VIIe JOUR DE DÉCEMBRE

De Salve Regina

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Vies de saints
Auteur : Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX
Source : D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque.
Date de publication originale : 1878

Résumé : Tome XIV
Difficulté de lecture : ♦ Facile
Remarque particulière : 7ème édition, revue et corrigée

VIIe JOUR DE DÉCEMBRE

MARTYROLOGE ROMAIN.

A Milan, l'Ordination de saint AMBROISE, évêque et docteur de l'Église, dont la sainteté et la doctrine font l'ornement de l'Église universelle. 397. — A Alexandrie, la naissance au ciel de saint Agathon, homme de guerre, qui, durant la persécution de Dèce, voulant empêcher les païens d'insulter les cadavres des Martyrs, excita aussitôt contre lui les clameurs de la multitude, fut conduit devant le juge, et, persistant dans la confession de Jésus-Christ, eut la tête tranchée pour sa piété. Vers 250. — A Antioche, les saints martyrs Polycarpe et Théodore. — A Tuburbe, en Afrique, saint Serf, martyr, qui, pendant la persécution des Vandales, sous le roi arien Hunéric, après avoir été longtemps maltraité à coups de bâton, fut ensuite, à plusieurs reprises, élevé en l'air avec des poulies, puis lâché subitement de tout le poids de son corps sur un lit de cailloux ; enfin ayant été déchiré par tout le corps avec des pierres très aiguës, il remporta la palme du martyre. 384. — A Chieti, dans le royaume de Naples, saint Urbain, évêque et confesseur. IXe s. — A Saintes, saint Martin, abbé, au tombeau duquel il se fait très souvent des miracles par la toute-puissance de Dieu 1. 409. — Au diocèse de Meaux, sainte FARE, vierge. VIIe s.

MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTÉ.

Au diocèse de Paris, sainte Fare, vierge, abbesse de Faremoutier, citée au martyrologe romain de ce jour. 655. Au diocèse de Chartres, translation (1136) des reliques de saint Aignan ou Agnan, évêque de ce siège et confesseur, cité déjà au martyrologe de France du 10 juin. Il contribua puissamment à l'extinction définitive de l'idolâtrie qui désolait encore son diocèse. Riche en patrimoine, il le légua tout entier à l'église Notre-Dame de Chartres, et, plein de jours et de vertus, s'endormit dans le Seigneur, emportant dans la tombe les regrets de tous ceux qui l'avalent connu 2. Époque incertaine. — Au diocèse de La Rochelle, saint Martin, abbé, cité au martyrologe romain de ce jour. 400. — Au pays d'Autun, saint Adhégrin ou Aldegrin de Touraine, confesseur, religieux à Baume-les-Moines, puis ermite, dont nous avons déjà parlé au 5 juin. Vers 960. — A Laon, saint Gennebaud ou Génebaud, premier évêque de ce siège et confesseur, dont nous avons donné la vie au 5 septembre. 550. — A Bayeux, saint Geretrand, évêque de ce siège et confesseur, dont les Actes sont perdus. Il fut inhumé dans l'église de Saint-Exupère, sous l'arcade du chœur. Vers 615. — A Saintes, saint Eutrope, prêtre, disciple de saint Martin, abbé, cité au martyrologe romain de ce jour. Ve s. — A Autun, anniversaire de la dédicace de l'abbaye de Saint-Martin. Détruite par les Sarrasins, la noble abbaye dormait depuis cent ans dans un linceul de poussière. Le comte Badilon, un des principaux officiers de Charles le Chauve, parcourant un jour ces ruines, s'assit en pleurant sur les tristes débris ; mais, non content du rôle de Jérémie, il prit celui d'Esdras et réédifia la royale abbaye. L'Église, qui ne perd le souvenir ni des grands jours ni des grands bienfaits, célébra pendant toute la suite des siècles l'anniversaire solennel de cette réédifications 3. 870. Au diocèse de Séez, saisit SIMÉON, solitaire dans le Passais. 850.

