Les convenances de l'Incarnation et notre vie spirituelle
De Salve Regina
Christologie | |
Auteur : | P. Réginald Garrigou-Lagrange, O.P. |
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Source : | Revue La Vie Spirituelle, n° 165, T.XXXV, n°3 |
Date de publication originale : | 1933 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |
Sommaire
Les convenances de l'Incarnation et notre vie intérieure
A considérer l'Incarnation du côté de Dieu qui est incliné à se donner le plus possible à l'homme, et du côté de l'homme qui est porté à s'unir le plus possible à Dieu, on verrait l'entière convenance de ce mystère. Notre présent dessein est de montrer cette convenance sous un aspect particulier en la considérant par rapport aux plus hautes vertus, qui sont comme l'âme de notre vie intérieure. Ces vertus les plus hautes sont appelées théologales, parce qu'elles ont immédiatement Dieu pour objet, et qu'elles nous unissent à lui : par la foi nous adhérons à ce que Dieu a révélé de lui‑même et de ses œuvres ; par l'espérance nous tendons vers Dieu en nous appuyant sur son secours, pour arriver à le posséder un jour, à le voir face à face ; par la charité nous aimons surnaturellement Dieu plus que nous‑mêmes et par‑dessus tout, parce qu'il est infiniment aimable, infiniment meilleur que nous, et parce qu'il nous a aimés le premier comme un Père. Il est certain que ces trois vertus sont les plus hautes de toutes ; elles doivent inspirer d'en haut les vertus morales, qui portent non pas sur la fin dernière, mais sur les moyens. C'est ainsi que la foi doit inspirer notre prudence, et que notre charité, notre amour de Dieu et des âmes, doit inspirer aussi et vivifier d'en haut les vertus de justice, de force, de tempérance, en les rendant méritoires par rapport à la vie éternelle.
Si telles sont les trois vertus les plus hautes qui puissent exister dans une âme humaine, quel rapport ont elles avec le mystère de l'Incarnation ?
Nulle intervention divine ne pouvait mieux nous arracher au mal et nous porter plus puissamment au bien.
Saint Thomas (IIIa, q. I, a.2), à la suite de saint Augustin, nous dit que Dieu, après la chute, aurait pu nous sauver par d'autres secours que celui de l'Incarnation, par exemple en nous envoyant un prophète qui nous aurait fait connaître les conditions du pardon. Mais alors il n'y aurait pas eu réparation parfaite de l'offense faite à Dieu par le péché mortel, qui, en nous détournant de Lui, dénie ou refuse pratiquement à Dieu la dignité infinie de fin dernière ou de souverain Bien. Pour réparer parfaitement cette offense, dont la gravité est sans mesure comme la personne offensée, il fallait qu'une âme humaine offrît à Dieu un acte d'amour d'une valeur infinie. Il fallait pour cela qu'une âme humaine appartînt à une personne divine, seule capable de donner à ses actes une valeur strictement infinie.
Ainsi le Verbe fait chair peut offrir en réparation à son Père un acte d'amour d'une valeur sans limites, qui plaise plus à Dieu que ne lui déplaisent tous les péchés des hommes réunis.
Par là l’Incarnation était la source de grâce la plus féconde pour nous sauver, comme elle était nécessaire pour la réparation parfaite de l'offense faite à Dieu. Nulle intervention divine ne pouvait mieux nous tirer du mal ; rien ne pouvait mieux nous guérir de nos trois plaies : la concupiscence de la chair, celle des yeux et l'orgueil de la vie, que les souffrances, la pauvreté et l'humilité du Sauveur.
En même temps, et c'est sur quoi il convient ici d'insister pour la vie intérieure : l'Incarnation, en nous arrachant au mal, nous porte puissamment au bien, parce qu'elle nous offre le modèle parfait de toutes les vertus et surtout elle décuple pour ainsi dire nos vertus les plus hautes : la foi, l'espérance et la charité.
La foi décuplée
Tout d'abord la foi est rendue beaucoup plus certaine par l'Incarnation du fait que nous croyons à Dieu qui est venu sensiblement nous parler.
Le motif formel de la foi, vertu théologale, est l'autorité de Dieu qui révèle les vérités à croire.
