradition théologique du passé (l’Antiquité, le Moyen Age, le début des temps modernes), en particulier la tradition augustinienne, présente souvent ce qui, par rapport aux développements théologiques modernes, apparaît comme une conception « restrictive » de l’universalité de la volonté salvifique de Dieu[63]. Dans la recherche théologique, la perception de la volonté salvifique divine comme « quantitativement » universelle est relativement récente. Au niveau du Magistère, cette perception plus large s’est affirmée peu à peu. Sans essayer de la dater avec précision, on peut observer qu’elle s’est manifestée très clairement au XIXème siècle, spécialement dans l’enseignement de Pie IX sur la possibilité du salut pour ceux qui, sans qu’il y ait faute de leur part, n’ont pas connaissance de la foi catholique : ceux qui « mènent ainsi une vie honnête et droite, peuvent, avec l’aide de la lumière et de la grâce divines, acquérir la vie éternelle ; car Dieu, qui voit parfaitement, scrute et connaît les esprits, les âmes, les pensées et les qualités de tous, dans sa très grande bonté et sa patience, ne permet pas que quelqu’un soit puni des supplices éternels sans être coupable de quelque faute volontaire »[64]. Cette intégration et cette maturation de la doctrine catholique donna lieu entre-temps à une réflexion renouvelée sur les voies possibles du salut pour les enfants non baptisés.

34. Dans la tradition de l’Église, l’affirmation selon laquelle les enfants qui meurent sans baptême sont privés de la vision béatifique, a été longtemps une « doctrine commune ». Cette doctrine commune découlait d’une certaine manière de concilier les principes reçus de la révélation, mais elle ne possédait pas la certitude d’un énoncé de foi, ni la même certitude que d’autres affirmations dont le rejet impliquerait la négation d’un dogme divinement révélé ou d’un enseignement proclamé par un acte définitif du Magistère. L’étude de l’histoire de la réflexion de l’Église sur ce sujet montre qu’il est nécessaire d’opérer des distinctions. Dans ce résumé, nous allons distinguer : premièrement, les énoncés de foi et ce qui appartient à la foi ; deuxièmement, la doctrine commune ; troisièmement, les opinions théologiques.

35. a) La doctrine pélagienne selon laquelle les enfants non baptisés accèdent à la « vie éternelle » doit être considérée comme contraire à la foi catholique.

36. b) L’affirmation selon laquelle « la peine du péché originel est la privation de la vision de Dieu », formulée par Innocent III[65], appartient à la foi : le péché originel est de soi un obstacle à la vision béatifique. La grâce est nécessaire afin d’être purifié du péché originel et d’être élevé à la communion avec Dieu, permettant ainsi d’entrer dans la vie éternelle et de jouir de la vision de Dieu. Historiquement, la doctrine commune appliquait cette affirmation au sort des enfants non baptisés et concluait que ces enfants étaient privés de la vision béatifique. Mais l’enseignement du Pape Innocent III, dans son contenu de foi, n’implique pas nécessairement que les enfants qui meurent sans le baptême sacramentel sont privés de la grâce et condamnés à la privation de la vision béatifique. Il permet d’espérer que Dieu, qui veut que tous soient sauvés, fournit quelque remède miséricordieux pour leur purification du péché originel et leur accès à la vision béatifique.

37. c) Dans les documents du Magistère au Moyen Age, la mention de « différentes peines » pour ceux qui meurent dans le péché mortel actuel et ceux qui meurent avec le seul péché originel (« Pour les âmes de ceux qui meurent en état de péché mortel ou avec le seul péché originel, elles descendent immédiatement en enfer, où elles reçoivent cependant des peines inégales »)[66] doit être interprétée selon l’enseignement commun de l’époque. Historiquement, ces affirmations ont sans aucun doute été appliquées aux enfants non baptisés et on en a conclu que ces enfants souffraient la peine du péché originel. Il faut cependant observer que, d’une façon générale, ces déclarations de l’Église ne portaient pas principalement sur l’absence de salut pour les enfants non baptisés, mais sur l’immédiateté du jugement particulier après la mort et l’assignation des âmes au ciel ou à l’enfer. Ces déclarations du Magistère ne nous obligent pas à penser que ces enfants meurent nécessairement avec le péché originel, de sorte qu’il n’y aurait aucune voie de salut pour eux.

38. d) La bulle Auctorem fidei du Pape Pie VI n’est pas une définition dogmatique de l’existence des limbes : la bulle pontificale se limite à rejeter l’accusation des jansénistes selon laquelle « les limbes » enseignés par les théologiens scolastiques seraient identiques à « la vie éternelle » promise aux enfants non baptisés par les anciens pélagiens. Pie VI n’a pas condamné les jansénistes parce qu’ils niaient les limbes, mais parce qu’ils soutenaient que les défenseurs des limbes étaient coupables de l’hérésie de Pélage. En maintenant la liberté pour les écoles catholiques de proposer différentes solutions au problème du sort des enfants non baptisés, le Saint-Siège défendait la doctrine commune comme une option acceptable et légitime, sans l’assumer.

39. e) L’allocution de Pie XII au Congrès des sages-femmes d’Italie[67], qui déclare que, mis à part le baptême, « il n’y a pas d’autre moyen pour communiquer la vie [surnaturelle] à l’enfant qui n’a pas encore l’usage de la raison », exprime la foi de l’Église en ce qui concerne la nécessité de la grâce pour atteindre la vision béatifique et la nécessité du baptême comme moyen pour recevoir cette grâce[68]. La précision selon laquelle les petits enfants (à la différence des adultes) sont dans l’incapacité d’agir pour leur propre compte, c’est-à-dire incapables d’un acte raisonnable et libre qui pourrait « suppléer au baptême », ne constituait pas une déclaration sur le contenu des théories théologiques courantes et n’interdisait pas la recherche théologique d’autres moyens de salut. Pie XII rappelait plutôt les limites à l’intérieur desquelles le débat devait se tenir et réaffirmait fermement l’obligation morale de procurer le baptême aux enfants en danger de mort.

40. En résumé : l’affirmation selon laquelle les enfants qui meurent sans baptême souffrent la privation de la vision béatifique a longtemps été la doctrine commune de l’Église, laquelle doit être distinguée de la foi de l’Église. Quant à la théorie selon laquelle la privation de la vision béatifique constitue leur seule punition, à l’exclusion de toute autre peine, c’est une opinion théologique, bien qu’elle ait longtemps été acceptée en Occident. La thèse théologique particulière relative à une « béatitude naturelle » qu’on attribue parfois à ces enfants, constitue, elle aussi, une opinion théologique.

41. Donc, en dehors de la théorie des limbes (qui demeure une opinion théologique possible), il peut exister d’autres manières d’intégrer et de sauvegarder les principes de foi fondés dans l’Écriture : la création de l’être humain dans le Christ et sa vocation à la communion avec Dieu ; la volonté salvifique universelle de Dieu ; la transmission et les conséquences du péché originel ; la nécessité de la grâce pour entrer dans le Royaume de Dieu et atteindre la vision de Dieu ; l’unicité et l’universalité de la médiation salvifique du Christ Jésus ; et la nécessité du baptême pour le salut. Ces autres voies ne résultent pas d’une modification des principes de la foi, ni d’une élaboration de théories hypothétiques ; elles recherchent plutôt une intégration et une articulation cohérente des principes de la foi, sous la direction du Magistère de l’Église, en donnant plus de poids à la volonté salvifique universelle de Dieu et à la solidarité dans le Christ (GS 22), afin de rendre compte de l’espérance que les enfants morts sans baptême peuvent jouir de la vie éternelle et de la vision béatifique. En vertu du principe méthodologique selon lequel on doit chercher à comprendre ce qui est moins bien connu à l’aide de ce qui est mieux connu, il apparaît que le point de départ de l’étude du sort de ces enfants doit être la volonté salvifique universelle de Dieu, la médiation du Christ et le don du Saint-Esprit, ainsi que la prise en considération de la condition des enfants qui reçoivent le baptême et qui sont sauvés par l’action de l’Église au nom du Christ. Le sort des enfants non baptisés demeure toutefois un cas limite pour la recherche théologique : les théologiens doivent garder à l’esprit la perspective apophatique des Pères grecs.


2. INQUIRERE VIAS DOMINI : CHERCHER A DISCERNER LES VOIES DE DIEU - LES PRINCIPES THEOLOGIQUES

42. Puisque le thème étudié concerne un sujet pour lequel aucune réponse explicite ne provient directement de la Révélation, telle qu’elle est contenue dans les saintes Écritures et dans la Tradition, le croyant catholique doit avoir recours à certains principes théologiques de base que l’Église, et spécialement le Magistère, gardien du dépôt de la foi, a énoncé avec l’assistance du Saint-Esprit. Comme l’affirme Vatican II : « Il y a un ordre ou une "hiérarchie" des vérités de la doctrine catholique, en raison de leur rapport différent avec les fondements de la foi chrétienne » (UR 11). Aucun homme ne peut en dernier ressort se sauver lui-même. Le salut ne vient que de Dieu le Père par Jésus-Christ dans l’Esprit Saint. Cette vérité fondamentale (celle de « l’absolue nécessité » de l’acte sauveur de Dieu envers les hommes) se déploie dans l’histoire à travers la médiation de l’Église et son ministère sacramentel. L’ordo tractandi que nous adopterons ici suit l’ordo salutis, à une exception près : nous avons placé la dimension anthropologique entre la dimension trinitaire et les dimensions ecclésiologique et sacramentelle.


2.1. La volonté salvifique universelle de Dieu réalisée par l’unique médiation de Jésus-Christ dans le Saint-Esprit

43. Dans le contexte de la discussion sur le sort des enfants qui meurent sans baptême, le mystère de la volonté salvifique universelle de Dieu est un principe fondamental et central. La profondeur de ce mystère se reflète dans le paradoxe d’un amour divin qui se manifeste à la fois comme universel et comme préférentiel.

44. Dans l’Ancien Testament, Dieu est appelé le Sauveur du peuple d’Israël (cf. Ex 6, 6 ; Dt 7, 8 ; 13, 5 ; 32, 15 ; 33, 29 ; Is 41, 14 ; 43, 14 ; 44, 24 ; Ps 78 ; 1 M 4, 30). Mais son amour de préférence pour Israël a une portée universelle, qui s’étend aux individus (cf. 2 S 22, 18, 44, 49 ; Ps 25, 5 ; 27, 1), et à tous les hommes : « Tu aimes tout ce qui existe, et tu n’as de dégoût pour rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï quelque chose, tu ne l’aurais pas formé » (Sg 11, 24). Par Israël, les nations païennes trouveront le salut (cf. Is 2, 1-4 ; 42, 1 ; 60, 1-14). « Je fais de toi la lumière des nations pour que mon salut atteigne aux extrémités de la terre » (Is 49, 6).

45. Cet amour de préférence et universel de Dieu se réalise d’une façon unique et exemplaire en Jésus-Christ, qui est l’unique Sauveur de tous (cf. Ac 4, 12), mais en particulier de quiconque se fait petit ou humble (tapeinôsei) comme les « petits ». De fait, en tant qu’il est doux et humble de cœur (cf. Mt 11, 29), Jésus entretient une affinité et une solidarité mystérieuses avec ceux-ci (cf. Mt 18,3-5 ; 10, 40-42 ; 25, 40, 45). Jésus affirme que le soin de ces petits est confié aux anges de Dieu (cf. Mt 18, 10). « Ainsi on ne veut pas, chez votre Père qui est aux cieux, qu’un seul de ces petits se perde » (Mt 18,14). Ce mystère de la volonté divine, selon le bon plaisir du Père[69], est révélé par le Fils[70] et dispensé par le don du Saint-Esprit[71].

46. L’universalité de la volonté salvifique de Dieu le Père, réalisée par la médiation unique et universelle de son Fils Jésus-Christ, est exprimée avec force dans la première épître à Timothée : « Voilà ce qui est bon et ce qui plaît à Dieu notre Sauveur, lui qui veut (thelei) que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité. Car Dieu est unique, unique aussi le médiateur entre Dieu et les hommes, le Christ Jésus, homme lui-même, qui s’est livré en rançon pour tous. Tel est le témoignage rendu aux temps marqués » (1 Tm 2, 3-6). La répétition emphatique du « tous » (vv. 1, 4, 6), et la justification de cette universalité par l’unicité de Dieu et de son Médiateur, qui est lui-même un homme, suggèrent que personne n’est exclu de cette volonté salvifique. Dans la mesure où elle est l’objet d’une prière (cf. 1 Tm 2, 1), cette volonté salvifique (thelèma) se réfère à une volonté qui est sincère de la part de Dieu, mais à laquelle les hommes peuvent parfois résister[72]. Voilà pourquoi nous avons besoin de prier notre Père qui est dans les cieux pour que sa volonté (thelèma) soit faite sur terre comme elle l’est au ciel (cf. Mt 6, 10).

