Entretiens sur la Trinité

De Salve Regina

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Dieu
Auteur : Cardinal Charles Journet
Date de publication originale : 1966

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Réédition Parole et Silence, 1999

Entretiens sur la Trinité

PREFACE

Un des signes des temps les plus caractéristiques est sans doute le renouveau d'attention, en théologie et dans la vie de prière, accordée au mystère, « le plus caché », « le plus important de tous », celui de la très sainte Trinité. Ce mystère est si haut qu'il est difficile de trouver, pour en parler, des paroles qui ne soient pas des trahisons, lesquelles donneraient prétexte, notamment à des représentants des grandes religions avec lesquels nous désirons nouer le dialogue, à penser que les chrétiens, en professant la Trinité, introduisent une grave entorse à ce qu'on ne saurait discuter, l'unicité et la simplicité de Dieu. A vrai dire, certains anthropomorphismes imprudents ou certaines spéculations de marque hégélienne, offensent le sens du mystère.


La retraite sur la Trinité, prêchée par le Cardinal Journet en 1966, constitue ici un guide incomparable où les exigences de la rigueur théologique sont portées par un grand élan d'adoration et d'amour, «parce que l'amour a besoin de certitudes». Ainsi l'explication théologique va de pair avec la lecture des saints. C'est à leur école qu'ainsi le théologien nous parle de l'union transformante et de l'habitation de la Trinité dans les âmes.


Je voudrais attirer l'attention sur l'importance de quelques-uns des thèmes développés par Charles Journet.


Le premier concerne le sens du mystère. Le silence « irremplaçable » qui s'instaure entre la personne et Dieu est la première chose requise, «parce que la question première est celle de la Vérité, à laquelle il nous est demandé de nous donner». Cette vérité n 'est pas de celles que l'âme eût pu découvrir par elle-même, elle nous vient de la divine Révélation, laquelle dérange et bouscule nos idées ; elle se présente au premier temps comme une sorte d'épine, «comme une blessure nous ouvrant le cœur sur des choses qui ne nous sont nullement connaturelles ». Cela pourra sembler une folie qui écartèle la raison, mais c'est «pour faire entrer en elle quelque chose de plus grand qu'elle », alors qu'elle était tentée de se clore sur elle-même. Il y a ainsi des moments où l'on se heurte à quelque mystère: l'homme devra être brisé d'une manière ou d'une autre pour devoir faire acte d'acceptation. « C'est ce qu'il y a de plus précieux au monde, c'est ce que j'appelle une démission de soi-même devant la grandeur de Dieu. Même quand l'homme ne comprend pas, s'il accepte, il sait que ce n'est pas à une contradiction qu'il dit «oui». Mon Dieu, je remets mon intelligence... je remets ma vie entre vos mains. »


Le commentaire que le théologien donne du mystère de la foi, dans la quatrième instruction, révèle une grande clarté de pensée et de rares dons pédagogiques. Il ne s'agit pas là de curiosité, mais d'autre chose : « un désir d'amour, parce que quand on aime ce mystère, on cherche à pénétrer à l'intérieur... autant qu'on le peut ! » Nous sommes guidés ici par la prière de saint Augustin.


Pour que la Révélation de la sainte Trinité fût possible, il était nécessaire que fût profondément enracinée dans le cœur du peuple juif la notion de l'unité divine.


Cette révélation qui s'est faite par étapes n'a pas laissé en dehors d'elle la grande masse de l'humanité. Qu'on me permette de transcrire une page d'une singulière actualité, car elle apporte des lumières sur les questions sous-jacentes au dialogue de l'Eglise avec les religions.


Avant d'être révélé expressément au peuple juif d'une façon commencée, puis au christianisme, le mystère de la profondeur de Dieu et de son amour « faisait pression d'une manière secrète et mystérieuse sur l'humanité». L'homme pouvait bien connaître Dieu mais jusqu'à une sorte de "barrage " au-delà duquel était sa vie mystérieuse et cachée. « Eh bien, dès le début de l'humanité, Dieu décida de passer par-dessus ce "barrage" et de venir d'une façon secrète se faire pressentir à l'homme comme plus grand que ce qu'il pourra jamais savoir de lui par la raison. Depuis la chute jusqu'aux jours d'Abraham et jusqu'à la Révélation chrétienne, jusqu'à aujourd'hui chez les peuples qui n'ont pas reçu cette Révélation, Dieu fait pression comme la marée qui va passer par-dessus la digue, et l'humanité, enfermée sous le ciel de la loi de nature, sentira, comme venant d'un au-delà inconnaissable pour elle, une sorte d'invite à s'ouvrir à un mystère qu'elle ne peut pas encore formuler et qui lui sera offert lorsque Dieu l'appellera à dépasser sa propre vie humaine et à entrer dans la vie devine, »


Ainsi Dieu envoyait à l'humanité des signaux, qui étaient reçus secrètement. Quand il frappait à la porte des cœurs, ceux-ci répondaient par de grands actes d'abandon de tout leur être dans le mystère. C'était déjà une adhésion au mystère de la Sainte Trinité, «mais totalement dans la nuit». Rencontre dans le silence, dont on ne trouve aucune trace écrite. Saint Augustin fait aussi remarquer que Job « qu'on voit comme anéanti devant la grandeur de Dieu » n'était pas juif, mais iduméen.


Ces pressentiments de la Trinité dans le cœur des hommes disposent à l'accueil et à la compréhension de la Révélation, quand elle sera rencontrée.


Ainsi l'affirmation de l'Ancien Testament «Dieu est Dieu» éclôt dans la Révélation chrétienne: «Dieu est une telle surabondance intérieure de lumière et d'amour, qu'elle va s'établir en trois termes, qui seront le Père, le Fils et l'Esprit saint, c'est-à-dire la Trinité, et, par rapport à nous, qu'une descente de l'amour va jusqu'à nous envoyer, au jour de l'Incarnation, la seconde des Personnes divines ».


La doctrine des missions des Personnes divines du Fils et de l'Esprit saint jette de grandes lumières sur le mystère de l'Eglise. Charles Journet part des textes de saint Jean sur la venue de l'Esprit en nous : « ils ont une résonance d'éternité, rien ne peut ébranler la paix extraordinaire qui en émane». Extérieurement, l'Eglise peut être bousculée, et elle le sera toujours, « mais intérieurement, il y a en elle quelque chose qui ne change pas », non pas immobilité, mais constance, jusqu'à la fin du monde. «L'Eglise est plus grande que le monde. Elle est faible et il semble qu'on pourrait l'anéantir. Mais les choses de Dieu, quand il les veut, on ne peut pas les anéantir. Hitler massacrera six millions de Juifs, il ne pourra pas éteindre le peuple juif, à cause de la Promesse faite à leurs pères. Et pour l'Eglise, c 'est encore plus vrai. »


«Les missions invisibles, lisons-nous encore, ravivent le feu apporté par les missions visibles de l'Incarnation et de Pentecôte, qui ouvrent le dernier âge du monde. A cause d'elles, l'Eglise, qui vient de Dieu, fait constamment retour à Dieu. »


Ainsi elle connaît, tout au long de son histoire, des innovations intérieures, profondes, dont les innovations extérieures, de l'ordre canonique, ne sont que des contre-coups.


D'où cette définition, qui est splendide: «L'Eglise est ainsi la patrie des renouvellements spirituels, elle est la seule fontaine de jeunesse, c'est en elle que Dieu accomplit sans cesse l'œuvre de la rédemption du temps, puisque l'univers de création, saccagé depuis le premier péché, est remplacé par l'univers nouveau, l'univers de rédemption. C'est en elle que Dieu nous engendre amoureusement par la Parole de vérité, afin que nous soyons comme un recommencement de sa création ».


Georges Cottier, o.p.


I. LE NOM PLURIEL DU DIEU UNIQUE

Cette retraite, il faudra que vous la fassiez vous-mêmes, en dialogue avec Dieu, qui cherche toujours à nous atteindre. Il nous dit souvent, dans le silence, des paroles qui, quand elles sont accueillies, sont nourrissantes et transformatrices de notre misère en lumière. Le principal alors de la retraite, ce sera ce silence entre vous et Dieu, quelque chose de très personnel, irremplaçable. Ce que l'on peut vous dire autour de cela est très secondaire. Pas inutile, cependant, dans la mesure où ces choses peuvent tenir vos esprits dans la vérité de la Révélation chrétienne. Parce que la question première est celle de la Vérité, à laquelle il nous est demandé de nous donner. Et le silence, l'amour, l'activité tout entière seront bénis dans la mesure où ils seront éclairés par cette Vérité suprême.


Tous les noms donnés à Dieu sont impuissants à laisser deviner son mystère. On dit de Dieu qu'il est bon, mais il est bon comme personne n'est bon. La bonté est son essence même : il est lui-même Bonté, totale Bonté, et jamais le mot "bonté" ne peut avoir une réalisation comparable à celle qu'il a quand il est donné à Dieu. «Bon maître...», commence le disciple dans l'Evangile. Et Jésus lui dit: «Pourquoi m'appelles-tu bon? Dieu seul est bon». Jésus dit aussi : « Ne vous appelez pas "père", ni "maître" : Dieu seul est Père, Dieu seul est Maître». Ces mots que nous empruntons au langage humain, que nous arrachons aux choses humaines, au moment où nous les transportons en Dieu ils sont épurés de tout ce qu'il y avait de limites dans toutes les réalités créées ; puis ils sont surélevés, portés jusqu'à l'incandescence. Alors ils ont une réalisation absolument inimaginable. Qu'on parle de beauté, c'est la même chose : beauté de la nature en efflorescence ; beauté d'une action quand quelqu'un, par exemple, donnera sa vie pour la justice, pour la vérité ; et alors le mot beauté sera transposé. Mais toutes les beautés d'ici-bas sont encore limitées. Le mot beauté n'est pleinement réalisé qu'en Dieu, dont on peut dire non pas qu'il a la beauté, mais qu'il est la Beauté. Platon, dans le Banquet, l'avait presque deviné. Je ne sais jusqu'où allait son intuition, peut-être s'arrêtait-elle à une idée de la beauté, d'une idée qui n'était pas encore l'Absolu. Mais pour nous la beauté est réalisée dans l'absolu de Dieu. De même le mot "être", le mot "existence", quand ils sont transposés en Dieu, sont portés à un degré de réalisation que nous ne pouvons que deviner et qui reste pour nous mystérieux. Tous ces beaux noms de Dieu: Bonté, Beauté, Etre, Amour, Vérité..., quand ils sont portés à leur degré le plus haut, fusionnent, un peu comme les rayons du spectre solaire qui, rassemblés, donnent la lumière blanche ; et l'on peut dire que Dieu est Bonté qui est Beauté qui est Etre qui est Amour... Quand les théologiens essaient de parler de cela, sentant la limite et la misère des mots, ils les brisent : il ne faut pas dire que Dieu "est", mais qu'il est "super-Etre", comme il est "super-Bonté", "super-Beauté"... Tous ces mots nous engagent dans une voie qui est vraie, mais dont le terme s'enfonce dans un mystère d'unité et de transcendance.


Un mot qui est cher aux théologiens pour désigner toute cette réalité divine, c'est "Déité", Deltas. Ce mot désigne Dieu, non pas seulement tel qu'il peut être connu à partir des créatures auxquelles il communique quelque chose de lui, mais dans ce qu'il y a de plus intime, de plus caché, de plus haut. Pour vous faire comprendre, je comparerai avec le mot "humanité" : la vie, la corporéité, la sensibilité sont communes à l'animal et à l'homme, bien sûr à des degrés différents ; mais quand je voudrai distinguer l'homme de l'animal, je dirai : dans l'homme il y a l'humanité, et je l'aurai désigné par une réalité qui n'est pas donnée en participation aux animaux. Eh bien, quand je dis "Déité", j'entends désigner Dieu par ce qu'il y a en lui d'imparticipé, de trop mystérieux pour être communiqué. Déité, Trinité, ce sont des mots synonymes qui désignent Dieu dans son mystère le plus profond.


Le mot Trinité ne se trouve pas dans l'Ecriture. Il a été forgé par l'Eglise dès le début quand elle a voulu désigner cette profondeur de Dieu, soulever un peu le voile cachant cette déité. Car il faudrait, au commencement de ce que je viens de vous dire, citer les textes d'Isaïe: «Vous êtes vraiment un Dieu caché, Dieu d'Israël». Ce qui va donc soulever un peu ce voile de la profondeur de Dieu, ce seront les noms de Père, Fils, Saint-Esprit. Donc un nom pluriel. Ainsi, vous le voyez, le mot le plus caché pour désigner la profondeur divine, la déité une de Dieu un, ce sera un nom pluriel. Comme pour faire éclater davantage le langage et déconcerter nos pensées, je dirai : le Père, le Fils, l'Esprit ; mais je ne penserai pas à trois divinités : un seul Dieu qui est, dans l'unité de la même essence, Père, Fils et Esprit.


Eh bien, ce nom pluriel du Dieu unique, nous l'apprenons aux petits enfants, en aidant leurs petites mains à faire le signe de la croix. Nous les initions, les orientons, pour autant qu'il nous est possible. C'est la maman qui dira ces beaux noms à son petit enfant dès le début, pour mettre sa vie sous l'ombre de la Trinité. Ils ne savent pas le sens de ces mots : Père, Fils et Esprit, mais à la manière dont leur maman leur en parlera, à cause de la profondeur avec laquelle ces mots auront été dits, par elle ou par les grandes personnes en qui ils ont confiance, ils comprendront, non pas les précisions mais l'essentiel, qu'un amour est caché sous ces mots, et que c'est la plus haute chose qu'on puisse leur dire. Un peu plus tard, au catéchisme, ils apprendront qu'ils ont été baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que c'est à ce moment-là qu'ils sont entrés dans l'Eglise. L'Eglise, dit saint Augustin, est rassemblée des quatre vents dans le baptême au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. C'est la grande révélation trinitaire dont nous parlerons.


Toutes les toutes grandes choses il faut les donner aux petits enfants. On dit : ils ne comprennent pas. Et nous, est-ce que nous comprenons ? Non, ce sont des choses qui nous dépassent, et c'est bon d'avoir à dire aux petits enfants, et à garder dans nos cœurs, des trésors qui nous dépassent : « Où est ton trésor, là est ton cœur». Et si ces choses sont grandes pour nous, il est impossible que nous nous tournions vers elles, si peu que ce soit, sans que quelque chose ait grandi en nous. Aux petits enfants on parlera du "petit Jésus" dans leurs premières années, puis on leur dira : Il est Dieu ; et cette image du petit Jésus qui est Dieu suffira pour faire sortir de leur cœur de grands actes de foi, d'amour, très silencieux, comme dans une nuit intérieure, mais une nuit éclairée par ce beau nom de jésus qui les fait entrer dans le mystère le plus haut de la Révélation chrétienne, le mystère de la Trinité, celui d'une pluralité de personnes à l'intérieur de la divinité.


C'est le mystère suprême, le plus caché, le plus silencieux. Il est évoqué dans la prière de l'Eglise par des paroles très brèves qui semblent s'arrêter au bord de cet Océan. Ces mots Père, Fils et Esprit forment comme un vase dans lequel est contenu l'abîme de la profondeur divine, de son amour, de sa lumière, mystère ineffable auquel toute la Révélation chrétienne est suspendue. Si le Christ n'est pas Dieu, si grand que soit le prophète que vous reconnaissez en lui, tout le Credo s'effondre: la Vierge Marie n'est plus la Mère de Dieu; il n'est plus vrai qu'un Dieu est mort dans sa nature humaine, donc plus de rédemption sur la Croix; la présence de Jésus dans l'eucharistie n'est plus la présence de Dieu... Et s'effondre aussi l'Esprit saint qu'il enverra à son Eglise: «Lorsque je serai remonté au Père, je vous enverrai l'Esprit». En sorte que supprimer le mystère de la Trinité, c'est supprimer le mystère de l'Incarnation, de la Rédemption, tout le christianisme. Mais si vous reconnaissez que Jésus est Dieu, vous suspendez à la Trinité tout entière toute votre foi, c'est l'ombre de son mystère qui donnera du prix aux paroles que vous direz dans votre prière, aux actions que vous ferez au cours de la journée, qui donnera à toute votre vie un sens ineffable que personne ici-bas ne peut exprimer d'une manière suffisante, mais dont un jour nous verrons la profondeur.


Dans les prières de l'Eglise, le mystère de la Sainte Trinité, presque toujours, n'est évoqué que très brièvement : vous aurez la Préface de la Trinité, le Credo où l'on parle du Père, du Fils et de l'Esprit. Mais le plus souvent, c'est le signe de la croix qui l'évoquera, ou bien la doxologie du "Gloire au Père et au Fils et au Saint-Esprit". Mais, si peu qu'elle soit nommée, elle est toujours, selon le mot de Racine mais avec un sens combien transposé, "invisible mais présente". La Constitution sur l'Eglise, Lumen gentium, émanant du dernier Concile œcuménique, commence par trois paragraphes montrant que le Père éternel (§1), qui veut sauver tous les hommes, envoie son Fils (§2), par l'Esprit saint dans l'Eglise (§3). Vous voyez que la Trinité, bien que rarement nommée, est toujours présente, de même que ce sont les choses les plus hautes dont on parle le moins parce qu'elles sont les plus profondes et les plus cachées : c'est plus difficile de parler des racines d'un arbre que de sa floraison.


Ce mystère de la Sainte Trinité ne peut être connu par la seule raison. Lorsqu'elle pense aux choses

d'ici-bas, la raison humaine peut remonter jusqu'à Dieu; mais là il y a comme un barrage qu'elle ne peut franchir: elle ne pourra jamais soupçonner qu'il y a en Dieu trinité de Personnes. C'est un mystère pour elle déconcertant, et son premier mouvement, quand on lui parlera d'une pluralité de Personnes en un seul Dieu, sera de dire: ce n'est pas possible, parce que l'une devrait avoir, pour se distinguer de l'autre, quelque chose que l'autre n'aurait pas ; par conséquent vous divisez Dieu. Elle reste en-deçà du barrage, et la Déité, la Trinité, se déploie en-dessus. La manière dont nous sommes entrés dans la connaissance de la Trinité ne peut être que la Révélation judéo-chrétienne, d'abord judéo avec comme des pressentiments, puis chrétienne avec la révélation plénière.


La Trinité n'est donc connue que par la Révélation. Ce que la raison peut nous dire de Dieu, c'est à partir du monde qu'elle le peut, de l'être du monde et de ce que les philosophes appellent la contingence de l'être. Ce sont choses d'un grand prix que l'être d'un brin d'herbe, d'un moucheron, d'un petit enfant, d'une maman, d'une maman qui peut-être va mourir... Plus on réfléchit à ces choses-là, plus on voit qu'elles sont comme des trésors étages autour de nous à certains moments, et quand elles disparaissent, nous sentons tout ce qu'elles étaient. Contingence de l'être, c'est-à-dire qu'il est à la fois quelque chose de très riche et de très fragile, il suffit d'un rien pour que tout s'effondre. Quand on a compris cela, ou bien il faudra dire qu'il est absurde que des choses soient et disparaissent, ou bien on sera obligé, si on ne veut pas égaler leur être au néant, de les suspendre à l'Absolu. Ce n'est pas à chaque instant de la journée, mais à certains moments privilégiés de sa vie, que le sens de la contingence vient visiter l'homme. Moment de la mort d'un enfant... Mais aussi moment de la naissance d'un enfant: tout à coup cet être-là, qui change tout. Réfléchissant à sa propre existence, Pascal disait que notre naissance dépend d'un mariage, et de toute la série des mariages antécédents. Un seul changement dans cette série et nous n'aurions pas été là. Moi qui suis, ne serais pas ici. Au moment où l'homme est visité par le sens de la contingence, ou bien il dira: "Tout est absurde", et il sombrera dans le vertige du néant, ou bien il sera obligé de dire, et spontanément, le fait : cela est suspendu à un Etre absolu sans lequel rien n'existerait. Il connaît alors Dieu comme Cause de l'univers et de tout ce qu'il comporte de grand. C'est un premier regard que l'homme jette sur les choses. Seulement, à ce moment-là, on ne connaît Dieu que sous le rapport qu'il a avec l'univers. Dieu s'est-il mis tout entier dans cet univers ? Ce n'est pas possible : il aurait créé l'Incréé qu'il est ! Dans sa création, il y a des richesses qui suffisent à nous orienter vers l'infinité de son être, mais qui laissent totalement cachée l'intimité profonde de sa vie. Ces richesses portent tout homme à la connaissance de Dieu par la raison spontanée, à condition qu'elle soit laissée à son libre fonctionnement !


Mais tout cela s'arrête à un "barrage" et ne nous dit rien de l'intériorité mystérieuse de Dieu, de sa Déité, de cette intimité qui nous est révélée par la foi.


Une comparaison me semble éclairante pour que vous soit bien intelligible cette distinction entre ce

que nous pouvons connaître de Dieu par la raison c'est beaucoup de choses - et ce que nous pouvons connaître par la Révélation. Saint Paul dira au chapitre I de l'Epître aux Romains (v. 20) : «Les païens, en voyant la création, pouvaient connaître la toute-puissance de Dieu et sa divinité». Mais dans la Première aux Corinthiens, il parle des profondeurs de Dieu qui ne peuvent pas être connues autrement que par la Révélation.


Voici une comparaison: un jeune homme passe chaque matin sous ma fenêtre, allant à son travail, toujours à la même heure. Je l'observe et, en le voyant de l'extérieur, je connais de lui pas mal de choses. Mais un jour, voici que ce jeune homme, au lieu de continuer sa route, vient sonner à ma porte : «Je voudrais vous confier quelque chose. C'est un secret que je porte en moi depuis longtemps. Je ne l'ai jamais dit à personne ; mais c'est trop lourd, et je viens vous le confier, à vous qui êtes prêtre». Alors vous le voyez : j'ai maintenant deux connaissances de cet homme, l'une de l'extérieur, l'autre par la révélation qu'il m'a faite de son intérieur. Les deux sont vraies, et elles ne se contredisent pas. Il n'y a pas deux réalités, mais deux approches de cette unique réalité, deux manières de la connaître: à partir de l'extérieur, et c'est une connaissance précieuse; à partir de la révélation qui m'est faite, et celle-là seule est décisive, elle m'introduit au cœur du mystère de cet homme.


