Lettre aux jeunes mamans de l'an qui vient
De Salve Regina
Sainteté dans la famille | |
Auteur : | Dom Gérard, O.S.B. |
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Résumé : | Lettre de Dom Gérard aux Mères de famille |
Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
Lettre aux jeunes mamans de l’an qui vient.
Mères de famille, ayez confiance !
Vous vous êtes mariées l’an dernier (et il vous semble que c’est déjà très loin) avec un sentiment de joie impatiente, paré de tout le prestige que le rêve accorde aux désirs inassouvis. Puis l’automne est venu ; l’arbre s’est chargé de fruits et vous êtes devenues soudain plus graves.
Vous voilà rendues plus graves encore à l’idée de ce doux fardeau que le ciel vous confie au seuil de l’année nouvelle, et combien soucieuses du sort que lui réserve un monde de plus en plus hostile. « Que sera cet enfant ? » demandaient ceux qui furent témoins de la naissance du Baptiste ; et, conclut l’Evangile, « la main du Seigneur était avec lui ». La dimplicité profonde du texte sacré recèle une loi que nous rencontrons souvent : la mission d’un prophète commence dès le sein maternel. Ainsi en fut-il de Samson, de Samuel, de Jérémie, de saint Jean-Baptiste, et de Jésus lui-même. Ainsi de vos propres enfants. Leur histoire la plus secrète celle peut-être où vous avz le plus d’influence sur eux, plonge ses racines au plus intime de votre âme. Telle est la grandeur de notre destinée, que chaque petit homme venant en ce monde commence sa vie, recueilli dans une cellule, dans un cloître, dans un sanctuaire. Savez-vous alors, que vous portez et modelez en vous-même ce que les mondes coalisés ne peuvent produire : une libreté, une empreinte divine, un réflecteur éternel de la gloire de Dieu. Est-ce assez grand ? Mais votre visage s’est embué de tristesse ; vous vous dites peut-être : « A quoi bon ? Est-il opportun de mettre au monde un enfant, sous le ciel gris d’un monde décivilisé ? » A quoi je m’empresse de répondre que vous enfantze essentiellement pour accroître le nombre des élus, et que l’enfantement d’un peit être, fût-il disgracié par la nature, reste une œuvre bonne, parce que la surnature est un bien infiniment plus élevé que tous les biens de la créaton. Ce petit être mérite donc qu’on lui consente les plus grands sacrifices : ce qui signifie pour certaines d’entre vous, l’entrée dans la voie austère de la Sainte Espérance.
Mais permettez-moi de vous parler ici du mystère de votre maternité en lui-même ; non pas seulement en fonction de son terme et de sa finalité dernière, mais en fonction de son exercice propre, de cette mission de porteuses d’homme qui vous est échue, et de ce que cela représente de grâce, de richesse spirituelle et de grandeur morale. Permettez-moi de vous rappeler l’estime que vous devez avoir pour cette fonction auguste, à laquelle saint Paul attache une valeur rédemptrice, et qui approche, à mon sens, de la grandeur de l’état religieux.
Je vois poindre une objection que vous m’aviez maintes fois formulée : « Cette grandeur ne nous échappe pas, elle nous accable plutôt ! comment serions-nous à la hauteur de notre mission, nous qui ne pouvons même plus prier comme jadis, étourdies par le bruit, les tracas de notre petit monde, la maison à tenir, les courses à faire ! Il faut savoir notre désarroi quand le soir tombe et que nous nous couchons harassées, vides et honteuses de nous-mêmes ! » « Alors il nous arrive d’envier les âmes consacrées qui se donnent tout à Dieu. Pouvons-nous seulement être certaines de faire maintenant la volonté de Celui qui, un jour, au cours d’une retraite, nous fit savoir qu’Il nous aimait et qu’Il nous voulait ses intimes ? »
Je vous réponds tout de suite, chères jeunes mamans qui me lisez, et vous autres plus âgées, qui oeuvrez patiemment depuis de longues années, je vous réponds que nous le savons, que Dieu le sait. Vous êtes parfois tentées par le découragment, par la crainte de ne plus savoir prier, par l’angoisse à la pensée que ceux que vous avez portés et allaités sont déjà, plus ou moins, la proie du paganisme et de la perversion du monde qui vous entoure. Et le doute s’insinue dans votre âme : la pensée d’un échec, d’une mission mal remplie. C’est alors que vous pensez avec nostalgie à la virginité consacrée et aux trois vœux constitutifs de l’état religieux. Remplacez donc nostalgie par estime, et vous serez dans le vrai. Estimez cet état supérieur qui consiste, pour parler comme Saint Basile, à ne point laisser des enfants sur la terre mais à en faire monter au ciel, état sublime, il est vrai, où d’autres se sont engagées pour vous permettre de faire correctement sur terre votre devoir de mère chrétienne.