C'est parce que Dieu est infaillible, qu'il ne peut ni se tromper ni nous tromper, que le premier homme après la chute a cru à la promesse divine du Rédempteur, qu'Abraham a cru que le Messie naîtrait de sa race, que les prophètes ont cru qu'il allait venir, non seulement pour le salut d'Israël, mais pour le salut de l'humanité. L'Autorité de Dieu, qui révèle et qui signe sa révélation par des miracles, est un motif en lui‑même très ferme et infaillible, mais Dieu cependant reste caché, il habite dans une lumière inaccessible. Il reste invisible même lorsqu'il parle par des prophètes comme Moïse, comme Élie ou Isaïe, même lorsqu'il confirme leur prédication par des miracles éclatants.
Combien la foi est rendue plus certaine, si Dieu vient à nous et si lui‑même, prenant un corps comme le nôtre et une bouche humaine, nous parle sensiblement, avec un accent et une autorité qui ne peuvent appartenir qu'à lui ! Combien la foi est rendue plus certaine, si le Verbe de Dieu se fait chair et vient nous dire : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi a la vie éternelle » (Joan., VI, 47), ou encore : « Je rends témoignage de moi‑même » (Joan., VIII, 18), car je suis la Lumière même, « Je suis la Voie, la Vérité et la Vie » (Joan., XIV, 6).
Nul prophète n'a pu parler ainsi. Ils ont pu dire : « J'ai reçu la vérité », mais aucun n'a pu affirmer : « Je suis la Vérité et la Vie. »
Jésus‑Christ, notre Sauveur, est lui‑même la Vérité première révélatrice et révélée, et c'est pourquoi, comme le dit saint Augustin (In Joannem, VIII, 18), il peut rendre témoignage de lui-même et des autres mystères, comme la lumière se manifeste elle‑même en manifestant les couleurs et tout ce qu'elle éclaire.
La Vérité première révélatrice, motif formel de notre foi, ou l'Autorité de Dieu révélateur, se montre pour ainsi dire sensiblement dans le Christ et dans sa manière sublime d'enseigner.
Certes nous ne voyons pas ici‑bas la divinité du Christ, ni par les yeux du corps, ni par ceux de l'esprit, mais Jésus parle avec une telle autorité en disant : «En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu'Abraham fût, je suis » (Joan., VIII, 58), qu'on ne saurait douter qu'il est le Dieu vivant rendu sensible et qui nous parle, pour décupler notre foi. Aussi les envoyés des pharisiens ne purent s'empêcher de dire: «Nul homme n'a jamais parlé comme cet homme » (Joan., VII, 46). De même les Samaritains dirent à celle que le Seigneur avait convertie et qui les avait appelés pour entendre le Messie : « Maintenant ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons; car nous l'avons entendu nous‑mêmes, et nous savons qu'il est vraiment le Sauveur du monde. »
S'il y avait dans l'accent du Curé d'Ars, lorsqu'il prêchait, le signe de sa sainteté, à combien plus forte raison dans l'accent, dans l'autorité, dans l'ascendant de Notre Seigneur Jésus‑Christ ! Et c'est pourquoi, dès son premier sermon sur la montagne, « le peuple, dit saint Matthieu, VII, 28, était dans l'admiration de sa doctrine; car il enseignait comme ayant autorité, et non comme les Scribes et les Pharisiens » qui épiloguaient sur les textes scripturaires sans en faire sentir la vie. Les simples ont le sens des choses supérieures ; ils reconnurent dès son premier discours la grandeur de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ, et si le peuple le condamna ensuite, c'est qu'il était égaré par les pervers.
Quelle grâce d'avoir entendu, ne serait‑ce qu'un instant, la prédication du Verbe fait chair, et d'avoir pu recevoir immédiatement de ses lèvres la vie, la simplicité et la grandeur de sa doctrine !