47. Le mystère de cette volonté, révélé à Paul comme au « moindre de tous les saints » (Ep 3, 8 sq), s’enracine dans le dessein du Père de faire de son Fils non pas seulement « l’aîné d’une multitude de frères » (Rm 8, 29), mais encore le « premier-né de toute créature … [et] et d’entre les morts » (Col 1, 15.18). Cette révélation nous permet de découvrir dans la médiation du Fils des dimensions universelles et cosmiques, qui dépassent toutes les divisions (cf. GS 13). En ce qui concerne l’universalité de l’humanité, la médiation du Fils surmonte : (i) les diverses divisions culturelles, sociales et sexuelles : « il n’y a ni Juif ni Grec, il n’y a ni esclave ni homme libre, il n’y a ni homme ni femme » (Ga 3, 28) ; et (ii) les divisions causées par le péché, intérieures (cf. Rm 7) aussi bien qu’interpersonnelles (cf. Ep 2, 14) : « Comme en effet par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse, ainsi par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle constituée juste » (Rm 5, 19). En ce qui concerne les divisions cosmiques, Paul explique que « Dieu s’est plu à faire habiter en lui toute la plénitude et par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix » (Col 1, 19-20). Les deux dimensions sont rassemblées dans l’épître aux Éphésiens (1, 7-10) : « En lui nous trouvons la rédemption, par son sang, la rémission des fautes, selon … ce dessein bienveillant qu’il avait formé en lui par avance, … ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres ».

48. Assurément, nous ne voyons pas encore l’accomplissement de ce mystère du salut, « car notre salut est objet d’espérance » (Rm 8, 24). De fait, le Saint-Esprit témoigne qu’il n’est pas encore réalisé, et en même temps encourage les chrétiens à prier pour la résurrection finale et à l’espérer : « Nous le savons en effet, toute la création jusqu’à ce jour gémit en travail d’enfantement. Et non pas elle seule : nous-mêmes qui possédons les prémices de l’Esprit, nous gémissons nous aussi intérieurement dans l’attente de la rédemption de notre corps. … Pareillement, l’Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l’Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements ineffables » (Rm 8, 22-23, 25, 26). Ainsi, le gémissement de l’Esprit non seulement nous aide à prier, mais encore il englobe pour ainsi dire la souffrance de tous les adultes, de tous les enfants, de la totalité de la création[73].

49. Le Concile de Quierzy (853) affirme : « Dieu tout-puissant veut que "tous les hommes" sans exception "soient sauvés" (1 Tm 2, 4) bien que tous ne soient pas sauvés. Que certains se sauvent, c’est le don de celui qui sauve ; que certains se perdent, c’est le salaire de ceux qui se perdent »[74]. En développant les implications positives de cette affirmation pour ce qui est de l’universelle solidarité de tous dans le mystère de Jésus-Christ, le Concile affirme également : « De même qu’il n’y a eu, qu’il n’y a ou qu’il n’y aura aucun homme dont la nature n’ait été assumée dans le Christ Jésus notre Seigneur, de même il n’y a, il n’y a eu et il n’y aura aucun homme pour qui il n’ait pas souffert, bien que tous pourtant ne soient pas [de fait] rachetés par le mystère de sa Passion »[75].

50. Cette conviction christocentrique s’exprime dans toute la tradition catholique. Irénée, par exemple, cite le texte paulinien qui assure que le Christ reviendra « ramener toutes choses sous un seul Chef » (Ep 1, 10) et que tout genou fléchira devant lui au ciel et sur la terre, et que toute langue confessera que Jésus-Christ est Seigneur[76]. Pour sa part, saint Thomas d’Aquin, en se fondant une fois de plus sur le texte paulinien, a ceci à dire : « Le Christ, en tant que par sa mort il a réconcilié le genre humain avec Dieu, est le parfait médiateur entre Dieu et les hommes »[77].

51. Les documents de Vatican II ne se contentent pas de citer intégralement le texte de saint Paul (cf. LG 60, AG 7), mais ils y font aussi référence (cf. LG 49) et de plus utilisent à de multiples reprises l’expression unicus Mediator Christus (LG 8,14, 62). Cette affirmation centrale de la foi christologique s’exprime aussi dans le magistère pontifical post­conciliaire : « "C’est par son nom et par nul autre que cet homme se présente guéri devant vous … Car il n’y a pas sous le ciel d’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés" (Ac4, 10.12). Cette affirmation … a une portée universelle, car pour tous … le salut ne peut venir que de Jésus-Christ »[78].

52. La déclaration Dominus Iesus résume brièvement la conviction et l’attitude catholiques à ce sujet : « Il faut donc croire fermement comme vérité de foi catholique que la volonté salvifique universelle du Dieu Un et Trine est manifestée et accomplie une fois pour toutes dans le mystère de l’incarnation, mort et résurrection du Fils de Dieu »[79].


2.2. L’universalité du péché et le besoin universel de salut

53. La volonté salvifique universelle de Dieu par Jésus-Christ, en une mystérieuse relation avec l’Église, s’adresse à tous les hommes, qui, selon la foi de l’Église, sont des pécheurs qui ont besoin de salut. Déjà dans l’Ancien Testament, le caractère envahissant du péché de l’homme se retrouve dans pratiquement chaque livre. Le livre de la Genèse affirme que le péché n’a pas son origine en Dieu mais dans les hommes, parce que Dieu créa toutes choses et vit qu’elles étaient bonnes (cf. Gn 1,31). À partir du moment où le genre humain commença à s’accroître sur la terre, Dieu dut compter avec la tendance de l’humanité au péché : « Seigneur vit que la méchanceté de l’homme était grande sur la terre et que son cœur ne formait que de mauvais desseins à longueur de journée ». Même, il « se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » et il ordonna un déluge pour détruire toutes les choses vivantes, sauf Noé qui avait trouvé grâce à ses yeux (cf. Gn 6, 5-7). Mais même le déluge ne modifia pas l’inclination de l’homme au péché : « Je ne maudirai plus jamais la terre à cause de l’homme, parce que les desseins du cœur de l’homme sont mauvais dès son enfance » (Gn 8, 21). Les écrivains de l’Ancien Testament sont persuadés que le péché est profondément enraciné en l’homme et qu’il s’étend partout dans l’humanité (cf. Pr 20, 9 ; Qo 7, 20.29). De là de fréquents appels à l’indulgence divine, comme dans le Ps 143, 2 : « N’entre pas en jugement avec ton serviteur, nul vivant n’est justifié devant toi », ou dans la prière de Salomon : « Quand ils pécheront contre toi - car il n’y a aucun homme qui ne pèche, - … s’ils se repentent de tout leur cœur et de toute leur âme … écoute leurs prières, au ciel où tu résides, pardonne à ton peuple les péchés qu’il a commis envers toi » (1 R 8, 46 sq.). Certains textes parlent de péché dès la naissance. Le psalmiste affirme : « Vois : mauvais je suis né, pécheur ma mère m’a conçu » (Ps 51, 7). Et la déclaration d’Éliphaz : « Comment l’homme serait-il pur ? resterait-il juste, l’enfant de la femme ? » (Jb 15, 14 ; cf. 25, 4), concorde avec les propres convictions de Job (cf. Jb 14, 1.4) et d’autres auteurs bibliques (cf. Ps 58, 3 ; Is 48, 8). Dans la littérature de sagesse, il y a même un début de réflexion sur les effets du péché des ancêtres, Adam et Ève, sur l’ensemble de l’humanité : « C’est par l’envie du diable que la mort est entrée dans le monde ; ils en font l’expérience, ceux qui lui appartiennent » (Sg 2, 24) ; « C’est par la femme que le péché a commencé et c’est à cause d’elle que tous nous mourons » (Si 25, 24)[80].

54. Pour Paul, l’universalité de la rédemption apportée par Jésus-Christ a son pendant dans l’universalité du péché. Quand Paul, dans son épître aux Romains, affirme que « Juifs et Grecs, tous sont soumis au péché » (Rm 3, 9)[81], et que nul ne peut être exclu de ce jugement universel, il se fonde naturellement sur l’Écriture : « Comme il est écrit : "Il n’est pas de juste, pas un seul, il n’en est pas de sensé, pas un qui recherche Dieu. Tous ils sont dévoyés, ensemble pervertis ; il n’en est pas qui fasse le bien, non, pas un seul" » (Rm 3, 10-12, qui cite Qo 7, 20 et Ps 14,1-3, identique au Ps 53,1-3). D’un côté, tous les hommes sont pécheurs et ont besoin d’être délivrés par la mort et la résurrection rédemptrices de Jésus-Christ, le nouvel Adam. Ce ne sont pas les œuvres de la Loi, mais seulement la foi en Jésus-Christ qui peut sauver l’humanité, les Juifs comme les Gentils. De l’autre côté, la condition pécheresse de l’humanité est liée au péché du premier homme, Adam. Cette solidarité avec le premier homme, Adam, est exprimée dans deux textes pauliniens : 1 Co 15, 21 et spécialement Rm 5, 12 : « Voilà pourquoi, de même que par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que [gr. eph’hô : d’autres traductions possibles sont "parce que" ou "avec le résultat que"[82]] tous ont péché… » Dans cette anacoluthe, la causalité première relative à la condition pécheresse et mortelle de l’humanité est attribuée à Adam, quelle que soit la façon dont on comprend l’expression eph’hô. La causalité universelle du péché d’Adam est présupposée en Rm 5,15a, 16a, 17a, 18a, et clairement exprimée en 5, 19a : « par la désobéissance d’un seul homme la multitude a été constituée pécheresse ». Cependant, Paul n’explique jamais comment le péché d’Adam est transmis. Contre Pélage, qui pensait que l’influence d’Adam sur l’humanité consistait en son mauvais exemple, Augustin objecta que le péché d’Adam était transmis par propagation ou hérédité, et amena ainsi la doctrine du « péché originel » à son expression classique[83]. Sous l’influence d’Augustin, l’Église d’Occident a interprété de façon quasi unanime Rm 5, 12 dans le sens du « péché héréditaire »[84].

55. Dans cette ligne, le Concile de Trente en sa cinquième session (1546) a défini : « Si quelqu’un affirme que la prévarication d’Adam n’a nui qu’à lui seul et non à sa descendance, et qu’il a perdu la sainteté et la justice reçues de Dieu pour lui seul et non aussi pour nous, ou que, souillé par le péché de désobéissance, il n’a transmis que la mort et les punitions du corps à tout le genre humain, mais non pas le péché, qui est la mort de l’âme : qu’il soit anathème, puisqu’il est en contradiction avec l’Apôtre qui dit : " Par un seul homme, le péché est entré dans le monde, et par le péché, la mort et ainsi la mort a passé dans tous les hommes, tous ayant péché en lui" [Rm 5, 12 Vulg.] »[85].

56. Ainsi que le formule le Catéchisme de l’Église catholique : « La doctrine du péché originel est pour ainsi dire "le revers" de la Bonne Nouvelle que Jésus est le Sauveur de tous les hommes, que tous ont besoin du salut et que le salut est offert à tous grâce au Christ. L’Église qui a le sens du Christ (cf. 1 Co 2,16) sait bien qu’on ne peut pas toucher à la révélation du péché originel sans porter atteinte au Mystère du Christ »[86].


2.3 La nécessité de l’Eglise

57. La tradition catholique a affirmé de façon constante que l’Église est nécessaire au salut, en tant qu’elle est la médiation historique de l’œuvre rédemptrice de Jésus-Christ. Cette conviction a trouvé son expression classique dans l’adage de saint Cyprien : « Salus extra Ecclesiam non est »[87]. Le Concile Vatican II a répété cette conviction de foi : « Appuyé sur la sainte Écriture et sur la Tradition, il [le Concile] enseigne que cette Église en marche sur la terre est nécessaire au salut. Seul, en effet, le Christ est médiateur et voie de salut : or, il nous devient présent en son Corps qui est l’Église ; et en nous enseignant expressément la nécessité de la foi et du baptême (cf. Me 16, 16 ; Jn 3, 5), c’est la nécessité de l’Église elle-même, dans laquelle les hommes entrent par la porte du baptême, qu’il nous a confirmée en même temps. C’est pourquoi ceux qui refuseraient soit d’entrer dans l’Église catholique, soit d’y persévérer, alors qu’ils la sauraient fondée de Dieu par Jésus-Christ comme nécessaire, ceux-là ne pourraient pas être sauvés » (LG 14). Le Concile a amplement exposé le mystère de l’Église : « L’Église étant, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c’est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain » (LG 1) ; « Comme c’est dans la pauvreté et la persécution que le Christ a opéré la Rédemption, l’Église elle aussi est donc appelée à entrer dans cette même voie pour communiquer aux hommes les fruits du salut » (LG 8). « Ressuscité des morts (cf. Rm 6, 9), il [le Christ] a envoyé sur ses apôtres son Esprit de vie et par lui a constitué son Corps, qui est l’Église, comme le sacrement universel du salut » (LG 48). Ce qui est frappant dans ces citations, c’est l’étendue universelle du rôle médiateur de l’Église dans la dispensation du salut de Dieu : « l’unité de tout le genre humain », « le salut de [tous] les hommes », « le sacrement universel du salut ».