1. Saint Martin, fondateur-abbé de Saujon (Cœnobium Saliginense), est cité déjà au martyrologe de France du 16 novembre. Nous renvoyons nos lecteurs à la note 3 de ce martyrologe. 2. Il fut enseveli dans la crypte de l'église Saint-Pierre qu'il avait fondée, et qui, par la suite des temps, prit le nom de Saint-Agnan. Plus tard, ses ossements furent transférés dans l'église supérieure et placés sous le maître-autel. L'église ayant été incendiée en 1134, on put sauver quelques reliques du saint évêque : elles furent transférées, en 1136, dans la nouvelle basilique. C'est l'anniversaire de cette translation que fête en ce jour l'Église de Chartres. Les reliques de saint Agnan, visitées pour la dernière fois en 1774, furent profanées pour la plupart en 1793 ; les quelques fragments qu'on a pu saurer se conservent encore de nos Jours dans la même église. — Propre de Chartres. 3. cf. Saint Symphorien et son culte, par M. l'abbé Dinet, chanoine d'Autun.

MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.

Martyrologe des Frères Prêcheurs. — A Milan, l'Ordination de saint Ambroise, évêque et docteur de l'Église, dont la sainteté et la doctrine font l'ornement de l'Église universelle. 397. — De plus l'Octave de saint André, apôtre 1. 62. Martyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs. — La Vigile de l'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, patronne de tout l'Ordre séraphique. Martyrologe de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin. — De même que chez les Frères Prêcheurs.

ADDITIONS FAITES D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.

Chez les Frères Prêcheurs, le bienheureux Nicolas Fortiguera, évêque et confesseur, de l'Ordre de Saint-Dominique. Ce saint religieux naquit à Sienne, de parents illustres. Comme il étudiait à Bologne, au temps où saint Dominique s'y trouvait, touché par la grâce, il vendit ses grands biens, les distribua aux pauvres honteux, comme son patron, et vint demander l'habit au fondateur de l'Ordre des Frères Prêcheurs, qui le lui accorda volontiers. Il s'appliqua de toutes ses forces à la conversion des pécheurs, et il eut le bonheur d'en ramener à Dieu un grand nombre, même parmi les hérétiques et les juifs. Honoré de la confiance de ses supérieurs, il fonda plusieurs couvents de l'Ordre en Italie, en Grèce et en Terre sainte. Il se trouvait en Corse lorsqu'il apprit que le souverain Pontife voulait lui donner un évêché dans celle île. A cette nouvelle, il alla se cacher dans une grotte, et il n'en serait pas sorti si saint Nicolas, dans une apparition, ne l'eût repris de sa crainte excessive et ne l'eût assuré que la volonté de Dieu lui imposait la charge épiscopale. C'était un homme d'oraison, voué aux austérités les plus rudes, et extrêmement bon pour les pauvres. Dieu lui accorda la grâce des miracles pendant sa vie et après sa mort. Il la prédit en prêchant ; à la fin de son sermon, il fit faire la fosse qui devait le recevoir ; puis, ayant reçu les sacrements, il expira après la messe qu'on disait en sa présence. 1270.

1. Nous avons donné la vie de saint André au 30 novembre.

SAINT AMBROISE, ARCHEVÊQUE DE MILAN,DOCTEUR DE L'ÉGLISE

397. — Pape : Saint Sirice. Empereur d'Orient : Arcadius.

Ecce examen apum in ore leonis erat, ac favus mellis.

On eut dit d'un lion redoutable, mais généreux, dont la bouche éloquente distillait le miel le plus exquis, tout eu confondant d'une voix foudroyante l'impiété des méchants. Judic., XIV, 8.