Cette comparaison, appliquons-la à Dieu. Je peux le connaître à partir du monde, comme le grand X nécessaire pour soutenir l'existence de l'univers, je le connais alors en remontant vers lui à partir de ses effets, comme par la frange de son manteau. Je peux le connaître par la Révélation, mais c'est une chose folle ! Il viendra me parler de ce qu'il y a dans la profondeur de son être ; il va me dire qu'il a pour moi un amour merveilleux, que la raison ne suffisait pas à me faire connaître ; qu'il est Père, Fils et Esprit, ces trois mots qui forment le vase dans lequel est contenu le fond de son mystère. Nous n'avons aucun droit à entrer dans l'univers de ce mystère. Notre seul droit, notre seul pouvoir, c'est, à partir de la création, de remonter vers lui dans une action de grâce pour nous avoir mis au monde et conservés, mais c'est tout. Qui est-il? Je peux bien, à partir des créatures, savoir qu'il y a en lui bonté, beauté, condescendance, amour, mais à ces mots-là je ne pourrai jamais donner leur valeur la plus haute, la plus intense. Dans cette découverte, je peux déjà aller plus loin que ce que peut saisir mon cœur, être débordé, et c'est déjà merveilleux d'être débordé. Mais que Dieu en lui-même soit Père, Fils et Esprit, et que je le verrai face à face, cela est totalement au-dessus de ce que ma nature peut exiger.


II. LES PRESSENTIMENTS DE LA TRINITE DANS L'ECONOMIE DE LA LOI DE NATURE ET DANS L'ANCIEN TESTAMENT

La vie la plus profonde de Dieu, sa déité, n'aurait jamais pu être connue sans la révélation que lui-même en a faite. Cette révélation, jamais on n'aurait pu la réclamer comme une chose due, pas plus selon une comparaison amusante de saint Thomas qu'un âne n'aurait pu prétendre au droit d'être un cheval. Aussi cette révélation transcendante de Dieu viendra-t-elle, au premier abord, bousculer nos idées ; elle viendra s'introduire dans notre synthèse mentale comme une blessure nous ouvrant le cœur sur des choses qui ne nous sont nullement connaturelles.


Cette révélation, Dieu l'a faite d'une façon manifeste dans ce petit peuple qu'il a choisi, lui annonçant simultanément deux choses. La première: ce qu'il est lui-même dans son intimité; la seconde, mais c'est un corollaire : ce qu'il sera pour l'homme, l'aimant d'une manière que jamais l'homme n'aurait osé espérer. Le peuple juif sera appelé messianique parce qu'il sera porteur de cette double révélation qui s'accomplira dans le Sauveur Jésus. Ce peuple-là, Dieu le préparera d'abord à comprendre profondément l'unité divine, à partir d'Abraham jusqu'à Jésus. Et pendant des siècles et des siècles, il devra dire intérieurement, puis expressément: «Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique». Cette prière, les Juifs devront la dire et la redire sans se lasser, faute de quoi ils n'auraient jamais pu émerger du polythéisme. Ensuite cette révélation, sans être détruite, trouvera comme son éclosion par l'annonce de la Trinité, à savoir que ce Dieu unique est unique en trois Personnes. Mais cette annonce ne pouvait être faite avant que fût profondément enracinée dans le cœur du peuple juif cette notion de l'unité divine.


Dans son Mémorial, Pascal s'adressera «au Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob». Si l'on se rappelle de la distinction que l'on peut faire entre les deux manières de connaître Dieu - l'une à partir de ses effets, comme Cause du monde, l'autre par ce qu'il aura communiqué de son mystère le plus profond on comprend ce qu'a d'émouvant cette prière: Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob... Ce Mémorial c'était un petit papier qu'il avait écrit et cousu lui-même à l'intérieur de son vêtement, et qu'il recousait dans un autre vêtement quand il en changeait marque comme une conversion de Pascal. Non pas une conversion à la foi - il l'a toujours eue, ne l'a jamais abandonnée - mais un passage d'une vie chrétienne qui aurait suffi à beaucoup d'autres à une vie de désir de la sainteté. Quand, à un moment donné, sa foi devient très ardente, il voudra la communiquer aux autres, les éclairer sur les profondeurs de Dieu :


«L'an de grâce 1654,

Lundi 23 novembre, jour de saint Clément, pape et martyr et autres au martyrologue.

Veille de saint Chrysogone martyr et autres.

Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi.


Feu

Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob, non des philosophes et des savants. Certitude, Certitude. Sentiment. Joie. Paix. Dieu de Jésus-Christ. Deum verum et Deum vestrum.


Oubli du monde et de tout hormis Dieu.

Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l'Evangile.


Père juste, le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu.

Joie, joie, joie, pleurs de joie.

Je m'en suis séparé:

"Ils m'ont délaissé, moi, la source des eaux vives".

Mon Dieu, me quitterez-vous ?


"Ceci est la vie éternelle, qu'ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé,

Jésus-Christ."

Jésus-Christ.

Jésus-Christ.

Je m'en suis séparé ; je l'ai fui, renoncé, crucifié.

Que je n'en sois jamais séparé ! »


C'est la grandeur de la Révélation chrétienne, telle qu'on l'enseigne au catéchisme, qui se manifeste tout à coup à Pascal ; et pas seulement par la mémoire de ce qu'on lui a enseigné, mais comme un coup au cœur qui lui est porté par la Trinité elle-même: «Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, non des philosophes et des savants», c'est-à-dire Dieu connu non pas simplement en tant que la raison peut l'atteindre, mais comme dans la descente en nous de sa révélation.


Cette nuit intérieure de Dieu, que j'ai désignée en parlant du nom pluriel du Dieu unique, ce mystère de la profondeur de Dieu et de son amour, avant même d'être révélé expressément au peuple juif d'une façon commencée, faisait pression d'une manière secrète et mystérieuse sur l'humanité. Avant la Révélation, l'homme pouvait bien connaître Dieu, mais jusqu'à une sorte de "barrage" au-delà duquel était sa vie mystérieuse et cachée. Eh bien, dès le début de l'humanité, Dieu décide de passer par-dessus ce "barrage" et de venir d'une façon secrète se faire pressentir à l'homme comme plus grand que ce qu'il pourra jamais savoir de lui par la raison. Depuis la chute jusqu'aux jours d'Abraham et jusqu'à la Révélation chrétienne, jusqu'à aujourd'hui chez les peuples qui n'ont pas reçu cette Révélation, Dieu fait pression comme la marée qui va passer par-dessus la digue. L'humanité, enfermée sous le ciel de la loi de nature, sentira, comme venant d'un au-delà inconnaissable pour elle, une sorte d'invite à s'ouvrir à un mystère qu'elle ne peut pas encore formuler et qui lui sera offert lorsque Dieu l'appellera à dépasser sa propre vie humaine et à entrer dans la vie divine. Ce que j'essaie de vous dire là est délicat à exprimer, parce que ces choses qui manifestent les profondeurs de Dieu et dépassent absolument les désirs de l'homme, message d'un autre univers, sont communiquées complètement dans le silence, et c'est pourquoi on n'en trouve aucune trace écrite. Je suis sûr que la Trinité tout entière, non encore connue comme telle, envoyait comme des signaux à l'humanité, lesquels pouvaient être reçus très mystérieusement et secrètement. Et de quelle façon? En demandant à chaque homme des sortes de démission intérieure devant une grandeur ineffable ; Dieu frappait à la porte de leur cœur et, quand ils le laissaient entrer, se produisaient ces grands actes d'abandon de tout leur être dans le mystère d'un Dieu dépassant tout ce qu'ils en pouvaient savoir et qui étaient déjà une adhésion au mystère de la Sainte Trinité, mais totalement dans la nuit. Dieu leur demandait certains actes, très simples mais de total abandon, qu'ils pouvaient accomplir ou refuser. Et s'ils acceptaient, c'était déjà la Trinité qui était secrètement entrée dans leur cœur. Saint Augustin dit que si Dieu s'est manifesté, bien sûr, au peuple juif, il l'a fait aussi en dehors de ce peuple, dans sa profondeur, et il cite Job en exemple, Job qu'on voit comme anéanti devant la grandeur de Dieu. Il comprend que ce Dieu qui le fait comparaître devant lui est dans les cieux, que lui-même est sur la terre, et qu'il ne peut que rester dans le silence de la soumission la plus totale. Job, fait remarquer saint Augustin, n'était pas juif mais iduméen. Et il le donne comme un exemple de très grands saints qui n'étaient pas sous la lumière expresse de la révélation faite à Israël et qui cependant ont pu entrer dans les profondeurs de Dieu.


Je pense que cette invitation a été faite à tous les peuples de la préhistoire. Et ici, je veux vous lire une prière d'un peuple de l'Afrique noire, non chrétien, qu'un ethnologue a fait connaître pour montrer que la prière des primitifs n'était nullement, comme on le disait, une prière intéressée pour demander des secours, mais qu'elle pouvait aller jusqu'à un abandon intérieur total; une prière, par conséquent, d'amour au sens de charité, et donc une communication, par-delà le "barrage", avec l'intériorité de Dieu. C'est une prière de la tribu des Galla après une guerre malheureuse, véritable catastrophe nationale :


« O Dieu de la terre, mon Seigneur, tu es au-dessus de moi, je suis en-dessous de toi.


Si le malheur vient sur moi, si les arbres me cachent le soleil, toi, détourne de moi le malheur. Seigneur, sois mon ombrage.


O Dieu, mon Seigneur, Soleil aux trente rayons, si l'ennemi vient, ne laisse pas tuer ton ver sur terre, détourne cela.


De même que nous voyons un ver: si cela nous plaît nous l'écrasons, si cela nous plaît nous l'épargnons ; de même que nous écrasons un ver trouvé à terre, de même si cela te plaît, nous voyant sur la terre, écrase-nous..


Moi, lorsque je vois un ou deux hommes, les voyant avec les yeux, je les connais ; Toi, bien que tu ne voies pas avec des yeux, tu vois en toi-même.


Un homme méchant a chassé tous les hommes de leurs maisons, il a dispersé les enfants et la mère comme des poules. L'ennemi méchant a arraché les enfants de la main de la mère et les a tués. Tout cela, tu l'as permis. Pourquoi as-tu fait cela ? Tu le sais.


Tu as fait pousser les céréales, tu les as fait voir à nos yeux ; l'affamé en les voyant était consolé.


Quand le blé était en fleurs, tu as envoyé les sauterelles et les insectes ; les sauterelles et les pigeons. Tout cela est venu de ta main, c'est toi qui l'as fait. Pourquoi l'as-tu fait ? Tu le sais.


Mon Seigneur, épargne les hommes qui te prient. Comme le propriétaire du grain lie celui qui vole le grain, ainsi lie-nous, mon Seigneur. Si tu as lié celui que tu aimes, tu délies celui que tu aimes.

Ainsi tu m'aimes, délie-moi, moi qui te supplie de cœur.


Si je ne crie pas vers Toi de cœur, tu ne m'écoutes pas. Si je crie de cœur, tu le sais, tu m'écoutes... »


Dieu ne peut pas être connu par la raison dans son mystère le plus profond, dont la révélation n'a été faite d'une manière manifeste et continue qu'au peuple juif à partir d'Abraham, et d'une façon progressive. Cependant, tous les hommes des peuples antérieurs ont été visités par des descentes secrètes de l'Amour qui venait à leur rencontre du sein même de la Trinité ; et quand leur cœur se laissait ouvrir par ces prévenances, ils étaient déjà alors des enfants de Dieu, unis à la Trinité dont ils ne savaient pas le nom. Dieu commence à nous préparer à des choses qu'il nous manifestera plus tard; avant même qu'elles nous soient manifestées, elles étaient présentes comme dans la nuit.


La révélation expresse va venir avec la manifestation de Dieu à Abraham : au chapitre 12 de la Genèse (vv. 1-2), nous voyons Dieu s'adressant à Abraham pour l'arracher à l'ambiance polythéiste dont la contagion aurait pu le pervertir; puis il se fait connaître à lui comme un Dieu personnel, s'empare en quelque sorte de lui, pour en faire l'ancêtre d'un peuple qu'il va prendre en charge et préparer, afin qu'un jour puisse être placé au milieu de ce peuple le "berceau" de celui qui sera son Fils unique venant nous visiter au jour de l'Incarnation. Pour la première fois, la révélation du mystère de la Déité devient manifeste, extériorisée dans un peuple; et pendant dix-huit siècles, patriarches et prophètes ne cesseront leurs rappels constants jusqu'au jour où le dernier des prophètes, Jean-Baptiste, montrera le Sauveur, celui en qui se réalise d'une manière merveilleuse la promesse à Abraham, Jésus, qui finira par dire qu'il est le Fils du Dieu unique.


Vous voyez le sens de cette révélation judéo-chrétienne. Auparavant, on expliquait les commencements du genre humain par des mythes : la terre fécondée par le ciel produisant la végétation et l'homme lui-même, avec toujours les répétitions cycliques ; on n'était pas dans l'histoire. Puis tout à coup vient l'histoire : le Dieu d'Abraham se révèle, va comme la prendre en charge et la conduire vers une destinée à travers le temps. Les cycles sont brisés ; que vous considériez l'Inde avec les grands cycles cosmiques ou les peuples du Proche-Orient, c'était toujours la représentation de l'humanité calquée surtout sur le cycle lunaire : l'humanité apparaît, grandit, disparaît par des catastrophes, des sortes de déluge. Puis, quelques semences ayant été laissées, elle réapparaît, recommence à grandir... L'éternel retour dont Nietzsche fera le titre d'un de ses livres. Eh bien, maintenant, ce n'est plus l'éternel retour, c'est la montée, guidée par Dieu, vers une destination mystérieuse. Vous voyez l'importance de l'appel d'Abraham, cette chose inouïe.


«Yahvé dit à Abraham: "Quitte ton pays, ta parenté et la maison de ton père pour le pays que je t'indiquerai. Je ferai de toi un grand peuple, je te bénirai, je magnifierai ton nom, qui servira de bénédiction. Je bénirai ceux qui te béniront. Je réprouverai ceux qui te maudiront. Par toi seront bénies toutes les nations de la terre". »


Alors Abraham va s'arracher à tout ce milieu, il partira avec sa femme. Il n'a pas d'enfants car Sara est stérile. Eprouvé de toutes sortes de manières, il sera fidèle à Dieu. Et voici qu'un enfant lui est promis...


Mais là je dois ouvrir une parenthèse pour rendre les choses plus explicites : pour conduire un peuple nomade à travers toutes les difficultés de l'existence, précaire en ce temps-là, il fallait qu'il y eût un descendant masculin. Selon une disposition du droit d'alors, droit mésopotamien, quand un chef n'avait pas de descendant mâle de sa femme, non seulement il pouvait mais il devait prendre une autre femme pour susciter un descendant. Et c'était souvent la femme légitime qui demandait cette chose-là. C'est ce qu'a fait Abraham avec Agar, dont il a eu Ismaël. Puis est venue la promesse et la naissance de l'enfant de Sara, Isaac. Et voilà que cet enfant sur qui repose toute la promesse d'une descendance - Abraham a chassé Agar - Dieu lui demande de l'immoler. Epreuve absolument incompréhensible. Mais Abraham a cru contre toute espérance: je ne comprends rien à rien, je suis dans une impasse, contre un mur, mais je crois en Dieu malgré tout et contre tout. Et à cause de cela, il est béni. Dieu l'éprouve pour aller jusqu'au fond de sa générosité et du don de soi-même. C'est alors que Dieu ouvre le cœur d'Abraham aux immensités de son mystère intérieur.


On lit dans l'épître aux Hébreux : «Il faut que celui qui veut s'approcher de Dieu croie qu'il est, et qu'il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent». Ceci est dit de la foi qui doit atteindre Dieu dans sa profondeur, selon qu'il est en lui-même, et selon qu'il est rémunérateur pour les hommes ; c'est-à-dire que, pour être sauvé, il ne suffit pas que l'homme connaisse ce que Pascal appelait le Dieu des philosophes, le Dieu connu par la raison; il faut que s'ouvre dans son cœur un acte qui le porte à la rencontre de Dieu dans son intimité, dans sa déité : Dieu non pas seulement comme Cause du monde mais comme Celui à que je me donne, Dieu dans son mystère le plus inimaginable, dans son intériorité dont j'ignore ce qu'elle est, mais dont je sais qu'elle est. Et alors je connais Dieu par la foi, dans la nuit, et il me demande des actes d'abandon et de renoncement qui pourront aller jusqu'au don de ma vie. A ce moment-là, c'est avec le «Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob » que je suis en contact, avec qui je dialogue, c'est déjà le Dieu Trinité. Il ne s'est pas encore fait connaître comme Père, Fils et Esprit, mais je suis déjà sur le plan où il faut pour que, lorsque adviendra cette révélation trinitaire, avec le Nouveau Testament, je la reçoive sans être étonné et que je dise : Oh ! je savais bien qu'il y avait en Dieu des mystères auxquels j'ai d'avance acquiescé.


En même temps que cette révélation de l'intérieur de Dieu contenue implicitement dans le "Dieu est" dont parle saint Paul, il y a celle - corrélative - qu'il est Amour pour nous, qu'il nous aime d'un amour que jamais la raison n'aurait pu lui attribuer. Que voulez-vous que la raison dise quand elle voit que le monde est suspendu à Dieu créateur? Elle ne peut que rester dans la servitude : Dieu est mon Maître, il peut faire de moi ce qu'il veut, mais il me reste comme étranger, il est trop grand pour qu'il puisse y avoir intercommunication d'amour. Peut-être que quelque chose de moi peut monter vers Lui ; mais de Lui vers moi ? Que pourrais-je ajouter à Dieu ? Rien. Et voici que vient au contraire cette descente d'un amour qui vient chercher mon amour... Vous comprenez alors tout le sens de ce passage de l'Epître aux Hébreux (ch. 11, v. 6) : «Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu, car celui qui s'approche de Dieu doit croire qu'il existe - de cette existence-là - et qu'il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent», qu'il s'incline vers l'homme avec amour, qu'il va le conduire avec sollicitude et tendresse vers une destinée inconnue, et qu'un jour il lui enverra un secours par un Messie qui ne sera pas seulement un prophète, mais - ce n'est pas encore dit, mais on est prêt à recevoir cette révélation parce que l'amour de Dieu n'étonne plus - son Fils bien-aimé, Jésus. Ainsi ces deux mots de l'Epître aux Hébreux sont le contenu de ce que Pascal dira dans son Mémorial: «Dieu d'Abraham... non des philosophes...», il sait, lui, Pascal, que c'est le Père, le Fils, l'Esprit, il sait que l'amour ira jusqu'à envoyer Jésus.


D'où cette profondeur de mystère que vous trouvez au chapitre 17 de la Genèse, au moment de l'Alliance: «Lorsqu'Abram eut atteint quatre-vingt dix-neuf ans, Yahvé lui apparut et lui dit : "Je suis El Shaddaï, marche en ma présence et sois parfait. J'établis mon alliance entre moi et toi, et je t'accroîtrai extrêmement !" Abram tomba la face contre terre et Dieu lui parla ainsi : "Moi, voici, mon alliance avec toi..."».


Cette invite qui filtrait secrètement dans l'économie de la loi de nature, qui venait éclairer les hommes sous des ciels qui pouvaient être animistes ou marqués par l'idolâtrie, cette invite-là est faite maintenant à Abraham d'une manière qui sera continue, sans qu'encore Dieu dise qu'"il est" comme Trinité, ni qu'il est "rémunérateur" au sens où il enverra son Fils unique. Mais ces deux vérités, la Trinité et l'Incarnation, sont déjà révélées implicitement. Quand s'ouvre un bouton de rosé, on admire, mais sans étonnement parce que dans le bouton tous les pétales étaient déjà contenus. Ainsi, si Dieu est «rémunérateur pour ceux qui le cherchent», c'est qu'il s'incline vers eux dans un amour tellement mystérieux que lorsqu'il nous sera dit: «Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique», on n'aura pas à changer de plan, on avait déjà dit oui à ces extraordinaires condescendances de l'Amour, il n'y aura qu'à s'émerveiller que ça aille jusque-là. En sorte qu'il y a deux manières de dire «Dieu est, et il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent » : la manière simplement raisonnable d'un philosophe pénétrant et possédant une raison droite, et la manière qui donne tout son sens à ces deux assertions sur le plan de la foi et du salut transnaturel.


C'est ici qu'il faudrait rattacher la mystérieuse apparition de Yahvé à Abraham au chêne de Mambré (Gn ch. 18) : «Tandis qu'il était assis à l'entrée de sa tente, au plus chaud du jour, voici qu'il vit trois hommes qui se tenaient debout; dès qu'il les vit il courut de l'entrée de la tente à leur rencontre et, se prosternant à terre, il dit: "Seigneur, je t'en prie, si j'ai trouvé grâce à tes yeux, veuille ne pas passer auprès de ton serviteur sans t'arrêter. Qu'on apporte un peu d'eau..."». Vous voyez: à tes yeux. C'est mystérieux. Y aurait-il eu ici une manifestation à Abraham de la Trinité : les trois Personnes en un seul Dieu? Les Pères de l'Eglise l'ont pensé: il en a vu trois et il en a adoré un seul. Et c'est ainsi que quelquefois la Trinité est représentée, par exemple dans la très belle peinture de Roublev, à la Trinité St. Serge, à Moscou : Abraham s'apprête à servir un repas à trois anges qui sont à table. Abraham n'a pas connu expressément la Trinité ; il l'a connue comme la rosé est connue dans le bouton: il y avait déjà l'essentiel.


Vous avez aussi cette étonnante prière d'Abraham sur Sodome et Gomorrhe : « Seigneur, est-ce que tu vas faire périr les justes avec les pécheurs?» - il marchande avec Dieu le salut de ces êtres misérables. « S'il y avait cinquante justes ? S'il y en avait trente ? S'il y en avait dix?» Vous voyez ici la grandeur d'Abraham. C'est quelque chose d'absolument inouï qui commence: la manifestation d'une chose qui existait secrètement depuis toujours, parce que jamais Dieu n'a laissé l'homme à ses seules initiatives, sous son seul climat à lui; toujours est venue à la rencontre de l'homme la lumière, la chaleur d'un autre ciel que le sien, le ciel de la Trinité.


Dans saint Jean, ch. 8, v. 56, il y a cette parole de Jésus: «Abraham, votre père, a vu mon jour». Je dirai de ce texte-là, non pas qu'Abraham ait vu précisément l'Incarnation, mais qu'il était entré dans ce ciel de la Révélation divine qui aboutira un jour à la révélation expresse des mystères de la Trinité et de l'Incarnation.


Dans l'Exode, au ch. 3, Dieu envoie Moïse délivrer son peuple. Il l'appelle de l'intérieur du buisson. Moïse dit: «Mais s'ils me demandent (les Hébreux) qui m'envoie vers eux, que répondrai-je ? - Tu leur diras: Celui qui est m'envoie vers vous». L'être de Dieu se fait connaître encore une fois, non pas en remontant à partir des créatures, mais par sa Révélation. C'est alors que commence à se manifester cette folie de l'amour de Dieu pour sa créature.


Car vraiment, comment peut-il s'éprendre d'amour pour nous sinon par folie ? Cet Amour qui est Dieu dans son intériorité la plus profonde, cette surabondance intérieure, va comme se déverser autour de lui, et non seulement en créant le monde et l'humanité, mais en appelant celle-ci à franchir le seuil de ce ciel divin.