58. Face à de nouveaux problèmes et de nouvelles situations, et face à une interprétation exclusive de l’adage « salus extra Ecclesiam non est »[88], le Magistère, à une époque récente, a exprimé une compréhension plus nuancée de la manière selon laquelle peut être réalisée une relation salvatrice à l’Église. L’allocution du Pape Pie IX Singulari quadam (1854) exprime clairement les enjeux : « Il faut bien sûr tenir de foi qu’en dehors de l’Église apostolique et romaine, personne ne peut être sauvé, qu’elle est l’unique arche du salut, que ceux qui n’y entreront pas périront dans le déluge ; cependant, il faut également tenir pour certain que ceux qui vivent dans l’ignorance de la vraie religion, si cette ignorance est invincible, ne sont liés par aucune culpabilité en cette matière aux yeux du Seigneur »[89].

59. La Lettre du Saint-Office à l’archevêque de Boston (1949) apporte des précisions supplémentaires. « Car pour que quelqu’un obtienne le salut éternel, il n’est pas toujours requis qu’il soit effectivement (reapse) incorporé à l’Église comme un membre, mais il est au moins requis qu’il lui soit uni par le vœu et le désir. Cependant, il n’est pas toujours nécessaire que ce vœu soit explicite, comme il l’est chez les catéchumènes, mais, quand l’homme est victime d’une ignorance invincible, Dieu accepte aussi un vœu implicite, ainsi appelé parce qu’il est inclus dans la bonne disposition d’âme par laquelle l’homme veut conformer sa volonté à la volonté de Dieu »[90].

60. Ainsi, la volonté salvifique universelle de Dieu, réalisée par Jésus-Christ dans le Saint-Esprit, qui inclut l’Église comme le sacrement universel du salut, trouve son expression à Vatican II : « Ainsi donc, à cette unité catholique du Peuple de Dieu qui préfigure et promeut la paix universelle, tous les hommes sont appelés ; à cette unité appartiennent sous diverses formes ou sont ordonnés, et les fidèles catholiques et ceux qui, par ailleurs, ont foi dans le Christ, et finalement tous les hommes sans exception que la grâce de Dieu appelle au salut » (LG 13). Le magistère pontifical post-conciliaire a encore répété que l’unique et universelle médiation de Jésus-Christ se réalise dans le contexte d’une relation à l’Église. À propos de ceux qui n’ont pas eu l’occasion d’arriver à la connaissance ou à l’acceptation de la révélation évangélique - même dans leur cas, l’Encyclique Redemptoris missio a ceci à nous dire : « Le salut du Christ est accessible en vertu d’une grâce qui… a une relation mystérieuse avec l’Église »[91].


2.4. La nécessité du baptême sacramentel

61. Dieu le Père veut configurer tous les êtres humains au Christ par le Saint-Esprit, qui les transforme et les rend forts par sa grâce. À l’ordinaire, cette configuration à Jésus-Christ a lieu par le baptême sacramentel, par lequel l’homme est conformé au Christ, reçoit le Saint-Esprit, est libéré du péché et devient membre de l’Église.

62. Les nombreux énoncés baptismaux du Nouveau Testament expriment dans leur variété les différentes dimensions du sens du baptême, tel qu’il était compris dans la communauté chrétienne primitive. Tout d’abord, le baptême est désigné comme la rémission des péchés, comme une purification (cf. Ep 5, 26), ou comme une aspersion qui purifie le cœur des souillures d’une conscience mauvaise (cf. Hb 10, 22 ; 1 P 3, 21). « Repentez-vous, et que chacun de vous se fasse baptiser au nom de Jésus-Christ pour la rémission de ses péchés, et vous recevrez alors le don du Saint-Esprit » (Ac 2, 38 ; cf. Ac 22,16). Les baptisés sont donc configurés à Jésus-Christ : « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle » (Rm 6, 4).

63. Qui plus est, il est fait mention de façon répétée de l’activité du Saint-Esprit en lien avec le baptême (cf. Tt 3, 5). C’est la croyance de l’Église que le Saint-Esprit est donné au baptême (cf. 1 Co 6, 11 ; Tt 3, 5). Le Christ ressuscité agit par son Esprit, qui fait de nous des enfants de Dieu (cf. Rm 8,14), qui ont l’audace d’appeler Dieu Père (cf. Ga 4, 6).

64. Enfin, il y a des affirmations concernant le fait d’être « adjoint » au Peuple de Dieu dans le contexte du baptême, d’être baptisé « en un seul corps » (Ac 2, 41). Le baptême a pour effet l’incorporation de la personne humaine dans le Peuple de Dieu, le Corps du Christ et le temple spirituel. Paul parle d’être « baptisés en un seul corps » (1 Co 12, 13). Luc, lui, parle d’être « adjoint » à l’Église par le baptême (Ac 2, 41). Par le baptême, le croyant n’est plus seulement un individu, mais il devient membre du Peuple de Dieu. Il devient membre de l’Église que Pierre appelle « une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple acquis » (1 P 2, 9).

65. La tradition de conférer le baptême sacramentel s’étend à tous, même aux enfants. Parmi les témoignages de baptêmes chrétiens dans le Nouveau Testament, au livre des Actes des Apôtres, il y a des exemples de « baptêmes de maison » (cf. Ac 16, 15 ; 16, 33 ; 18, 8), qui ont pu inclure des enfants. L’ancienne pratique de baptiser les enfants[92], approuvée par les Pères et le Magistère de l’Église, est acceptée comme un élément essentiel de la compréhension qu’a l’Église catholique de sa foi. Le Concile de Trente affirmera : « C’est à cause de cette règle de foi venant de la tradition des apôtres que même les tout-petits, qui n’ont pas encore pu commettre aucun péché par eux-mêmes, sont pourtant vraiment baptisés pour la rémission des péchés, afin que soit purifié en eux par la régénération ce qu’ils ont contracté par la génération. En effet "nul, s’il ne renaît de l’eau et de l’Esprit Saint, ne peut entrer dans le Royaume de Dieu" » [Jn3, 5][93].

66. La nécessité du sacrement du baptême est prêchée et professée comme une partie intégrante de la compréhension de la foi chrétienne. Sur la base du commandement qui se trouve en Mt 28, 19 sq. et en Mc 16, 15, et de ce qui est prescrit en Jn 3, 5[94], la communauté chrétienne a, depuis les premiers temps, cru en la nécessité du baptême pour le salut. Tout en regardant le baptême sacramentel comme nécessaire dans la mesure où il est la voie ordinaire établie par Jésus-Christ pour se configurer les hommes, l’Église n’a jamais enseigné la « nécessité absolue » du baptême sacramentel pour le salut ; il y a d’autres voies par lesquelles la configuration au Christ peut se réaliser. Déjà dans la communauté chrétienne primitive, on considérait le martyre, le « baptême de sang », comme un substitut au baptême sacramentel. De plus, on reconnaissait le baptême de désir. A cet égard, ce qu’écrit Thomas d’Aquin est significatif : « Il y a deux façons pour une personne de ne pas être baptisée. D’une part, elle ne l’est ni de fait ni de désir ; c’est le cas de ceux qui ne sont pas baptisés et ne veulent pas l’être … D’autre part, elle peut n’être pas baptisée de fait, mais en avoir le désir … Cette personne-là, sans avoir reçu de fait le baptême, peut parvenir au salut, à cause du désir du baptême »[95]. Le Concile de Trente reconnaît le baptême de désir comme une voie par laquelle quelqu’un peut être justifié sans recevoir actuellement le sacrement du baptême : « Après la promulgation de l’Évangile, ce transfert [du péché à la justice] ne peut se faire sans le bain de la régénération ou le désir de celui- ci, selon ce qui est écrit : "Nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu s’il ne renaît pas de l’eau et de l’Esprit Saint" » (Jn 3, 5)[96].

67. L’affirmation par la foi chrétienne de la nécessité du baptême sacramentel pour le salut serait vidée de sa signification existentielle si on la réduisait à une simple affirmation théorique. Mais il est également nécessaire de respecter la liberté de Dieu vis-à-vis des voies du salut qu’il a données. En conséquence, il faut éviter d’opposer comme s’ils étaient antithétiques le baptême sacramentel, le baptême de désir et le baptême de sang. Ils ne sont que des expressions des polarités créatives à l’intérieur du champ de réalisation de la volonté salvifique universelle de Dieu sur l’humanité, qui inclut à la fois une réelle possibilité de salut, et un dialogue salvifique, dans la liberté, avec la personne humaine. C’est précisément ce dynamisme qui pousse l’Église, en tant qu’elle est le sacrement universel du salut, à appeler chacun à la repentance, à la foi et au baptême sacramentel. Ce dialogue de grâce ne peut s’instaurer que lorsque la personne humaine est existentiellement capable d’une réponse concrète - ce qui n’est pas le cas avec les enfants. D’où la nécessité de parents et de parrains et marraines qui parlent au nom des enfants qui sont baptisés. Qu’en est-il alors des enfants qui meurent sans baptême ?


2.5. L’espérance et la prière pour le salut universel

68. Les chrétiens sont un peuple qui espère. Ils ont mis leur espérance « dans le Dieu vivant, le Sauveur de tous les hommes, des croyants surtout » (1 Tm 4, 10). Ils désirent avec ardeur que tous les êtres humains, y compris les petits enfants non baptisés, puissent prendre part à la gloire de Dieu et vivre avec le Christ (cf. 1 Th 5, 9-11 ; Rm 8, 2-5, 23-35), suivant en cela la recommandation de Théophylacte : « S’il [notre Dieu] veut que tous les hommes soient sauvés, toi aussi, tu devrais le vouloir et imiter Dieu »[97]. Cette espérance chrétienne est une « espérance contre toute espérance » (Rm 4, 18), qui va bien au-delà de toute forme d’espoir humain. Elle prend exemple sur Abraham, notre père dans la foi. Abraham mit toute sa confiance dans les promesses que Dieu lui avait faites. Il eut confiance (« il espéra ») en Dieu contre toute assurance humaine et contre toute probabilité (« contre toute espérance »). De même les chrétiens, même s’ils ne voient pas comment les enfants non baptisés peuvent être sauvés, osent néanmoins espérer que Dieu les inclura dans sa miséricorde salvatrice. Ils sont aussi prêts à rendre compte à quiconque leur demandera raison de l’espérance qui est en eux (cf. 1 P 3, 15). Quand ils rencontrent des mères et des parents dans la détresse parce que leur enfant est mort avant ou après la naissance sans avoir été baptisé, ils se sentent pressés de leur expliquer pourquoi leur espérance du salut peut aussi s’étendre à ces tout-petits ou à ces enfants[98].

69. Les chrétiens sont un peuple qui prie. Ils prennent à cœur l’avertissement de Paul : « Je recommande donc, avant tout, qu’on fasse des demandes, des prières, des supplications, des actions de grâces pour tous les hommes » (1 Tm 2, 1). Cette prière universelle est agréable à Dieu qui « veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4), et pour la puissance créatrice duquel « rien n’est impossible » (Jb 42, 2 ; Mc 10, 27 ; 12, 24-27 ; Lc 1, 37). Elle se fonde aussi sur l’espérance que la totalité de la création, au terme, prendra part à la gloire de Dieu (cf. Rm 8, 22-27). Une telle prière s’accorde avec l’avertissement de saint Jean Chrysostome : « Imite Dieu. S’il veut que tous soient sauvés, il est donc raisonnable de prier pour tous »[99].


3. SPES ORANS - DES RAISONS POUR ESPERER

3.1. Un nouveau contexte

70. Les deux chapitres précédents, envisageant respectivement l’histoire de la réflexion chrétienne sur le sort des enfants non baptisés[100] et les principes théologiques qui se rapportent à cette question[101], ont présenté une situation en clair-obscur. D’une part, les principes théologiques chrétiens sous-jacents semblent favoriser par bien des aspects le salut des enfants non baptisés, en accord avec la volonté salvifique universelle de Dieu. D’autre part, cependant, on ne peut nier qu’il n’y ait eu d’assez longue date une tradition doctrinale (dont la valeur théologique, sans aucun doute, n’est pas définitive) qui, par souci de sauvegarder d’autres vérités de l’édifice théologique chrétien et de ne pas les compromettre, a exprimé soit une certaine réticence à cet égard, soit même un refus clair et net d’envisager le salut de ces enfants. Il existe une continuité fondamentale de génération en génération dans la réflexion de l’Église sur le mystère du salut, sous la direction du Saint-Esprit. A l’intérieur de ce mystère, le problème du sort éternel des enfants qui meurent sans baptême est « un de ceux dont la solution est la plus difficile en synthèse théologique »[102]. C’est un « cas limite », où il peut aisément sembler qu’il existe des tensions entre des données vitales de la foi, spécialement la nécessité du baptême pour le salut et la volonté salvifique universelle de Dieu. Avec un grand respect pour la sagesse et la fidélité de ceux qui, par le passé, ont approfondi cette question difficile, mais aussi avec une conscience aiguë du fait que le Magistère de l’Église a spécifiquement, et peut-être providentiellement, choisi de ne pas définir, à des moments clefs dans l’histoire de la doctrine[103], que ces enfants sont privés de la vision béatifique, mais de laisser la question ouverte, nous avons examiné comment il peut se faire que le Saint-Esprit guide l’Église à ce point de son histoire, pour réfléchir à nouveaux frais sur ce sujet exceptionnellement délicat (cf. DV 8).