S’il vous plaît, ne considérez pas les trois vœux de religion comme sans rapport avec ce que vous vivez. Ces moyens ont été institués pour dégager les âmes et les attacher irrévocablement à Dieu ; transposez-les dans votre vie personnelle, adoptez-en l’esprit. Voyez dans les trois vœux de Religion des analogues de ce que vous vivez : Pauvreté, Chasteté, et Obéissance ! Est-ce que ces trois liens sacrés ne vous ont pas attachées vous aussi à Dieu, selon un mode très profond et très particulier ? Voyez comment s’atténuent au cœur d’une mère, l’appât du gain et le goût avaricieux des richesses. Cette course à l’argent n’a-t-elle pas fait place à la hantise de répandre sur de jeunes têtes ce qu’on ne désire plus pour soi ? Mères généreuses, oublieuses de vous-m^mes, qui pensez à vêtir et à distribuer ; femmes toujours debout quand le marie et les enfants sont assis, où est donc votre avarice , Vos enfants ne sont-ils pas votre seule richesse ? Et que dire de leur âme que vous apercevez parfois d’un regard furtif, au détour d’une allée, avec une puissance d’intuition dont vos amis les prêtres sont parfois émerveillés !
Puis voyez quel apaisement des passions charnelles vous offrent ces maternités successives, et combien le désur de plaire, de se faire centre, et d’attirer sur vous seules la faveur des hommes, ont fait place à d’autres caresses, celles que vos enfants réclament, et dont le souvenir les suivra toute leur vie. Caresses chastes et discrètes où passe toute la tendresse de Dieu. Quant à l’obéissance, avouez que vous ne le cédez en rien à la plus observante des sœurs de Charité. Qui ne voit dans quelle implacable sujétion vous fixe le soin des enfants : la journée réglée de cette petite troupe en marche, avec son horaire strict des repas, des classes et des jeux, ne vous laisse pas une minute. Quelle meilleure garantie de faire la volonté de Dieu et non la vôtre ?
Une autre source d’inquiétude : la prière. « Je ne peux pas prier », dites-vous presque toutes, avec un ensemble touchant. Evitez cette plainte désespérée, car vous le savez, c’est à la prière que toute la vie est suspendue : la vérité de vos gestes et de vos pensées, la qualité de vos sentiments, dépendent de ce mystérieux regard de l’âme vers Dieu : dites-moi comment vous priez, je vous dirai qui vous êtes. De graves personnes vous ont dit qu’il fallait prier pendant vingt minutes par jour. Facile à dire, Messieurs ! Ce minutage me paraît pécher à la fois par excès et par défaut, car Notre Seigneur dit qu’il faut prier sans cesse. –Ah ! voilà bien le comble ! direz-vous. Il nous est impossible de faire vingt minutes d’oraison par jour, et pour parer à cette impossibilité, on nous dit qu’il faut que nous priions sans cesse ! Sommes-nous donc des carmélites pour faire ainsi descendre le ciel sur la terre ?