Ambroise, dont tous les Pères et Docteurs de son temps, ou qui sont venus après lui, ont été les admirateurs ou les panégyristes, eut pour père un seigneur romain de même nom, que sa naissance, sa vertu et sa prudence avaient élevé à la dignité de préfet du prétoire des Gaules. Il n'était pas l'aîné de ses enfants ; Marcelline, que la profession de la virginité a rendue sur la terre et dans le ciel une Épouse bien-aimée de Jésus-Christ, était la première. Satyre, qui, dans une vie laïque et séculière, a imité le détachement et la piété des solitaires, était le second. Pour lui, il ne fut que le troisième et dernier. Toute sa famille était romaine ; ses ancêtres avaient eu de grandes charges dans cette ville, et sainte Sotère, l'une de ses parentes, y avait enduré le martyre sous Dioclétien. Son frère et sa sœur y étaient nés aussi ; mais, comme il vint au monde dans le temps de la préfecture de son père, laquelle l'obligeait d'être dans les Gaules, ce fut là, et dans la ville d'Arles, de Lyon ou de Trèves qu'il prit naissance. L'année n'en est pas certaine ; Baronius croit que ce fut en 333, Constantin le Grand vivant encore ; mais Hermant dit que ce fut vers 340, ce qu’il prouve dans ses Éclaircissements.