Dans Osée, Dieu compare Israël à sa fiancée ou son épouse - il faudrait dire ici épouse, mais elle est fiancée par rapport au Nouveau Testament. Quand cette épouse s'en va vers les faux dieux, c'est un adultère. «Elle n'est plus ma femme, je ne suis plus son mari», dit Yahvé. Et alors il va lui rendre la vie comme impossible : « Je vais fermer son chemin avec des épines, j'obstruerai sa route, pour qu'elle ne trouve plus ses sentiers ; elle poursuivra ses amantes et ne les atteindra pas, elle les cherchera et ne les trouvera pas. Alors elle dira : "Je veux revenir à mon premier mari; car j'étais plus heureuse autrefois qu'aujourd'hui". C'est pourquoi je vais la séduire, la conduire au désert et parler à son cœur. Je lui rendrai ses vignobles, et je ferai du val d'Akor une porte d'espérance. Là elle répondra comme aux jours de sa jeunesse, comme au temps où elle monta du pays d'Egypte. » C'est chose folle, vous le voyez, que cet amour de Dieu pour ce pauvre Israël. C'est le ciel du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Le mot Trinité, les mots Père, Fils, Esprit ne sont pas encore prononcés, il n'est pas encore question du Fils unique qui nous sera envoyé, mais on est déjà au niveau où ces mots pourront éclore. «L'amour est plus fort que la mort, les grandes eaux ne pourront pas l'éteindre» (Cantique des Cantiques) ; ces grandes révélations de l'Ancien Testament montrent en Dieu une surabondance intérieure.


Beaucoup de passages pourraient encore être cités, notamment dans le livre des Proverbes (ch. 8, 22-31) où Dieu précisément se fait connaître comme surabondance intérieure de Sagesse et d'Amour :


«Yahvé m'a établie au début de ses desseins. Dès l'éternité je fus posée, dès le commencement, avant l'origine de la terre. Quand l'abîme n'était pas, je fus enfantée, avant les montagnes, avant les collines ; avant qu'il eût fait la terre et la campagne et les premiers éléments de la poussière du monde. Quand il affermit les cieux j'étais là, quand il traça un cercle à la surface de l'abîme, quand il condensa les nuées d'en-haut, qu'il fixa les sources de l'abîme, quand il assigna son terme à la mer, j'étais à ses côtés comme le maître d'œuvre, faisant ses délices jour après jour, m'ébattant tout le temps en sa présence, m'ébattant sur la surface de la terre, et mettant mes délices à être avec les enfants des hommes ».


La Sagesse ici est comme personnifiée; mais est-ce une personnification poétique d'attributs divins? C'est plus que cela. Est-ce une Personne divine à côté de la première ? Pas encore. Mais ces choses-là nous mènent au niveau où cette générosité intérieure de Dieu va aboutir à la révélation des trois Personnes divines.


Eh bien, ce que j'ai appelé les pressentiments de la Trinité dans le cœur des hommes - d'abord mystérieux, très obscurs, mais profonds et bouleversants, puis manifestés dans l'Ancien Testament - c'est Dieu est Dieu, identique à lui-même. Mais cette assertion de "Dieu est Dieu" peut avoir deux sens.


Dieu peut, en effet, être conçu comme une monade inféconde et stérile. On nie alors une surabondance intérieure aboutissant, avec la génération du Verbe et la spiration de l'Esprit, à la révélation trinitaire ; on nie en même temps un amour de Dieu à l'égard de l'humanité capable de l'inciter à nous donner son fils unique. Dieu s'entend comme muré dans sa transcendance, et simplement comme Seigneur de l'univers.


En un autre sens, le sens chrétien, Dieu est une telle surabondance intérieure de lumière et d'amour, qu'elle va s'établir entre trois termes qui seront le Père, le Fils et l'Esprit saint, c'est-à-dire la Trinité ; et, par rapport à nous, cette surabondance ira jusqu'à nous envoyer, au jour de l'Incarnation, la seconde des Personnes divines.


Pour finir, je veux vous lire une page de Marie de l'Incarnation, l'ursuline du Québec, sur cette surabondance intérieure à Dieu, qui est, pourrait-on dire, la source éternelle d'où jaillit la Trinité.

«J'étais dans une admiration que je ne puis dire, et toute hors de moi je disais : ô Bonté, ô Immensité, ô Eternité. Et encore: ô Largeur, ô Longueur, ô Profondeur, ô Hauteur infinie, immense, incompréhensible, ineffable, adorable ! Vous êtes, ô mon grand Dieu ! Et tout ce qui est, n'est qu'en tant qu'il subsiste en vous et par vous ! O Eternité, Beauté !


Pureté ! Netteté ! Amour ! mon Centre ! mon Principe ! ma Fin ! ma Béatitude, mon Tout!


«Mon esprit était rempli de tant de nouvelles lumières qu'il était offusqué et ébloui, s'il faut ainsi parler, de la grandeur et de la majesté de Dieu. Ce qui lui était montré auparavant par une véritable affirmation, il ne le pouvait plus voir que dans la négation. Toutes ses perfections qu'on nomme, ce n'est point cela. Il faut à la fin perdre tous les mots et tous les noms et se contenter de dire : Dieu ! Dieu ! O plus que bon, ô plus que beau, ô plus qu'adorable ! Ah ! vous êtes Dieu et grand Dieu.


«Ce mot Dieu demeura gravé dans mon âme, en sorte qu'elle ne savait plus que lui.


« Je voyais Dieu en toutes choses, et toutes choses en Dieu, et cette infinie Majesté était à mon égard comme une grande et vaste mer qui, venant à rompre ses bornes, me couvrait, m'inondait et m'enveloppait de toutes parts. »


Constamment elle se sentait comme une tendance vers... jusqu'au jour de la rencontre dans la possession:


«Otez donc la barre qui fait cet entre-deux. Consommez-moi tout d'un coup, et sans pitié purgez mes impuretés».


Eh bien, voilà ce mystère de la préparation de la révélation de la Trinité à l'humanité. Sous l'enveloppe de pauvres choses humaines, d'êtres qui naissent, travaillent, souffrent, disparaissent par la maladie et la mort, sous cette surface de vies humaines où sont beaucoup de choses belles, bien sûr, des joies qui finissent par des effondrements successifs, suivis de nouvelles joies et de nouveaux effondrements quelque chose se tisse : l'histoire de l'amour de Dieu Trinité, qui n'a jamais cessé de vouloir se manifester à l'humanité. Et cela dès le début, à de pauvres êtres humains, comme une lumière qui traverse une matière translucide. Puis la Trinité choisit Abraham et sa descendance pour commencer à expliquer un peu qui elle este ; cela va tenir dans ces deux mots : «Dieu est et il est rémunérateur pour ceux qui le cherchent » ; mais ces deux mots sont situés à un niveau qui est de l'autre côté du "barrage" ; ils atteignent l'intériorité même de Dieu, en sorte que quand viendra la double révélation de Dieu qui est un en trois Personnes et qui est rémunérateur au point qu'il envoie à notre secours son Fils unique, on était sur le plan voulu pour acquiescer. C'est fou ! mais je savais qu'il y avait en Dieu des choses folles. Je savais qu'il y avait en nous un amour fou de Dieu, en Dieu un amour fou de nous, en sorte que la Trinité et l'Incarnation étaient préacceptées avant même d'être nommées par les hommes.


III. LA REVELATION NEO-TESTAMENTAIRE DE LA TRINITE

Le chapitre 53 d'Isaïe annonce le secours que Dieu enverra à son peuple: le Serviteur de Yahvé, c'est-à-dire le Messie. Ce Serviteur ne viendra pas comme un roi guerrier, triomphant, à la manière des grands de ce monde, pour des conquêtes temporelles. Il se présentera comme celui qui vient libérer les âmes en portant l'iniquité et le péché de tous.


«C'étaient nos souffrances qu'il portait

et nos douleurs dont il était accablé.

Et nous autres nous l'estimions châtié,

frappé par Dieu et humilié.

Il a été transpercé à cause de nos péchés,

écrasé à cause de nos crimes.

Le châtiment qui nous rend la paix est sur lui

et c'est grâce à ses plaies que nous sommes guéris. »


Dans saint Luc, ch. 4, v. 17, on voit Jésus se présenter lui-même comme le Serviteur de Yahvé. Au moment où il entre dans la synagogue de Nazareth, comme c'est l'usage quand vient un étranger, on lui propose de lire un passage de l'Ecriture. C'était le livre du prophète Isaïe.


Déroulant le livre, il lut :


« L'Esprit du Seigneur est sur moi

parce qu'il m'a consacré par l'onction.

Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres,

annoncer aux captifs la délivrance

et aux aveugles le retour à la vue,

rendre la liberté aux opprimés,

proclamer une année de grâce du Seigneur».


Puis il leur dit: «Aujourd'hui s'accomplit à vos oreilles ce passage de l'Ecriture».


Il vient non pour écraser les hommes dans la splendeur d'une gloire temporelle, mais comme un mendiant de leur amour. Il ne va pas dire tout de suite qui il est : personne ne comprendrait, ce serait dresser un mur. Mais, peu à peu, il essayera d'orienter les esprits de tous ceux qui seront disposés à accueillir son message, qui cherchent quelque chose au-delà de ce que peuvent trouver les hommes et qui ne remplit jamais leur cœur, ceux que Léon Bloy appelait "les Pèlerins de l'Absolu". C'est à tous ceux-là que Jésus commencera à donner des indications qui orienteront leur esprit, jusqu'au jour où il pourra leur dire : « Moi et le Père, nous sommes un». Ce sera une révélation progressive du mystère de sa personnalité, et, du même coup, la révélation plénière de la Sainte Trinité. Dès qu'on touche le "Moi" de Jésus, Fils de Dieu au sens fort, on touche du même coup le mystère de la Trinité, c'est-à-dire une pluralité de Personnes dans l'unité de Dieu. Pour montrer comment Jésus va les introduire dans ce mystère, c'est tout le Nouveau Testament qu'il faudrait présenter. Pour ne pas charger trop les esprits, je ne donnerai que quelques indications, comme un fil d'Ariane permettant de sortir des ténèbres pour entrer dans la Lumière.


Un premier point à souligner est la façon dont Jésus parle de son Père à lui et de celui qui est notre Père à nous: «Quand vous prierez, vous direz: Notre Père qui êtes aux cieux... » Dans saint Matthieu, peu après l'enseignement du Notre Père, vous avez au ch. 7, vv. 9-11 : «Qui d'entre vous, quand son fils lui demande du pain, lui remettra une pierre, ou, s'il lui demande un poisson, lui remettra un serpent? Si donc vous, qui êtes mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, combien plus votre Père qui est dans les cieux en donnera-t-il de bonnes à ceux qui l'en prient ! » Par contre, vous avez dans saint Luc, ch. 24, v. 49 : «Voici que je vais envoyer sur vous ce que mon Père a promis...»; d'autres passages encore, ainsi saint Jean, ch. 20, v. 17, lorsque, après la résurrection, il envoie Marie de Magdala aux apôtres : « Va annoncer aux frères que je vais vers mon Dieu et votre Dieu...». Les apôtres sentent le décalage immense à marquer, la différence entre les enfants adoptifs que nous sommes et l'Enfant par nature qu'il est. Ils sentent qu'il a avec Dieu des rapports d'intimité qui nous resteront éternellement étrangers.


Il y aura aussi certaines affirmations du Sauveur Jésus au cours de sa vie - je les prends dans les synoptiques - quand il essaie de percer la ténèbre, comme un germe qui cherche à percer la croûte de la terre pour sortir. Il commence seulement à indiquer qu'il est le Fils de Dieu au sens absolu. Mais ceux qui sont attentifs commencent à comprendre qu'il y a là un mystère merveilleux, une bonne nouvelle, une innovation, quelque chose d'absolument unique que n'avait jamais connu le monde.


Dans saint Matthieu, au ch. 11, v. 25, on trouve un passage si émouvant: Jésus, rejeté par les uns, accueilli par d'autres, semble ne plus pouvoir contenir en lui la richesse du mystère de sa divinité : « En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux habiles, et de l'avoir révélé aux tout petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir». Il s'en va aux humbles de cœur, à ceux qui ont soif, qui désirent quelque chose au-delà de tout ce que l'humanité peut donner et qui laisse toujours des vides. « Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir. Tout m'a été remis par mon Père, et nul ne connaît le Fils si ce n'est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler». C'est l'affirmation de la divinité de Jésus. Il est Fils non pas par adoption comme nous le sommes, mais par nature. Le mot "fils" a des sens gradués dans la Révélation. Ici c'est le sommet : pour connaître le Père il faut être au niveau du Fils, au niveau du Père pour connaître le Fils. Cette révélation du mystère le plus profond, elle est faite comme par une sorte de confidence qui échappe à Jésus sous la pression intérieure de sa divinité.


Toujours dans saint Matthieu, au chapitre 16, v. 16, nous avons la confession de Pierre à Césarée de Philippe. Jésus demande aux disciples : « Que disent les hommes du Fils de l'homme? - Ils répondent: Les uns disent qu'il est Jean-Baptiste, d'autres Elie, d'autres encore Jérémie, ou quelqu'un des prophètes». Jean-Baptiste ressuscité, revenu mystérieusement pour achever le message qu'il avait commencé de divulguer? ou Elie? ou Jérémie? ou l'un des prophètes. Certains commencent à discerner en Jésus quelqu'un de transcendant par rapport aux autres hommes, c'est déjà bien ; Jésus ne les condamnera pas, ceux-là: ils sont sur la route. Mais c'est encore loin du sommet. Alors Jésus se tournant vers ses disciples: «Mais vous, qui dites-vous que je suis ? » Il va leur demander plus. C'est alors que vient la splendide réponse de saint Pierre: «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant». A ce moment-là, il donne au mot Fils sa plénitude de sens. «Tu es heureux, Simon, Fils de Jonas, car ce n'est pas la chair et le sang qui t'ont révélé ces choses, mais mon Père qui est dans les cieux. » Pierre touche dans la nuit de la foi le sommet, c'est la première confession de la divinité de Jésus faite par le premier pape. Et les papes, à travers les âges, continueront de la proclamer, jusqu'à la fin du monde.


La parabole des vignerons homicides, au ch. 21, v. 33, est un passage qui m'émeut beaucoup : le maître envoie ses serviteurs pour demander les revenus de la vigne qu'il avait louée à des vignerons. Ceux-ci, voyant venir les serviteurs, les battent et même les mettent à mort. Alors le maître en envoie d'autres : c'est encore pire. Que va dire le maître de la vigne? - c'est fou, cette chose-là! -: «Je leur enverrai mon fils, au moins ils le respecteront. Mais les vignerons, en le voyant arriver, disent: Voici l'héritier, tuons-le, nous nous partagerons l'héritage». Jésus dit cela à ceux qui à ce moment l'entourent, car il a compris qu'ils refusaient d'entrer dans la révélation du mystère de sa divinité; ils se font hostiles, parce qu'ils sentent que dire "oui" les arracherait à beaucoup de choses. Ils se défendent comme il nous arrive de nous défendre, plus ou moins consciemment, contre l'entrée de Dieu... Quand Jésus voit leur opposition, il leur donne un dernier avertissement en leur racontant l'histoire du maître de la vigne. Alors ils comprennent le sens de la parabole : les serviteurs, c'étaient les prophètes envoyés pour leur annoncer une chose merveilleuse, et qu'ils ont tués ; et à la fin Dieu leur a envoyé non plus un prophète mais son Fils unique. Ils comprennent et ils essaient de l'arrêter, mais ils n'osent pas, parce que le peuple disait déjà que c'était un prophète.


Puis il y a l'affirmation de Jésus lui-même avant sa mort, en saint Matthieu, ch. 26, v. 63, quand Caïphe demande : « Es-tu le Christ, le Fils du Dieu vivant ? » Il répondra: «Tu l'as dit. Alors le Grand-Prêtre déchire ses vêtements: Il a blasphémé! Qu'avons-nous besoin d'autres témoignages ?» Et les membres du sanhédrin de dire : « Il mérite la mort ».


Vous voyez la manière dont Jésus annonce progressivement sa divinité. S'il avait dit tout de suite: Je suis le Fils unique du Dieu transcendant, personne n'aurait compris ; il se serait trouvé comme devant un mur. Dieu connaît notre nature, il procède progressivement et il demande à chaque moment cette docilité profonde qui fait qu'en ayant dit "oui" on a déjà accepté ce qui viendra, de même que celui qui accepte le grain de blé, accepte l'épi qui en sortira.


Je ne relève que quelques traits des grandes affirmations qui marqueront cette montée vers la révélation du Sauveur Jésus, qui elle-même, dès qu'elle sera acceptée, s'identifiera avec la révélation d'une pluralité de Personnes en un seul Dieu : la Révélation trinitaire.


Dans saint Jean, les affirmations qui vont dans ce sens surabondent. Au ch. 6 : « Je suis le pain de vie, qui me mange a la vie éternelle». Au ch. 11, l'émouvante confession de Marthe : « Je suis la résurrection et la vie, dit Jésus, quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais, crois-tu cela? - Oui, Seigneur, je crois que tu es le Christ, le Fils de Dieu, celui qui devait venir en ce monde». C'est splendide ! Plus fort que la mort, cela !


Le chapitre 8 est très mystérieux, parce que la Révélation, précisément, commence à s'expliciter davantage. Il s'agit du conflit de Jésus avec ceux qui maintenant sont de mauvaise foi. Il s'oppose à eux. Non pas pour les condamner définitivement, mais comme un dernier avertissement : Attention ! Comme quand il dira à Judas : « Celui qui met la main au plat avec moi, me trahira», c'était un dernier avertissement que seul Judas entend et comprend : est-ce que vraiment tu vas aller jusque-là ? C'est à la fois splendide et douloureux : on voit Jésus qui, au lieu de les laisser de côté, essayer de répondre à leurs objections. Comme une dernière, une avant-dernière miséricorde. «Si vous demeurez dans ma parole, vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous délivrera. Ils répondirent: nous sommes de la race d'Abraham et jamais nous n'avons été esclaves de personne. Comment peux-tu dire : vous serez libérés ? » Et Jésus poursuit: «C'est seulement si le Fils vous affranchit que vous serez libres. Oui, je sais que vous êtes de la race d'Abraham. Néanmoins, je sais que vous voulez me tuer, parce que ma parole n'entre pas en vous». C'est alors que viennent ces affirmations: «Moi, je dis ce que j'ai vu chez mon Père ; et vous, vous faites ce que vous avez entendu auprès de votre père. Ils lui répliquèrent: notre père, c'est Abraham ! Jésus leur dit: si vous étiez des enfants d'Abraham, vous feriez les œuvres d'Abraham. Or vous voulez me tuer, moi qui vous dis la vérité que j'ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l'a pas fait ! » Alors Jésus leur dit : «Votre père, c'est le diable. Qui est de Dieu entend les paroles de Dieu ; si vous ne les entendez pas, c'est que vous n'êtes pas de Dieu». Les Juifs répliquent : On voit bien que tu es un possédé. Non, répond Jésus, «je ne suis pas un possédé, mais j'honore mon Père, et vous, vous cherchez à me déshonorer. Je ne cherche pas ma gloire; quelqu'un s'en occupe et juge. En vérité, en vérité, je vous le dis, si quelqu'un garde ma parole, il ne verra jamais la mort. - Es-tu donc plus grand qu'Abraham notre père, qui est mort ? » Alors, comme ils se réclament d'Abraham, Jésus va leur dire: «Abraham, votre père, a exulté à la pensée de voir mon Jour ; il l'a vu et il s'est réjoui. Les Juifs lui dirent alors : Tu n'as pas cinquante ans et tu as vu Abraham ! Jésus leur répondit : avant qu'Abraham fût, Je Suis ».


C'est fou cette parole: Je Suis. Vous vous souvenez: c'était le mot de Dieu dans la révélation à Moïse: «Quand les enfants d'Israël me demanderont: de la part de qui viens-tu, qu'est-ce que je leur répondrai ? Tu leur diras : Celui qui est m'envoie vers vous. C'était le mot que se réservait Dieu. Alors ils ramassèrent des pierres pour les lui jeter. Mais Jésus se déroba et sortit du temple ».


Il y a une progression dans la révélation de sa divinité et lorsqu'il y a opposition, il affirme totalement, comme un dernier avertissement, et s'ils s'obstinent c'est eux qui se seront condamnés, ce ne sera pas lui qui les aura rejetés.


Ce seront, bien sûr, les grandes affirmations de saint Jean : « Au commencent était le Verbe... » Il y a un parallélisme entre le premier récit de la Genèse : «Au commencement Dieu créa le ciel et la terre... » et ce "recommencement", un commencement sur un plan supérieur. Au commencement était le Logos, c'est-à-dire la Parole intérieure de Dieu, qu'on traduit en français par le Verbe, la seconde Personne de la Trinité. «Le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu. » Au commencement, avant, au-dessus de tout commencement, le Verbe était depuis toujours, et le Verbe était en Dieu d'une telle manière, avec une telle profondeur, que le Verbe était Dieu. Puis le Verbe s'est fait chair, il est venu dans la tragédie.


Vous voyez donc la dualité : le Verbe était en Dieu auprès du Père et il était Dieu comme le Père. Pluralité à l'intérieur de Dieu. Un mystère fou, au premier abord, qui continuera même toujours de scandaliser au premier regard : ce n'est pas possible ! s'il y a le Père et le Fils et que l'un et l'autre sont Dieu ça fait deux Dieux ! Mais non ! Deux Personnes en Dieu. La difficulté majeure est déjà posée avec la divinité du Christ. Si vous l'acceptez, vous serez obligé d'admettre une pluralité de Personnes en Dieu, par conséquent le mystère principal de la Trinité est déjà résolu. Il y aura la troisième Personne ; mais que ce soit deux ou que ce soit trois, le premier mystère est celui-ci: y a-t-il possibilité d'une pluralité de Personnes à l'intérieur du Dieu unique ?


Par d'autres textes encore, je prends l'Epître aux Philippiens, ch. 2 : « Ayez dans vos cœurs les mêmes sentiments qui étaient dans le Christ Jésus qui, quoiqu'il fût Dieu, n'a pas gardé avec jalousie sa divinité, son égalité avec le Père. Mais il s'est anéanti, se faisant homme, obéissant jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix».


D'autres textes indiquent qu'il y a une troisième Personne, l'Esprit saint. Ainsi, par exemple, dans saint Luc, ch. 12, v. 11 : «Quand on vous conduira devant les synagogues, les magistrats et les autorités, ne cherchez pas avec inquiétude comment vous défendre ou que dire, car le Saint-Esprit vous enseignera au moment même ce qu'il faut dire ». Puis cette notion de l'Esprit saint va se préciser dans l'Epître aux Romains (ch. 8, v. 26): «L'Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous en des gémissements inénarrables, et Celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l'Esprit...»