71. Le Concile Vatican II a appelé l’Église à lire les signes des temps, et à les interpréter à la lumière de l’Évangile (cf. GS 4, 11), « pour que la vérité révélée puisse être sans cesse mieux perçue, mieux comprise et présentée sous une forme plus adaptée » (GS 44). Autrement dit, l’engagement envers le monde pour lequel le Christ a souffert, est mort et est ressuscité, est toujours pour l’Église, qui est le Corps du Christ, l’occasion d’approfondir la compréhension qu’elle a de son Seigneur et de son amour, et aussi la compréhension qu’elle a d’elle-même. C’est encore l’occasion de pénétrer plus profondément le message de salut qui lui a été confié. Il est possible d’identifier divers signes de nos temps modernes qui incitent à une conscience renouvelée de certains aspects de l’Évangile qui ont une incidence particulière sur la question en examen. En un sens, ils offrent un nouveau contexte pour cet examen à l’aube du XXIème siècle.

72. a) Les guerres et les bouleversements du XXème siècle, ainsi que l’aspiration de l’humanité à la paix et à l’unité - qui se manifeste dans la fondation, par exemple, des Nations Unies, de l’Union européenne, de l’Union africaine - ont aidé l’Église à comprendre de façon plus profonde l’importance du thème de la communion dans le message de l’Évangile, et à développer en conséquence une ecclésiologie de communion (cf. LG 4, 9 ; UR 2 ; GS 12, 24).

73. b) Beaucoup d’hommes sont aujourd’hui aux prises avec la tentation du désespoir. La crise de l’espérance dans le monde contemporain conduit l’Église à une perception plus profonde de l’espérance qui est au cœur de l’Évangile chrétien. « Il n’y a qu’un Corps et qu’un Esprit, comme il n’y a qu’une espérance au terme de l’appel que vous avez reçu » (Ep 4,4). Les chrétiens sont particulièrement appelés de nos jours à être les témoins de l’espérance et les ministres de l’espérance dans le monde (cf. LG 48, 49 ; GS 1). L’Église, dans son universalité et dans sa catholicité, est porteuse d’une espérance qui s’étend à toute l’humanité, et les chrétiens ont pour mission d’offrir cette espérance à chacun.

74. c) Le développement des communications mondiales, en soulignant de façon frappante toute la souffrance qu’il y a dans le monde, a été pour l’Église une occasion de comprendre plus profondément l’amour de Dieu, sa miséricorde et sa compassion, et de mettre en valeur le primat de la charité. Dieu est miséricordieux et, face à l’ampleur de la douleur dans le monde, nous apprenons à nous confier en Dieu et à le glorifier, lui « dont la puissance agissant en nous est capable de faire bien au-delà, infiniment au-delà de tout ce que nous pouvons demander ou concevoir » (Ep 3, 20).

75. d) Partout, les hommes sont scandalisés par la souffrance des enfants et désirent donner aux enfants la possibilité de mettre en œuvre leurs potentialités[104]. Dans un tel contexte, l’Église se rappelle bien sûr, en y réfléchissant à nouveaux frais, divers textes du Nouveau Testament qui expriment l’amour préférentiel de Jésus : « Laissez les petits enfants … venir à moi ; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume des cieux » (Mt 19, 14 ; cf. Le 18,15-16, « les tout-petits ») ; « quiconque accueille un enfant comme celui-ci à cause de mon nom, c’est moi qu’il accueille » (Mc 9,37) ; « si vous ne retournez à l’état des enfants, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux » (Mt 18, 3) ; « qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand dans le Royaume des Cieux » (Mt 18, 4) ; « mais si quelqu’un doit scandaliser l’un de ces petits qui croient en moi, il serait préférable pour lui de se voir suspendre autour du cou une de ces meules que tournent les ânes et d’être englouti en pleine mer » (Mt 18, 6) ; « gardez-vous de mépriser aucun de ces petits : car, je vous le dis, leurs anges aux Cieux voient constamment la face de mon Père qui est aux Cieux » (Mt 18, 10). L’Église renouvelle donc son engagement à manifester l’amour et la sollicitude du Christ pour les enfants (cf. LG 11 ; GS 48,50).

76. e) L’accroissement des voyages et des contacts entre les hommes de différentes croyances, ainsi que le grand développement du dialogue entre des hommes de différentes religions, ont encouragé l’Église à cultiver une conscience accrue des multiples et mystérieuses voies de Dieu (cf. NA 1,2) et de sa propre mission dans ce contexte.

77. Le développement d’une ecclésiologie de communion, une théologie de l’espérance, la valorisation de la divine miséricorde, joint à un souci renouvelé du bien-être des enfants et à un sentiment toujours croissant que le Saint-Esprit opère dans les vies de tous « d’une façon que Dieu connaît » (cf. GS 22), toutes ces caractéristiques de notre époque moderne constituent un nouveau contexte pour l’examen de notre question. Ce peut être un moment providentiel pour cette reconsidération. Par la grâce du Saint-Esprit, l’Église a retiré de son engagement envers le monde d’aujourd’hui des vues plus profondes sur la Révélation divine, qui peuvent jeter une lumière nouvelle sur notre question.

78. L’espérance est le contexte global de notre réflexion et de notre travail. L’Église d’aujourd’hui répond aux signes de notre temps par une espérance renouvelée pour le monde en général, et en particulier en ce qui concerne notre question, pour les enfants qui meurent sans baptême[105]. Nous devons, ici et maintenant, rendre compte de cette espérance (cf. 1 P 3, 15-16). Dans les cinquante dernières années, le Magistère de l’Église a montré une ouverture croissante envers la possibilité du salut des enfants non baptisés, et le sensus fidelium semble s’être développé dans le même sens. Les chrétiens font constamment l’expérience, et avec plus de force dans la liturgie, de la victoire du Christ sur le péché et sur la mort[106], de l’infinie miséricorde de Dieu et de la communion d’amour des saints au ciel, toutes choses qui accroissent notre espérance. Là, l’espérance qui est en nous, et que nous devons proclamer et expliquer, se renouvelle régulièrement, et c’est à partir de cette expérience de l’espérance qu’il est maintenant possible de proposer diverses considérations.

79. Il faut clairement reconnaître que l’Église n’a pas une connaissance certaine au sujet du salut des enfants non baptisés qui meurent. Elle connaît et célèbre la gloire des saints Innocents, mais le sort général des enfants qui meurent sans baptême ne nous a pas été révélé, et l’Église n’enseigne et ne juge qu’en ce qui concerne ce qui a été révélé. Ce que nous savons positivement de Dieu, du Christ et de l’Église nous donne des fondements pour espérer leur salut, comme il nous faut maintenant l’expliquer.


3.2. La miséricordieuse philanthropie de Dieu

80. Dieu est riche en miséricorde, dives in misericordia (Ep 2, 4). La liturgie byzantine célèbre fréquemment la philanthropie de Dieu ; Dieu est « l’ami de l’homme »[107]. Qui plus est, le dessein d’amour de Dieu, qui nous a été maintenant révélé par l’Esprit, est au-delà de ce que nous pouvons imaginer : « ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment » est quelque chose « que l’œil n’a pas vu, que l’oreille n’a pas entendu, qui n’est pas monté au cœur de l’homme » (1 Co 2, 9-10, citant Is 64, 4). Ceux qui s’affligent du sort des enfants morts sans baptême, spécialement leurs parents, sont eux- mêmes souvent des personnes qui aiment Dieu, des personnes que ces paroles peuvent consoler. On peut en particulier faire les remarques suivantes :

81. a) La grâce de Dieu atteint tous les hommes et sa providence embrasse tout. Le Concile Vatican II enseigne que Dieu ne refuse pas « les secours nécessaires à leur salut » à ceux qui, sans qu’il y ait faute de leur part, ne sont pas encore parvenus à une connaissance explicite de Dieu, mais qui, avec l’aide de la grâce, « travaillent à avoir une vie droite ». Dieu illumine tous les hommes « pour que, finalement, ils aient la vie » (cf. LG 16). Le Concile enseigne encore que la grâce « agit invisiblement » dans les cœurs de tous les hommes de bonne volonté (GS 22). Ces paroles s’appliquent directement à ceux qui, ayant l’âge de raison, prennent des décisions responsables ; mais il est difficile de nier qu’elles peuvent aussi être appliquées à ceux qui n’ont pas atteint l’âge de raison. Les paroles suivantes, en particulier, semblent avoir une portée réellement universelle. « Puisque le Christ est mort pour tous et que la vocation dernière de l’homme est réellement unique, à savoir divine [cumque vocatio hominis ultima revera una sit, scilicet divina], nous devons tenir que l’Esprit Saint offre à tous, d’une façon que Dieu connaît, la possibilité d’être associé au mystère pascal » (GS 22). Cette déclaration profonde de Vatican II nous mène au cœur du dessein d’amour de la sainte Trinité et souligne le fait que les desseins de Dieu transcendent notre compréhension.

82. b) Dieu ne nous demande pas l’impossible[108]. Qui plus est, la puissance de Dieu n’est pas restreinte aux sacrements : « Deus virtutem suam non alligavit sacramentis quin possit sine sacramentis effectum sacramentorum conferre. Dieu n’a pas lié sa puissance aux sacrements au point de ne pouvoir sans eux conférer l’effet sacramentel »[109]. Dieu peut donc donner la grâce du baptême sans que le sacrement soit conféré, et cela doit être particulièrement rappelé lorsqu’il est impossible de conférer le baptême. La nécessité du sacrement n’est pas absolue. Ce qui est absolu est la nécessité pour les hommes de l’Ursakrament qui est le Christ lui-même. Tout salut vient de lui, et donc, en un sens, par l’Église[110].

83. c) En tous temps et en toutes circonstances, Dieu procure à l’humanité un remède de salut[111]. Tel fut l’enseignement de Thomas d’Aquin[112], et déjà avant lui d’Augustin[113] et de Léon le Grand[114]. On le trouve aussi chez Cajetan[115]. Le Pape Innocent III porta une attention toute spéciale à la situation des enfants : « On ne peut admettre en effet que tous les petits enfants, dont tant meurent chaque jour, périssent sans que le Dieu de miséricorde, qui veut que personne ne périsse, leur ait procuré à eux aussi un moyen de salut… Nous disons que deux formes de péché doivent être distinguées, à savoir le péché originel et le péché actuel, l’originel qu’on contracte sans consentement et l’actuel qui est commis avec consentement. L’originel donc, qui est contracté sans consentement, est remis sans consentement en vertu du sacrement [du baptême] »[116]. Innocent défendait le baptême des petits enfants comme le moyen que Dieu procure pour le salut de ces nombreux enfants qui meurent chaque jour. On peut néanmoins se demander, en se fondant sur une application plus approfondie de ce même principe, si Dieu a aussi procuré quelque remède pour ceux des enfants qui meurent sans baptême. Il est hors de question de nier l’enseignement d’Innocent selon lequel ceux qui meurent avec le péché originel sont privés de la vision béatifique[117]. Ce qu’il est légitime de demander et ce que nous nous demandons, c’est si les enfants qui meurent sans baptême meurent nécessairement avec le péché originel, sans aucun remède divin.

84. Confiant qu’en toute circonstance Dieu pourvoit, comment pourrions-nous donc imaginer un tel remède ? Nous présentons dans ce qui suit quelques voies par lesquelles les enfants qui meurent sans être baptisés peuvent peut-être être unis au Christ.

85. a) De façon générale, nous pouvons discerner en ces enfants, qui eux-mêmes souffrent et meurent, une conformité salvatrice au Christ dans sa propre mort, qui fait d’eux ses compagnons. Le Christ lui-même a porté sur la Croix le poids du péché et de la mort de toute l’humanité, de sorte que toute souffrance et toute mort est une lutte avec son ennemi propre (cf. 1 Co 15, 26), une participation à son propre combat, où nous le trouvons à nos côtés (cf. Dn 3, 24-25 [91-92] ; Rm 8, 31-39 ; 2 Tm 4, 17). Sa Résurrection est la source de l’espérance de l’humanité (cf. 1 Co 15, 20) ; en lui seul se trouve la vie en abondance (cf. Jn 10, 10) ; et le Saint-Esprit offre à tous une participation à son mystère pascal (cf. GS 22).