Pendant qu'il était au berceau, un jour qu'il dormait la bouche ouverte dans la cour du palais, un essaim d'abeilles vint voltiger autour de lui et environner son visage. Elles entraient dans sa bouche et en sortaient les unes après les autres, comme si elles eussent voulu y travailler leur miel. Une servante, chargée de sa nourriture, voulut les chasser de peur qu'elles ne lui fissent du mal ; mais son père, qui regardait cet événement comme un signe mystérieux, l'empêcha de le faire. Enfin ces abeilles s'envolèrent et s'élevèrent si haut qu'on les perdit de vue ; ce qui fit dire à son père que cet enfant serait un jour quelque chose de grand, si Dieu lui conservait la vie. Ce magistrat mourut peu de temps après, et sa femme, n'ayant plus rien qui l'arrêtât dans les Gaules, retourna à Rome avec ses enfants. La maison où elle se retira, et qui fut le lieu de l'éducation de notre Saint, subsiste encore. Il y a de l'apparence que c'était celle de son mari. On en a fait une église et un monastère de vierges sous le nom de Saint-Ambroise. Elle n'est pas loin du Capitole. Dieu donna à ce grand docteur, dès ses plus tendres années, des pressentiments de ce qu'il serait un jour. Car, voyant que sa mère, sa sœur et une autre vierge qui demeurait avec elles, baisaient la main de l'évêque, il leur donnait aussi sa main à baiser, disant qu'elles le devaient faire, parce qu'il serait évêque. La jeunesse de Rome était alors très corrompue et se plongeait dans toutes sortes de dissolutions ; mais il n'imita pas ce mauvais exemple, et, par le soin qu'il prit d'éviter les mauvaises compagnies et toute autre occasion de dérèglement, il se maintint dans la modestie et la retenue conformes aux bonnes inclinations que Dieu lui avait données. Baronius même estime qu'il est toujours demeuré vierge ; et il fonde son opinion sur ce qu'il dit dans l'oraison de la préparation à la messe qui porte son nom, et que plusieurs croient être de lui. Aussi nous ne doutons point que sainte Marcelline, sa sœur, qui avait reçu le voile de la virginité lorsqu'il n'était qu'enfant, et qui avait préféré cette vertu aux plus grands avantages de la fortune, ne lui en ait inspiré l'amour à mesure qu'il croissait en âge. Et les livres de la Virginité, qu'il a composés peu d'années après sa promotion à l'épiscopat, font assez voir qu'il avait toujours eu une estime et une affection particulières pour cette vertu. Il joignit l'étude des langues, de la rhétorique et de la philosophie aux exercices de la piété, et il s'y rendit si habile, qu'il parut bientôt avec une réputation extraordinaire au barreau et dans la profession d'avocat, qui était le degré pour arriver aux plus grandes charges. Par ce moyen il se concilia l'amitié des premiers de Rome, comme de Symmaque, lequel, nonobstant qu'il fût païen, était regardé comme le prince du sénat, et d'Anicius Probus, à qui l'empereur Valentinien avait donné, en 369, la préfecture d'Italie et de plusieurs autres provinces de l'empire. Ce préfet, reconnaissant les mérites d'Ambroise et les rares qualités de corps et d'esprit qu'il avait reçues du ciel, le choisit premièrement pour lui servir de conseiller et comme d'assesseur ; puis, la munificence envers ses amis lui étant naturelle, il le nomma gouverneur de la Ligurie et de l'Émilie, qui comprenaient alors les provinces de l'archevêché de Milan, de ceux de Turin, de Gênes, de Ravenne et de Bologne. Lorsque Ambroise prit congé de Probus, pour se rendre à son gouvernement, le préfet, qui ne goûtait pas la sévérité inexorable de l'empereur Valentinien et de la plupart de ses officiers, qui allait souvent jusqu'à la cruauté, lui marqua comment il s'y devait comporter, par ces paroles si mémorables : « Allez », dit-il, « et agissez, non en juge, mais en évêque » ; et l'événement fit voir que cette exhortation était une espèce de prophétie. Il arriva à Milan, principale ville de son ressort, lorsque l'évêque d'Auxence, grand fauteur de l'arianisme, et qui avait gouverné cette Église pendant vingt ans, plutôt en tyran qu'en pasteur, étant mort, les catholiques et les ariens étaient dans un grand démêlé sur l'élection d'un successeur. L'empereur Valentinien, qui était alors à Trèves, n'avait pas voulu s'en attribuer le droit, et les évêques de la province n'en étaient pas seuls les maîtres ; le peuple concourait alors aux élections, et il était bien difficile qu'il s'accordât dans une si grande différence de sentiments et d'affections. Il était même à craindre que les deux partis n'en vinssent aux mains dans l'église ; les catholiques