Saint Jean a pu écrire dans son Évangile : « Personne n'a jamais vu Dieu : le Fils unique, qui est dans le sein du Père, c'est lui qui la fait connaître » (Joan., I, 18). Et dans la première de ses Épîtres, I, I : « Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et ce que nos mains ont touché, du Verbe de vie..., ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons. »
Notre foi est donc souverainement confirmée par ce témoignage suprême, rendu pour ainsi dire sensible par l'Incarnation. Aussi saint Paul a‑t‑il pu écrire aux Hébreux, I, I pour les confirmer dans la foi « Après avoir, à plusieurs reprises et en différentes manières, parlé autrefois à nos pères par les Prophètes, Dieu, dans ces derniers temps, nous a parlé par le Fils, qu'il a établi héritier de toutes choses et par lequel il a aussi créé le monde. »
Supposons un instant que l'Incarnation n'ait pas eu lieu et que la plus haute prédication ait été celle des prophètes, d'un Élie ou d'un Isaïe, combien notre foi serait moindre, comme l'histoire de l'humanité serait pauvre, en comparaison de ce qu'elle est réellement ! La grandeur même des prophètes disparaîtrait, puisqu'elle vient uniquement de ce qu'ils ont été les précurseurs de Notre‑Seigneur Jésus‑Christ. « Ceux qui ont des oreilles pour entendre » ne peuvent se méprendre sur l'accent de la voix du Sauveur, sur la sublimité de sa doctrine. Malgré les épreuves, les obscurités, les tentations, croyons à la parole de Jésus, gardons‑la dans notre cœur, vivons d'elle en esprit de foi : Justus ex fide vivit.
L'espérance affermie
L'Incarnation ne confirme pas seulement notre foi, elle excite grandement notre espérance.
Par cette vertu théologale, nous désirons, attendons le Bien suprême, et nous tendons vers lui en nous appuyant sur le secours divin promis par Dieu aux croyants. L'objet premier de l'espérance est un bien futur et difficile à atteindre, le souverain Bien dont nous jouirons pendant l'éternité. Le motif formel de l'espérance est le secours divin, ou mieux, c'est Dieu même infiniment secourable, Deus auxilians ; il est infiniment secourable parce qu'il est infiniment miséricordieux, tout‑puissant, et parce qu'il a promis de nous secourir pour nous faire arriver au terme de notre destinée. Dieu est fidèle en ses promesses. C'est un de ses plus beaux titres de gloire : « Fidelis est Dominus in omnibus verbis suis », dit le Psalmiste (Ps. CXIV, 13). Saint Paul le redit souvent. Celui qui désespérerait, douterait de l'infinie Miséricorde de Celui qui est la Bonté même ; ce fut la plus grande faute de Judas, après avoir été infidèle, de douter de la fidélité de Dieu, qui a promis son secours aux plus grands pécheurs, s'ils le lui demandent.
Mais bien que l'espérance soit pleinement conforme aux aspirations les plus profondes de notre cœur, il y a, hélas ! en nous comme une pente, une inclination au découragement lorsque nous sommes meurtris depuis longtemps par les luttes et les difficultés de la vie. Or le mystère de l'Incarnation vient Précisément relever notre confiance, car il nous donne non seulement le secours divin de la grâce, mais l'auteur même de la grâce. Celui qui nous est donné à Bethléem, c'est Dieu infiniment secourable, Deus auxilians ; c'est lui qui est le motif formel ou la raison de notre espérance, et il reste avec nous dans l'Eucharistie.
Notre confiance est augmentée, parce que Dieu, en venant à nous en personne, nous manifeste sensiblement son infinie bonté. Nous avons confiance surtout en nos amis, et dans la mesure où ils nous prouvent qu'ils ont pour nous une véritable et profonde affection. Or Jésus est Dieu infiniment secourable, Deus auxiliator, qui ne cesse de nous parler de son amour miséricordieux.
A tous les hommes, il dit : « Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et ployez sous le fardeau, et moi je vous referai » (Matth., XI, 28). Celui qui parle ainsi c'est l'auteur du salut, comme le dit la liturgie : « Deus veniae largitor et humanae salutis auctor, quaesumus clementiam tuam... »(Oraison de l’office des morts dans le rite dominicain.)
Jésus dit au paralytique, qui ne pense qu'à demander sa guérison corporelle : « Tes péchés te sont remis », c'est-à-dire . je guéris ton âme spirituelle et immortelle, beaucoup plus précieuse que ton corps, qui un jour redeviendra poussière. Et comme signe de la guérison spirituelle de l'âme, Jésus guérit ce pauvre homme de sa paralysie. Le miracle n'est qu'un signe d'une chose incomparablement supérieure : la résurrection de l'âme à la vie essentiellement surnaturelle de la grâce.