En réponse à cette épreuve de la prière impossible, il n’est que de retourner à une prière possible, qui est la seule vraie : une prière intérieure, si profonde, si intime, que rien ne saura l’empêcher de sourdre au fond de l’âme. A la limite, la souffrance de ne pas pouvoir prier a déjà valeur de prière ; c’est ce gémissement inénarrable du Saint Esprit, dont parle saint Paul. Il n’est pas nécessaire que cette plainte douce et amoureuse soit toujours formulée. Il suffit qu’elle vous suive tout le long du jour et qu’elle jaillisse parfois comme un appel spontané. En bref, tenir pour certain que la meilleure prière est celle où nous avons le moins de part, cette rpière « brève et pure » faite d’élans furtifs, d’invocations et d’oraisons jaculatoires qui, d’heure en heure, donne à vos journées un parfum de ciel. Par-dessus toutes les formes de prières, si nobles soient-elles, il faut donc considérer comme essentielle et toujours possible l’union à Dieu intérieure (sans parole) douce, paisible, affectueuse, filiale, qui est la respiration de l’âme. Bien souvent c’est en enseignant que vous vous instruirez vous-mêmes. Ainsi ferez-vous votre miel des conseils que Fénelon donnait dans sa « Lettre à une mère soucieuse d’enseigner à l’une de ses filles comment on doit faire oraison » :
« Tâchez, lui écrit-il, de faire goûter Dieu à votre enfant. Faites-lui entendre qu’il s’agit de rentrer souvent au-dedans de soi, pour y trouver Dieu, parce que son règne est au-dedans de nous. Il s’agit de parler simplement à Dieu à toute heure, pour lui avouer nos fautes, pour lui représenter nos besoins, et pour prendre avec lui les mesures nécessaires, par rapport à la correction de nos défauts. Il s’agit d’écouter Dieu dans le silence intérieur. Ils ‘agit de prendre l’heureuse habitude d’agir ensa présence, et de faire gaiement toutes choses, grandes ou petites, pour son amour. Il s’agit de renouveler cette rpésence toutes les fois qu’on s’aperçoit de l’avoi rperdue. Il s’agit de laisser tomber les pensées qui nous distraient, dès qu’on les remarque, sans se distraire à force de combattre les distractions, et sans s’inquiéter de eur fréquent retour. Il faut avoir patience avec soi-même, et ne se rebuter jamis, quelque légèreté d’esprit qu’on éprouve e soi. Les distractions involontaires n’éloignent pas de Dieu ; rien ne lui est si agréable que cette humble patience d’une âme, toujours prête à recommencer pour revenir vers lui ».
Si la grâce vous inspire de vous attarder dans une oraison plus longue, pourquoi alors ne pas vous ménager cette oasis une fois par jour ? En ce cas, ne craignez ni le vide ni l’aridité. Faites un acte de foi en la présence de Dieu, situez-vous inlassablement dans l’axe autrour duquel votre vie trouvera équilibre et stabilité. Cet axe puissant et fixe auquel il faut toujours revenir, c’est le dogme primordial de la Paternité divine. C’est de là qu’l faut tirer le mouvement d’abandon et de confiance filiale qui vous rendra calmes et fortes ans les jours ombres. Que rien ne vous arrête alors en cette sainte résolution, surtout pas l’épreuve de la nuit spirituelle, qui est le statut même de la foi : ne faut-il pas que la nuit tombe pour qu’on aperçoive les étoiles ?
« Tenez-vous devant Dieu, disait à sainte Marguerite-marie sa maîtresse des novices, comme une toile d’attente devant le peintre qui y jettera les plus vives couleurs. » et Bossuet : « Quand Dieu efface c’est qu’il va écrire ».
Enfin il faut redonner ses droits à la prière en famille, où les enfants prient avec leurs parents. Laissez si possible le père entonner les premiers mots, afin de lui laisser sa place de chef de la prière : à vous de créer le climat qui la rendra possible. Vous verrez alors avec quelle aisance les enfants se meuvent au plan des réalités surnaturelles, et cela vous récompensera de bien des sacrifices.
C’est dans ce goutte à goutte de la prière quotidienne que se revitalise la famille chrétienne, qu’elle puise force et cohésion, qu’elle s’immunise contre les poisons du monde. Grâce à cette référence solennelle de chaque soir, s’il arrive, plus tard, que vos enfants tombent dans le péché, du moins auront-ils cette supériorité sur les chrétiens du siècle : ils sauront qu’ils pèchent.
Vous avez porté vos enfants, vous les avez mis au monde. Mais rien n’est acquis de ce trésor de vie : toute mère de famille, jusqu’à son dernier souffle, est une femme en travail, qui enfante pour le Royaume. Ne rejetez pas vos souffrances, vos angoisses, comme des scories étrangères. Elles sont rigoureusement consubstantielles à votre maternité.