86. b) Certains enfants souffrent et meurent parce qu’ils sont victimes de la violence. Dans leur cas, nous pouvons aisément nous référer à l’exemple des saints Innocents, et discerner dans le cas de ces enfants une analogie avec le baptême de sang, qui est porteur du salut. Bien que ce fût sans le savoir, les saints Innocents ont souffert et sont morts à cause du Christ ; leurs meurtriers cherchaient à tuer l’Enfant Jésus. De même que ceux qui ont ôté la vie aux saints Innocents l’ont fait pour des motifs de crainte et d’égoïsme, de même aujourd’hui la vie des enfants, particulièrement de ceux encore à naître, est souvent mise en danger par la crainte et l’égoïsme d’autrui. En ce sens, ils entretiennent une relation de solidarité avec les saints Innocents. Bien plus, ils entretiennent une relation de solidarité avec le Christ, lui qui a dit : « En vérité je vous le dis, dans la mesure où vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait » (Mt 25, 40). Combien il est vital pour l’Église de proclamer l’espérance et la générosité qui sont intrinsèques à l’Évangile, et essentielles à la protection de la vie !

87. c) Il est également possible que Dieu agisse simplement en accordant le don du salut aux enfants non baptisés, par analogie avec le don du salut accordé sacramentellement aux enfants baptisés[118]. Nous pouvons peut-être comparer ce cas au don immérité que Dieu fit à Marie dans son Immaculée Conception, par lequel il a simplement agi en lui accordant par avance la grâce du salut dans le Christ.


3.3 La solidarité avec le Christ

88. Il y a une unité et une solidarité fondamentales entre le Christ et tout le genre humain. Par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est uni, en quelque sorte (« quodammodo »), à tout homme (GS 22)[119]. Il n’y a donc personne qui ne soit atteint par le mystère du Verbe fait chair. L’humanité, et même la création tout entière, a été objectivement transformée du fait même de l’Incarnation, et objectivement sauvée par les souffrances, la mort et la résurrection du Christ[120]. Cependant, ce salut objectif doit être subjectivement approprié (cf. Ac 2, 37-38 ; 3, 19), d’ordinaire par l’exercice personnel du libre arbitre en faveur de la grâce chez les adultes, avec ou sans le baptême sacramentel, ou chez les enfants par la réception du baptême sacramentel. La situation des enfants non baptisés pose problème, précisément à cause de l’absence présumée de libre arbitre chez eux[121]. Leur situation soulève avec acuité la question de la relation entre le salut objectif acquis par le Christ et le péché originel, ainsi que la question de la signification exacte de l’expression conciliaire « quodammodo ».

89. Le Christ a vécu, est mort et est ressuscité pour tous. Saint Paul enseigne que « tout genou, au nom de Jésus, doit fléchir, et toute langue proclamer de Jésus-Christ qu’il est Seigneur, à la gloire de Dieu le Père » (Ph 2,10-11) ; « car le Christ est mort et revenu à la vie pour être le Seigneur des morts et des vivants. … Tous, en effet, nous comparaîtrons au tribunal de Dieu » (Rm 14, 9-11). De même, l’enseignement johannique souligne que « le Père ne juge personne ; il a donné au Fils le jugement tout entier, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père » (Jn 5, 22-23) ; « j’entendis toute créature, dans le ciel, et sur la terre, et sous la terre, et sur la mer, l’univers entier, s’écrier : "A celui qui siège sur le trône, ainsi qu’à l’Agneau, la louange, l’honneur, la gloire et la puissance dans les siècles des siècles !" » (Ap 5, 13).

90. Les Écritures mettent toute l’humanité sans exception en relation avec le Christ. Une faiblesse majeure de la conception traditionnelle des limbes est le fait qu’il n’est pas clair de savoir si les âmes qui y sont ont une relation quelconque au Christ ; le caractère christocentrique de la théorie semble déficient. Dans certaines conceptions, les âmes des limbes semblent posséder un bonheur naturel qui appartient à un ordre différent de l’ordre surnaturel, dans lequel les hommes effectuent un choix pour ou contre le Christ. Ceci semble être un élément de la conception de Thomas d’Aquin, encore que Suarez et les scolastiques postérieurs aient souligné que le Christ restaure la nature humaine (sa grâce est une gratia sanans, qui guérit la nature humaine), permettant par là même le bonheur naturel que saint Thomas attribue aux âmes des limbes. La grâce du Christ était donc implicitement présente dans la conception de saint Thomas, mais elle n’était pas développée. Les scolastiques postérieurs ont par conséquent envisagé trois sorts possibles (du moins en pratique, encore qu’en principe ils auraient pu n’accepter que deux sorts, le ciel et l’enfer), et ont considéré, contre Augustin, que c’était par la grâce du Christ que les nombreux enfants se trouvaient aux limbes et non pas en enfer !

91. Là où le péché a abondé, la grâce a surabondé ! Tel est le vigoureux enseignement de l’Écriture. Or l’idée des limbes semble restreindre cette surabondance. « Il n’en va pas du don comme de la faute. Si, par la faute d’un seul, la multitude est morte, combien plus la grâce de Dieu et le don conféré par la grâce d’un seul homme, Jésus-Christ, se sont-ils répandus à profusion sur la multitude. … Ainsi donc, comme la faute d’un seul a entraîné sur tous les hommes une condamnation, de même l’œuvre de justice d’un seul procure à tous une justification qui donne la vie. … Mais où le péché s’est multiplié, la grâce a surabondé » (Rm 5, 15, 18, 20). « De même en effet que tous meurent en Adam, ainsi tous revivront dans le Christ » (1 Co 15, 22). L’Écriture enseigne certes notre solidarité de péché en Adam, mais elle l’enseigne comme le revers de l’enseignement de notre solidarité de salut dans le Christ. « La doctrine du péché originel est pour ainsi dire "le revers" de la Bonne Nouvelle que Jésus est le Sauveur de tous les hommes, que tous ont besoin du salut et que le salut est offert à tous grâce au Christ »[122]. Beaucoup de conceptions traditionnelles du péché et du salut (ainsi que des limbes) ont davantage mis l’accent sur la solidarité avec Adam que sur la solidarité avec le Christ, ou, du moins, ces conceptions se sont fait une idée restrictive de la façon dont les hommes bénéficient de la solidarité avec le Christ. Il semble en particulier que cela ait été une caractéristique de la pensée d’Augustin[123] : le Christ sauve un petit nombre d’élus sur la masse de ceux qui sont condamnés en Adam. L’enseignement de saint Paul nous pousserait plutôt à un rééquilibrage et à centrer l’humanité sur le Christ sauveur à qui tous, d’une certaine façon, sont unis[124]. « "Image du Dieu invisible "[125], il est l’homme parfait qui a restauré dans la descendance d’Adam la ressemblance divine, altérée dès le premier péché. Parce qu’en lui la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale » (GS 22). Nous voulons insister : la solidarité de l’humanité avec le Christ (ou, plus précisément, la solidarité du Christ avec toute l’humanité) doit l’emporter sur la solidarité des hommes avec Adam. La question du sort des enfants qui meurent sans être baptisés doit être traitée dans cette lumière.

92. « Il est l’Image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature, car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles, … tout a été créé par lui et pour lui. Il est avant toutes choses et tout subsiste en lui. Et il est aussi la Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église : il est le Principe, Premier-né d’entre les morts, il fallait qu’il obtînt en tout la primauté » (Col 1, 15-18). Le plan de Dieu est de « ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ, les êtres célestes comme les terrestres » (Ep 1, 10). Il y a une appréciation renouvelée du grand mystère cosmique de la communion dans le Christ. Tel est, en fait, le contexte fondamental de notre question.

93. Néanmoins, les êtres humains ont reçu le bienfait de la liberté, et une libre acceptation du Christ est le moyen ordinaire du salut ; nous ne sommes pas sauvés sans que nous ne l’acceptions, et certainement pas contre notre volonté. Tous les adultes prennent une décision, explicite ou implicite, vis-à-vis du Christ qui s’est uni à eux (cf. GS 22). Certains théologiens modernes considèrent que l’option pour ou contre le Christ est impliquée dans tous les choix. Cependant, c’est précisément l’absence de libre arbitre et de choix responsable chez les enfants qui nous mène à nous demander quelle est leur position vis-à-vis du Christ s’ils meurent sans baptême. Le fait que les enfants puissent jouir de la vision de Dieu se trouve reconnu dans la pratique de les baptiser. La conception traditionnelle est que ce n’est que par le baptême sacramentel que les enfants sont solidaires du Christ et, par suite, ont accès à la vision de Dieu. Dans le cas contraire, la solidarité avec Adam l’emporte. Nous pouvons toutefois nous demander comment cette conception pourrait être modifiée si l’on rendait la priorité à notre solidarité avec le Christ (c’est-à-dire la solidarité du Christ avec nous).

94. Le baptême en vue du salut peut être reçu soit in re soit in voto. On admet traditionnellement que le choix implicite du Christ que peuvent poser les adultes non baptisés, constitue un votum du baptême et est salvifique. Dans la conception traditionnelle, un tel choix n’est pas accessible aux enfants qui n’ont pas atteint l’usage du libre-arbitre. L’impossibilité supposée du baptême in voto pour les enfants forme le nœud de toute la question. Aussi, un très grand nombre de tentatives ont été faites à l’époque moderne pour explorer la possibilité d’un votum dans le cas d’un enfant non baptisé, soit d’un votum émis au nom de l’enfant par ses parents ou par l’Église[126], soit, peut-être, d’un votum émis d’une certaine façon par l’enfant[127]. L’Église n’a jamais exclu une telle solution, et les tentatives qui eurent lieu en ce sens lors de Vatican II ont échoué de manière significative, à cause d’un sentiment largement répandu que la recherche en cette matière n’avait pas dit son dernier mot, et d’un désir général de confier ces enfants à la miséricorde divine.

95. Il est important de reconnaître une « double gratuité » qui nous appelle à l’être et simultanément nous appelle à la vie éternelle. Même si un ordre purement naturel est concevable, de fait, aucune existence humaine ne se déroule dans un tel ordre. L’ordre réel est surnaturel ; les canaux de la grâce sont ouverts dès le commencement de toute vie humaine. Tous naissent avec cette humanité qui a été assumée par le Christ lui-même et tous vivent en une certaine relation avec lui, selon différents degrés d’explicitation (cf. LG 16) et d’acceptation, à tout moment. Il y a deux fins possibles pour un être humain placé dans cet ordre : soit la vision de Dieu, soit l’enfer (cf. GS 22). Bien que certains théologiens médiévaux aient soutenu la possibilité d’une destinée intermédiaire, naturelle, acquise par la grâce du Christ (gratia sanans), à savoir les limbes[128], nous considérons une telle solution comme problématique et nous désirons indiquer que d’autres approches sont possibles, fondées sur l’espérance d’une grâce rédemptrice accordée aux enfants qui meurent sans baptême, et qui leur ouvre la voie du ciel. Nous pensons que, dans le développement de la doctrine, la solution des limbes peut être dépassée à la lumière d’une plus grande espérance théologique.


3.4. L’Église et la communion des saints

96. Parce que tous les hommes vivent dans une certaine relation au Christ (cf. GS 22), et que l’Église est le Corps du Christ, tous les hommes vivent ainsi à tout moment dans une certaine relation à l’Église. L’Église entretient une profonde solidarité ou communion avec toute l’humanité (cf. GS 1). Elle vit dans une orientation dynamique vers la plénitude de la vie avec Dieu dans le Christ (cf. LG 7), et désire attirer tous les hommes dans cette plénitude de vie. L’Église, en fait, est le « sacrement universel du salut » (LG 48, cf. 1,9). Le salut a une dimension sociale (cf. GS 12), et l’Église vit déjà la vie de grâce de la communion des saints, à laquelle tous sont appelés. Elle embrasse dans sa prière tous les hommes dans toutes les circonstances, de façon très spéciale quand elle célèbre l’Eucharistie. L’Église inclut dans sa prière les adultes non chrétiens et les enfants qui meurent sans baptême. De façon très significative, on a suppléé depuis Vatican II à l’absence antérieure de prières liturgiques pour ces enfants[129]. Unie dans un sensus fidei commun (cf. LG 12), l’Église rejoint tous les hommes, sachant que Dieu les aime. Une raison importante de l’échec des tentatives pour obtenir de Vatican II la définition selon laquelle les enfants morts sans baptême sont définitivement privés de la vision de Dieu[130] ont échoué notamment parce que les évêques ont témoigné que telle n’était pas la foi de leur peuple : cela ne correspondait pas au sensus fidelium.

97. Saint Paul enseigne que le conjoint non croyant d’une partie croyante est « sanctifié » par son époux ou son épouse, et de plus, que leurs enfants eux aussi sont « saints » (1 Co 7, 14). Ceci constitue une indication précieuse du fait que la sainteté qui réside dans l’Église rejoint les hommes qui se trouvent en dehors de ses limites visibles grâce aux liens de la communion humaine, en ce cas le lien matrimonial entre mari et femme, et le lien entre parents et enfants. Saint Paul laisse entendre que le conjoint et l’enfant d’un chrétien croyant ont de ce fait même un lien avec l’appartenance à l’Église et avec le salut ; leur situation familiale « entraîne une certaine introduction dans l’Alliance »[131]. Les paroles de saint Paul ne donnent aucune assurance du salut du conjoint non baptisé (1 Co 7,16) ni de l’enfant, mais assurément, là encore, des raisons d’espérer.