Saint Paul peut écrire avec confiance aux Romains, VIII, 31, pour confirmer leur espérance ‑ « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous? Lui qui n'a pas épargné son propre Fils, mais qui l'a livré à la mort pour nous tous, comment avec lui ne nous donnera‑t‑il pas toutes choses? » Ces paroles durent fortifier les chrétiens dans les catacombes, pendant les trois siècles de persécution. Saint Paul ajoute, ibid. : « Qui accusera les élus de Dieu ? C'est Dieu qui les justifie ! Qui les condamnera ? Le Christ est mort, bien plus, il est ressuscité, il est à la droite de Dieu, il intercède pour nous ! Qui nous séparera de l'amour du Christ ? Sera‑ce la tribulation, ou l'angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le péril, ou l'épée ? Selon qu'il est écrit : « A. cause de toi, tout le jour nous sommes livrés à la mort, et on nous regarde comme des brebis destinées à la boucherie. » Tout cela s'est réalisé à la lettre à Rome, pendant les dix persécutions générales par lesquelles les empereurs romains accablèrent les chrétiens, de Néron à Dioclétien. Mais saint Paul continue, et ce fut aussi réalisé pleinement : « Mais dans toutes ces épreuves nous sommes plus que vainqueurs, par celui qui nous a aimés » ‑, « plus que vainqueurs », car il ne s'agit pas de triompher, mais de faire rayonner la vie de la grâce sur les adversaires eux‑mêmes et de les aimer. «Car j'ai l'assurance, continue saint Paul, en parlant pour l'Église indéfectible, car j'ai l'assurance que ni lit mort, ni la vie, ni les anges, ni les principautés, ni les choses présentes, ni les choses à venir, ni les puissances, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune créature ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu en Jésus‑Christ Notre‑Seigneur. » C'est‑à‑dire aucune puissance créée, quelle qu'elle soit, ne pourra nous séparer de l'amour du Christ pour nous, qui allume en nous un amour réciproque. Aucune puissance créée ou créable ne pourra faire que Dieu abandonne les justes, les justifiés par le sang de son Fils, si eux‑mêmes ne l'abandonnent les premiers.
C'est cette victoire de l'amour du Christ sur l'acharnement des persécuteurs que rappelle le Colisée de Rome aux générations qui se succèdent. Les ruines imposantes de cet amphithéâtre construit par Vespasien et Titus restent comme les témoins impérissables de l'espérance et de la force des martyrs appuyés sur les promesses et l'amour du Verbe fait chair.
Ils sont restés fidèles au milieu des supplices par l'efficacité de la grâce du Christ ; ils ont été, comme le dit saint Paul, « plus que vainqueurs par la force de celui qui nous a aimés, in his omnibus superamus propter eum qui dilexit nos » (Rom., VIII, 37). Le motif formel de notre espérance n'est pas en effet notre effort personnel, par lequel nous coopérons au secours divin ; le motif formel de notre espérance, c'est Dieu même infiniment secourable, Deus auxilians, Dieu même qui par l'Incarnation est avec nous, et qui y reste dans l'Eucharistie, comme nourriture quotidienne de nos âmes. C'est ainsi que notre confiance en Dieu est grandement fortifiée par l'Incarnation. Ce n'est pas pour rien que le Verbe s'est incarné ; ce n'est pas pour le progrès matériel ou celui des sciences, mais pour la sanctification de nos âmes, dont nous devrions avoir un ardent désir.