Pour finir, considérez la Très Sainte Vierge comme votre grande amie, elle, le modèle par excellence de toutes les mères chrétiennes : puisez à pleine main dans les mystères de sa vie à Nazareth les grâces nécessaires à l’accomplissement journalier de votre devoir d’état, a sein d’une existence laborieuse, enjouée et vigilante, où vous maintiendrez en paix votre petit royaume. Vous remplissez alors à l’exemple de Marie, votre mission d’éducatrice faite d’exigence et de ferme bonté ; vous souvenant que « les familles sont des dynasties de vertus, et que tout descend lorsque ce sceptre leur échappe » (Blanc de Saint-Bonnet).
A la question : « Qu’est-ce qu’une mère chrétienne », Mgr d’Hulst, un grand prélat de la fin du siècle dernier, répondait :
« C’est celle qui fait de la maternité un sacerdoce, qui verse la foi avec son lait dans les veines de son enfant. C’est celle qui apprend aux petites mains à se joindre pour la prière, aux petites lèvres à bégayer les noms bénis de Jésus et de Marie. C’est la mère qui sait caresser et punir, se dévouer et résister. Plus tard, c’est la femme joyeusement sacrifiée qui abdique, au projet d’une sujétion austère, les satisfactions de la vanité ou du plaisir, qui préfère, à la capricieuse liberté du monde, la volontaire servitude du foyer. Cette mère-là sera qualifiée pour enseigner un jour à sa fille la modestie et le dévouement, pour inculquer à son fils, l’amour des vertus viriles et la noble passion du devoir. »
Aux heures douloureuses, vous passerez ainsi de Nazareth au Calvaire, vous tenant debout avec Marie, bien droite au pied de la croix, accomplissant dans votre chair ce qui manque à la Passion du Christ pour le salut de l’âme de vos enfants. Puis levez les yeux et regardez Marie dans la gloire de son Assomption et de son couronnement : voyez comment Dieu a récompensé sa Mère ; voyez ce qu’a fait la piété du Fils, et tâchez d’y apercevoir un reflet de la couronne qui vous est promise.
Vous n’avez pas dormi, la nuit passée, et vous vous êtes remises au travail, composé de soins domestiques, d’enfants à instruire et à corriger, de repas à préparer. Puis ce soir, vous entendrez des pas dans le couloir : c’est votre mari qui rentre ; il désire que vous n’ayez pas l’air trop soucieux ni trop fatigué. Pourtant vous savez tous les deux que votre fils aîné ne pratique plus. Il dit même qu’il n’a plus la foi. Votre fille, elle aussi, commence à se dérober à votre influence. Le soir tombe, le babil des enfants s’est tu ; le silence qui jadis retrempait vos âmes fait place maintenant à une lumière froide, une sorte de lucidité amère sur les êtres et sur les choses. Autrefois vous aimiez le calme du soir, ce vaste et tendre apaisement que dépeint le poète. Désormais l’inquiétude monte la garde près de vous et son aile noire recouvre tout dans la maison : les rêves, les projets d’avenir, jusqu’aux regards sur les petits corps endormis. O vaillantes mères de famille, le monde entier conspire contre vous et contre votre maison, contre l’âme de vos enfants, contre votre paix intérieure ; vous le saviez et vous êtes parties quand même pour l’aventure : vous êtes bien, selon un mot fameux à peine modifié, les aventurières du monde moderne. Dans un monde en proie à un optimisme de commande, vous êtes les premières à être témoin du caractère tragique de la condition humaine. Pour l’honneur de cette aventure, je voudrais simplement vous remettre enmémoire une parole du Christ jésus à ses disciples, un de ces mots formidables qui révolutionnent le destin des hommes : « confidite, ego vici mundum ». ayez confiance, j’ai vaincu le monde !
Et maintenant, permettez-moi de vous interroger : qu’est-ce que la confiance ? Selon la belle formule de notre ancien catéchisme, la confiance est une qualité de l’espérance. Récitons l’acte d’espérance :
« Mon Dieu, j’espère avec une ferme confiance que vous me donnerez votre grâce en ce monde et, si je suis fidèle à vos commandements, votre gloire dans l’autre, parce que vous me l’avez promis, et que vous êtes souverainement fidèle dans vos promesses ».