ne pouvaient pas souffrir qu'un loup fût mis à la place du Pasteur, et les Ariens, qui s'étaient fortifiés durant la prélature d'Auxence et le règne de Constance, ne voulaient pas perdre le crédit qu'ils avaient eu sous un évêque de leur secte. Saint Ambroise, étant informé de ce qui se passait, crut qu'il était de son devoir, en qualité de gouverneur de la province, de venir dans l'assemblée pour empêcher ce désordre. Il y vint, en effet, il harangua publiquement le peuple, l'exhorta avec toute la force et les charmes de son éloquence à faire l'élection sans tumulte. Il parlait encore, lorsqu'un enfant, par une impression extraordinaire de l'Esprit de Dieu, s'écria au milieu de la compagnie : « Ambroise, évêque ! » et cette voix étant venue comme une inspiration céleste, chacun de l'un et de l'autre parti se mit à crier avec l'enfant : « Ambroise, évêque ! » Le gouverneur, qui non seulement n'était point clerc, mais n'avait pas même encore reçu le baptême, fut fort surpris d'un désir si général. Il fit ce qu'il put pour changer l'esprit du peuple. Il leur dit que ce qu'ils proposaient était tout à fait contre la raison ; qu'il n'avait ni la vocation ni la volonté d'être ecclésiastique ; que, quand il aurait quelque inclination pour cela, il était infiniment éloigné de l'épiscopat ; que saint Paul l'en excluait lui-même par la condition qu'il demande dans un évêque, qu'il ne doit pas être néophyte, et que n'étant encore que catéchumène, il était bien moins qu'un néophyte ; que, d'ailleurs, il n'avait ni la science des mystères de la foi et des canons ecclésiastiques, ni l'expérience nécessaire à un pasteur du troupeau de Jésus-Christ. Ces remontrances, néanmoins, n'eurent aucun effet. Le peuple, qui agissait par un mouvement divin, demeura ferme dans sa résolution, et quelque excuse qu'Ambroise pût apporter, il ne cessa point de le demander absolument pour évêque. Cela fit qu'il sortit de l'assemblée, et que, pour faire changer de sentiment aux Milanais, il prit des moyens fort extraordinaires. Il monta sur son tribunal, et, contre les inclinations de sa douceur, s'étant fait amener des criminels, il leur fit donner la question en sa présence, afin que, passant pour cruel, il fût jugé incapable du sacerdoce. Ce moyen ne réussissant pas, il se retira dans son palais, et, tout chaste qu'il était, il y fit venir publiquement des femmes de mauvaise vie, espérant que ce spectacle donnerait une telle aversion au peuple, qu'il ne penserait plus à lui pour une dignité qui demande une pureté angélique. On vit bien que ce n'étaient là que des artifices dont il se servait pour s'exempter du fardeau que la divine Providence voulait lui mettre sur les épaules. On insista donc de plus en plus, et la nuit seule put écarter la multitude qui le pressait d'accepter la charge. A minuit, il se sauva de la ville et prit le chemin de Pavie, qui était aussi de sa juridiction ; mais ce fut inutilement ; car, après avoir marché tout le reste de la nuit, il se trouva encore au point du jour à une des portes de Milan, que l'on appelait la porte de Rome. Les Milanais l'ayant reconnu, l'environnèrent, le reconduisirent dans son palais, et lui donnèrent des gardes. On écrivit en même temps à Valentinien pour le prier d'agréer son élection, et de l'obliger même par son autorité souveraine de s'y soumettre. Ce prince l'eut d'autant plus agréable, qu'il lui était fort honorable qu'on eût pris pour évêque celui qu'il avait choisi pour magistrat ; de sorte qu'il manda au vicaire ou gouverneur d'Italie de faire ses diligences, afin que la chose fût exécutée sans empêchement. Pour le préfet Anicius Probus, il en eut une satisfaction extrême, voyant qu'il avait prédit sans y penser ce qui devait arriver, lorsqu'il avait dit à Ambroise : « Allez, agissez plutôt en évêque qu'en juge ». Cependant, notre Saint trouva moyen de s'échapper, et il se retira secrètement chez un de ses amis, nommé Léonce, qui avait une maison à la campagne ; mais le gouverneur d'Italie ayant ordonné, sous des peines très rigoureuses, à tous ceux qui savaient où il était, de le dénoncer, Léonce le dénonça lui-même par une trahison innocente. Ainsi, Ambroise fut découvert, et s'étant enfin rendu à ce que Dieu demandait de lui, il fut baptisé et promu successivement aux ordres par un évêque catholique, et huit jours après son baptême, le 14 décembre 374, il reçut la consécration épiscopale, étant âgé d'environ trente-quatre ans, ou, selon Baronius, de quarante et un ans. On ne saurait croire combien toute l'Italie et les autres provinces de