La Charité plus ardente
Enfin ce mystère de notre foi doit exciter au plus haut point notre charité, notre amour de Dieu et des âmes. Comme le dit saint Augustin en des paroles que les théologiens répéteront jusqu'à la fin du monde: «Pour quelle raison surtout le Verbe s'est‑il incarné, sinon pour nous manifester son amour ?... Si donc nous ne savons pas l'aimer (les premiers), apprenons du moins à lui rendre amour pour amour. » (In Libr. De catechizandis rudicus, c.4)
Par la charité infuse, reçue au baptême, nous devons aimer surnaturellement Dieu plus que nous ; nous devons l'aimer comme le grand Ami, qui nous a aimés le premier, et qui est infiniment meilleur en lui‑même que tous ses bienfaits réunis. Dire que nous devons l'aimer ainsi, c'est dire que nous devons vouloir efficacement l'accomplissement de sa sainte volonté, exprimée par ses préceptes; c'est dire que nous devons vouloir qu'il règne vraiment et profondément en nos âmes et qu'il soit glorifié par nous éternellement, selon la parole du Psaume CXIII, I : « Non pas à nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire. »
Ainsi la charité est supérieure à l'espérance. Par l'espérance nous désirons posséder Dieu, finalement pour Dieu, qui est la fin dernière de notre espérance comme de toute vertu ; par la charité nous aimons efficacement Dieu notre meilleur ami, formellement pour lui‑même, et plus que nous, en lui voulant tous les biens qui lui conviennent, c'est‑à-dire son règne et cette manifestation de sa bonté, que nous appelons la gloire divine. Aimer Dieu c’est conformer toute notre vie à cette parole du Pater : « Fiat voluntas tua » : que votre volonté, exprimée par vos préceptes, s'accomplisse sur la terre comme au ciel ; aimer Dieu c'est aussi lui dire avec un confiant abandon: « Je remets mon âme entre vos mains », je vous offre le fond de ma volonté, faites‑en ce qu'il vous plaira.
Par la charité, en aimant Dieu efficacement plus que nous‑mêmes, nous aimons en général tous ses décrets éternels, ordonnés à la manifestation de sa bonté. Ainsi Dieu, infiniment bon, devient pour nous un alter ego, un autre moi, qui en un sens est plus nous que nous‑mêmes, car il contient éminemment tout le bien qui peut exister en chacun de nous. En ce sens Dieu est plus moi que moi‑même, car il l'est éminemment.
Or cette divine bonté, objet formel de la charité, nous a été précisément manifestée par l'amour suprême, par lequel Dieu nous a donné son Fils unique : « Sic Deus dilexit mundum, ut Filium unigenitum suum daret ‑ Dieu a aimé le monde jusqu'à lui donner son propre Fils » (Joan., III, 16). Telle est, peut‑on dire, la vérité fondamentale du christianisme, puisque cet acte d'amour de Dieu pour nous nous a donné Notre‑Seigneur Jésus‑Christ comme Sauveur.
Aussi saint Jean dit‑il dans sa Ière Épitre, IV, 9 : « Dieu a manifesté son amour pour nous en envoyant son Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui. Et cet amour consiste en ce que ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais c'est lui qui nous a aimés et qui a envoyé son Fils comme victime de propitiation pour nos péchés. Mes bien aimés, si Dieu nous a aimés ainsi, nous devons aussi nous aimer les uns les autres. »
Saint Paul écrit de même à Tite, II, II : « Elle s'est manifestée la grâce de Dieu, source de salut pour tous les hommes ; elle nous enseigne à renoncer à l'impiété et aux convoitises mondaines et à vivre dans le siècle présent avec tempérance, justice et piété, en attendant la bienheureuse espérance et l'apparition glorieuse de notre grand Dieu et Sauveur Jésus‑Christ. »
L'Incarnation du Verbe fortifie ainsi grandement notre foi, notre espérance, notre charité, elle nous donne l'exemple de toutes les vertus, et surtout elle est le principe en la sainte âme de Jésus d'un acte d'amour d'une valeur infinie, acte d'amour rédempteur qui plaît plus à Dieu que tous les péchés ne peuvent lui déplaire.
Louons Dieu de ce bienfait de l'Incarnation rédemptrice, qui rend en quelque sorte sensible la Vérité première révélatrice, la Toute‑Puissance secourable et la souveraine Bonté, qui ne cesse de nous communiquer, surtout par l'Eucharistie, toutes les grâces dont a besoin notre pauvreté. Ces trois perfections divines, qui sont le motif formel des trois vertus théologales, sont ainsi pour nous comme trois étoiles de première grandeur, comme trois lampes de feu, dit saint Jean de la Croix, qui dans la nuit nous guident en notre pèlerinage vers la lumière de l'éternité.
Vraiment nous pouvons avec une profonde gratitude dire avec saint Paul: « Dieu, qui est riche en miséricorde, a cause du grand amour dont il nous a aimés, et alors que nous étions morts par nos offenses, nous a rendus vivants avec le Christ; c'est par sa grâce que vous êtes sauvés » (Ephés., II, 14). Cette grâce est le germe de la gloire ; prions pour persévérer en elle et par elle, pour qu'elle soit vraiment en nous « la vie éternelle commencée ».
Rome.