Gravons dans notre esprit les premiers mots : j’espère avec une ferme confiance. Ainsi la confiance qualifie l’espérance et la fermeté accompagne la confiance. Tout cela respire le courage, une sorte d’accent viril qui emporte l’adhésion. Eclairés et forts de cette lumière qui ne vient pas de nous,mais descend de très haut, des hauteurs de ce paradis où les anges se racontent le combat spirituel de leurs frères humains ; éclairés et forts de cette lumière, nous vous disons : chères âmes, tenez bon. C’est vous qui dressez l’échelle par laquelle les civilisations montent vers le ciel ; ne vous découragez pas. Ayez confiance !
Ayez confiance d’abord dans la prière. Vous connaissez la force de cette prière qui vous rassemble chaque soir : là où deux ou trois seront rassemblés en mon nom, je serai au milieu d’eux ; c’est alors que l’inquiétude maternelle se transforme en foi toute pure et en charité. C’est maintenant une conspiration dans l’autre sens, une conspiration de prière et d’amour pour le retour des enfants prodigues : le rosaire et les litanies, tout y passe. On ne sait ce que c’est de mettre au monde des enfants et de les voir s’égarer, se perdre peut-être pour toujours. Ah ! comme on prie lorsqu’on a charge d’âmes !
Voici, dans le secret de son coeur, la prière qu’une mère de famille fit un jour pour son enfant égaré :
« O Jésus, vous qui avez rendu à la veuve de Naïm le fils unique dont elle pleurait la perte : vous qui, dans la parabole de l’enfant prodigue, avez montré une si tendre miséricorde pour les enfants qui s’égarent ; daignez rappeler et ramener le mien, malheureusement entraîné loin de vous, loin de moi, loin du devoir. Mon pauvre enfant ! O mon dieu je vous en supplie, je vous en conjure avec larmes : ouvrez ses yeux, touchez son coeur, brisez ses liens, donnez-lui du courage ; qu’il revienne aux pures affections de la famille ; qu’il se jette entre vos bras comme un autre Augustin ; qu’il embrasse vos pieds sacrés comme Madeleine repentante. Hélas ! et si devant vos yeux, auxquels rien n’est caché, ô mon dieu, je portais la terrible responsabilité des égarements que je déplore ; si par une négligence ou une coupable faiblesse j’avais d’abord laissé grandir et se développer dans l’âme de mon fils des germes dangereux ; si, plus tard, j’avais en quelque sorte autorisé ses désordres par la légèreté de mes paroles ou de ma conduite ; ô Seigneur, laissez-vous toucher par une punition si cruelle ; voyez mon repentir, la douleur qui expie mes fautes ; pardonnez-nous à tous les deux et attachez-vous à vous pour jamais. Ainsi soit-il ».
Ceci étant dit dans le langage de Bossuet et de Fénelon, on peut prier sans l’apparat des formules anciennes, avec les pauvres mots du vocabulaire moderne, ou bien même sans mot, d’un simple regard de l’âme, mais avec la confiance des humbles, car il est écrit : « la prière de l’humble pénètrera les nues ».
Ayez confiance dans le patronage des saints auxquels vous avez confié l’âme de vos enfants. C’est une réalité profondément sérieuse que la protection des saints patrons ; c’est cela qui dans les âges de foi scella le pacte entre la chrétienté et le monde invisible ; c’est cela qui a donné aux anciennes générations cette assurance ferme, cette familiarité douce et coutumière avec le surnaturel.