l'empire eurent de joie de son élection, dans l'espérance qu'il réparerait, par son zèle et par sa vertu, les grands maux que l'Église de Milan avait soufferts par l'artifice et la perfidie de l'hérétique Auxence. Saint Basile, archevêque de Césarée, lui en écrivit une lettre de compliments, dans laquelle il lui donne de très beaux éloges ; et les autres prélats, tant de l'Orient que de l'Occident, approuvèrent aussi et louèrent le choix qui avait été fait de sa personne, parce que, bien qu'on n'y eût pas suivi les canons ecclésiastiques à la lettre, on en avait néanmoins suivi l'esprit ; et que, d'ailleurs, Dieu avait assez fait voir qu'il voulait qu'en cette occasion on passât par-dessus les règles ordinaires. Saint Ambroise, ayant été élevé de cette manière sur le trône épiscopal, fit bientôt voir qu'il était digne de ce rang. Il donna aux pauvres tout ce qu'il avait d'or et d'argent. Il fit son église propriétaire de tous ses biens, n'en laissant que l'usufruit à sainte Marcelline, sa sœur ; il ne voulut point prendre la conduite de son temporel, mais, pour être plus dégagé et n'avoir rien qui l'empêchât de se donner tout entier à son troupeau, il en confia tout le soin à son frère, saint Satyre, qui, apparemment, vint demeurer alors avec lui à Milan. Comme il n'avait guère étudié les matières théologiques, il s'appliqua sérieusement à en acquérir la connaissance, tant par la lecture des saintes Écritures et des Pères de l'Église qui l'avaient devancé, et dont il donne souvent les pensées et transcrit même les paroles propres en ses ouvrages, que par des conférences avec des hommes doctes, surtout avec Simplicien, prêtre de Rome, que Baronius croit lui avoir été envoyé par saint Damase, pour l'instruire de la doctrine de la foi et des règles de la discipline ecclésiastique. It disait tous les jours la messe quand il n'en avait point d'empêchement indispensable et l'on peut voir, par les oraisons qu'il a composées pour se préparer à célébrer cet auguste mystère, avec quelle dévotion il le faisait. Il prêchait son peuple tous les dimanches, et ses sermons étaient remplis de tant de doctrine, d'éloquence et d'onction, que plus on l'entendait, plus on voulait l'entendre, et plus il en retirait un fruit merveilleux et faisait des conversions incroyables dans Milan. Celle de saint Augustin fut elle seule une conquête si importante et si avantageuse à l'Église, qu'on peut dire que, quand Ambroise n'aurait converti qu'Augustin, il aurait converti des provinces et des royaumes tout entiers. Il s'employait avec une assiduité si constante aux autres fonctions de sa charge, qu'il faisait seul, pour l'instruction des catéchumènes, ce que cinq évêques eurent bien de la peine à faire tous ensemble après sa mort. Il était d'un accès facile, et il recevait dans son palais et même dans sa chambre les personnes les plus pauvres avec autant de bienveillance que les plus riches ; c'est pourquoi il ne voulait pas qu'il y eût de gardes à sa porte, ni qu'on en refusât l'entrée à personne. Il était toujours prêt à exercer la charité envers ses fidèles ; et il ne prenait pas un moindre soin des pauvres, des captifs, des veuves, des orphelins, des pupilles et de toutes sortes de malheureux, que s'ils eussent été ses propres enfants. Il n'eut pas grand-chose à réformer dans sa conduite quand il fut évêque, parce qu'elle avait toujours été fort réglée ; mais il travailla perpétuellement à sa perfection dans la tempérance, la sobriété, le jeûne, le retranchement des plaisirs les plus innocents et la mortification des sens. Bien qu'il fût un des plus savants docteurs de l'Église, il ne laissait pas de soumettre ses écrits à la censure, non seulement des personnes illustres, tels qu'étaient alors saint Simplicien et saint Sabin, évêque de Plaisance, mais aussi à celle de plusieurs autres moins considérables. Voici comment il en écrit à saint Sabin : « Chacun se trompe en ses écrits. Plusieurs choses échappent en les relisant, et, de même que les pères trouvent toujours leurs enfants agréables, quelque laids qu'ils soient, aussi les discours les plus mal faits ne laissent pas de plaire à leurs auteurs. J'ai, outre cela, l'esprit enveloppé de ténèbres et je me reconnais coupable d'imprudence, aussi, je vous prie d'examiner sévèrement les traités que je vous envoie ; pesez-en les sentences et les mots, et corrigez-y librement ce que vous trouverez digne de correction ». Il n'était pas moins déférent en toute autre chose. La grande prudence dont Dieu l'avait doué, et cette force d'esprit, qui était son caractère