Dans certains textes, vous avez l'affirmation simultanée des trois Personnes. D'abord lors du baptême de Jésus. Jean se refuse à le baptiser, s'excusant: c'est à lui à être baptisé, et Jésus dit: «Laisse faire, afin que tout justice s'accomplisse». Et lorsqu'il sort de l'eau, une voix se fait entendre du haut du ciel: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis mes complaisances ». Vous avez donc ici la voix du Père, le Fils bien-aimé, et l'Esprit sous l'apparition de cette colombe mystérieuse que les peintres, dès le début du XVe siècle, essaient de représenter, en particulier Le Greco dans le tableau de la mort du Christ.


Au ch. 17 de saint Matthieu, c'est le récit de la Transfiguration, avec la nuée - la gloire de Dieu représentant la descente de l'Esprit, et le Père qui dit, comme au Baptême: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis mes complaisances», mais en ajoutant : « Ecoutez-le ».


Puis, à la fin de saint Matthieu, c'est la promulgation de notre baptême : « Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Voici que je suis avec vous tous les jours...» C'est une affirmation extrêmement nette des trois Personnes divines. Lors du baptême de Jésus, vous avez l'humanité du Sauveur, la Voix qui descend sur lui, et la Colombe tout cela est très mystérieux : on voit bien qu'il y a un Père, un Fils, et puis cette colombe ; il y a trois réalités, mais est-ce trois Personnes divines, égales? Ce n'est pas encore dit, tout cela est encore enveloppé d'images très obscures qui devront être déchiffrées. Pour expliquer aux petits enfants la Trinité, on peut bien les conduire devant un tableau représentant le baptême de Jésus ; c'est une initiation, ce n'est pas faux bien sûr, cela contient des choses... mais dans un brouillard et il faudra les expliciter. Tandis qu'à notre baptême, c'est tout autre chose : Jésus entrant dans le baptême de Jean vient sanctifier l'eau en vertu de laquelle seront baptisés tous ses disciples dans la suite des temps : «Baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit». "Au nom": le nom c'est l'essence, la puissance. Toute l'ombre de la Trinité descend sur le petit enfant qu'on baptise. Vous avez là une révélation, non seulement du baptême, mais de l'action suprême de la Trinité tout entière, d'un seul coup, avec déjà une désignation, ces mots mystérieux: Père, Fils et Esprit.


Il y a les grandes affirmations du chapitre 14 de saint Jean, vv. 13-15. Vers la fin de sa vie, ayant pu manifester davantage qui il était, Jésus va parler de son départ vers le Père. Pour qu'ils ne soient pas abandonnés, lui qui était le Consolateur, il leur enverra un autre Consolateur, qui sera l'Esprit saint. Nous sommes sur le même plan. «Tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai. » Est-ce qu'ils se rendent compte de tout ce qu'annonce cette parole? «Si vous me demandez quelque chose en mon nom, je le ferai.» Si je demande au Père, je demande à Jésus, une chose que je désire, Jésus la fera en moi. Tout de suite après vous avez : « Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements. Et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet », c'est-à-dire un autre Intercesseur, un autre Médiateur. .. - le mot est trop riche, c'est pour cela qu'on a gardé le terme grec - une autre Personne qui continuera de vous dispenser tous les trésors que je vous ai apportés. Un autre Paraclet - donc lui-même était le premier Paraclet - «pour être avec vous à jamais, l'Esprit de Vérité, que le monde ne peut recevoir ».


Au ch. 15, v. 26: «Quand viendra le Paraclet, que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père, il me rendra témoignage ».


Au ch. 16, v. 7: «Parce que je vous ai annoncé mon départ, dit Jésus, la tristesse remplit vos cœurs. Pourtant je vous dis la vérité: il vaut mieux pour vous que je parte ; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas à vous. Mais si je pars, je vous l'enverrai. Et quand il viendra... » II fallait d'abord que le Père fût connu, puis le Fils, qui, une fois connu, peut repartir; et il enverra, à Pentecôte, la troisième Personne, le Saint-Esprit, qui elle aussi doit être connue.


Nous touchons maintenant le sommet des révélations des formules trinitaires : il y a un seul Dieu en trois Personnes, et, avec la plénitude de la Révélation, le christianisme apparaît. Qu'un historien considère l'histoire de l'humanité, même d'un point de vue seulement extérieur, il voit bien que quelque chose d'absolument neuf est entré dans le monde. Renan, lui-même, dans la Vie de Jésus qu'il a écrite "pour le peuple" commence ainsi: «L'élément capital de l'histoire du monde, c'est la révolution par laquelle une noble portion de l'humanité a passé des anciennes religions comprises sous le nom vague de paganisme à une religion fondée sur l'unité divine, la Trinité, l'incarnation du Fils de Dieu ».


Voilà donc le fait extérieur. Maintenant, intérieurement que s'est-il passé? On a souvent parlé du miracle grec au point de vue de l'art, cette apparition tout à coup de la splendeur de la Grèce antique. Cela a pu être contesté, il y a en tout cas quelque chose. Mais ici il s'agit de quelque chose de bien plus grand: un miracle en ce sens que pendant près de deux mille ans, Dieu avait fait répéter à son peuple, chaque jour : « Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique », et que tout à coup, tout en restant Dieu unique, il se nomme Père, Fils et Esprit. Et cela ne brise pas l'unité divine en trois morceaux, en trois Dieux, ce qui serait un polythéisme; c'est le Dieu un qui s'éclôt en trois Personnes divines.


Pour aider notre imagination, on peut prendre la comparaison de Nicolas de Flüe s'entretenant avec le Pèlerin de Nuremberg. C'était un pèlerin merveilleux, qui avait compris la grandeur de l'Ermite. Quand il le voit arriver, Nicolas lui demande : «Qu'est-ce que tu penses de Dieu?» Et le Pèlerin répond : « Oh, il est tellement grand que je le remercierai toujours de m'avoir créé. Même si un jour il devait me condamner, je le remercierais encore de m'avoir créé, parce qu'il me permettrait de manifester sa justice». Alors Nicolas, voyant à qui il avait affaire, lui explique la Trinité au moyen d'une de ces petites images que les peintres avaient à illustrer pour signifier un mystère. Il s'agissait d'un cercle, et Nicolas explique: mettez sur la circonférence trois points séparés par une distance égale. Le cercle appartient tout entier au point 1, tout entier au point 2, tout entier au point 3 ; les trois points n'ont pas divisé le cercle en trois parts. Mettez maintenant à la place du cercle l'Essence divine, l'Eternité divine, la Puissance divine, l'Intelligence, l'Amour... tout cela appartient tout entier au Père, tout entier au Fils, tout entier au Saint-Esprit. Donc pas de trithéisme. Il suffit, pour vous préserver de cette idée, que vous gardiez l'image du cercle de Nicolas de Flüe ; elle est toute simple.


Mais il est une autre tentation que le trithéisme, c'est de dire : le Père, le Fils et le Saint-Esprit sont trois manières de nommer la même Personne divine. Il n'y a qu'une seule Personne, un seul Principe de toutes choses : c'est le monarchianisme. Mais quand vous considérez ce que cette unique Personne a fait en dehors d'elle, vous l'appelez Père parce qu'elle a créé le monde, Fils parce qu'elle a été envoyée au secours du monde, et Esprit saint comme sanctificatrice du monde. Vous avez ce qu'on appelle alors le modalisme, c'est-à-dire que suivant les modes d'agir de Dieu dans l'univers, on lui donne les noms de Père, de Fils ou d'Esprit; mais en eux-mêmes ces noms ne correspondent plus à aucune distinction réelle. De même qu'en lui s'évanouissent les distinctions entre Beauté, Bonté, Etre, Amour... tous ces attributs divins portés à l'incandescence, fusionnant à la manière dont les rayons du spectre fusionnent dans l'unique lumière blanche - de même on dira qu'à l'intérieur de Dieu les noms de Père, Fils et Esprit fusionnent, qu'il n'y a pas de distinction réelle entre eux. Donc une seule Personne en Dieu.


Quelle est la réponse? Le Père étant celui qui donne, le fils celui qui reçoit, celui qui donne peut-il être en même temps celui qui reçoit ? Non, diront tout de suite les Pères grecs, c'est impossible. Si donc ces mots père et fils sont transportés en Dieu, ils ne le sont pas comme identifiés, comme fusionnant: le Père et le Fils éternellement sont Père et Fils, l'un donnant toute sa divinité, l'autre recevant cette même divinité. La même essence divine qui appartient tout entière au Père et tout entière au Fils, appartient au Père comme la communiquant, et au Fils comme la recevant et la restituant en même temps au Père. Vous évitez alors le trithéisme et le modalisme.


Pour finir, je voudrais vous lire la Prière à la Trinité de Sœur Elisabeth de la Trinité. C'est le 21 novembre 1904 qu'elle l'avait écrite. Cette prière, trouvée dans ses papiers après sa mort, est maintenant célèbre :


«O mon Dieu, Trinité que j'adore, aidez-moi à m'oublier entièrement pour m'établir en vous, immobile et paisible, comme si déjà mon âme était dans l'éternité ; que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m'emporte plus loin dans la profondeur de votre mystère !


« Pacifiez mon âme ; faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos ; que je ne vous y laisse jamais seul, mais que je sois là tout entière, toute éveillée en ma foi, toute adorante, toute livrée à votre action créatrice.


«O Verbe éternel, Parole de mon Dieu, je veux passer ma vie à vous écouter, je veux me faire toute enseignable, afin d'apprendre tout de vous; puis, à travers toutes les nuits, tous les vides, toutes les impuissances, je veux vous fixer toujours et demeurer sous votre grande lumière ; ô mon Astre aimé, fascinez-moi pour que je ne puisse plus sortir de votre rayonnement.


«O Feu consumant, Esprit d'amour, survenez en moi, afin qu'il se fasse en mon âme comme une Incarnation du Verbe.


« O mes "Trois", mon tout, ma béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à vous comme une proie, ensevelissez-vous en moi pour que je m'ensevelisse en vous, en attendant d'aller contempler en votre lumière l'abîme de vos grandeurs.

« Ainsi soit-il. »


IV. LA THEOLOGIE DU MYSTERE DE LA TRINITE

Je voudrais maintenant essayer d'entrer - mais comme il faut le faire, c'est-à-dire en tremblant dans la théologie du mystère de la Trinité. Comme une approche que tous les théologiens, tous les Pères de l'Eglise, tous les saints désirent, chacun avec ce qu'il y a en lui de possibilités : non seulement celles de leur cœur, mais aussi celles de leur intelligence. Cette approche doit toujours se faire dans le prosternement de l'être tout entier, dans la conviction que la connaissance d'un peu de ces grandes choses a plus de prix que celle de toute l'universalité des choses inférieures.


C'est le mystère que l'on annonce aux petits enfants, celui de trois Personnes possédant ensemble, ex-aequo, une seule et même essence divine, infinie. Qu'est-ce qu'une Personne? C'est un "moi", un "je", un "quelqu'un". Si donc on dit qu'il y a trois Personnes en Dieu, cela signifie que trois "Moi", trois "Je", trois "Quelqu'un" possèdent identiquement la même nature, la même essence, la même éternité : possèdent en commun l'Absolu divin.


Mais tout de suite nous achoppons sur le mystère : trois personnes possédant ensemble la même nature, cela ne se voit jamais ici-bas. D'immenses difficultés vont être soulevées dès le début du christianisme par des gens qui étaient certainement de grands esprits, qui connaissaient, désiraient accepter l'Evangile, mais qui voulaient le servir en effaçant de son contenu ce qu'ils interprétaient comme une contradiction, à savoir une multiplication en Dieu qui est unique.


Pour éluder ce mystère de trois "Quelqu'un" possédant ensemble la même nature divine, vont surgir deux "fuites", deux manières de rationaliser, de façon à ne pas prêcher aux païens des choses leur apparaissant dès le premier regard comme folles, inintelligibles et contradictoires. Pour sauver la Révélation chrétienne, on va la rendre acceptable à la raison humaine, en la libérant de l'aspérité de ses mystères, de cette transcendance qui ouvre le cœur.


Ces deux manières de rationaliser, ces deux voies, je les ai déjà indiquées sommairement.


La première de ces manières de rationaliser est apparue vers l'an 200, c'est le modalisme, dont le représentant le plus important sera Sabellius : il ne peut y avoir pluralité à l'intérieur de l'Absolu ; car alors l'un des termes, pour se différencier de l'autre, devrait posséder quelque chose que ce dernier ne posséderait pas ; par conséquent, ni l'un ni l'autre ne serait l'Absolu. L'Absolu unifie et résorbe tout. Donc, si on parle de trois en Dieu, le Père, le Fils, l'Esprit, s'il y a trois réalités, elles ne peuvent pas être distinctes réellement entre elles, ce sont seulement des modes de désigner la même Personne unique et absolue à partir de ses effets hors de la divinité, dans le monde. Ces erreurs issues du modalisme se reproduisent toujours à travers les âges, parce que l'esprit vient buter contre des difficultés qui sont éternelles, et qu'il essaie toujours de les éluder par les mêmes voies, en termes qui diffèrent suivant les civilisations. C'est ainsi que vous retrouverez le modalisme dans la grande philosophie panthéiste allemande, de Fichte par exemple.


Là contre, l'Eglise affirme trois Personnes réellement distinctes à l'intérieur de la divinité. Comment expliquer cela ? Avant toute explication, l'Eglise lève sur la Révélation divine, si obscure qu'elle lui paraisse, un regard de foi en la transcendance du mystère de Dieu. Elle accepte que cela est; ensuite on essayera d'expliquer le comment. Mais on n'accommodera pas la transcendance de la Vérité divine à l'esprit d'une époque - qui serait d'ailleurs assez vite contredit par l'esprit de l'époque suivante - pour être repris et contredit indéfiniment. Ce serait rabaisser toutes les grandeurs divines pour les mettre au plan des choses humaines, dissoudre le sel dans l'eau.


La seconde voie pour essayer de rationaliser le mystère de la Trinité est celle de l'arianisme. Elle est un peu postérieure. Arius était un prêtre d'Alexandrie, très brillant, certainement plus que son évêque. On ne peut pas, se dit-il, annoncer aux Gentils un christianisme contenant des contradictions. Si vous dites que le Père est Dieu et que le Fils est Dieu, vous avez deux Dieux et vous retombez dans ce polythéisme contre lequel il a tant fallu se battre. La Révélation divine, pendant près de deux mille ans, a répété au peuple juif: «Le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique». Alors il faut dire que Dieu, dans le ciel, a un Fils qui procède de lui, qu'il a engendré, mais ce Fils n'est pas Dieu, c'est la plus haute des créatures. Il est appelé Dieu, à la manière de la plus splendide des créatures.


On rejoignait alors un système intellectuel contemporain : la gnose. Pour expliquer la coexistence d'un Dieu infiniment bon et du mal dans le monde, on imaginait que Dieu avait créé une première créature, extraordinairement splendide, laquelle en avait créé une deuxième, moins belle, qui à son tour en avait créé une troisième, moins belle... et peu à peu s'était opérée la dégradation, en sorte que finalement nous arrivons à un monde où se trouve beaucoup de bien, mais mêlé à beaucoup de mal. Alors en disant: le Dieu révélé de l'Ecriture c'est le Père, qui a envoyé son Fils, lequel est la première et la plus splendide des créatures, on se rendait accessible à F "intelligentsia" païenne de ce temps-là, à qui on expliquait : vous acceptez le système des gnoses ; eh bien, l'être créé le plus beau, c'est celui-là qui est apparu au milieu de nous en Jésus. Dans cette conception, il y a bien une génération en Dieu, mais elle est extérieure à Dieu, et non pas à l'intérieur de la divinité. Et l'on explique aux chrétiens que c'est la seule interprétation possible de l'Evangile. Jésus dit de lui-même : «Le Père est plus grand que moi», vous voyez donc bien qu'il n'est pas Dieu ! Et puis, à maintes reprises, il prie son Père : s'il était Dieu, il ne prierait pas, car Dieu ne prie pas, il exauce ! Et vous voyez Jésus sur la croix s'écrier: «Mon Dieu! mon Dieu! pourquoi m'as-tu abandonné?» Par conséquent, pour sauver tout l'Evangile, il n'y a pas d'autre possibilité que d'accepter l'arianisme !


Mais cela est fuir la transcendance du mystère : un seul Dieu en trois Personnes divines, égales, coéter-nelles, co-subsistantes. Il faut l'accepter même si cela va contre la culture du temps. C'est vrai, c'est une folie. C'est quelque chose qui écartèle la raison, mais pour faire entrer en elle quelque chose de plus grand qu'elle. Je ne dis pas que cela contredit la raison; mais alors qu'elle allait clore son univers spirituel sur elle-même, faire son Parthénon clos, vient l'ouverture; elle n'est pas brisée, mais elle reste comme interdite en présence d'un mystère qui la dépasse. C'est là que trouve son application la parole de Pascal: «La dernière démarche de la raison est de croire qu'il y a une quantité de choses qui la dépassent». Que la raison alors se soumette! En se soumettant à ces grandeurs, elle grandit.


Quelle était donc en forme l'objection des Ariens ? Deux identiques à un même troisième, disaient-ils, sont identiques entre eux. Si A est identique à X, et B identique à X, cela veut dire que A est identique à B. Si donc le Père est Dieu, identique à Dieu, si le Fils est Dieu, identique à Dieu, le Père est identique au Fils. L'objection paraissait imbrisable. Et pourtant elle ne l'était pas. Aristote, un métaphysicien païen, avait dit, quatre cents ans auparavant: «Il n'est pas toujours vrai que deux identiques à un même troisième sont identiques entre eux, précisément lorsqu'il y a entre le premier et le second terme une opposition de relation. L'exemple qu'il prenait est très simple : la route qui va de Thèbes à Athènes et celle qui va d'Athènes à Thèbes, c'est identiquement la même route. Mais si vous la considérez comme partant de Thèbes et arrivant à Athènes, vous ne pourrez pas dire que le départ à partir de Thèbes est identique à l'arrivée à Athènes. Il y a un terme d'où part la réalité, et un terme où elle aboutit, et le terme où elle aboutit est distinct du point d'où elle part. Donc, opposition de relation.


Ce type d'exemple que prenait Aristote dans l'ordre des choses visibles va pouvoir être transposé, en sorte que ces tout grands que sont saint Athanase puis les Pères cappadociens, saint Grégoire de Nazianze, saint Grégoire de Nysse et saint Basile, auront la réponse à donner aux Ariens : « O hommes très savants, leur dira saint Grégoire de Nazianze, le nom de Père n'est pas, comme vous le croyez, un nom d'essence, il désigne une relation : la relation du Père au Fils et du Fils au Père.


Si je disais : il y a trois Dieux et un Dieu ; ou bien : trois relations et une relation; ou bien: trois Personnes et une Personne, ce serait dans chaque cas une contradiction. Or Dieu ne nous donnera jamais à accepter une contradiction. Mais je dis : il y a trois "Moi" qui possèdent ensemble la même essence, et ces trois sont opposés l'un à l'autre, d'une opposition de relation. Dans la Trinité il faut dire que le Père est autre que le Fils, le Fils autre que le Père, et l'Esprit saint autre que chacun des deux. Mais il ne faut pas dire que le Fils est une autre réalité que le Père, le Père une autre réalité que le Fils, et l'Esprit encore une autre réalité. En latin, il précise : il faut dire alius est Pater, alius est Filius, et non pas aliud est Pater, aliud Filius.


On peut reprendre maintenant l'image de saint Nicolas de Fllie, le cercle avec les trois points sur la circonférence. L'essence divine représentée par le cercle appartient totalement au Père, totalement au Fils, totalement à l'Esprit saint, sans être divisée. Le Père est toute l'essence divine comme la donnant au Fils, le Fils est toute l'essence divine comme la recevant du Père, et l'Esprit saint est toute l'essence divine reçue du Père et du Fils, et restituée intégralement.


Vous voyez ce mystère. Il peut arriver à chacun de nous de se heurter à quelque mystère de la vie chrétienne, de cet ordre-là ou un autre, jusqu'à celui de la mort qui viendra à un moment donné. Toujours, viendront des moments où l'homme devra être brisé d'une manière ou d'une autre, pour être placé dans la situation de devoir faire acte d'acceptation. C'est ce qu'il y a de plus précieux au monde, c'est ce que j'appelle une démission de soi-même devant la grandeur de Dieu. Même quand l'homme ne comprend pas, s'il accepte il sait que ce n'est pas à une contradiction qu'il dit "oui". Mon Dieu, je remets mon intelligence... je remets ma vie entre vos mains.


Pour entrer un peu dans l'intelligence de ces choses-là, je vais tout d'abord, comme introduction, vous lire la Prière de saint Augustin. Il a écrit sur la Trinité un traité de quinze livres... tout en écrivant d'autres choses, car il bataillait sur tous les plans et avec une telle hauteur de vue ! Il est postérieur aux Pères cappadociens et au concile de Nicée, où sera définie la consubstantialité du Père et du Fils, « Dieu de Dieu, Lumière de Lumière, vrai Dieu de vrai Dieu, engendré non créé... par qui tout a été fait». La définition du concile de Nicée a été reprise par celui de Constantinople en 381. Saint Augustin, pour répondre aux questions qui lui sont posées, dispose donc de toute la mise au point des Pères grecs. Il trouve des images pour expliquer comment nous poumons ouvrir une porte sur l'horizon au bout duquel se tient cachée la Trinité. Si nous avons une intelligence, pourquoi ne chercherait-elle pas à entrer dans la profondeur par toutes les portes qu'elle peut ouvrir? C'est ce qu'exprimé si bien cette prière de saint Augustin :


«Seigneur notre Dieu, nous croyons en toi, Père, Fils et Esprit saint, car la Vérité n'eût pas dit : Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit si tu n'étais pas Trinité. Seigneur, Dieu, tu n'aurais pas ordonné que nous fussions baptisés au nom de ce qui n'est pas le Seigneur Dieu. Nous sommes baptisés dans les trois Personnes, nous sommes baptisés dans un seul Dieu : Ecoute, Israël, le Seigneur ton Dieu est un Dieu unique.


«Autant que j'ai pu, autant que m'as donné de le pouvoir, je t'ai cherché; j'ai désiré voir par l'intelligence ce que je croyais ; j'ai beaucoup étudié et beaucoup peiné. Seigneur mon Dieu, mon unique espérance, exauce-moi de peur que, par lassitude, je ne veuille plus te chercher, mais fais que toujours je cherche ardemment ta face. O toi, donne-moi la force de te chercher, toi qui m'as fait te trouver et qui m'as donné l'espoir de te trouver de plus en plus.