Ayez confiance en Sainte Monique qui est, après la Très Sainte Vierge, la patronne des mères de famille. Connaissez-vous ses litanies ? Récitons-les ensemble :
Sainte Monique, modèle des femmes chrétiennes, priez pour nous. Sainte Monique, qui avez obtenu par votre exemple et vos prières la conversion de Patrice, votre époux, priez pour nous. Sainte Monique, modèle des veuves chastes et pieuses, priez pour nous. Sainte Monique, modèle des mères chrétiennes, priez pour nous. Sainte Monique, mère de Saint Augustin, priez pour nous. Sainte Monique, qui avez tant pleuré sur ses égarements, priez pour nous. Sainte Monique, si persévérante dans vos ardentes prières pour sa conversion, priez pour nous. Sainte Monique, aussi ardente que zélée dans la poursuite de cette âme chère, priez pour nous. Sainte Monique, qui étiez la sauvegarde de votre fils absent, priez pour nous. Sainte Monique, qui avez obtenu la guérison d’une maladie mortelle, priez pour nous ; Sainte Monique, à qui il a été accordé que l’enfant de tant de larmes ne pérît pont dans ses erreurs, priez pour nous. Sainte Monique, qui avez eu la consolation de le voir converti et fidèle, priez pour nous. Sainte Monique, qui vous êtes saintement entretenue avec lui des choses du ciel, priez pour nous. Sainte Monique, qui vous êtes paisiblement endormie dans le Seigneur après avoir accompli les travaux de votre maternité, priez pour nous. Sainte Monique, qui ne pouvez refuser votre suffrage aux mères qui pleurent comme vous, priez pour nous. Sainte Monique, qui avez secouru plusieurs dans leurs angoisses, priez pour nous. Daignez préserver l’innocence de nos jeunes enfants, nous vous en prions, Saint Monique. Daignez redoubler de prières pour les jeunes gens exposés aux séductions du monde, nous vous en prions, sainte Monique. Demandez qu’ils ne restent pas sourds aux conseils de leur mère ni insensible à sadouleur, nous vous en prions, sainte Monique. Demandez pour toutes les mères chrétiennes la grâce d’accomplir saintement leur mission, nous vous en prions, sainte Monique ; Daignez les recommander à la Très Sainte Vierge, mère des mères et des efants, nous vous en prions, sainte Monique. Daignez intéresser votre fils saint Augustin au salut de nos enfants, nous vous en prions, sainte Monique. Glorieux fils d’une si sainte mère, saint Augustin, priez pour nous.
Prions.
O Dieu, qui avez eu pitié des larmes de Sainte Monique et qui avez accordé à ses ardentes prières non seulement la conversion de son fils, mais son éclatante sainteté, faites que nous vous implorions pour nos enfants avec tant de foi et d’humilité que nous obtenions comme elle leur salut et notre propre sanctification. Nous vous en prions par Notre Seigneur Jésus-Christ.
Ayez confiance dans les saints Anges. Les anges sont nos amis très chers, à la fois délicats et puissants : ils admirent nos combats, nos détresses, nos tristesses d’amour ; ils voient dans les souffrances de la terre quelque chose de mystérieux et de sacré qui leur rappelle la Passion det la Croix du Seigneur Jésus. Mériter et grandir en amour, opérer le salut par la douleur et le sacrifice, voilà choses qu’ils ignorent, retenus qu’ils sont par les éternelles chaînes d’or de la vision béatifique. Comment voulez-vous qu’ils ne s’émerveillent pas devant ce palais de la douleur, où se consomment les noces mystérieuses du Ciel et de la Terre , saint Pierre dit même qu’ils désirent y plonger leurs regards, tellement le spectacle de la Rédemption les ravit. Quant à notre Ange gardien, il plonge carrément tout entier dans notre monde sublunaire et se montre à notre égard un compagnon fidèle –invisible, mais si amical ! Un guide sûr, parfois un tuteur ou un précepteur véhément. Mais, par une mystérieuse disposition de la Providence, nos Anges veulent être priés. S’ils sont priés, alors ils décuplent leur service d’amour : une mère chrétienne qui prierait assidûment l’Ange gardien de ses enfants assisterait à une floraison de miracles. Relisez le livre de Tobie. C’est une famille entière que l’Ange Raphaël est venu réconforter en guidant le jeune Tobie, en délivrant sa fiancée Sara qui était possédée du démon, en guérissant le vieux Tobie de sa cécité. Ce personnage céleste faisant irruption dans les malheurs d’une famille d’exilés, c’est toute la tendresse du ciel qui se déverse sur la terre ; c’est la souveraine liberté de Dieu faisant sauter la carapace de notre univers conditionné et technicisé, où il semble qu’il n’y ait plus de place pour la libéralité divine. Je vous exhorte donc à avoir fréquemment recours au ministère des saints Anges, à entrer avec joie dans ce monde de gratuité qui, au milieu de tant d’abandons et de turpitudes, constitue la marque indestructible de notre honneur catholique.