98. Lorsqu’un enfant est baptisé, il ne peut faire personnellement une profession de foi. A ce moment, ce sont plutôt ses parents et l’Église dans son ensemble qui assurent le contexte de foi requis pour l’action sacramentelle. Et de fait, saint Augustin enseigne que c’est l’Église qui présente l’enfant au baptême[132]. L’Église professe sa foi et intercède avec puissance pour l’enfant, en suppléant à l’acte de foi qu’il est incapable de poser ; là encore, les liens de communion, à la fois naturelle et surnaturelle, sont à l’œuvre et manifestes. Si un enfant non baptisé est incapable d’un votum baptismi, alors, par ces mêmes liens de communion, l’Église pourrait être à même d’intercéder pour cet enfant et d’exprimer en son nom un votum baptismi qui serait efficace devant Dieu. De plus, l’Église exprime effectivement un tel votum dans sa liturgie, par la charité même qu’elle manifeste envers tous les hommes et qui se renouvelle en elle dans chaque célébration de l’Eucharistie.

99. Jésus a enseigné : « A moins de naître d’eau et d’Esprit, nul ne peut entrer dans le Royaume de Dieu » (Jn 3, 5) ; nous en déduisons la nécessité du baptême sacramentel[133]. De même, il a dit : « Si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6, 53) ; nous en déduisons la nécessité - étroitement connexe - de prendre part à l’Eucharistie. Cependant, tout comme nous ne concluons pas de ces dernières paroles que quelqu’un qui n’a pas reçu le sacrement de l’Eucharistie ne peut être sauvé, ainsi nous ne devrions pas conclure des premières paroles que quelqu’un qui n’a pas reçu le sacrement du baptême ne peut être sauvé. Nous devrions conclure que nul n’est sauvé sans une certaine relation au baptême et à l’Eucharistie, et donc à l’Église qui se définit par ces sacrements. Tout salut a une certaine relation au baptême, à l’Eucharistie et à l’Église. Le principe selon lequel « hors de l’Église, il n’y a point de salut » signifie qu’il n’est aucun salut qui ne vienne du Christ et qui ne soit, de par sa nature même, ecclésial. De même, l’enseignement scripturaire selon lequel « sans la foi il est impossible de lui plaire [à Dieu] » (Hb 11,6) indique le rôle intrinsèque de l’Église, communion de foi, dans l’œuvre du salut. C’est spécialement dans la liturgie de l’Église que ce rôle devient manifeste, puisque l’Église prie et intercède pour tous, y compris pour les enfants morts sans baptême.


3.5 Lex orandi, lex credendi

100. Avant Vatican II, il n’existait pas dans l’Église latine de rite des funérailles pour les enfants morts sans baptême, et ils étaient enterrés en terre non consacrée. A proprement parler, il n’existait pas non plus de rite des funérailles pour les enfants baptisés, mais, dans leur cas, on célébrait une messe des Anges et on leur accordait bien sûr une sépulture chrétienne. Grâce à la réforme liturgique d’après le Concile, le Missel romain a désormais une messe de funérailles pour un enfant qui meurt avant le baptême, et il existe aussi dans l’Ordo exsequiarum des prières spéciales pour cette situation. Dans les deux cas la tonalité des prières est manifestement prudente, mais c’est aujourd’hui un fait que l’Église exprime liturgiquement son espérance en la miséricorde de Dieu, et confie l’enfant à sa sollicitude d’amour. Cette prière liturgique reflète, en même temps qu’elle le façonne, le sensus fidei de l’Église latine en ce qui concerne le sort des enfants qui meurent sans baptême : lex orandi, lex credendi. De façon significative, dans l’Église grecque catholique il n’existe qu’un seul rite des funérailles pour les enfants, qu’ils soient baptisés ou qu’ils ne le soient pas encore, et l’Église prie pour tous les enfants, afin qu’ils soient reçus dans le sein d’Abraham où il n’y a ni douleur ni tristesse, mais seulement vie éternelle.

101. « Quant aux enfants morts sans baptême, l’Église ne peut que les confier à la miséricorde de Dieu, comme elle le fait dans le rite des funérailles pour eux. En effet, la grande miséricorde de Dieu qui veut que tous les hommes soient sauvés (cf. 1 Tm 2, 4), et la tendresse de Jésus envers les enfants, qui lui a fait dire : "Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas" (Me 10, 14), nous permettent d’espérer qu’il y ait un chemin de salut pour les enfants morts sans baptême. D’autant plus pressant est aussi l’appel de l’Église à ne pas empêcher les petits enfants de venir au Christ par le don du saint baptême »[134].


3.6. L’espérance

102. Dans l’espérance que l’Église porte pour toute l’humanité, et qu’elle désire proclamer à nouveau au monde d’aujourd’hui, y a-t-il une espérance pour le salut des enfants morts sans baptême ? Nous avons examiné à nouveau et avec soin cette question complexe, avec gratitude et respect pour les réponses qui ont été données au cours de l’histoire de l’Église, mais aussi avec la conscience qu’il nous incombe de donner une réponse cohérente pour aujourd’hui. En réfléchissant à l’intérieur de l’unique tradition de foi qui unit l’Église à travers les âges, et en mettant toute notre confiance dans la direction du Saint- Esprit, dont Jésus a promis qu’il introduirait ses disciples « dans la vérité tout entière » (Jn 16, 13), nous avons tenté de lire les signes des temps et de les interpréter à la lumière de l’Évangile. Notre conclusion est que les multiples facteurs que nous avons examinés ci-dessus donnent des fondements théologiques et liturgiques sérieux pour espérer que les enfants qui meurent sans baptême seront sauvés et jouiront de la vision béatifique. Nous soulignons que ce sont des raisons d’espérer dans la prière, plutôt que des fondements d’une connaissance certaine. Il y a beaucoup de choses qui, tout simplement, ne nous ont pas été révélées (Jn 16, 12). Nous vivons par la foi et l’espérance dans le Dieu de miséricorde et d’amour qui nous a été révélé dans le Christ, et l’Esprit nous incite à prier dans une perpétuelle action de grâces et dans la joie (1 Th 5,18).

103. Ce qui nous a été révélé, c’est que la voie ordinaire du salut passe par le sacrement du baptême. Aucune des considérations énoncées ci-dessus ne devrait être comprise comme une atténuation de la nécessité du baptême ni comme une justification pour retarder l’administration du sacrement[135]. Au contraire, comme nous tenons à l’affirmer de nouveau en conclusion, ces considérations procurent de solides fondements à l’espérance que Dieu sauve ces enfants lorsque nous n’avons pas été capables de faire ce que nous aurions voulu faire pour eux, à savoir de les baptiser dans la foi et dans la vie de l’Église.