« Devant toi est ma force et ma faiblesse. Garde ma force, guéris ma faiblesse. Devant toi est ma science et mon ignorance: là où tu m'as ouvert, accueille-moi quand je veux entrer; là où tu m'as fermé, ouvre-moi quand je viens frapper. Que ce soit de toi que je me souvienne, toi que je comprenne, toi que j'aime ! Augmente en moi ces trois dons, jusqu'à ce que tu m'aies reformé tout entier...


«Quand nous t'aurons atteint, cesseront ces paroles que nous multiplions sans t'atteindre. Tu demeureras seul tout en tous. Nous ne dirons sans fin qu'un seul mot, te louant d'un seul mouvement et ne faisant nous aussi qu'un seul tout en toi. Seigneur, Dieu unique, Dieu Trinité, tout ce que j'ai dit dans ces livres et qui me vient de toi, que les tiens le reconnaissent. Et si quelque chose vient de moi, toi et les tiens, pardonne-le moi. Amen. »

Voilà donc dans quel esprit saint Augustin cherche, va proposer les voies d'accès à la Trinité que je vais vous résumer.

Je vous fais d'abord remarquer que le mot "Trinité" est composé de deux mots : "trois" et "un". Cet assemblage se trouvera dans certaines circonstances de la vie. Je prends tout d'abord trois frères s'aimant beaucoup, dont on pourrait dire qu'ils ont le même cœur. On voit bien qu'ils sont trois ; on voit aussi qu'ils sont un par la communauté du sang, par celle, plus grande, de l'affection; vous pourriez encore ajouter la communauté de la culture s'ils mettent en commun toutes leurs acquisitions dans ce domaine. Du fait qu'ils possèdent ensemble la même richesse, leur unité est devenue plus forte. Vous aviez d'abord trois sujets avec une unité fragile, menacée ; mais quand un trésor commun les unit, vous voyez l'unité s'intensifier, alors que le nombre trois n'est cependant pas touché.


Eh bien, en passant à la limite, vous aurez toujours trois sujets distincts, trois personnes, trois "moi", avec une unité qui grandit, grandit... mais qui jamais n'arrivera à donner aux trois frères dont je vous parlais une même existence. Si l'un meurt, les autres continuent de vivre. Même quand on s'aime du plus grand amour, il est impossible qu'une créature communique à une autre son existence : je peux donner ma vie pour un autre, mais je perds la mienne et lui garde la sienne. Une existence humaine ne peut pas être communiquée à trois personnes distinctes. Une maman qui voudrait donner sa vie pour son enfant, ne le peut pas ; ce n'est pas de l'égoïsme, c'est constitutif, ontologique. Une créature a sa part d'existence pour elle-même, et si cette part d'existence disparaît, elle disparaît aussi comme personne. Existence finie, incommunicable, parce qu'il s'agit d'une créature.


Mais si on fait le saut, qui est un passage à la limite, du créé à l'Incréé, alors l'existence absolue de Dieu est communicable à chacun des trois "Moi", des trois "Je" divins. En sorte que le Père a l'existence infinie, le Fils l'existence infinie, l'Esprit saint l'existence infime. Ils communiquent par cette unique identité dans l'existence. Il y a ce qu'on appelle la circumincession des Personnes, c'est-à-dire l'intercommunication des Personnes dans cette unique existence infinie qui est l'Absolu. J'ai gardé le mot "trois", j'ai gardé le mot "un", que j'ai renforcé jusqu'à porter l'unité d'être à l'Absolu. Alors je débouche sur la Trinité.


Dans les quinze livres que saint Augustin a écrits sur la Trinité, il se sert beaucoup d'images pour essayer d'illustrer ce qu'il veut démontrer, mais c'est toujours la même intuition. Il étudie tout d'abord en quoi consiste la vie d'un esprit, mais il partira d'en haut: l'Ecriture nous dit que Dieu est Esprit, c'est la parole de Jésus à la Samaritaine : « Dieu est Esprit, et quiconque veut l'adorer doit l'adorer en esprit et en vérité». Voyons alors en quoi consiste la vie d'un esprit, par opposition avec la vie d'une réalité corporelle, végétale ou animale.


Il est un esprit qui nous est proche, qu'on peut essayer de déchiffrer, c'est l'âme humaine. Sa vie se distingue de celle des végétaux et des animaux qui consiste à se nourrir et à se reproduire. Ce qui distingue l'homme du monde végétal et de l'animalité, c'est qu'il est esprit, c'est-à-dire une réalité, un "moi", un "je", un "quelqu'un" qui peut penser, penser aux choses spirituelles: justice, vérité, beauté... et aimer. Voyons comment traduire cela quand nous regardons les choses de près.


Si je vous dis : "Pensez à l'être que vous aimez le plus", et que vous faites ce que je vous demande, tout de suite vous avez suscité en vous l'image de cet être. Vous avez produit à l'intérieur de vous-même le concept, la notion de cet être, en sorte qu'il vous est impossible de penser à lui sans que votre pensée se fasse entre deux termes : il y a vous, puis ce terme-là qui surgit au milieu de vous, que vous avez enfanté dans votre esprit, que vous avez conçu. Si vous voulez me dire qui est cet être, vous prononcerez au-dehors une parole sonore, mais qui n'est que l'écho d'une parole spirituelle à l'intérieur de vous-mêmes, la fille de votre pensée : vous l'avez enfantée, engendrée.


Alors, dit saint Augustin, s'il y a en Dieu un Verbe, une Parole intérieure, un Logos - c'est le mot grec -ce n'est pas étonnant. Dieu est l'Intelligence : si donc Dieu intellige, il doit susciter à l'intérieur de lui-même un Verbe, une Parole intérieure, qui, bien sûr, au lieu d'être, comme nos paroles intérieures, une modification passagère de notre intelligence, sera en Dieu identique à son essence.

Voilà Dieu qui pense, et en pensant il engendre, conçoit, enfante une Parole intérieure, ce qui vous donne le mot Verbe. Mais concevoir, enfanter, vous donne aussi le mot Fils. Vous avez ainsi les deux mots par lesquels est désignée la seconde Personne de la Trinité.


Continuons maintenant dans le champ d'investigation de ce qu'est la vie d'une personne humaine: penser et aimer. Je vous ai suggéré il y a un instant de penser à l'être que vous aimez le plus. En plus de cette image ainsi suscitée, je suis sûr qu'il s'est produit en vous quelque chose encore : un mouvement d'amour s'est déclenché. Et ce mouvement d'amour, c'est étrange, est comme un poids qui vous tire vers cet être dont vous avez suscité la pensée en vous-mêmes. Et voilà de nouveau un mystère : c'est que ce poids d'amour est comme un terme qui vous tire vers l'être aimé, vous arrachant à vous-même. L'être aimé est transporté à l'intérieur de celui qui aime, mais le tirant à lui. Par conséquent, impossible pour une personne humaine de penser et d'aimer sinon à l'intérieur de trois termes: le "quelqu'un", le "je" qui pense; le verbe, le "concept" (concept vient de concevoir) ; le "poids d'amour" à l'intérieur de celui qui aime, qui l'arrache à soi-même pour esquisser un mouvement de départ vers lui. Trois termes distincts et une seule vie spirituelle.


Les choses de l'amour sont très difficiles à expliquer en termes d'intelligence: on manque de mots. Ainsi le mot amour signifiera à la foi le mouvement et l'acte d'amour d'une part, le poids qui me tire et le terme de cet amour d'autre part. Un seul mot pour dire l'acte et le terme. Tandis que le mot pensée signifiera aussi bien et l'acte et le terme, mais j'ai d'autres mots encore pour parler du terme: parole intérieure, concept, notion, idée... Le langage de l'intelligence peut s'exprimer plus facilement que celui de l'amour. Pour désigner le troisième terme, j'ai amour-tendance et amour-poids, ce poids que crée en moi l'amour. Saint Augustin a une jolie image: «Montre un rameau vert à une chèvre, montre des noix à un petit enfant, tu les tires où tu veux. Par quels liens ? Les liens du cœur».


Ce poids de l'amour, quelles sont ses origines? Vient-il du "moi", du "quelqu'un", de la personne directement ? ou bien vient-il du "moi" pensant à cet être que j'aime, en sorte que le troisième terme sort, procède de l'un et de l'autre à la fois, simultanément? Impossible d'aimer un être sans d'abord être soi-même et sans penser à lui. Il faut que je sois pensant à lui, et de là, comme d'un seul principe, sort l'amour et le poids de l'amour. Par conséquent, la troisième Personne, dans la Trinité, si elle existe, doit procéder de la première et de la seconde Personne, du Père et du Fils, ou du Père par le Fils, formule que préfèrent les Orientaux.


Ainsi donc Dieu étant Esprit - c'est Jésus qui le dit - il y a en lui Pensée et Amour, deux processions à l'intérieur de trois termes, de trois Personnes. J'ai prouvé la Trinité ? Alors je me suis trompé ! Car je vous ai dit qu'on ne pouvait pas la prouver, qu'elle était en-dessus de tout ce que l'intelligence humaine pouvait concevoir. Par conséquent, dans tout ce développement, quelque chose n'est pas net. Qu'est-ce que c'est?


Tout ce que je viens d'expliquer est vrai d'une personne créée, ange ou homme. Quand je vous dis : "Pensez à l'être que vous aimez le plus", pourquoi avez-vous besoin de susciter en vous cette notion? Parce que cet être est absent, ou déjà de l'autre côté des choses. Pourquoi dois-je susciter en moi un verbe? Parce que je suis fini et qu'il y a une absence en moi. En Dieu il n'y a pas d'absence. Il n'a pas à susciter l'idée de quelqu'un qui serait éloigné, il est l'Absolu. Pourquoi est-ce que l'amour est un poids qui me tire vers cette réalité ? Parce que je ne la possède pas encore, je désire m'approcher d'elle. Si je me sens mourir de soif et qu'on me dise : «il y a une source un peu plus loin», le fait d'apprendre son existence me redonne la force pour aller de l'avant afin d'assouvir mon désir. Parce que je manque. Donc tout ce que je vous ai dit est exact d'une vie spirituelle créée, mais non pas de Dieu qui est l'Absolu.


Ainsi, en Dieu, tout ce que je vous ai dit s'évanouirait, se résorberait dans l'unité s'il n'y avait pas la Révélation qui me dit : il y a à l'intérieur de Dieu une procession selon l'Intelligence, qui aboutit au Verbe distinct du Père, et il y a une procession d'Amour qui aboutit à un troisième terme qui est l'Esprit. Sans la Révélation, jamais je n'aurais osé porter ces choses-là à l'intérieur de Dieu ! Mais il y a une différence. Alors qu'ici-bas ces deux processions, ces trois termes sont dus à l'indigence de la vie spirituelle d'un être créé, en Dieu ils sont dus à sa surabondance.


Voilà donc la mise en place de saint Augustin. Je voudrais encore vous indiquer un dés enveloppement qui est très beau et moins difficile à expliquer. Moins difficile parce qu'il s'agit de la première procession, de la pensée, et que la pensée est transparente à elle-même, contrairement aux choses de l'amour, qui s'éprouvent mais sont comme obscures à elles-mêmes. Prenons donc la première procession, la procession du Verbe. On dit du Verbe qu'il est engendré. Voyons un peu ce que cela signifie. Prenons le concept de génération à l'étage créé, et nous passerons ensuite à l'étage incréé. Mais à l'étage créé, considérons d'abord l'ordre matériel, végétal ou animal - c'est la même chose - puis ensuite l'ordre spirituel.


Dans l'ordre végétal, quand un arbre qui fleurit commence à nouer son fruit, celui-ci est fermement attaché à l'arbre, et, à mesure que la sève monte et que le fruit se déploie, il se détache de plus en plus. Finalement arrivé à maturité, il se détache de soi-même et tombe, et c'est un autre arbre qui commencera si des graines s'enfouissent dans la terre. Saint Thomas a dégagé de cette observation une loi admirablement formulée : plus l'engendré est parfait, plus il se détache du générateur.


Dans la vie sensible, c'est pareil : le petit enfant est d'abord noué dans le sein de sa mère. Après sa naissance, il est encore tellement dépendant de sa mère qu'il ne pourrait vivre sans elle. Peu à peu, il se détache du "générateur", sera tourné vers l'avenir. Ainsi, dans l'ordre biologique également, plus l'engendré est parfait, plus il se détache du générateur.


Entrons maintenant dans l'ordre de la pensée. Je prends toujours le même exemple - inutile de les multiplier. Si je lis une pensée de Pascal, je crois la comprendre, mais est-ce que je la comprends autant que lui ? Non : elle reste inhérente à lui. Si je prends une parole de Jésus : « Bienheureux ceux qui pleurent car ils seront consolés», quel est le sens de cette parole? Je peux la comprendre déjà du simple point de vue humain: dans les larmes il peut y avoir comme une réponse... Mais si vous lisez ce que dit sainte Catherine de Sienne du don des larmes, vous vous apercevez qu'elle comprenait cela tellement plus profondément ! Et Jésus, alors, qu'a-t-il mis là-dedans ? Personne, jamais, ne le saura autant que lui. Ainsi, quand il s'agit d'une génération spirituelle, plus l'engendré est parfait, plus il reste inhérent au générateur.


Et quand on passera à Dieu, à la génération éternelle, on aura cette parole : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu». Vous voyez qu'en expliquant les étages de cette loi de la génération, je retrouve le commencement de l'Evangile de saint Jean.

Je voudrais finir par une prière de sainte Catherine de Sienne qui remonte au 14 février 1380, un peu avant sa mort, survenue à Rome le 29 avril de la même année :


«O Trinité éternelle, Trinité éternelle! O Feu ! O Abîme de charité ! O Dieu fou d'amour pour sa créature ! O Vérité éternelle ! O Feu éternel ! O Trinité éternelle, j'ai péché durant toute ma vie !


« O ! malheureuse, mon âme ! As-tu jamais eu un souvenir pour ton Dieu ? Non, sans doute, car si tu avais eu seulement une pensée pour lui, elle eût suffi à te faire consumer dans le brasier de la charité.


«O ! malheureuse, mon âme, tu n'as jamais eu le souvenir de ton Dieu, et n'as pu affermir ton cœur dans la véritable vertu !


«J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi !


« Vous, Déité éternelle, vous êtes la Vie, je suis la mort ! Vous êtes la Sagesse, moi la sottise ! Vous êtes la Lumière, et moi les ténèbres ! Vous êtes infinie, moi finie. Vous êtes le médecin, moi je suis infirme.


«Et qui pourra parvenir jusqu'à Vous, Altesse souveraine, Déité étemelle, pour vous remercier des bienfaits immenses et multiples dont vous nous avez comblés? Mais vous-même vous viendrez à nous avec votre lumière, que vous répandrez en quiconque voudra la recevoir, avec vos liens, par lesquels vous nous attachez, par lesquels vous vous attachez tous ceux qui se laisseront entraîner pour ne plus opposer de résistance à votre volonté.


«O Père si bon, ne tardez pas. Abaissez sur le monde le regard de votre miséricorde. »


Et puis, le 15 février :


« O Déité éternelle, ô insondable et éternelle Déité. O Amour incompréhensible ! Dans votre lumière j'ai vu la lumière. Dans votre lumière, j'ai connu la lumière. Dans votre lumière, on connaît la cause de la lumière et la cause des ténèbres.


«C'est vous qui êtes la Cause de la lumière, et nous la cause des ténèbres.


«J'ai péché, Seigneur, ayez pitié de moi ».


V.LA MISSION VISIBLE DU FILS

Ce que nous avons vu jusqu'à maintenant, c'est le plus important, le plus caché, le plus sublime : le mystère de cette Trinité éternelle que nous verrons un jour, et qui remplira nos cœurs au-delà même de ce qu'ils peuvent contenir, débordés qu'ils se sentiront par la splendeur de cette vision. Je voudrais maintenant essayer de redescendre à partir de la Trinité, en vous parlant de la mission visible du Fils.


Une des Personnes divines, le Verbe, Dieu dans l'éternité depuis toujours, dans la gloire et une béatitude infinie, va descendre dans notre misère. On pourrait parler de la plongée du Fils de Dieu dans les ténèbres, dans la tragédie et dans le sang. C'est ce qui nous est présenté à plusieurs reprises dans l'Ecriture.


Dans le Prologue de saint Jean : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu», puis : «Le Verbe s'est fait chair, il a habité parmi nous. Il est descendu dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont pas compris. Il est venu chez les siens, et les siens ne l'ont pas reçu» il n'est pas reçu et il est reçu, il n'est pas aimé et il est adoré - « à ceux qui l'ont reçu il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu ».


La même descente est signalée dans ce texte splen-dide aux Philippiens, ch. 2 : « Ayez dans vos cœurs les mêmes sentiments qui étaient dans le Christ Jésus, qui, quoiqu'il fût dans la condition de Dieu, ne l'a pas retenue avec jalousie ; mais il s'est anéanti, prenant la condition d'esclave, devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'est humilié plus encore, obéissant jusqu'à la mort, jusqu'à la mort de la croix ».


Vous voyez quelle signification va prendre cette "plongée" dans la tragédie humaine, si on sait que c'est celle du Fils de Dieu. Si on n'a pas précisé qui est Jésus, on a évanoui tout le sens de l'événement. Au principe de l'amour il y a une certitude. Je me souviens d'un professeur qui un jour me disait: «II n'est pas nécessaire de se poser des questions métaphysiques quant à la nature de Jésus, il suffit de l'aimer». J'ai répondu: «Mais l'amour vit de certitudes». Et ceci me rappelle un incident dramatique arrivé dans une clinique infantile: on avait oublié de numéroter des petits enfants qu'on avait emportés pour les vacciner, et voici qu'on ne savait plus à qui, dans chaque cas, ils devaient être rendus ! Fallait-il alors donner à n'importe quelle maman n'importe quel enfant? On ne sait pas bien si c'est le vôtre, mais faites comme si c'était le vôtre. Vous vous représentez à quels cris de protestation on se serait heurté ! Parce que l'amour a besoin de certitudes. J'aime saint François d'Assise, saint Paul, saint Jean... Bien sûr ! Mais pas comme Jésus !


Ce mystère de la Trinité, qui est le plus caché, c'est le plus important de tous. Il n'est pas nécessaire que chacun soit théologien, l'Eglise ne demande pas à chacun de tout savoir, seulement d'aller jusqu'où il peut... Il sera jugé selon la profondeur et l'intensité de l'amour de son pauvre cœur, au niveau où il aura pu le donner.


Pourquoi le Fils de Dieu est-il sorti du Père pour entrer ainsi dans la tragédie humaine ? Vous pouvez lire dans saint Jean, au ch. 16, v. 23 : «Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde. Maintenant je quitte le monde et je retourne au Père». Vient-il contre le gré de son Père ? Oh non : C'est le Père qui l'envoie. Plusieurs fois, dans saint Jean, vous trouvez ces mots-là: «le Père qui m'a envoyé». Ainsi au ch. 8, v. 16 : «Je ne suis pas seul ; il y a moi et celui qui m'a envoyé», c'est-à-dire le Père. Et au v. 42: «Si Dieu était votre Père vous m'aimeriez, car c'est de Dieu que je suis issu et que je viens ; je ne suis pas venu de moi-même, c'est lui qui m'a envoyé». Encore au ch. 20, v. 21, quand Jésus apparaît au soir de Pâques au Cénacle : «Comme le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie ».


Quelle est la signification profonde de ce mot "envoyé", "envoyer" dont le mot latin est mittere? On parlera de l'Eglise missionnaire, de missus, mission. Mais cela n'est qu'un contrecoup créé de cette chose dont je vous parle et qui est absolument extraordinaire, unique: une procession à l'intérieur de Dieu, par conséquent une Personne qui vient d'un eautre. Le Père ne sera jamais envoyé; c'est le Père qui envoie le Fils, et le Père et le Fils enverront l'Esprit saint. Cela suppose une procession éternelle. Le Père engendre de toute éternité le Fils par une activité essentielle, nécessaire, absolue, incoercible. Si vous supposiez le Père sans la génération, vous auriez saccagé la divinité. Dès que vous posez la divinité, la déité, elle ne peut pas ne pas être ce qu'elle est, le Père ne peut pas ne pas engendrer, comme une poussée, une marée, une vague infinie qui aboutit au Fils. Et le contrecoup de cette procession éternelle, c'est que le Fils va apparaître dans le monde d'une manière nouvelle, nécessaire pour qu'il y ait une mission. Donc procession éternelle dans le silence et l'indivisibilité du Dieu unique, puis apparition nouvelle quand le Fils va prendre une humanité, dans le sein de la Vierge Marie. Mais il ne s'agit plus, cette fois, d'un élan incoercible, mais libre. Le monde aurait pu ne jamais être, de même l'Incarnation. Pour ce contrecoup dans le temps de la procession éternelle, nous évoquons le jour de Noël, parce que l'Enfant est visible, mais en réalité c'est déjà antérieur: c'est le jour de l'Annonciation, au moment où la Vierge a répondu à l'Ange : «Je suis la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon ta parole», que s'accomplit cette mission visible du Verbe. Elle n'est alors connue que de la Vierge Marie ; elle le sera ensuite de sa cousine Elisabeth, le jour de la Visitation; puis viendra Noël, les "mystères joyeux"...


L'Annonciation, Noël, ce ne sont pas des mythes touchants de la candeur de l'enfance, il s'agit de choses absolument inouïes. C'est ce qui émerveille l'évangéliste saint Luc faisant le récit de l'Annonciation. Toutes les circonstances qu'il décrit sont là pour montrer ce choc, ce contraste entre l'Infini qui entre dans le fini, l'Esprit qui entre dans le sensible, l'Eternel qui entre dans le temps: «Le sixième mois, l'ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, appelée Nazareth - un endroit si petit et si humble pour l'accomplissement de si grandes choses ! - à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la vierge était Marie». Il n'en finit pas de circonstancier, c'est quelque chose de bouleversant.


Dieu envoie à la Vierge l'Ange qui la salue, lui dit qu'elle est bénie. A quelle profondeur elle est bénie, elle ne le sait pas encore. Elle ne se savait pas encore immaculée; cela, elle le comprendra au moment où Dieu lui proposera d'être la Mère de son Fils : voyant la sainteté exigée pour une mission aussi inénarrable, elle comprend que Dieu a voulu s'incarner dans un être qui fût préservé de toute atteinte du péché transmis, originel.


Alors l'Ange lui propose... avec cette délicatesse. Elle pose des questions : « Comment cela se fera-t-il, car je ne connais pas d'homme ? » Elle avait fait vœu de virginité ; mais pour couvrir ce vœu, parce qu'à ce moment-là on faisait pression dans le sens du mariage, elle était fiancée à Joseph. L'Ange lui répond: «L'Esprit saint viendra sur toi, et la puissance du Très Haut te prendra sous son ombre ; c'est pourquoi l'enfant sera saint et sera appelé fils de Dieu». Voilà donc l'"obombration" de la Vierge.