Ayez confiance dans l’intercession très particulière de saint Joseph, chef de la sainte Famille. Priez Marie de Nazareth, dont l’existence pendant trente ans fut, comme la vôtre, semée de toutes sortes de joies et d’inquiétudes familiales. Elle avait pour mission unique de tenir chaque jour une maison qui abritait le trésor infiniment précieux du Fils de Dieu ; vous avez pour mission unique, au milieu d’un monde redevenu païen, de tenir une maison qui abrite le trésor infiniment précieux d’une famille chrétienne. Et si Dieu vous fait l’honneur d’appeler l’un de vos enfants à son service, vous verrez là un titre supplémentaire de ressemblance avec Marie, mère de Jésus, associées, comme elle, au grand œuvre de la Rédemption. Un enfant consacré à dieu, c’est toute la faille qui s’élève. Souvenez-vous de la recommandation d’un patriarche à son fils : « Il ne s’agit pas seulement de propager ta race, mais de la porter plus haut. » J’aperçois pour vous, dans la dévotion à la sainte Famille, à la fois le plus haut portique de la sainteté et une étonnante simplicité d’accès : on dirait que la Très Sainte Trinité a voulu adoucir la lumière aveuglante de sa transcendance pour nous donner une image terrestre de la charité divine, livrée à l’uniformité grise du quoditien, sans grand incident et sans éclats ; l’humble résumé des joies et des peines que connaîtront les familles chrétiennes jusqu’à la fin des temps. Un amour s’exprimant jour après jour avec des moyens humains et familiers, mais d’une suprême qualité intérieure. Le moindre geste de cette famille d’artisans besogneux avait, aux regards des Anges, la valeur d’une action liturgique capable de faire pâlir les beautés de la terre. Ayez confiance dans la puissance d’attraction du modèle : c’est à Nazareth qu’il faut puiser la force d’atteindre Nazareth. Cette imitation des mœurs divines est nécessaire pour ne pas sombrer dans des mœurs indignes de notre grâce baptismale. « Les familles, a-t-on dit, sont des dynasties de vertu ; tout redescend lorsque ce sceptre leur échappe. » Alors qu’un père de famille sera, dans sa profession, presque toujours soumis à quelqu’un d’autre, auquel il devra rendre compte, en revanche, une mère de famille est douée de prérogatives inouïes, faisant d’elle la maîtresse de ce royaume appelé la maison (de « mansio », demeure) et qui a pour fin de maintenir un certain ordre des choses sa cesse menacé : nous ne sommes pas des conservateurs mais des mainteneurs. Dans cette perspective qui est celle du déclin et de la renaissance des civilisation, tout est suspendu à la sainteté de la famille. Sans doute la vie de Jeanne d’Arc est tout entière un vrai miracle ; mais ce qu’on oublie, c’est qu’au moment où Jeanne d’Arc est apparue dans l’histoire, il existait des milliers de familles fournissant le terrait d’éclosion où pouvait naître une Jeanne d’Arc.
Ayez confiance dans cette disposition mystérieuse de la Providence qui multiplie autour de vous les exemples de grandeur dans l’ordre familial : Dieu a commencé le salut du monde par une famille, et quand il voulut évangéliser l’Europe, aux premières siècles de l’Eglise, il eut de nouveau recours à une structure familiale avec Benoït de Nursie, héritier des vertus austères du patriciat romain. Ses disciples ont implanté des monastères dans tous les pays d’Occident. Ces communauté offraient le spectacle d’une famille heureuse, rassemblée autour du gouvernement paternel de l’abbé, où fleurissaient les vertus qui feront la civilisation chrétienne ; entre autres, une piétié filiale affectueuse et tranquille,empreinte de douceur et de gravité, toute orientée vers le ciel. Les barbares se sont convertis et civilisés en regardant prier et travailler les communautés monastiques. C’est la règle de saint Benoît qui a inspiré l’art de vivre en société, l’humilité et la courtoisie, l’amour du travail bien fait, le sens de la justice et jusqu’au gouvernement des princes. Combien de familles puisent dans la Règle bénédictine un style d’éducation marqué par la paix, l’hospitalité, la concorde et les relations confiantes entre parents et enfants, dans une atmosphère de prière où tout est référé à la Seigneurie de Dieu, premier servi ?
Tant et de si beaux témoignages vous sont donnés pour affermir votre confiance en la sainte Providence de Dieu, et vous permettre de faire de vos familles de petits fortins ; ou mieux, des maison de prière et de charité, à la fois accueillantes et douées de remparts, où viendront se briser l’esprit du monde et sa malice ; tandis que de pauvres hommes, déçus par ses promesses fallacieuses, découvriront sous votre toit, dans un émerveillement grandissant, le vrai sens de la vie.