  1. Toutes les références scripturaires citées dans ce document le sont d’après la version de la Bible de Jérusalem (Editions du Cerf).
  2. Cf. Commission théologique internationale, Communion and Stewardship : Human Persons Created in the Image of God, Cité du Vatican, 2005.
  3. « Bethléem, ne t’attriste pas, mais prends courage pour le massacre des saints enfants, parce qu’ils furent offerts comme des victimes parfaites au Christ Roi : de même qu’ils furent sacrifiés à cause de lui, ils régneront avec lui ». Exapostilarion des Matines dans la liturgie byzantine, Anthologion di tutto l’anno, vol. 1, Edizione Lipa, Rome 1999, 1199.
  4. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Pastoralis actio, 13, Acta Apostolicae Sedis, 72 (1980), 1144 (DC 1980, n. 1797, p. 1109).
  5. Catéchisme de l’Église catholique (cité ci-après par CEC), n. 1261.
  6. CEC, n. 1058.
  7. CEC, n. 1821.
  8. Cf. Gn 22, 18 ; Sg 8, 1 ; Ac 14, 17 ; Rm 2, 6-7 ; 1 Tm 2, 4 ; Concile de Quierzy, Henricus Denzinger et Adolfus Schönmetzer (éds.), Enchiridion Symbolorum, Definitionum et Declarationum de rébus fidei et morum, (cité ci-après par DS), Herder Rome, 1976, 623 ; édition française ; H. Denzinger - H. Hünermann et J. Hoffmann, Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, 371997. Voir aussi Nostra aetate (NA), 1.
  9. Gaudium et spes. Toutes les références en français aux documents de Vatican II sont citées d’après l’édition du Centurion, Paris, 1967.
  10. Concile de Quierzy, DS 623.
  11. Cf. D. Weaver, « The Exegesis of Romans 5,12 among the Greek Fathers and its Implication for the Doctrine of Original Sin : The 5th - 12lh Centuries », St. Vladimir’s Theological Quarterly 29 (1985), 133-159, 231-257.
  12. (Pseudo-) Athanase, Quœstiones ad Antiochum ducem, q.101 (Patrologia cursus compléta, series grœca [PG], J.-P. Migne (éd.), 28, 660 c). De même q. 115 (PG 28, 672 a).
  13. Anastase du Sinaï, Quœstiones et responsiones, q. 81 (PG 89, 709 c).
  14. De infantibus præmature abreptis libellum ab H. Polack ad editionera praparatum in Colloquio Leidensi testimoniis instructum renovatis curis recensitum edendum curavit Hadwiga Horner, in J. K. Downing - J. A. McDonough - H. Horner (ed. cur.), Gregorìi Nyssenì opera dogmatica minora, Pars II, W. Jaeger - H. Langerbeck - H. Horner (éds.), Gregoriì Nysseni opera, Volumen III, Pars II, Leiden - New York - K0benhavn - Koln 1987, 65-97.
  15. Ibid., 70.
  16. Ibid., 81-82.
  17. Ibid., 83.
  18. Ibid., 96.
  19. Ibid., 97.
  20. Grégoire de Nazianze, Oratio XL. - In sanctum baptisma, 23 (PG 36, 389 b-c).
  21. Anastase du Sinaï, Quæstiones et responsiones, q. 81 (PG 89, 709 c).
  22. Cf. Pélage, Expositio in epistolam ad Romanos, in Expositiones XIII epistolarum Pauli, A. Souter (éd.), Cambridge, 1926.
  23. Cf. Augustin, Epistula 156, Corpus scriptorum ecclesiasticorum latinorum (ci-après CSEL), 44, 448 sq. ; 175.6, CSEL 44, 660-62 ; 176.3, CSEL 44, 666 sq. ; De peccatorum meritis et remissione et de baptismo parvulorum 1.20.26 ; 3. 5.11-6.12 ; CSEL 60, 25 sq. et 137- 139. ; De gestis Pelagii 11, 23-24, CSEL 42,76-78.
  24. Cf. De pecc. mer. 1.16.21 (CSEL 60, 20sq.) ; Sermo 294.3, Patrologia cursus completa, series latina, (PL), J.-P. Migne, (éd.), 38, 1337 ; Contra Iulianum 5.11.44 (PL 44, 809).
  25. Cf. De pecc. mer. 1.34.63 (CSEL 60, 63 sq.).
  26. Cf. De gratia Christi et de peccato originali 2.40.45 (CSEL 42, 202 sq.) ; De nuptiis et concupiscentia 2.18.33 (CSEL 42, 286 sq.).
  27. Cf. Sermo 293.11 (PL 38, 1334).
  28. Cf. De pecc. mer. 1.9.9-15.20 (CSEL 60, 10-20).
  29. « Cur ergo pro illis Christus mortuus est si non sunt rei ? » in De nupt. et conc. 2, 33.56 (CSEL 42, 513).
  30. Cf. Sermo 293.8-11 (PL 38, 1333 sq.).
  31. Sermo 294.3 (PL 38, 1337).
  32. De pecc. mer. 1.28.55 (CSEL 60, 54).
  33. Enchiridion ad Laurentium 93 (PL 40, 275) ; cf. De pecc. mer. 1.16.21 (CSEL 60, 20 sq.).
  34. C. M. 5.11.44 (PL 44, 809).
  35. Cf. Contra Iulianum opus imperfectum 4.122 (CSEL 85,141-142).
  36. Contra duas Epistulas Pelagianorum 2.7.13 (CSEL 60, 474).
  37. Sermo 294.7.7 (PL 38, 1339).
  38. Après avoir enseigné la volonté salvifique universelle de Dieu jusqu’au début de la controverse pélagienne (De Spiritu et littera 33.57-58 [CSEL 60, 215 sq.]), Augustin réduisit par la suite l’univer­salité du « tous les hommes » de 1 Tm 2, 4 de diverses manières : tous les hommes (et seulement ceux-ci) qui seront effectivement sauvés ; toutes les catégories (juifs et gentils) et non pas tous les individus ; beaucoup, c’est-à-dire pas tous (Enchir. 103 [PL 40, 280] ; C. lui. 4.8.44 [PL 44, 760]). À la différence du jansénisme, cependant, Augustin enseigna toujours que le Christ est mort pour tous les hom­mes, y compris les enfants (« Numquid [parvuli] aut homines non sunt ut non pertineant ad id quod dictum est, omnes homines [1 Tm 2, 4] ? » C. M. 4.8.42 [PL 44, 759] ; cf. C. lui. 3.25.58 [PL 44, 732] ; Sermo 293.8 [PL 38, 1333]), et que Dieu ne commande pas l’impos­sible (De civitate Dei 22.2 [CSEL 40, 583-585] ; De natura et gratia 43.50 [CSEL 60, 270] ; Retractationes 1.10.2 [PL 32, 599]). Pour plus de détails sur cette question, voir F. Moriones (éd.), Enchiridion theologicum Sancti Augustini, Madrid : La Editorial Católica, 1961, 327 sq. et 474-481.
  39. Cf. Enchir. 94-95 (PL 40, 275 sq.) ; De nat. et grat. 3.3-5.5 (PL 44, 249 sq.).
  40. DS 223. Cet enseignement a été adopté par le Concile de Trente. Concile de Trente, 5ème session, décret sur le péché originel, DS 1514.
  41. DS 224 : « Item placuit, ut si quis dicit, ideo dixisse Dominum : "In domo Patris mei mansiones multa sunt (Io 14, 2)", ut intelligatur, quia in regno cœlorum erit aliquis médius aut ullus alicubi locus, ubi beati vivant parvuli, qui sine baptismo ex hac vita migrarunt, sine quo in regno cœlorum, quod est vita æterna, intrare non possunt, anathema sit ». Cf. Concilia Africæ A. 345 - A. 525, C. Munier (éd.), Turnhout : Brépols, 1974, 70. Ce canon se trouve dans certains manuscrits mais manque dans d’autres. L’Indiculus ne l’a pas repris. Cf. DS 238-249.
  42. Grégoire le Grand, Moralia, 9.21, commentant Jb 9, 17 (PL 75, 877). Voir aussi Moralia, 12.9 (PL 75, 992-993) et 13.44 (PL 75, 1038).
  43. Cf. De conceptu virginali et de originali peccato, F. S. Schmitt (éd.), t. II, cap. 28, 170-171.
  44. Cf. Summa Sententiarum, tract. V, cap. 6 (PL 176, 132).
  45. Cf. Pierre Abélard, Commentaria in Epistolam Pauli ad Romanos, liber II [5, 19] (Corpus Christianorum, Continuatio Mediœvalis 11), 169-170.
  46. Cf. Sententiœ, lib. II, dist. 33, cap. 2, I. Brady (éd.), T.I/2, Grottaferrata 1971, 520.
  47. Cf. Innocent III, Lettre à Humbert, archevêque d’Arles, Maiores. Ecclesiœ causas (DS 780) : « Pœna originalis peccati est carentia visionis Dei, actualis vero pœna peccati est gehennæ perpetuæ cruciatus… ». Cette tradition théologique identifiait « les tourments de l’enfer » avec les peines afflictives à la fois sensibles et spirituelles ; cf. Thomas d’Aquin, In IV Sent., dist. 44, q. 3, a. 3, qla 3 ; dist. 50, q. 2, a. 3.
  48. Concile de Lyon II, Profession de foi pour Michel Paléologue, DS 858 ; Jean XXII, Lettre aux Arméniens Nequaquam sine dolore, DS 926 ; Concile de Florence, décret Lœtentur cœli, DS 1306.
  49. Thomas d’Aquin, In II Sent., dist. 33, q. 2, a. 2 ; De malo, q. 5, a. 3. Jean Duns Scot, Lectura II, dist. 33, q. un. ; Ordinatio II, dist. 33, q. un.
  50. Thomas d’Aquin, De malo, q. 5, a. 3 : « Anime puerorum… carent supernaturali cognitione que hic in nobis per fidem plantatur, eo quod nec hic fidem habuerunt in actu, nec sacramentum fidei susceperunt… Et ideo se privati tali bono anime puerorum non cognoscunt, et prop­ter hoc non dolent. » Cf. ibid., ad 4 ; édition Léonine, vol. 23, 136.
  51. Cf. Robert Bellarmin, De amissione gratiæ VI, c. 2 et c. 6, in Opera, vol. 5, Paris : Vivès, 1873, 458, 470.
  52. Cf. Paul III, Alias cum felicitate (23 septembre 1535), in Jo. Laurentii Berti Florentini, Opus de theologicis disciplinis, Venetiis : Ex TVpographia Remondiniana, 1760, vol. V, 36 ; Paul III, Cum alias quorumdam (11 mars 1538), in ibid., vol. I, 167-168 ; Benoît XIV, Dum prœterito mense (31 juillet 1748), Non sine magno (30 décem­bre 1750), Sotto il 15 di luglio (12 mai 1751), in Benedicti XIV Acta sive nondum sive sparsim edita nunc autem primum collecta cura Raphaelis de Martinis, Neapoli, Ex typogr. Puerorum Artificium, 1894, vol. I, 554-557 ; vol. II, 74, 412-413. Pour d’autres textes et références, voir G. J. Dyer, The Denial of Limbo and the Jansenist Controversy, Mundelein, II., Saint Mary of the Lake Seminary, 1955, 139-159 ; voir spécialement aux p. 139 à 142, un compte-rendu des discussions sous Clément XIII en 1758-1759, selon le manuscrit 1485 de la Biblioteca Corsiniana, Rome, cote 41.C.15 (« Cause trattate nella S. C. del Sant’Uffizio di Roma dal 1733 al 1761 »).
  53. Pie VI, bulle Auctorem fidei, DS 2626. Sur cette question, voir G. J. Dyer, The Denial of Limbo and the Jansenist Controversy, 159-170.
  54. Schema reformatum constitutionis dogmaticœ de doctrina catholica, cap. V, n. 6 in Acta et Décréta Sacrorum Conciliorum Recentiorum, Collectio Lacensis, t. 7, Friburgi Brisgoviae 1890, 565.
  55. Pour une revue des discussions et de certaines des solutions nouvelles proposées avant Vatican II, voir Y. Congar, « Morts avant l’aurore de la raison », in Vaste monde ma paroisse : Vérité et dimen­sions du Salut, Paris, Témoignage Chrétien, 1959, 174-183 ; G. Dyer, Limbo : Unsettled Question, New York, Sheed and Ward, 1964, 93-182 (avec l’indication de nombreuses publications aux p. 192-196) ; W.A. van Roo, « Infants Dying without Baptism : A Survey of Recent Literature and Determination of the State of the Question », Gregorianum 35 (1954), 406-473 ; A. Michel, Enfants morts sans baptême, Paris, Téqui, 1954 ; C. Journet, La volonté divine salvifique sur les petits enfants, Paris, Desclée de Brouwer, 1958 ; L. Renwart, « Le baptême des enfants et les limbes », Nouvelle Revue Théologique 80 (1958), 449-467 ; H. de Lavalette, « Autour de la question des enfants morts sans baptême », Nouvelle Revue Théologique 82 (1960), 56-69 ; P. Gumpel, « Unbaptized Infants : May They be Saved ? », The Downside Review, 72 (1954), 342-458 ; Idem, « Unbaptized Infants : A Further Report », The Downside Review 73 (1955), 317-346 ; V.Wilkin, From Limbo to Heaven : An Essay on the Economy of Redemption, New York, Sheed and Ward, 1961. Après Vatican II : E. Boissard, Réflexions sur le sort des enfants morts sans baptême, Paris, Éditions de la Source, 1974.
  56. Pour les références, voir G. Alberigo et J. A. Komonchak (éd.), History of Vatican II, vol. 1, Maryknoll, Orbis & Leuven, Peeters, 1995, 236-245 ; 308-310.
  57. DS 1349.
  58. A propos de ces propositions et des questions qu’elles soulèvent, voir G. J. Dyer, The Denial of Limbo, 102-122.
  59. Pie XII, Allocution aux sages-femmes d’Italie, Acta Apostolicae Sedis, 43 (1951), 841 (DC 1951, n. 1109, col. 1473-1494).
  60. Cf. Pie XII, Lettre encyclique Humani generis, Acta Apostolicae Sedis, 42 (1950), 570 (DS 3891) : « Alii veram "gratuitatem" ordinis supernaturalis corrumpunt, cum autument Deum entia intellectu praedita condere non posse, quin eadem ad beatificam visionem ordinet et vocet » (DC 1950, n. 1077, col. 1153-1168).
  61. Cf. LG 15-16 ; NA 1 ; DH 11 ; AG 7.
  62. Voir par exemple - parmi d’autres auteurs - les observations de K. Rahner, « Die bleibende Bedeutung des II Vatikanischen Konzils », Schriften zur Theologie, Band XIV, Benziger Verlag, Zürich, Köln, Einsiedeln, 1980, 314-316. Avec d’autres nuances : J.-H. Nicolas, Synthèse dogmatique. De La Trinité à La Trinité, Fribourg, Paris, Éditions Universitaires, Beauchesne, 1985, 848-853. Voir aussi les observations de J. Ratzinger s’exprimant en tant que théologien privé dans : Vittorio Messori a colloquio con il cardinale Joseph Ratzinger, Rapporto sulla fede, Cinisello Balsamo, Edizioni Paoline, 1985, 154-155.
  63. Voir ci-dessus la note 38.
  64. Pie IX, Lettre encyclique Quanto conflciamur (10 septem­bre 1863), DS 2866 : « … qui … honestam rectamque vitam agunt, posse, divins lucis et gratis operante virtute, æternam consequi vitam, cum Deus, qui omnium mentes, animos, cogitationes habitusque plane intuetur, scrutatur et noscit, pro summa sua bonitate et dementia minime patiatur, quempiam æternis puniri suppliciis, qui voluntarie culpæ reatum non habeat ».
  65. Cf. Innocent III, lettre à Humbert, archevêque d’Arles, Maiores Ecclesiœ causas, DS 780.
  66. Concile de Lyon II, Profession de foi pour Michel Paléologue, DS 858 ; voir ci-dessus, note 48.
  67. Acta Apostolicae Sedis 43 (1951), 841.
  68. Voir ci-dessus § 1.6 et ci-dessous § 2.4.
  69. Cf. Ep 1, 5, 9 : « le bon plaisir (eudokla) de sa volonté ».
  70. Cf. Le 10, 22 : « celui à qui le Fils veut bien (bouletai) le révéler ».
  71. Cf. 1 Co 12, 11 : « distribuant ses dons à chacun en particulier comme il l’entend (bouletai) ».
  72. Cf. par exemple Mt 23, 37.
  73. Cf. CEC, n. 307.
  74. DS 623.
  75. DS 624.
  76. Voir Irénée, Adv. Hœr.,1, 10, 1 (PG 7, 550).
  77. Thomas d’Aquin, Summa Theologiœ III, q. 26, art. 1, corpus.
  78. Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptoris missio, 5 (DC 1991, n. 2022, p. 154).
  79. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, déclaration Dominus Iesus, 14 (DC 2000, n. 2233, p. 817).