La Vierge dit alors: «Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre parole». C'est à ce moment-là que la Trinité tout entière forme dans son sein, avec son sang, la sainte humanité du Sauveur Jésus, en créant son âme spirituelle, immortelle. Mais la Trinité prend cette humanité du Sauveur pour en revêtir la seconde Personne, le Verbe éternel, en sorte que cette humanité est enracinée dans la seule Personne du Verbe. Le "Moi" de Jésus, le "Quelqu'un", le "Je" du Verbe possédait en commun avec le Père et le Saint-Esprit la divinité, la déité. Dès l'Incarnation, en plus de la divinité, il possède encore - en dessous, bien sûr, car elle n'ajoute rien à la splendeur de la divinité, pas plus que la lumière qui en dérive n'ajoute à la splendeur du soleil - la nature humaine, et il la possède pour toujours. Le Christ Jésus est donc une seule Personne subsistant en deux natures, l'une divine, l'autre humaine.


Quand vous pensez au petit enfant de Noël, il est touchant, bien sûr : tous les petits enfants sont fascinants. Mais le "Moi" qui est là, ce n'est pas celui d'un petit enfant comme les autres, c'est le "Moi" du Verbe éternel.


«Le Verbe s'est fait chair, et il a habité parmi nous. » Je reprends en redescendant ce que je disais lors des premiers entretiens en remontant: si on admet la divinité du Sauveur Jésus, on a la porte ouverte sur la Trinité. En partant cette fois de la Trinité, je dis : Le Père envoie le Fils, et le Fils prend une nature humaine. C'est Lui qui va nous dire qu'il est le Fils de Dieu, et que personne ne connaît le Père si ce n'est le Fils, et le Fils si ce n'est le Père. De toute éternité, l'envoi du Fils unique - après la création et la chute de l'homme - était décidé.


Alors vous avez dans le Sauveur Jésus, dans une seule Personne, deux natures totalement inégales. Fils de Dieu, il garde toujours la nature divine et la circumincession, sa présence par unité de nature aux deux autres Personnes. C'est en Lui seulement que s'enracine la nature humaine ; mais il y a le consentement, bien sûr, des deux autres Personnes.


Une Personne divine et deux natures. Un seul "Moi", un seul "Je", un seul "Quelqu'un" possédant à la fois depuis toujours l'être de la Déité, l'Etre infini ; et possédant encore une vie, une réalité, une nature humaine. On ne peut pas dire que la divinité, la nature divine, est venue au monde le jour de Noël ; mais on pourra dire : un Dieu, un de la Trinité, est venu au monde quant à sa nature humaine, a souffert, a prié. Car Jésus priera. Est-ce en tant que Dieu qu'il prie? C'est en tant qu'homme. Mais celui qui prie c'est Dieu, sa supplication sort de sa nature humaine vers son Père, vers la Trinité tout entière. Celui qui souffre, celui qui meurt sur la croix, c'est le Fils de Dieu, mais c'est dans sa nature humaine qu'il souffre et meurt. On ne pourra pas dire : la divinité est morte sur la croix, mais un de la Trinité est mort sur la croix dans sa nature humaine.


Vous avez ici l'explication de cette parole qu'objectaient les Ariens aux chrétiens : «Le Père est plus grand que moi » pour nier la divinité de Jésus. Oui, Jésus a dit : « Le Père est plus grand que moi », mais c'est en tant qu'il avait une nature humaine créée !

Quand il disait : « Père, pardonne leur... », il suppliait le Père qui est plus grand que lui considéré dans sa nature humaine. Mais en tant que Dieu il dit : « Moi et le Père nous sommes un ». A Philippe qui lui demande: «Montre-nous le Père», il répond: «Qui me voit, voit le Père». Il affirme en même temps son égalité absolue avec le Père, et que le Père est plus grand que lui. C'est le mystère de l'Incarnation, cette "plongée" du Fils éternel de Dieu dans la tragédie humaine. Chose adorable, qui scandalise tout le monde antique. Saint Paul, prêchant le Christ, et le Christ crucifié, dira : « Folie pour les Gentils et scandale pour les Juifs ».


Eh bien, vous avez compris maintenant ce beau mystère de l'Incarnation, qui fait que le même "Moi" soit à la fois Dieu égal au Père et homme suppliant. Fallait-il abandonner ce mystère aux pères du rationalisme, pour présenter une synthèse qui ne scandalise pas l'esprit du monde ? Non, il faut scandaliser le monde de cette manière-là, d'un scandale qui le libère en brisant les portes de sa prison.


Mais, encore une fois, je redescends maintenant de la Trinité. Comment pourrait-on nier, sachant de quoi il s'agit, les choses que je vous ai dites sur la Trinité, pour retomber dans le monde? Mais tout est suspendu à ce mystère inconcevable, ce nom pluriel du Dieu unique : Père, Fils et Esprit saint, ces trois mots étant comme le vase contenant un abîme d'une transcendance infinie, devant lequel on démissionne, et dans lequel est une paix suréminente ! Un seul Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto vous rendra la paix si vous l'avez perdue. Sœur Elisabeth de la Trinité demandait «qu'il s'ensevelisse en elle pour qu'elle s'ensevelisse en Lui », et sainte Catherine de Sienne l'invoquait: «O Trinité éternelle, char de feu, océan tranquille de la paix ! ».


Eh bien, il est venu au milieu de nous, le Verbe de vie, et on a pu le toucher :


« Ce qui était dès le commencement

ce que nous avons entendu

ce que nous avons vu de nos yeux

ce que nous avons contemplé

ce que nos mains ont touché du Verbe de vie,

voilà ce que nous vous annonçons

afin que vous aussi soyez en communion avec nous.

Quant à notre communion, elle est avec le Père

et avec son Fils Jésus-Christ» (1 Jn).


Quand la pécheresse dont parle saint Luc est venue aux pieds de Jésus, elle touchait le Verbe présent dans son humanité. C'est une présence absolument extraordinaire. Bien sûr, Dieu est partout par la présence de création et de conservation, aucun être ne subsiste dans l'univers que par la toute-puissance divine ; mais là où le Verbe s'est fait chair, en touchant son humanité, on est en contact immédiat avec Celui qui est Dieu.


Marie de Magdala, au matin de la résurrection, se jette à genoux aux pieds du Sauveur. Il lui dit: «Ne me touche pas, parce qu'il faut que j'aille à mon Père». Elle le touche à l'endroit de ses blessures. Il faudra le toucher à travers la Croix…


Eh bien, cette présence-là, «ce que nos mains ont touché du Verbe de vie», nous l'avons dans l'Eucharistie. C'est Lui qui est là. Il ne s'agit pas de pain représentant autre chose: c'est une présence immédiate du Verbe fait chair.


Une distinction est à faire. Dans l'Evangile, certains noms donnés à Dieu et qui désignent son essence, peuvent, dans certains cas, désigner aussi une Personne. Du même mot on dira alors qu'il est pris ou bien essentiellement, ou bien personnellement.


Ainsi du mot Sagesse. Il est évident que la Sagesse appartient à la divinité tout entière, à l'essence divine, au Père, au Fils et au Saint-Esprit ex-aequo -pensez au cercle dont je vous parlais. Le mot Sagesse dans cette perspective-là, est pris essentiellement. Mais comme le Père engendre le Fils qui est son Verbe, sa Parole intérieure, lumineuse Intelligence, on pourra appeler Sagesse la seconde Personne de la Trinité. Le Verbe est la Sagesse du Père. Le mot Sagesse est alors pris personnellement.


Il en est de même du mot Esprit. Dieu est Esprit. A la Samaritaine le Sauveur dira : «Dieu est Esprit, et il faut l'adorer en esprit et en vérité». Dieu est Esprit par opposition aux choses corporelles, Esprit infini par opposition aux anges qui sont des esprits créés. Qui est Esprit? Le Père, le Fils, le Saint-Esprit ex-aequo sont l'Esprit dans sa réalisation la plus sublime, la plus inénarrable, transcendante. Par conséquent, dans la parole dite par Jésus à la Samaritaine, le mot Esprit est pris dans son sens essentiel, comme désignant l'essence de Dieu. Et, vous le savez, le mot Esprit désigne la troisième Personne de la Trinité. Là je vous renvoie à la comparaison de saint Augustin : l'Esprit saint procédant de l'amour du Père et du Fils et étant son aboutissement, le mot "Esprit" qui le désigne est pris dans le sens personnel.


Un autre mot encore, qui pourra être pris essentiellement ou personnellement, c'est le mot Amour. Dans la Ière Epître de saint Jean, ch. 4, v. 8, vous avez: «Dieu est Amour». Là, ce mot désigne l'essence divine. Et l'on pourra prendre le mot Amour au sens personnel pour désigner la troisième Personne, parce qu'elle procède par voie d'amour et aboutit à ce poids qui est l'Amour.


VI. LA MISSION VISIBLE DE L'ESPRIT SAINT

Le plus haut sens qui puisse être donné au mot mission, c'est quand il s'agit de l'envoi des Personnes divines : le Père envoie le Fils. Plus tard, ici-bas, le Fils enverra ses apôtres : je vous envoie en mission. Et ainsi l'Eglise missionnaire sera le contrecoup, un corollaire créé de cette chose qui commence dans l'Incréé, à savoir une mission d'une Personne divine supposant une procession éternelle, puis une apparition, une nouvelle manière d'être, dans le temps.


Je voudrais vous dire un mot maintenant de la mission de l'Esprit saint. Cette mission sera annoncée dans des termes très mystérieux pour les apôtres : Jésus va leur dire, lui à qui toute leur espérance est suspendue : « II est bon pour vous que je m'en aille ». Et il ajoutera: «Si je ne m'en vais pas, l'Esprit ne viendra pas sur vous». Parole encore plus mystérieuse, que nous allons essayer d'éclairer un peu.


Le Christ va accomplir ici-bas sa mission. Il naît de la Vierge Marie. Il vit dans le silence, puis prêche au milieu des hommes pendant trois ans, enfin il va remonter au ciel ; et quand il mourra sur la croix, son avant-dernière parole sera: «Tout est consommé». Il a fait tout ce qu'il avait à faire comme Fils de Dieu incarné ; il n'y aura plus après que la résurrection, l'ascension, l'entrée dans la gloire, en sorte que sera accomplie la parole de saint Paul aux Philippiens : «II n'a pas gardé avec jalousie sa divinité, il s'est fait obéissant jusqu'à la mort, jusqu'à la mort de la croix. Et c'est pourquoi Dieu l'a exalté, lui a donné un Nom qui est au-dessus de tout nom». Il est descendu dans la tragédie et dans le sang ; il a fait toute la trajectoire qui lui était indiquée ; il est remonté au ciel.


Mais il a laissé ici-bas l'Eglise, son Eglise, qui est son Corps mystique, et qui devra continuer sa tâche, disons sa mission, sa prédication, son influence de sainteté. «Je suis venu pour rendre témoignage à la vérité», avait dit Jésus à Pilate; il faudra que quelqu'un continue ce témoignage à la vérité à travers les âges, et ce sera son Eglise, qu'il envoie. Mais comment pourrait-il l'envoyer sans la secourir? Il va la secourir en envoyant un autre - comment faudrait-il dire? - un autre Défenseur; le mot grec est Paraclet, qui veut dire Défenseur, Consolateur, Intercesseur... On ne sait comment traduire la plénitude de ce mot, et souvent on le laisse tel quel, parce que le traduire c'est ne donner qu'un des aspects. Et cet autre Paraclet qui viendra, il a nom l'Esprit saint. Jésus l'annonce. C'est surtout dans saint Jean qu'on trouve ces textes, ainsi au ch. 14, v. 15: «Si vous m'aimez, vous garderez mes commandements. Et je prierai le Père, et il vous donnera un autre Paraclet... ».


Le mot Paraclet est habituellement donné au Saint-Esprit, mais Jésus dit ici "un autre Paraclet". Le premier, c'était lui ; par conséquent le mot Paraclet signifie: celui qui vient à notre secours d'une manière extraordinaire et mystérieuse. Ainsi ce secours viendra en deux fois : une première fois c'est le Verbe, comme Tête de l'Eglise, pour apporter le salut au monde ; une seconde fois c'est l'Esprit saint, qu'il envoie du ciel à son Eglise: «Je prierai le Père... - il n'est pas étranger à la mission visible de l'Esprit saint - et il vous enverra un autre Paraclet, pour être avec vous à jamais, l'Esprit de vérité que le monde ne peut recevoir ».


Chapitre 14, v. 25 : «Je vous ai dit ces choses alors que je demeurais avec vous. Mais le Paraclet, l'Esprit saint, que le Père enverra en mon nom - vous voyez, il est toujours associé à l'envoi de la troisième Personne - vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit ».


Je vous disais : est-il possible d'éprouver un amour pour quelqu'un sans penser à lui ? Quand on pense à ce qui est beau, ou bon, l'amour est déclenché. Si vous supprimez la connaissance, l'amour est impossible, car on n'aime que ce que l'on connaît, au moins mystérieusement. En Dieu, si vous supprimiez la procession à partir du Fils, vous auriez un amour qui partirait sans lumière; il y a d'ailleurs dans l'Ecriture des textes encore plus précis montrant que l'Esprit vient du Père et du Fils, du Père par le Fils.


Toujours au ch. 14, v. 26, vous avez: «Le Paraclet, l'Esprit saint, que le Père enverra en mon nom, vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit» - avec, à la suite - «Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix, non pas comme le monde la donne... ».


Au ch. 15, v. 26: «Quand viendra le Paraclet, que je vous enverrai d'auprès du Père, l'Esprit de vérité qui procède du Père... »


C'est vrai qu'il procède du Père. Mais nous avons vu que le Père donne tout au Fils : si quelque chose vient du Père, puisqu'il a tout donné au Fils, cela ne peut être donné que par l'un et par l'autre simultanément, comme d'un seul Principe. C'est pourquoi on dira : l'Esprit saint procède du Père et du Fils, ou du Père par le Fils. Les deux formules ont le même sens : l'une montre mieux l'égalité des Personnes d'où procède l'Esprit; l'autre, l'unité du principe produisant la procession. «...Il me rendra témoignage. Et vous aussi vous me rendrez témoignage », parce que l'Esprit saint viendra en nous pour nous donner de témoigner pour Jésus.


Au ch. 16, v. 5 : «Je ne vous ai pas dit ces choses dès le commencement, parce que j'étais avec vous. Maintenant je vais à celui qui m'a envoyé, et aucun de vous ne me demande : où vas-tu ? Mais parce que je vous ai dit cela, la tristesse remplit vos cœurs. Pourtant je vous dis la vérité : il vaut mieux pour vous que je parte... ».


«Il vaut mieux que je parte. » C'est-à-dire qu'il va s'arracher à eux ; et ils devront le suivre par le désir du cœur là où il est remonté, auprès de son Père, en sorte que leur vie soit désormais aimantée par ce désir et vécue comme un passage. Il faudra se donner aux nécessités d'ici-bas avec amour et la plus grande attention possible, mais en ayant au fond du cœur comme une aspiration aux choses éternelles. Marie de l'Incarnation, ursuline, disait qu'au fond de son cœur, c'était comme deux bras qui s'ouvraient pour essayer d'embrasser son Sauveur. On ne méprise pas les choses d'ici-bas, elles viennent de Dieu, elles sont bénies, on éprouve une sorte de tendresse à l'égard de toutes ces choses qui passeront... mais on les traverse en sachant que la Patrie est ailleurs.


« ...Car si je ne pars pas... », voici une raison qui paraît encore plus mystérieuse : « le Paraclet ne viendra pas à vous. Mais si je pars, je vous l'enverrai». Qu'est-ce que cela signifie? Que les trois Personnes divines se manifestent à tour de rôle dans l'univers créé.


La toute-puissance appartient ex-aequo aux trois Personnes divines qui ensemble ont créé le monde. Il y a trois "créants", mais une seule puissance créatrice, c'est l'essence divine, Etre et Source de l'être. En latin on dira : très créantes et unus creator. Mais cette création, œuvre des trois Personnes divines ex-aequo, est attribuée, ou appropriée - c'est le mot technique - au Père. On dira: «Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre ». Par un usage qui se trouve dans l'Ecriture, on rattachera l'être et la puissance au Père, la sagesse et la lumière au Fils, l'amour à l'Esprit saint.


La seconde Personne va se manifester dans le monde par l'incarnation du Verbe. Mais ici il ne s'agit pas d'appropriation: on ne rattache pas l'humanité au Verbe comme on pourrait la rattacher à la Trinité qui l'a formée dans le sein de la Vierge Marie, car l'humanité du Sauveur est enracinée, immédiatement et en propre, dans la seule seconde Personne. Quand le Verbe a accompli la tâche qui lui a été assignée par le Père céleste, que « tout est consommé », il remonte au ciel ; et c'est alors qu'il promet de ne pas nous laisser orphelins et de nous envoyer un autre Consolateur, un autre Paraclet.


Le jour de Pentecôte, viendra la manifestation de l'Esprit saint, pour prendre la relève de l'œuvre que le Christ avait accomplie comme Chef de l'Eglise, la soulevant d'un souffle, d'un élan incoercible, qui la portera, à travers les siècles, jusqu'à la rencontre du Sauveur Jésus revenant dans sa gloire à la fin du monde. On pourra bien écraser l'Eglise dans un pays ou un autre, on ne pourra jamais écraser sa Tête, elle sera toujours présente sur la terre. Elle est plus forte que le monde, et, finalement, elle tirera le monde après elle dans la glorification. Pendant trente-trois ans le Christ a été sous le pressoir. Maintenant qu'il s'en est allé vers son Père, c'est à l'Eglise de prendre la relève. Elle sera à la fois dans le ciel à cause de l'Esprit saint qui l'habite, et sous le pressoir à cause des persécutions qui viendront l'assaillir sous des formes diverses, continues ; en sorte que saint Augustin pourra dire : «L'Eglise est en pèlerinage à travers les siècles, entre les persécutions des hommes et les consolations de Dieu. Et quand il viendra, il confondra le monde en matière de péché, de justice et de jugement».


«En matière de péché, parce qu'ils n'ont pas cru en moi. » Là où le Paraclet sera reçu, on croira au message de Jésus et à sa résurrection, et il sera manifesté alors que Jésus, quand il se disait Fils de Dieu, disait la vérité, et que ceux qui n'auront pas cru auront péché contre la vérité.


«En matière de justice, parce que je vais au Père et que vous ne me verrez plus. » II remonte près de son Père, et sa résurrection est le témoignage de l'authenticité de son message.


« En matière de jugement, parce que le Prince de ce monde est déjà jugé. » C'est-à-dire que quand viendra l'Esprit saint, il fera comprendre à tous ceux qui lui appartiennent le sens de la mission de Jésus : ce n'était pas un homme comme les autres ou un simple prophète, mais le Chef de l'Eglise qui tire après lui son Corps mystique.


Ainsi les trois Personnes divines sont évoquées à partir de l'histoire du monde: le Père comme Créateur - par appropriation - le Fils comme Sauveur, l'Esprit saint comme venant faire redéborder sur le monde, par sa pression si l'on peut dire, la grâce qui est en Jésus et constituer ainsi, là où elle sera reçue, l'Eglise, son Corps mystique. Car la grâce qu'apportera l'Esprit saint n'est pas autre chose que l'extravasion de la grâce qui était dans le cœur du Sauveur.


Il est un passage où le mot Paraclet est employé à propos de Jésus. Nous avons vu que Jésus lui-même dit : «Je vous enverrai un autre Paraclet». Mais, dans sa Ière Epître, ch. 2, vv. 1-2, c'est l'apôtre saint Jean qui donne à Jésus le nom de Paraclet: «Petits enfants, je vous écris pour que vous ne péchiez pas. Mais si quelqu'un vient à pécher, nous avons comme Paraclet - comme intercesseur, consolateur, défenseur, toute cette plénitude de mots...; nous avons comme plaidant notre cause, pour nous empêcher de désespérer, pour susciter en nous la confiance en Celui qui pardonne - nous avons comme Paraclet auprès du Père Jésus-Christ le juste ».


Vous voyez maintenant un peu le sens de cette seconde mission visible de l'Esprit saint, qui suppose donc une procession éternelle: depuis toujours le Père engendre le Verbe, et le Père et le Fils, par la même unité de principe, produisent, spirent l'Esprit saint. Duo spirantes, le Père et le Fils, qui produisent, comme totalement fusionnés, la troisième Personne, unus spirator.


L'Esprit saint s'était manifesté déjà avant le jour de Pentecôte. Il était venu, lors du baptême du Sauveur, comme une colombe; au moment de la Transfiguration, sous forme d'une nuée venant envahir les apôtres ; le soir de Pâques, il est le souffle que Jésus émet sur les apôtres. La mission visible de Pentecôte est celle qui va résumer toutes les précédentes.


Deux des quatre missions visibles ont été faites sur Jésus, mais ce n'était pas pour lui: la colombe du baptême descend sur lui non pour lui apporter quelque chose, mais pour montrer qu'il a en lui la source, la richesse qu'il va répandre sur son Eglise ; de même à la Transfiguration.


Vous connaissez l'apparition du jour de Pentecôte telle qu'elle est décrite dans les Actes des Apôtres : « Le jour de Pentecôte étant arrivé, ils se trouvaient tous ensemble dans un même lieu, quand, tout à coup, vint du ciel un bruit tel que celui d'un violent coup de vent, qui remplit toute la maison où ils se tenaient. Ils virent apparaître des langues qu'on eût dites de feu ; elles se divisaient, et il s'en posa une sur chacun d'eux».


Alors les apôtres, portés par une puissance qui les rend comme hors d'eux-mêmes, sortent et commencent à prêcher. Les gens pensent qu'ils sont ivres. Ils sont bien ivres, mais de quelle ivresse? Ce n'est pas celle des boissons, mais celle du Saint-Esprit. C'est Baudelaire, je crois, qui dit quelque chose comme cela: «L'homme ne peut vivre sans ivresse. Il lui faudra ou celle des narcotiques, ou celle du Saint-Esprit, pour porter la vie». En conscience, j'entends. Car on peut vivre comme des inconscients, s'étourdir par toutes sortes de ces moyens qui ne manquent pas de nos jours. Mais quand on ouvre les yeux sur la vie, contre la marée du mal il faudra quelque chose de plus puissant qu'elle, coexistant avec elle, caché par-dessous, et comme sortant de ses ombres.