propre, ne l'empêchaient pas de consulter presque en toutes ses affaires le même saint Simplicien, qu'il considéra toujours comme son père. Il demandait aussi avis à sa sœur, sainte Marcelline, dans les difficultés qui lui survenaient, et il ne faisait ordinairement rien d'important sans prendre auparavant son conseil. Il s'appliqua singulièrement à porter ses auditeurs à la pureté, qui est une vertu si agréable à Jésus-Christ, et que l'on peut appeler l'honneur du Christianisme, et même il exhortait souvent les jeunes filles à demeurer vierges. Il est vrai que ces sortes d'exhortations firent peu de fruit dans Milan, parce que les mères étouffaient dans le cœur de leurs filles tous les bons sentiments que le saint prélat y avait fait naître par sa parole ; mais ces exhortations, se répandant, réussirent autre part et dans les lieux fort éloignés, de sorte que l'on amenait à Ambroise, de Bologne, de Plaisance, et même des extrémités de l'Afrique et du pays des Maures, de très chastes filles, qui voulaient recevoir de ses mains le voile de la virginité : ce qui lui faisait dire fort agréablement que, puisque les discours qu'il prononçait à Milan produisaient tant de bien dans les provinces éloignées, pendant que son peuple demeurait insensible, il était d'avis d'aller prêcher dans ces provinces pour toucher le peuple de Milan. Il se fit, surtout à Bologne, d'excellentes communautés de vierges sous sa direction ; outre qu'elles servaient le Sauveur d'un cœur pur, elles s'appliquaient avec un zèle merveilleux à lui acquérir sans cesse de nouvelles épouses. C'est en leur faveur qu'il composa ses trois livres de la Virginité, que nous pouvons appeler son chef-d'œuvre, et où il s'est autant surpassé lui-même, qu'il surpasse la plupart des autres docteurs dans le reste de ses écrits. Comme il avait un soin extraordinaire d'animer les vierges à la conservation de la chasteté, il parlait aussi fort souvent aux veuves dans la chaire, pour leur faire connaître l'excellence et les obligations de leur état. Mais, afin de n'être pas moins utile à celles qui étaient absentes qu'à celles qui étaient présentes, il donna encore au public un Traité des veuves, qui est plein de cette lumière et de cette onction divine, dont son âme était toute remplie. Il avait une singulière compassion pour les pécheurs, et lorsqu'ils venaient à lui pour s'excuser de leurs crimes, il les recevait et les écoutait avec une bonté et une tendresse qui ne sont presque pas concevables. Il versait alors des larmes en telle abondance, qu'il leur brisait le cœur et les obligeait aussi d'en verser de leur côté ; il usait envers eux d'une si grande condescendance, qu'on eût dit qu'il avait lui-même été le coupable, et il était si discret en ce qui le touchait, qu'il ne parlait jamais de leur péché qu'à Dieu seul, pour intercéder en leur faveur auprès de sa bonté. Il ne gardait pas seulement cette discrétion à l'égard des fautes qu'il avait déjà ouïes dans la confession sacramentelle, et qui doivent demeurer sous le sceau d'un secret inviolable ; mais aussi à l'égard de celles qui lui avaient été découvertes comme à un charitable et souverain médecin, et à un pasteur plein de sagesse et de miséricorde. Comme le règne du christianisme était encore récent, il restait de tous côtés beaucoup d'observances superstitieuses du paganisme ; mais il s'appliqua avec une vigueur apostolique à les retrancher, entre autres, celles qui se faisaient le premier jour de l'an en l'honneur de Janus ; il ordonna pour cela un jeûne qui a duré jusqu'à l'entière destruction de l'idolâtrie et l'établissement de la fête solennelle de la Circoncision. Il abolit aussi les festins qui se faisaient dans l'église, sur les tombeaux des martyrs, sous prétexte de leur rendre de l'honneur, parce que, bien qu'au commencement cela se pratiquât pieusement et pour exercer la charité et donner à manger aux pauvres, il s'y était glissé dans la suite de grands désordres, et les églises étaient devenues par ce moyen des lieux de tumulte, de risée, d'ivrognerie et d'autres dissolutions semblables. Saint Augustin étant retourné en Afrique, imita ce zèle et fit en sorte que le même abus fût banni des églises de Carthage, d'Hippone et de quelques autres qui voulurent se conformer à leur exemple. C'est à ce sujet qu'il disait dans un de ses sermons, qui est le CIe de Diversis : « Les martyrs haïssent vos verres et vos bouteilles. Ils haïssent vos grils et vos poêles. Ils haïssent vos excès et vos ivrogneries. Enfin, ils haïssent cette coutume et n'aiment pas ceux qui