  80. D’autres attestations de la croyance juive à l’influence d’Adam, du temps de Paul, sont : Ap. ; Bar. 17, 3 ; 23, 4 ; 48, 42 ; 54, 15 ; 4 Esdras 3, 7 ; 7, 118. « O Adam, qu’as-tu fait ? Bien que ce soit toi qui aies péché, la chute ne fut pas seulement tienne, mais aussi nôtre, qui sommes tes descendants ».
  81. Cf. Rm3, 23 : « Tous ont péché et sont privés de la gloire de Dieu ».
  82. Dans l’Église d’Occident, on comprenait les mots grecs eph’hô comme introduisant une proposition relative, avec un pronom mas­culin désignant Adam ou un pronom neutre désignant le péché (peccatum) (cf. Vetus Latina et Vulgate in quo). Augustin, au début, accepta les deux interprétations, mais quand il se rendit compte que le mot grec pour « péché » était féminin (hamartia), il opta pour la première interprétation, qui impliquait la notion d’incorporation de tous les hommes en Adam. Il fut suivi par nombre de théologiens latins, soit « sive in Adamo, sive in peccato », soit « in Adamo ». Cette dernière interprétation ne fut pas connue dans l’Église d’Orient avant Jean Damascène. Plusieurs Pères grecs comprirent eph’hô comme « à cause de qui », c’est-à-dire Adam, « tous ont péché ». Les mots eph’hô ont aussi été compris comme une conjonction de subordination et traduits par « puisque, parce que », « à la condition que » ou « avec le résultat que, en sorte que ». J. Fitzmyer (Romans [AB, 33], New York, 1992, 413-416) discute onze interprétations différentes et opte pour la dernière possibilité, celle d’une signification consécutive : « Eph’hô, donc, signifierait que Paul exprime un résultat, la suite de l’influence maléfique d’Adam sur l’humanité, par la ratification de son péché dans les péchés de tous les individus » (p. 416).
  83. De nuptiis et concupiscentia II, 12, 15 (PL, 44, 450) : « Non ego finxi originale peccatum quod catholica fides crédit antiquitus.
  84. Le Catéchisme de l’Eglise catholique (n. 404) parle d’ » un péché qui sera transmis par propagation à toute l’humanité, c’est-à-dire par la transmission d’une nature humaine privée de la sainteté et de la justice originelles ». Et il ajoute : « Et c’est pourquoi le péché originel est appelé "péché" de façon analogique : c’est un péché "contracté" et non pas "commis", un état et non pas un acte ».
  85. Concile de Trente, 5e session, Décret sur le péché originel, DS 1512. Le décret du Concile de Trente fait écho au deuxième canon du second Concile d’Orange (529).
  86. CEC, n. 389.
  87. Cyprien, Epistola ad Iubaianum 73, 21 (PL 3, 1123) ; voir aussi le Concile de Florence, bulle Cantate Domino, DS 1351 : « [La sainte Église romaine] croit fermement, professe et prêche qu’"aucun de ceux qui se trouvent en dehors de l’Église catholique, non seulement païens", mais encore juifs ou hérétiques et schismatiques ne peuvent devenir participants à la vie éternelle, mais iront "dans le feu éter­nel qui est préparé par le diable et ses anges" (Mt 25, 41), à moins qu’avant la fin de leur vie ils ne lui aient été agrégés (aggregati) "Et personne ne peut être sauvé, si grandes que soient ses aumônes, même s’il verse son sang pour le nom du Christ, s’il n’est pas demeuré dans le sein et dans l’unité de l’Église catholique" » (Fulgence de Ruspe, Liber de fide ad Petrum, liber unus, 38, 79 et 39, 80).
  88. Cf. Boniface VIII, Bulle Unam Sanctam « Porro subesse Romano Pontifici omni humanæ creaturæ declaramus, dicimus, diffinimus omnino esse de necessitate salutis », DS 875 ; cpr. DS 1351 ; « En conséquence nous déclarons, disons et définissons qu’il est absolument nécessaire au salut, pour toute créature humaine, d’être soumise au Pontife romain ».
  89. Pie IX, Allocution Singulari quadam, DS 2865i (D 1647).
  90. Lettre du Saint-Office à l’archevêque de Boston, DS 3870.
  91. Jean-Paul II, Lettre encyclique Redemptoris missio, 10. (DC 1991, n. 2022, p. 156).
  92. Il se peut que Polycarpe en soit un témoin indirect, puisqu’il déclare devant le proconsul : « Depuis quatre-vingt-six ans, je l’ai servi [le Christ] » (Martyrium Polycarpi 9, 3). Le martyre de Polycarpe eut probablement lieu sous les dernières années du règne d’Antonin le Pieux (156-160).
  93. Concile de Trente, 5e session, décret sur le péché originel, DS 1514. Ce canon fait écho au deuxième canon du Concile de Carthage (418), DS 223.
  94. Si l’on prend en compte les textes de l’Ancien Testament qui concernent l’effusion par Dieu de l’Esprit, l’idée principale de Jn 3, 5 semble avoir trait au don divin de l’Esprit. Si la vie naturelle peut être attribuée au fait que Dieu donne l’esprit aux hommes, de façon analo­gique la vie éternelle commence quand Dieu donne son Saint-Esprit aux hommes. Cf. R. E. Brown, The Gospel according to John (I-XII), The Anchor Bible, vol. 29, Doubleday and Co, New York, 1966, 140. Sous cet aspect, Brown fait remarquer : « Le motif baptismal qui est entrelacé dans le texte de la scène est secondaire ; il se peut que la clausule "de l’eau", dans lequel s’exprime le plus clairement le motif baptismal, ait toujours fait partie de la scène, bien que ne faisant à l’origine pas spécifiquement référence au baptême chrétien ; ou bien il se peut que la clausule ait été ensuite ajoutée à la tradition, afin de faire ressortir le motif baptismal ». (Ibid., 143). Le Seigneur insiste sur la nécessité d’une naissance « d’eau et d’Esprit » pour entrer dans le Royaume de Dieu. Dans la tradition chrétienne, on a compris que ceci visait le « sacrement du baptême », encore que la lecture « sacramentelle » soit une limitation du sens pneumatologique. Selon cette lecture, on peut se demander si le texte exprime ici un principe général sans exception. Il est bon d’être conscient du léger décalage dans l’interprétation.
  95. Thomas d’Aquin, Summa Théologies III, q. 68, art. 2, corpus.
  96. Concile de Trente, 6ème session, Décret sur la justification, DS 1524.
  97. Théophylacte, In 1 Tim 2,4 (PG 125, 32) : « Eipantas anthrôpous thelè sôthènal ekeinos, thele kai su, kai mimou ton theon ».
  98. Il est significatif que leditio typica de l’Encyclique Evangelium vitae du Pape Jean-Paul II, a vu son paragraphe 99 modifié. La première version disait : « Vous vous rendrez compte que rien n’est perdu et vous pourrez aussi demander pardon à votre enfant qui vit désormais dans le Seigneur ». Cette rédaction, qu’il était possible d’interpréter de façon erronée, a été remplacée par le texte définitif : « Infantem autem vestrum potestis eidem Patri eiusque misericordiæ cum spe committere » (cf, AAS 87 (1995), 515), ce qui peut se tra­duire : « Vous pouvez confier avec espérance votre enfant à ce même Père et à sa miséricorde » (DC 1995, n. 2114, p. 401).
  99. Jean Chrysostome, In I Tim. homil. 7, 2 (PG 62, 536) : « Mimou Theon. Eipantas anthrôpous thelei sôthènai, eikotôs huper hapantôn dei euchesthai ».
  100. Voir ci-dessus, chapitre 1.
  101. Voir ci-dessus, chapitre 2.
  102. Y. Congar, Vaste monde ma paroisse : Vérité et dimensions du Salut, Paris, Témoignage Chrétien, 1968, 169.
  103. Voir ci-dessus, § 1.5 et 1.6.
  104. Voir par exemple des événements tels Live Aid, 1985, et Live 8, 2005.
  105. CEC, n. 1261.
  106. « Le Christ est ressuscité des morts. Par sa mort, il a conquis la mort, et à ceux qui gisaient dans la tombe, il a accordé la vie » (Tropaire de Pâques de la liturgie byzantine). Dans la tradition byzan­tine, ce verset pascal est chanté à de nombreuses reprises, chaque jour des quarante jours du temps pascal. C’est donc l’hymne pascale la plus importante.
  107. Dans toutes ses cérémonies et célébrations, la liturgie byzantine loue l’amour miséricordieux de Dieu : « Tu es un Dieu miséricordieux qui aimes l’homme, et nous te glorifions, Père, Fils et Saint-Esprit, maintenant et toujours et à jamais ».
  108. Cf. Augustin, De natura et gratia 43, 50 (PL 44, 271).
  109. Thomas d’Aquin, Summa Theologice III, q. 64, 7 ; cf. III, q. 64, 3 ; III, q. 66, 6 ; III, q. 68, 2.
  110. Voir ci-dessous, § 3.4 et 3.5.
  111. Cf. Thomas d’Aquin, In IV Sent. dist. 1, q. 2, a. 4, q. 1, a. 2 : « In quolibet statu post peccatum fuit aliquod remedium per quod originale peccatum ex virtute passionis Christi tolleretur ».
  112. Voir ci-dessus la note 109.
  113. Cf. Augustin, Epistula 102, 2,12.
  114. Cf. Léon le Grand, In nat. Domini 4, 1 (PL 54, 203) : « Sacramentum salutis humanæ nulla umquam antiquitate cessavit… Semper quidem, dilectissimi, diversis modis multisque mensuris humano generi bonitas divina consuluit. Et plurima providentiæ suæ munera omnibus retro saeculis clementer impertuit ».
  115. Cf. Cajetan, In IIIam Part., q. 68, a. 11 : « Rationabile esse ut divina misericordia provideret homini in quocumque naturali statu de aliquo remedio salutis ». (« Il est raisonnable que la miséricorde de Dieu fournisse à l’homme, en quelque état naturel [qu’il soit], quelque remède de salut »). En fait, Cajetan avait en vue le temps avant le Christ, où il y avait une sorte de sacramentum naturœ, par exemple l’offrande d’un sacrifice, qui était l’occasion (mais non la cause) de la grâce. Selon lui, les hommes avant le Christ se trouvaient « au temps de la loi de nature », et il comprenait la situation des enfants non baptisés de façon analogue. Il appliqua donc son principe en faveur de l’idée des limbes, celles-ci étant le sort de ces enfants. Son point fondamental, toutefois, est très important et ne mène pas nécessaire­ment à la conclusion des limbes : à savoir qu’à toutes les époques de l’histoire et qu’en toutes circonstances, Dieu se soucie de la situation des hommes et qu’il leur offre des occasions adéquates de salut.
  116. Cf. Innocent III, Lettre à Humbert, archevêque d’Arles, Maiores Ecclesiœ causas (DS1S0) : « Absit enim, ut universi parvuli pereant, quorum quotidie tanta multitudo moritur, quin et ipse misericors Deus, qui neminem vult perire, aliquod remedium procuraverit ad salutem… Dicimus distinguendum, quod peccatum est duplex : originale scilicet et actuale : originale, quod absque consensu contrahitur, et actuale, quod committitur cum consensu. Originale igitur, quod sine consensu contrahitur, sine consensu per vim remittitur sacramenti ; … ».
  117. DS 780.
  118. La situation des enfants non baptisés peut être considérée par analogie avec celle des enfants baptisés, comme ici. Avec plus de problèmes, elle peut peut-être être considérée par analogie avec celle des adultes non baptisés.
  119. Les Pères de l’Église se réjouissent à la pensée de l’assomption par le Christ de la totalité de l’humanité ; par exemple Irénée, Adv. Hœr. 3, 19, 3 (SC 211, 380), Epideixis 33 (5C406, 130-131) ; Hilaire de Poitiers, In Mt. 4, 8 (SCh254, 130) ; 18, 6 (SC 258, 80) ; Trin. H, 24 (CCL 62, 60) ; Tr. Ps. 51, 17 ; 54, 9 (CCL 61, 104 ; 146) ; etc. ; Grégoire de Nysse, In Cant. Or. II (Opéra, éd. Jaeger, VI, 61) ; Adv. Apoll. (Opéra III/1, 152) ; Cyrille d’Alexandrie, In Joh. Evang. I, 9 (PG 73, 161-164) ; Léon le Grand, Tract. 64, 3 ; 72, 2 (CCL 138A, 392 ; 442 sq.).
  120. Certains Pères considéraient l’Incarnation elle-même comme étant salvifique ; par exemple Cyrille d’Alexandrie, Comm. in Joh. 5 (PG 73, 753).
  121. Voir ci-dessous, note 127.
  122. CEC, n. 389.
  123. Augustin, Enarr. in Ps. 70, II, 1 (PL 36, 891) : « omnis autem homo Adam ; sicut in his qui crediderunt, omnis homo Christus, quia membra sunt Christi ». Ce texte montre combien Augustin trouvait difficile d’envisager la solidarité avec le Christ comme étant aussi uni­verselle que la solidarité avec Adam. Tous sont solidaires en Adam ; ceux qui croient sont solidaires dans le Christ. Irénée est plus équilibré avec sa doctrine de la récapitulation ; cf. Adv. Hœr. 3,21, 10 ; 5, 12, 3 ; 5, 14, 2 ; 5,15, 4 ; 5, 34, 2.
  124. Du fait de l’Incarnation, cf. GS 22.
  125. Col 1, 15 ; cf. 2 Co 4, 4.
  126. Voir ci-dessous, § 3.4.
  127. En ce qui concerne la possibilité d’un votum de la part de l’en­fant, la croissance vers le libre-arbitre pourrait peut-être être imaginée comme un continuum qui se développe vers la maturité à partir du premier instant de l’existence, plutôt que de constituer un brusque saut qualitatif vers l’exercice d’une décision mûre et responsable. L’existence des enfants encore à naître constitue un continuum de vie et de croissance humaine ; elle ne devient pas brusquement humaine à un certain point. En conséquence, il se peut que les tout-petits soient effectivement capables d’exercer une certaine forme rudimentaire de votum, par analogie avec celui des adultes non baptisés. Certains théologiens ont envisagé le sourire de la mère comme la médiation de l’amour de Dieu pour l’enfant, et ont donc vu dans la réponse de l’enfant à ce sourire une réponse à Dieu lui-même. Certains psycho­logues et neurologues modernes sont convaincus que l’enfant dans le sein de sa mère est déjà en un certain sens conscient, et qu’il a un certain usage de sa liberté. Cf. V. Frankl, Der unbewusste Gott. Psychothérapie und Religion, Munich, 1979 ; D. Amen, Healing the Hardware of the Soul, New York, 2002.
  128. Voir ci-dessus, paragraphe n. 90.
  129. Voir ci-dessous, § 3.5.
  130. Voir ci-dessus, § 1.6.
  131. Y. Congar, Vaste monde ma paroisse, 171.
  132. Augustin, Première lettre à Boniface, 22, 40 (PL 44, 570).
  133. Voir ci-dessus la note 94.
  134. CEC, n. 1261.
  135. Cf. CEC, n. 1257.
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