Nous ne sommes pas ivres, c'est la troisième heure du jour, mais c'est bien ce qu'a dit le prophète : «.. Je répandrai de mon Esprit, et je ferai paraître des prodiges dans le ciel et des signes ici-bas sur la terre. Le soleil se changera en ténèbres et la lune en sang... » Le sens de toutes ces descriptions, dans l'Ancien testament, était d'annoncer le "Jour du Seigneur", et le "Jour du Seigneur" signifiait le Jour suprême, dont on pensait qu'il arriverait en une fois : quand viendrait le Messie, ce serait la fin du monde. Or il vient en deux fois: Jésus vient une première fois pour sauver le monde, mais déjà tout le bouleversement spirituel est présent. Ces pauvres descriptions du soleil qui se change en ténèbres et la lune en sang ne sont rien comparées à l'événement qui s'était produit au jour de l'Incarnation et à celui qui se produit maintenant au jour de Pentecôte, où la grâce apportée par le Sauveur Jésus va se déverser sur son Eglise. Il se produira bien, à la fin du monde, des bouleversements, mais ils ne seront que des corollaires matériels visibles de la puissance intérieure invisible de la grâce et de son éclatement. C'est pourquoi, dit saint Pierre, c'est maintenant le Jour du Seigneur annoncé par les bouleversements cosmiques que prédisait le Prophète ; c'est maintenant, avec l'Incarnation et Pentecôte, qu'a commencé le dernier âge du monde. Nous ne savons combien de siècles il durera ; peut-être sommes-nous au début du trajet de l'Eglise. Mais nous savons que ce sont bien les derniers temps, car il ne se produira rien de plus grand que l'Incarnation et Pentecôte.


Les apôtres parlent «en langues»: qu'est-ce que cela signifie? Je crois que si l'on avait disposé d'un magnétophone, on n'aurait entendu que l'unique langue qui était la leur: l'araméen. Mais il y avait une telle lumière, une telle force, un tel amour dans la façon dont ils parlaient, qu'à travers leurs paroles c'était le vent, le feu de Pentecôte qui bouleversait le fond de l'âme de leurs auditeurs. Ils écoutaient, pourrait-on dire, non avec leurs oreilles, mais avec leur cœur. C'était «une voix du cœur qui seule au cœur arrive», comme dit le poète.


Cet Esprit saint procède du Père, suivant le passage que nous avons vu (Jn ch. 15, v. 26). Vous avez au ch. 16, v. 13 : «Quand il viendra, l'Esprit de vérité, il vous conduira vers la vérité tout entière; car il ne parlera pas de lui-même ; mais tout ce qu'il entendra il le dira». De même qu'il dit ne pas parler de lui-même mais tout tenir de son Père, Jésus, parlant de l'Esprit saint, dit qu'il tient tout de l'intercommunication des trois Personnes divines. « II me glorifiera, car c'est de ce qui est mien qu'il prendra pour vous le donner.» Le Père a tout donné au Fils, et l'Esprit saint donnera de ce que le Père a communiqué au Fils : la divinité.


Je vous ai dit que l'Esprit saint est appelé Paraclet et Amour. Il y a un troisième nom qu'on lui applique : le Don, Donum Dei Altissimi, le Don du Dieu très haut. Pourquoi l'appelle-t-on le Don, avec majuscule? Il faut distinguer - c'est saint Thomas qui fait remarquer cette très belle chose - entre le don et la chose donnée, donum et datum. Si je vous donne une chose, cette chose est un don. Mais, à moins qu'il ne s'agisse d'un mensonge, ce don est le signe que mon cœur vous est donné. Ainsi le donum signifie l'attitude intérieure de celui qui va présenter un datum, une chose donnée. Et c'est pourquoi, quand la divinité nous comblera de toutes sortes de choses que nous aurons demandées, de beaucoup d'autres que nous n'aurons pas demandées, c'est parce qu'elle nous aura donné son cœur, le donum, l'amour. A ce moment-là, l'Esprit saint pourra être appelé, Donum, Don.

L'Esprit saint remplit notre cœur de la grâce divine. Il fait pression sur le cœur de Jésus pour faire redéborder le trop-plein de sa grâce à lui sur l'humanité. Dans la mesure où celle-ci l'accepte, le Corps mystique du Sauveur se forme de par l'intérieur. «Il était plein de grâce et de vérité - dit saint Jean - et de sa plénitude - de sa surabondance - nous avons tous reçu.» Dans cette grâce-là, se donne l'Esprit saint lui-même. De même que le soleil se donne dans le rayon qui nous arrive, ainsi, quand le rayon de la grâce de Dieu descend en nous, c'est la Source elle-même de ce rayon qui vient habiter dans nos cœurs. Ce sera donc l'habitation du Saint-Esprit - ou de la Trinité.


Je vous ai lu ces textes merveilleux de saint Jean sur la venue de l'Esprit saint en nous. Ils ont une résonance d'éternité; rien ne peut ébranler la paix extraordinaire qui en émane. C'est l'Eglise dans son fond intérieur. Extérieurement, elle peut être bousculée, elle le sera toujours ; mais intérieurement il y a en elle quelque chose qui ne change pas. Je ne dis pas une immobilité; on pourrait dire une immutabilité, une constance, jusqu'à la fin du monde.


On peut citer également les textes extraordinaires de saint Paul. Aux Romains, ch. 8, v. 9 : «Vous n'êtes pas dans la chair mais dans l'esprit, puisque l'Esprit de Dieu habite en vous... Si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous, Celui qui a ressuscité le Christ Jésus d'entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous». Et alors : «L'Esprit vient au secours de notre faiblesse ; car nous ne savons que demander pour prier comme il faut ; mais l'Esprit lui-même intercède pour nous avec des gémissements inénarrables - l'Esprit saint, qui est Dieu, prie en nous : quel paradoxe. Dieu ne prie pas, il exauce. Mais l'Esprit saint vient susciter en nous l'esprit de prière, en sorte que notre prière c'est lui qui l'a formée en nous pour pouvoir mieux l'exaucer - et celui qui sonde les cœurs sait quel est le désir de l'Esprit et que son intercession pour les saints correspond au désir de Dieu ».


Aux Galates, ch. 4, v. 4 : « Quand vint la plénitude du temps... - plénitude mystérieuse: la plénitude du mal qui avait débordé sur le monde, la plénitude des promesses qui vont s'accomplir. Le monde est traversé par deux tendances qui vont toujours en s'accentuant. A chaque instant du temps, il y a ce croisement des puissances du mal qui tirent en bas et des puissances de lumière qui tirent en haut - ...Dieu envoya son Fils, né d'une femme, né sous la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi et de nous conférer l'adoption filiale. Et la preuve que vous êtes des fils, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son Fils, qui crie en nous : Abba, Père ! Aussi vous n'êtes plus esclave, mais fils ; fils, et donc héritiers de par Dieu ».


Voilà donc l'Esprit saint. Il nous est envoyé de l'éternité divine, il ne s'incarne pas, il se manifeste par des missions visibles, signifiées par des symboles extrêmement pauvres : la colombe au moment du baptême de Jésus, la nuée lors de la Transfiguration, le souffle de Jésus quand il donne aux apôtres le pouvoir de remettre les péchés, et puis le grand vent et le feu de Pentecôte. Ces symboles extérieurs désignent la troisième Personne de la Trinité, qui vient dans le cœur de son Eglise pour la porter jusqu'à l'éternité d'un élan incoercible. L'Eglise est plus grande que le monde. Elle est faible et il semble qu'on pourrait l'anéantir. Mais les choses de Dieu, quand il les veut, on ne peut pas les anéantir. Hitler massacrera six millions de Juifs, il ne pourra pas éteindre le peuple juif, à cause de la Promesse faite à leurs pères. Et pour l'Eglise, c'est la même chose. Vous pouvez user de toutes les armes modernes contre elle, vous ne la tuerez pas. Le monde sent qu'elle est plus grande que lui, c'est pourquoi il éprouve à son égard une sorte de crainte, il a peur d'être résorbé par elle. Elle a un sens social trop profond, trop mystérieux pour que les gouvernements et les sociétés humaines ne sentent pas là quelque chose de transcendant et ne soient pas dans une attitude de défiance. D'où cela vient-il? Non des pauvres chrétiens qui sont si médiocres ! Nous sommes si misérables, des larves, pour être les témoins du Christ! Baptisés, mais des larves. Trahissant à tout moment... Mais à travers nos vies humaines, l'Esprit passe et fait faire où il le faut les actes de foi et d'amour qu'il faut. Cela pourra être dans un petit enfant... ou dans un malade qui va mourir... ou dans n'importe quelle circonstance, quand il le faut. Et c'est cela qui est plus fort que le monde et qui l'entraîne jusqu'au jour de la résurrection.


VII. L'HABITATION DE LA SAINTE TRINITE DANS LES AMES

C'est un mystère absolument prodigieux que cette vie profonde de la Déité, procession éternelle du Fils à partir du Père, spiration éternelle du Père et du Fils aboutissant à l'Esprit saint, toute cette vie trinitaire venant habiter dans notre âme si elle est en état de grâce, en la redébordant, bien sûr à la manière dont l'océan vient tout entier dans l'éponge : Mystère inconcevable. C'est cependant la révélation qui nous est faite dans le Nouveau Testament.


Pour essayer de situer tout d'abord sur quel plan se place cette présence de la Trinité en nous, je voudrais dire quelques mots sur la présence de Dieu dans tout l'univers des choses créées. Tous les êtres: atome... brin d'herbe... moucheron... tout ce que vous voulez, tous les êtres sans exception sont soutenus dans l'existence par une action mystérieuse de Dieu qui les maintient au-dessus du néant ; en sorte que si, par impossible, Dieu avait un oubli, la création tout entière tomberait non pas en poussière mais dans le néant. C'est ce qu'on appelle la présence de création et de conservation.


Dieu est présent à toutes choses, rien ne lui est caché; le rayon de sa connaissance descend jusqu'au plus profond des êtres, c'est une présence par connaissance.


Il est présent encore d'une présence de puissance, d'activation. Toutes les activités ontologiquement justes, bonnes, viennent de Dieu à travers les créatures. C'est bien l'atome de radium qui donne son rayon, mais c'est Dieu qui donne à l'atome de radium de donner son rayon. C'est Dieu qui donne au rosier de donner sa rosé, en sorte que la rosé, tout entière du rosier, est plus encore tout entière de Dieu. Le "oui" que dira un homme à un acte grand à faire dans un moment difficile, il est bien de cet homme lui-même - il sait ce qu'il lui a coûté - mais il est plus encore de Dieu qui lui a donné de dire ce "oui".


Il y a une autre présence de Dieu, par son essence. Dieu non seulement donne au rosier de produire sa rosé, mais il lui donne d'exister. La racine profonde d'où part toute activité, c'est l'être, et cet être est soutenu immédiatement par Dieu, suspendu à Dieu au-dessus du néant.


Ces présences de Dieu à tous les êtres qui existent et qui agissent - pour autant que leur action soit droite - c'est l'ordre qu'on appellera ordre naturel.


Mais il y a une autre présence, c'est la présence surnaturelle de Dieu dans l'âme. De celle-là, la raison ne peut rien nous dire, c'est à la Révélation divine qu'il faut se référer. Il nous est dit dans le Nouveau Testament qu'un jour, de l'autre côté des choses, non seulement nous connaîtrons Dieu comme par en-dessous, en partant de l'extérieur, comme Cause de l'univers, mais que nous le verrons dans son intimité, dans sa Trinité : immédiatement l'âme plongera son regard dans la splendeur de Dieu vu face à face. C'est une chose folle. On se demande comment cela sera possible sans que l'âme, plongée dans la présence transcendante de Dieu, dans le feu de la divinité, soit instantanément réduite en cendres, volatilisée ! «Aujourd'hui, dit saint Paul aux Corinthiens, nous voyons dans un miroir, d'une manière obscure, mais alors ce sera face à face. Aujourd'hui je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme je suis connu», l'âme restant elle-même, créature, immergée dans l'océan de l'Etre infini. Saint Jean, de son côté, dira dans sa première Epître. «Ce que nous serons n'a pas encore été manifesté. Nous savons que lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est», connu dans sa Déité, dans sa Trinité, immédiatement.


Cette présence d'inhabitation dans la gloire et la clarté de la vision, ne fera que manifester la présence d'inhabitation de la Trinité dans l'âme qui est ici-bas en état de grâce, quoique dans l'obscurité de la foi. Cette âme pourra peut-être passer par des angoisses inénarrables, se croire abandonnée ; en réalité Dieu sera caché au fond de son obscurité. Un moment viendra où cette présence en elle se réveillera, fût-ce au moment de la mort, pour l'inonder de sa splendeur. Peut-être à certains moments le voile se déchirera-t-il, et l'âme en sera comme éblouie. Saint Jean dira: «Dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous serons un jour n'a pas encore été manifesté». Dès maintenant nous le sommes, à cause de la grâce et de cette charité qui franchira les limites de l'au-delà.


C'est aux fidèles de son temps, à peine sortis du paganisme, que saint Paul révèle que l'Esprit saint lui-même leur a été donné : « La preuve que vous êtes des fils, écrit-il aux Galates, c'est que Dieu a envoyé dans nos cœurs l'Esprit de son fils qui crie en nous : Abba, Père ! » (ch. 4, v. 6). C'est l'Esprit saint qui crie en nous, fait dire à l'âme: Père. Dès lors, elle n'est plus seulement un enfant des hommes, mais, par une autre naissance, elle est un enfant de Dieu ; elle est d'un autre monde, c'est un autre ordre, celui de la charité.


Saint Paul écrit encore, aux Romains cette fois : «L'amour de Dieu s'est répandu dans nos cœurs par l'Esprit saint qui nous a été donné». Il dit que cet Esprit désire habiter personnellement en nous. C'est absolument fou : Dieu fait une créature, puis s'éprend d'amour de cette créature jusqu'à vouloir habiter en elle ! Cette révélation se trouvait déjà dans certains traits de feu de l'Ancien Testament, par exemple dans Osée, où l'on voit Dieu appeler épouse Israël adultère s'en allant vers les faux dieux.


Ces traits d'amour, qui étaient comme des éclairs dans l'Ancien Testament, c'est la révélation plénière du Nouveau Testament. Saint Paul dira encore aux Corinthiens : « Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu, et que l'Esprit de Dieu habite en vous ? » Et aux Ephésiens : « Ne contristez pas l'Esprit saint de Dieu qui vous a marqués de son sceau pour le jour de la rédemption». Ici l'"Esprit saint" est pris pour la Trinité tout entière. Saint Paul pourra dire : «Vous êtes les temples de l'Esprit saint, vous êtes les temples de Dieu ».


Il faut comprendre ce qu'une telle révélation a d'inouï et pourquoi elle apparaît au premier abord comme invraisemblable, irréalisable. Ce qui est naturel à l'homme, c'est bien que Dieu soit en lui : s'il est partout où il y a de l'être, dans une petite fourmi par exemple, il sera d'une présence plus accentuée dans un être humain : ce sera toujours la présence de création et de conservation. Mais que la Trinité s'éprenne d'amour pour cette créature humaine au point de désirer venir habiter en elle, l'inondant de sa grâce pour la purifier et la préparer à la recevoir comme Hôte à l'intérieur d'elle-même, cela alors c'est inouï. Par la grâce, c'est une nouvelle nature qui est déposée en nous, et saint Pierre dira: «afin que vous deveniez participants de la nature divine» (2P 1, 4). Le petit d'un animal a la même nature que ceux qui l'ont mis au monde, le petit d'un homme a la nature humaine qui lui a été donnée par ses parents. Et nous sommes participants de la nature divine ! Cette grâce fait de ceux qui n'étaient que simples enfants des hommes des enfants de Dieu.


Elle est en nous, cette grâce, à l'origine de ces beaux actes de connaissance et d'amour qui débouchent sur Dieu tel qu'il est dans son mystère profond. Elle nous fait entrer en lui et le fait habiter en nous ; elle fait de ceux qui le reçoivent une cité mystique qui transgressera les frontières du temps : «J'entendis alors une grande voix venant du trône et disant : Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes. Il habitera avec eux et ils seront son peuple. Et il sera lui-même Dieu-avec-eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux et la mort ne sera plus ; et il n'y aura plus deuils, ni cris, ni douleurs, car les premières choses s'en sont allées». L'âme va l'accueillir, non plus seulement comme son Créateur, mais comme un Hôte, et même, le mot sera dans l'Ecriture, comme un Ami. L'amitié suppose l'égalité, ou elle la crée. Et du fait qu'il y a alors égalité, il y a échange mutuel. Ici il y a dialogue intérieur entre Dieu et l'âme, Dieu donnant à la créature de quoi lui répondre, comme dans les contes où le roi fait reine la bergère en lui donnant tout ce qu'il faut pour qu'elle puisse lui répondre comme reine, à lui qui est roi.


Dieu va nous prendre dans la boue où nous sommes, faire de nous ses enfants, nous mettre sur son plan à lui, en sorte que l'interéchange sera possible entre Lui et nous. Il est dans l'âme comme un invité pour converser avec elle, par la réciprocité de l'amitié, dans un dialogue ineffable où elle ne fera pas que l'écouter mais où elle recevra de lui les mots pour lui répondre, les mots d'amour qui blesseront son cœur et l'inclineront à accomplir les désirs de cette mendiante dont il s'est épris. C'est dans saint Jean : « Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et mon Père l'aimera, et nous viendrons à lui, et nous ferons chez lui notre demeure». Il frappe à la porte ; si on ouvre, il entrera, il parlera au cœur, et il écoutera les réponses du cœur. Encore dans saint Jean, mais dans l'Apocalypse : «Voici que je me tiens à la porte et que je frappe. Si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui, je souperai avec lui... - dans l'intimité du soir, vous voyez, l'heure où le cœur peut s'épancher mieux qu'en plein midi -...et lui avec moi». «Et lui avec moi», c'est-à-dire qu'il va pouvoir répondre aux paroles d'amour de Dieu par d'autres paroles d'amour.


Le dialogue, bien sûr, ne peut être ici-bas toujours actuel, il ne s'allume que par moments ; mais la présence qui le rend possible est permanente, elle n'est rompue que par le péché mortel. Nous portons ce trésor en Dieu sans le savoir.


L'âme ne fait qu'un avec Dieu, mais elle reste elle-même ontologiquement dans son être, elle n'est pas anéantie; autrement ce serait le panthéisme. L'âme reste créature, et Dieu reste le Créateur, à une distance infinie, mais il y a intercommunication, interpénétration par l'amour. Quand saint Jean de la Croix veut essayer de dire un peu ces choses qu'il éprouvait avec une telle profondeur, il prendra la comparaison d'une vitre traversée par le soleil : quand le rayon de soleil passe dans la vitre, celle-ci est toute illuminée, elle devient rayon de soleil ; mais elle reste vitre et distincte du soleil. Ainsi l'âme qu'envahit l'amour de Dieu reste âme, mais toute traversée par l'amour. Dieu peut alors dire à l'âme, comme il le fera dans l'éternité : « Ne me touche pas ! ». Il y a une distance infinie; et en même temps: «Tu es ma sœur, mon épouse». Ce n'est pas du panthéisme, distinction absolue, mais une unité dans l'amour. C'est pourquoi saint Jean de la Croix, parlant du mariage spirituel, pourra dire : « ils sont deux natures en un seul esprit et amour». Distance et intimité, ces deux choses ne s'entredétruisent pas. Si Dieu n'était pas infiniment distinct de l'âme, jamais il ne pourrait lui être pareillement intime. C'est ce double mystère qui est proposé à notre foi.


L'âme en état de grâce participe donc à la vie trinitaire, à cette vie par laquelle le Père engendre de toute éternité le Verbe, et par laquelle le Père et le Fils spirent de toute éternité l'Esprit saint. Non pas, bien sûr, en enrichissant cette vie trinitaire, mais en étant accueillante, transparente à ce mystère. Aux plus hauts moments de son existence, l'âme purifiée par la grâce jusque dans ses profondeurs est toute sensibilisée aux réalités divines, toute ravie des splendeurs que la voie lui laisse pressentir. Toute accueillante et consentante au mystère des processions intratrinitaires, elle les reflète au sein d'elle-même comme un lac de montagne reflète les étoiles pendant la nuit et les éprouve intensément. L'âme expérimente en quelque sorte, dans les cas les plus hauts, chez les saints, surtout dans l'union transformante.


Pour comprendre ce qu'est l'union transformante, on peut prendre l'image de saint Jean de la Croix marquant les progrès de l'âme. Si tu mets la bûche de bois dans le feu, elle crépite, dégage de la fumée, se défend. Mais peu à peu le feu l'envahit, et alors elle devient un morceau de feu. Dès lors elle est paisible, il n'y a plus de fumée, plus de crépitement, le silence du feu a envahi complètement l'âme. C'est l'union transformante qui purifie même l'inconscient psychique de l'âme, cet inconscient qui toujours reste chez nous le lieu d'une quantité d'illusions, de pièges, d'équivoques. L'âme dans l'union transformante «expérimente en quelque sorte la vérité des processions divines. En ce sens-là, elle fait un avec le Père pour engendrer le Verbe, un avec le Père et le Fils pour spirer l'Esprit. Non pas, encore une fois, en apportant un enrichissement à ces processions éternelles alors qu'elle n'est qu'une pauvre créature, mais en étant consentante à cela. Comme le lac de montagne qui ne peut rien apporter à l'évolution des astres dans la nuit, mais qui les reçoit dans sa profondeur. Ayant épousé en quelque sorte les relations intra-divines, elle va épouser aussi et expérimenter ce qu'est l'amour pour la créature.


Dans les Noradas, chapitre I de la 7ème Demeure, sainte Thérèse d'Avila parle de cette expérience profonde et obscure, mais intense, de la Trinité. Elle parle de ces mystères desquels seuls peuvent dire quelque chose ceux qui ont tout donné, qui sont totalement envahis par Dieu. Nous autres, ce sont des choses que nous ne savons que dans la nuit de la foi ; mais quand on a un témoignage que ces mystères ont été touchés par certains, un saint Jean de la Croix, une sainte Thérèse d'Avila, une Marie de l'Incarnation ursuline, un saint François d'Assise, et tant d'autres, c'est une joie de lire ce qu'ils ont écrit.


Sainte Thérèse appelle cela l'union transformante ou le mariage spirituel. Le mariage spirituel, qui avait été préparé par les fiançailles spirituelles, était déjà splendide mais n'était encore que l'avant-dernier. Elle parle du passage des "fiançailles" au "mariage" :


«Déjà, sans doute, il s'était uni cette âme soit dans les ravissements, soit dans l'oraison d'union dont j'ai parlé ; mais alors il semblait à cette âme qu'elle était appelée à entrer dans la partie supérieure d'elle-même... ».


Pas encore dans la profondeur, pas encore par son centre, mais cela viendra avec l'union transformante. L'âme, bien sûr, est déjà transformée chez un petit enfant qui reçoit le baptême ; mais ici il s'agit de la transformation prise à son degré le plus haut. C'est comme la rosé qui est déjà présente dans la graine que vous mettez dans la terre, qui ensuite commence à donner des feuilles, des boutons, et qui devient la rosé épanouie ; il y a croissance. Il en est ainsi pour l'âme avec les demeures intérieures progressives. Dans l'état avant-dernier, à cause des manifestations de Dieu qu'elle sentait comme approcher, «elle en devenait aveugle et muette, comme saint Paul au moment de sa conversion, sans la moindre idée de la faveur précise qui lui était faite ; tout entière à la joie délicieuse de se sentir près de Dieu; joie ineffable qui lui était toute pensée et suspendait toutes ses puissances».


C'est déjà haut, cet avant-dernier état. Mais voici qu'elle parle de l'expérience de la Sainte Trinité dans l'union transformante: «Ici Dieu agit différemment; il fait tomber les écailles des yeux de l'âme et il veut, dans sa bonté, que l'âme, d'une manière étrange, mais réelle, voie et comprenne quelque chose de la grâce dont il daigne l'honorer. Dieu l'introduit donc dans sa propre demeure par une vision mystérieuse. Comment se fait cette représentation, je l'ignore; mis elle se fait, et les trois Personnes de la Sainte Trinité se montrent à l'âme, avec un rayonnement de flammes qui, comme une nuée éclatante, vont d'abord à son esprit et l'illuminent admirablement; elle voit alors ces trois Personnes distinctes, et elle entend, avec une souveraine vérité qu'elles ne sont toutes trois qu'une même substance, une même puissance, une même sagesse, et un seul Dieu ; en sorte que, ce que nous connaissons en ce monde par la foi, l'âme, à cette lumière, le comprend, par une sorte de vue, qui n'est ni la vue du corps ni celle de l'âme, la vision n'étant pas sensible. Là, les trois Personnes se communiquent à l'âme, lui parlent, et lui donnent l'intelligence de ces paroles de Nôtre-Seigneur dans l'Evangile : qu'il viendra Lui avec le Père et le Saint-Esprit habiter dans l'âme qui l'aime et garde ses commandements ».


Nous croyons comprendre ce qu'il y a dans l'Evangile. Quand je lis: «Si quelqu'un m'aime, nous viendrons en lui, nous ferons en lui notre demeure », je comprend bien un peu ; quant à "expérimenter" cette chose..., il faut atteindre à ce niveau, être dans cette lumière. Les trois Personnes se communiquent à l'âme, lui donnent l'intelligence de ces paroles de Nôtre-Seigneur. Sainte Thérèse continue, et c'est peut-être l'une de ses plus belles pages: «O mon Dieu! qu'il y a loin d'avoir l'oreille frappée de ces paroles, de les croire même, ou d'en entendre la vérité de la manière que je viens de dire ! Après que l'âme a reçu cette faveur, elle est dans un étonnement qui augmente de jour en jour, parce qu'il lui semble que ces trois divines Personnes ne l'ont jamais quittée; elle voit clairement, de la manière dite plus haut, qu'elles sont dans l'intérieur de son âme, dans l'endroit le plus intérieur, et comme dans un abîme très profond ».


Elle prend conscience à ce moment-là, avec une puissance royale, de cette grâce baptismale, avec l'inhabitation de la Sainte Trinité qui ne l'avait jamais quittée. Cette personne, étrangère à la science, ne saurait dire ce qu'est cet abîme si profond, mais c'est là qu'elle sent en elle-même cette divine compagnie.


"Cette personne", c'est d'elle-même qu'elle parle. Mais ce est pas elle qui l'intéresse dans ces expériences, c'est Dieu, ce qu'il peut faire avec de tels pauvres êtres. Elle dira : de grandes grâces, bien sûr que j'en ai reçues de Dieu ! Pourquoi m'a-t-il donné cela? Parce qu'il me voyait plus misérable que les autres. Quand un édifice menace de s'écrouler, on le soutient par des supports ; c'est, dit-elle, ce que Dieu a fait pour moi à cause de ma misère. Si elle parle de cette personne "étrangère à la science", c'est parce qu'elle ne connaît pas la théologie.


«Il vous semblera peut-être, mes filles, que l'âme dans cet état dit être si absorbée qu'elle ne peut s'occuper de rien. Vous vous trompez ; elle se porte avec plus de facilité et d'ardeur qu'auparavant à tout ce qui est du service de Dieu ; et dès que les occupations la laissent libre, elle rentre dans cette agréable compagnie. Pourvu qu'elle soit fidèle à Dieu, jamais, à mon avis, Dieu ne manquera de lui donner cette vue intime et manifeste de sa présence. »


Elle s'occupait si bien qu'en même temps elle était sainte Thérèse fondant des couvents dans toute l'Espagne. Il fallait faire des centaines de kilomètres dans ces petits chariots à deux roues tirés par des mules, et par des chemins cahoteux. Elles arrivaient à trois dans des endroits impossibles où elles pensaient trouver quelque ferme qu'un seigneur leur avait promise sur une de ses terres : et ce n'était qu'une espèce de grange délabrée où tout était à faire. Elle était à toutes ces affaires, gardant cette vue intime et manifeste de la présence de Dieu. D'une manière sourde, bien sûr. Mais à certains moments il y a des réveils, ça éclate. Alors, plus rien à faire, plus rien à dire...


« Elle espère fermement que Dieu ne permettra pas qu'elle perde, par sa faute, une faveur aussi insigne, et elle a raison de l'espérer de la sorte ; toutefois elle marche avec plus de vigilance que jamais pour ne déplaire en rien à son divin Epoux.


«Il faut remarquer que cette vue habituelle de la présence des trois Personnes divines n'est pas toujours aussi entière, ou pour mieux dire aussi claire qu'au moment où, pour la première fois, la très sainte Trinité se montre à l'âme, ou qu'elle daigne ensuite lui renouveler cette faveur. »


Ce sont donc ces "réveils". C'est encore dans la nuit de la foi, mais une expérience d'amour dans l'obscurité tellement intense que cela paralyse toute le reste. Saint Jean de la Croix dit : Si cela arrivait trop souvent, l'âme ne pourrait pas "tenir", ce serait la fin. Du reste, c'est bien lorsque se produit un de ces "réveils" que vient la mort, qui n'est pas causée par l'épuisement du corps, mais par l'âme qui tire sur le corps pour s'engouffrer dans la splendeur de Dieu.

C'est pourquoi saint Jean de la Croix dit: «Déchire la toile... » pour que puisse se produire la Rencontre.


Sainte Thérèse et saint Jean de la Croix font la même expérience ; ils la décrivent avec des mots différents, mais c'est le même Dieu qui travaille dans les cœurs.


«Si cela était, l'âme ne pourrait ni s'occuper d'autre chose, ni même vivre ici-bas parmi les hommes. Mais, bien que cette vue de la très sainte Trinité ne conserve pas un si haut degré de splendeur, l'âme, toutes les fois qu'elle y pense, se trouve en cette divine compagnie. Il en est de l'âme comme d'une personne qui, étant avec d'autres dans un appartement très éclairé, cesserait tout à coup de les voir, si l'on fermait les fenêtres, mais ne cesserait pas d'être certaine de leur présence. » La présence dans la foi, sourde mais certaine.


« Une question : si cette personne veut les revoir en rouvrant les fenêtres, elle le peut ; en est-il ainsi de l'âme? Non; il faut pour cela que Nôtre-Seigneur ouvre la fenêtre de son intelligence ; c'est déjà une grande grâce de ne jamais s'éloigner d'elle, et de vouloir bien qu'elle en soit si assurée. Il semble alors que Dieu veut, par cette admirable compagnie, la préparer à de plus grandes choses», c'est-à-dire à ces réveils qui ne dépendent pas d'elle, mais de Dieu qui les suscite au gré de son bon plaisir - et plus tard à l'entrée dans la gloire.


«Il est clair, en effet, qu'elle en tirera un très grand secours pour avancer dans la perfection, pour s'affranchir des craintes que lui causaient parfois les grâces précédentes qu'elle avait reçues. C'est ce qu'éprouvait la personne dont j'ai parlé, c'est-à-dire elle-même : elle voyait en elle, pour tout, un notable avancement spirituel, et il lui semblait que, même au milieu des croix et des affaires, jamais l'essentiel de son âme ne s'éloignait de cette demeure intérieure où était Dieu. Alors son âme lui paraissait en quelque sorte comme divisée, quand elle devait s'occuper aux choses extérieures ; et comme, après avoir reçu de Dieu ces hautes faveurs, cette personne eut de grandes croix à porter, elle se plaignit quelquefois de son âme, comme Marthe et Marie sa sœur, et lui reprochait de rester toujours occupée à jouir à son gré de ce doux repos, tandis qu'elle se trouvait au milieu de tant de peines et d'occupations, qu'il lui était impossible de les partager. »


Son âme lui paraissait comme divisée, tirée par Dieu alors qu'il fallait s'occuper d'une quantité de choses, être présente vraiment et concrètement, comme elle savait le faire. C'étaient de gros soucis qu'elle prenait en fondant un Ordre, recevant quantité de jeunes filles venant d'un peu partout, presque toujours de grandes familles, qui auraient pu réussir leur vie dans le monde. C'était une grande responsabilité vis-à-vis des parents prêts à porter un jugement sur ce qu'elle faisait. Elle assume tout cela... Et avec tant d'esprit, tant de liberté, comme par surcroît. Ce qui était sérieux, c'était Dieu. Le reste, un moment à passer ici-bas en faisant des choses, en les faisant bien... mais le principal est ailleurs.


Sainte Thérèse termine ce premier chapitre des 7èmes Demeures: «Ceci, mes filles, vous semblera étrange, mais c'est la vérité. L'âme est indivisible, sans doute ; cependant l'état que je viens de décrire, bien loin d'être une imagination, est l'était ordinaire où elle se trouve après avoir reçu cette haute faveur. Les choses intérieures, je le répète, se voient de telle manière que l'on aperçoit une division si délicate, qu'il semble quelquefois que l'un opère d'une manière et l'autre d'une autre, suivant l'attrait qu'il plaît au Seigneur de leur faire sentir». Il lui semble exister en elle deux personnes, l'une immergée en Dieu, l'autre s'occupant de ce qu'elle doit faire.


« Il me paraît aussi qu'il y a de la différence entre l'âme et les facultés et que tout cela n'est pas une seule chose.» D'une part l'essence de l'âme, cette attention à Dieu sourde et permanente ; d'autre part l'attention immédiate portée sur tel ou tel point des choses dont elle est responsable. Et à certains moments - lors des "réveils" - tout est suspendu. «Mais il se rencontre tant de ces différences dans l'intérieur de l'âme, et elles sont si difficiles à saisir, que je ne pourrais, sans témérité, entreprendre d'en donner l'intelligence. Un jour nous en aurons la claire vue, si le Seigneur, dans sa miséricorde, daigne nous ouvrir sa sainte demeure où nous comprendrons tous ses secrets. »


Voilà donc cette habitation de la sainte Trinité, qui est en chacun de nous, mais qui ici est à son état suprême et comme expérimenté dans l'amour.


Je termine par un mot de saint Jean de la Croix : «Transparente à la Trinité tout entière, l'âme épouse en quelque sorte l'Amour, source de l'amour que Dieu va déverser sur nous»; elle expérimente cet amour qui est cause de l'Incarnation: «Dieu a tant aimé le monde qu'il lui a donné son Fils unique». Et alors, étant au centre de Dieu, comment ne posséderait-elle pas en plénitude, toujours par union d'amour, tout ce qui est à Dieu ? De là le cri suprême d'amour de saint Jean de la Croix dans cette "Prière énamourée", dont voici la fin :


« Miens sont les cieux, et mienne est la terre. Miens sont les peuples. Les justes sont miens, et miens les pécheurs. Les anges sont miens, et la Mère de Dieu et toutes choses sont miennes. Et Dieu lui-même est mien et pour moi, parce que le Christ est mien et tout entier pour moi.


« Que demandes-tu et que cherches-tu donc, ô mon âme ? Tien est tout ceci, et tout ceci est pour toi. Ne t'estime pas moindre. Ne prête pas attention aux miettes qui tombent de la table de ton Père ».


VIII. LES MISSIONS INVISIBLES DU VERBE ET DE L'ESPRIT SAINT

Je veux parler, pour terminer, des missions invisibles dans l'Eglise, du Fils et de l'Esprit ; le Père, nous l'avons vu, n'étant jamais "envoyé".


Les missions visibles, celle de l'Incarnation du Fils dans le Sauveur Jésus, celle de l'Esprit saint à Pentecôte, ont eu lieu une fois pour toutes. Jamais Dieu ne fera un don plus grand au monde que celui de son Fils le jour de l'Incarnation, ni un don plus grand à l'Eglise que celui de l'Esprit au jour de Pentecôte. A la fin des temps, la transfiguration du monde ne sera que l'éclatement dans la splendeur du don caché en son sein par ces deux événements. C'est pourquoi la période qui leur est postérieure est appelée dans l'Ecriture "les derniers temps". Il ne faut donc pas attendre une autre économie du monde. Le temps des missions visibles est révolu.


Mais pour les missions invisibles, le temps n'est pas révolu : le Verbe et l'Esprit saint descendent dans les cœurs : descentes de lumière et d'amour, cachées, et pour cela appelées invisibles. Elles n'étaient pas inconnues avant l'Incarnation, mais elles étaient comme partielles, enveloppés, et plutôt réservées au peuple messianique; avec le Nouveau Testament elles deviennent plénières, activant le feu déposé dans le monde par l'Incarnation et Pentecôte. Lumière et chaleur, elles viennent toujours ensemble.


Essayons de parler un peu de ces missions invisibles. Nous avons vu que la Personne du Fils est envoyée, disons missionné par le Père, et que l'Esprit saint est missionné par le Père et le Fils. Mais le Père n'est jamais envoyé, puisque c'est lui qui missionné. On ne pourra donc pas dire : le Père, le Fils et l'Esprit sont envoyés ; il faudra prendre un autre mot. C'est pourquoi on lit dans saint Jean: «Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, mon Père l'aimera, nous viendrons en lui et nous ferons chez lui notre demeure». «Nous viendrons...» et non pas: nous serons envoyés.


Ainsi donc, ce seront toujours la deuxième Personne - avec la lumière - et la troisième - avec l'amour - qui seront envoyées. Mais tandis que la mission du Verbe visible d'incarnation est distincte de la mission de l'Esprit saint visible de Pentecôte, les missions invisibles sont toujours conjointes. Jamais la lumière de sainteté ne vient sans l'amour de sainteté. Et alors ces missions invisibles supposent ici-bas des innovations, de nouveaux printemps, une nouvelle manière d'exister que l'Eglise acquiert chaque fois qu'elles se produisent au cours du temps. Comment essayer de donner une idée de la profondeur, de l'étendue de ces renouvellements de l'Eglise? Ce sont là des secrets que Dieu découvre aux anges. Comme il est dit dans l'Epître aux Ephésiens, ils sont dans l'émerveillement à la vue de l'Eglise, des manifestations infiniment variées de la sagesse de Dieu. Ce sont des choses dans lesquelles ils désirent plonger leurs regards, comme le dit saint Pierre dans sa Ière Epître. Il ne s'agit pas des innovations extérieures, de l'ordre canonique; celles-ci ne peuvent être que des contrecoups, plus ou moins passagers, des innovations intérieures, profondes.


Quand se produisent-elles, ces innovations ? Mais chaque fois que des petits enfants sont baptisés ! La Trinité vient habiter en eux et les limites de l'Eglise s'élargissent. Le baptême d'un petit enfant est une chose du ciel, c'est un renouvellement incomparable à tous ceux de la liturgie !


Il y a mission invisible du Verbe et de l'Esprit lors du passage du péché mortel à l'état de grâce. Voilà un pécheur qui ne s'était peut-être pas confessé depuis bien des années. Il ne voudrait pas mourir sans l'avoir fait pour Noël ou pour Pâques. Il fait une humble confession, toute pleine bien sûr d'insuffisances dans l'accusation; mais il est droit, il vient comme un mendiant, et le prêtre lui donne l'absolution. C'est alors la Trinité tout entière qui descend dans son cœur, il a passé des ténèbres à la lumière. C'est constant, dans l'Eglise, ces choses-là. Même s'il n'y a pas de confession faute de la possibilité d'avoir un prêtre, un grand acte d'amour efface le péché. L'Eglise est profondément renouvelée dans le silence de ces pardons.


Le Verbe et l'Esprit saint entrent donc ensemble, simultanément, dans les âmes, chaque fois qu'il y a mission invisible. Saint Augustin a ce beau texte: «Le Saint-Esprit étant Amour, l'âme lui devient semblable par le don de la charité, et il y a mission du Saint-Esprit par le don de la charité. Quant au Fils, il est un Verbe non pas quelconque, mais un Verbe spirant l'Amour». Et il écrit encore: «Le Verbe que nous voulons maintenant définir et introduire est une connaissance qui s'accompagne d'amour. Aussi la mission du Fils se fait-elle non point par un perfectionnement intellectuel quelconque, mais par cette illumination de l'intelligence qui jaillit en affection d'amour. Quiconque a entendu le Père et reçu son enseignement, vient à moi». Et encore: «Dans sa méditation, un feu s'est allumé».


Seulement il arrive que dans ces missions invisibles l'accent soit mis parfois sur la lumière, parfois sur la brûlure d'amour. Marie de l'Incarnation, à deux reprises, a éprouvé d'une manière exceptionnelle cette Visitation des Personnes divines: « La première fois, l'impression que j'en avais eue avait fait son principal effet dans l'entendement, et il semblait que la divine majesté me l'avait faite pour m'instruire et me disposer à ce qu'elle voulait faire ensuite. Mais en cette seconde occasion, quoique l'entendement aussi fût éclairé et plus qu'en la précédente, la volonté emporta le dessus parce que la grâce présente était toute d'amour».


Ces visites des Personnes divines, on ne peut pas les provoquer soi-même. S'il plaît à Dieu, il les envoie aux âmes humbles et mendiantes. Quant à nous, il nous en envoie un tout petit rayon à certains moments, pour nous faire deviner ce qu'il nous donnerait si nous étions plus abandonnés à lui, plus heureux d'être ses enfants.


Il arrive que l'Esprit saint, qui habite dans l'Eglise d'une manière constante mais ordinairement voilée, est comme se réveillant de temps en temps dans certaines de ces âmes privilégiées. C'est saint Jean de la Croix qui parle si bien de cela : « Ces réveils peuvent prendre diverses formes. La plus élevée est un mouvement causé par le Verbe dans la substance de l'âme, d'une telle grandeur, souveraineté et gloire, d'une douceur si intime, qu'il semble à l'âme que tous les baumes, espèces aromatiques et fleurs du monde s'agitent, se remuent, et se composent pour donner leur parfum; que tous les royaumes et seigneurs du monde, toutes les puissances et vertus du ciel, entrent en activité». C'est la vie de la Trinité qui commence à s'"agiter" à l'intérieur de l'âme. «O ! combien heureuse est l'âme qui toujours sent qu'elle est à Dieu, demeurant et reposant en son sein. Pour l'ordinaire il est là comme endormi dans cet embrasement de la substance de l'âme, et elle le sent très bien, et d'ordinaire elle en jouit très profondément, car s'il était en elle toujours éveillé, que serait-ce? S'il était en elle toujours lui communiquant des connaissances et des amours, ce serait être dans la gloire. Si pour une seule fois, si faible soit-elle, il se réveille, ouvrant les yeux, il met l'âme en l'état que nous avons dit, que serait-ce si pour l'ordinaire il était en elle pleinement éveillé ? »


C'est à peine si on ose parler de ces missions divines. C'est par ceux qui en sont l'objet intensement que l'Eglise est Epouse, ce n'est pas par nous. Bien sûr, la grâce qui est en eux est la même que la nôtre : nous sommes de la même Eglise. Mais c'est eux, je le répète, par qui elle est Epouse au sens plein, qui nous entraînent, eux qui ont compris qu'il ne faut point de réserves à l'amour, comme le dit saint Jean de la Croix. « Toute leur vie appartient à l'Eglise, tout leur être est en - deçà de ses clôtures, ils sont la portion bien-aimée, la plus pure, la plus riche, la plus divine, ils sont ses racines vivaces et nourricières, son action sanctifiante. Grâce à eux et en eux pénètre la nature humaine jusqu'à des profondeurs incroyables que nous restons, nous membres imparfaits, impuissants à évaluer ; en eux seuls son cœur peut battre librement. C'est grâce à eux que Dieu peut venir habiter en elle d'une manière incompréhensible, se reposer en elle, dormir en elle, puis se réveiller dans son sein pour l'affermir contre les tempêtes et diffuser dans tout son être les suprêmes vertus sanctifiantes de son amour. »


Une dernière mission invisible des Personnes divines, c'est celle qui se fait quand quelqu'un meurt dans la grâce, et que son âme entre dans l'éternité de gloire.


Voilà donc ces renouvellements profonds. Ils ne sont pas comparables à ceux nécessités par l'organisation de la discipline extérieure. Elle est nécessaire et bénie, cette organisation ; mais elle est au service de ces choses dont je vous parle, et qui peuvent arriver sans elle; si elle-même est sans ces choses-là, elle perd son sens.


Les missions invisibles ravivent le feu apporté par les missions visibles de l'Incarnation et de Pentecôte, qui ouvrent le dernier âge du monde. A cause d'elles, l'Eglise, qui vient de Dieu, fait constamment retour à Dieu.


Pascal dira : « Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu'à l'infini. Qui suivra ces étonnantes démarches? L'auteur de ces merveilles les comprend, tout autre ne le peut faire». Par un premier acte de libéralité, les trois Personnes divines viennent dans les créatures au moment où elles les tirent du néant pour leur donner d'exister naturellement; par une libéralité plus admirable encore, deux des Personnes divines, le Fils et l'Esprit, sont envoyées aux âmes humaines, spirituelles, afin de les remplir de grâce, de sagesse, d'amour; et, après les avoir ainsi comme créées à nouveau et divinisées, de faire d'elles à la Trinité tout entière une habitation, immédiatement ici-bas dans une union de possession commencée, plus tard dans une union de possession consommée.


Sous ces incomparables visitations des Personnes divines par lesquelles Dieu vient reprendre, en quelque sorte, l'ouvrage de sa création afin de le porter jusqu'au degré d'une perfection inouïe, l'Eglise, telle jadis Elisabeth, sent tressaillir ses enfants dans son sein et, remplie de l'Esprit saint, s'émerveille en disant: d'où me vient que mon Seigneur vienne à moi? Ces touches divines enflamment son cœur, pénètrent jusqu'à son être substantiel, et lui donnent un élan toujours nouveau pour confesser Dieu sur la terre.


L'Eglise est ainsi la patrie des renouvellements spirituels, elle est la seule fontaine de jeunesse, c'est en elle que Dieu accomplit sans cesse l'œuvre de la rédemption du temps, puisque l'univers de création, saccagé depuis le premier péché, est remplacé par l'univers nouveau, l'univers de rédemption. C'est en elle que Dieu nous engendre amoureusement par la Parole de Vérité, afin que nous soyons comme un recommencement de sa création.

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