l'observant ». Si saint Ambroise se portait avec tant de sollicitude à bien régler les laïques, il n'appliquait avec plus de soin à la bonne discipline de ses ecclésiastiques. Il savait qu'un bon prêtre est un trésor que l'on ne peut assez estimer, que les plus grands maux de l'Église viennent de la corruption de ceux qui la gouvernent, comme les plus grands biens naissent de leur sage conduite et de leurs bons exemptes, et, que, pour réformer le peuple, il faut nécessairement commencer par la réformation des ministres du saint autel. Ainsi, il ne souffrait point parmi ses clercs des hommes libertins et vicieux ; il voulait que tous se rendissent assidus aux divins offices et qu'ils fussent modestes, retenus et parfaitement bien composés dans leur port, leurs regards et leurs habits ; il refusa même d'admettre un de ses amis, parce qu'il avait des manières toutes séculières. Lorsqu'il en mourait quelqu'un d'une vertu éprouvée, il déplorait amèrement la perte qu'il faisait, parce que, d'un côté, il eût souhaité d'être mort avant lui, et que, de l'autre, il savait qu'il serait difficile de faire remplir sa place par quelqu'un de même mérite. Aussi Dieu lui a fait la grâce d'avoir dans son clergé des hommes éminents en doctrine et en piété. Saint Paulin, évêque de Nole, fut son prêtre. Saint Félix et saint Vénère, évêques de Bologne et de Milan, furent ses diacres. Paulin, qui a écrit sa vie et qui fut ensuite un des plus généreux adversaires de l'hérétique Pélage ; Théodule, qui fut élevé sur le trône épiscopal de l'Église de Modène, ont aussi eu le même rang. Comme il avait un désir extrême que les diocèses fussent pourvus de bons pasteurs, il y contribuait aussi et y concourait de tout son pouvoir. Ce fut lui qui, après la mort da saint Philatre, évêque de Bresle, travailla à mettre cet évêché sous la conduite de saint Gaudence. Il sacra aussi saint Honorat, évêque de Verceil, et saint Félix, premier évêque de Côme, et il envoya à saint Vigile, évêque de Trente, nouvellement ordonné, des règles saintes pour se bien gouverner dans l'administration de cette charge. Les combats que notre incomparable docteur eut avec les Ariens depuis sa promotion à l'épiscopat, furent continuels, parce que, dès qu'il eut hautement déclaré qu'il ne pouvait les souffrir dans son diocèse, ils ne cessèrent jamais de le persécuter. Il est vrai que pendant le règne de Valentinien 1er et de Gratien, son fils, leurs atteintes furent fort légères et de nulle conséquence, parce que ces grands princes s'étaient rendus les protecteurs inflexibles de la religion catholique. Mais depuis que Valentinien fut mort, que Gratien fut tué par les gens du tyran Maxime, et que Valentinien le Jeune fut monté sur le trône impérial, sous la régence de Justine, sa mère, princesse arienne, Ambroise eut de furieux chocs à soutenir, et il lui fallut une force plus qu'humaine pour en sortir victorieux. Sous le règne de Gratien, il écrivit cinq livres de la Foi, où il établit avec une force et une solidité invincibles la divinité de Jésus-Christ. Il alla généreusement à Sirmium, capitale de l'Illyrie, où on était alors en contestation pour l'élection d'un évêque, et, malgré la brigue de l'impératrice Justine, il en fit élire un catholique. Ce fut en cette occasion, que, comme il était monté sur la chaire épiscopale pour parler au peuple, une fille arienne eut l'effronterie de monter après lui, afin de le faire tomber du côté des femmes de sa secte, et de l'exposer ainsi à leurs insultes et à leurs coups ; mais le Saint, se tournant vers elle, lui dit constamment, selon qu'il l'a souvent raconté lui-même : « Je sais que je suis indigne du sacerdoce et du rang qu'il me donne dans l'Église ; mais il ne convient ni à votre sexe ni à votre profession de mettre la main sur un évêque, quelque méprisable qu'il soit ; et vous devez craindre que Dieu, qui est le juste vengeur de ses ministres, ne vous punisse rigoureusement ». Cette remontrance fut une prophétie ; car cette impudente mourut subitement quelques instants après, et dès le lendemain on la porta au sépulcre. Saint Ambroise assista à sa pompe funèbre, montrant par là qu'il n'avait point de ressentiment de l'injure qu'elle lui avait faite. Ce terrible châtiment arrêta le tumulte des Ariens, et fut cause de l'élection pacifique et tranquille d'Anème, qui était un ecclésiastique d'une foi et d'une piété reconnues. Notre Saint se trouva au Concile d'Aquilée ; il y disputa contre Pallade, hérétique arien, le confondit par la force de ses raisonnements tirés des saintes Écritures, et concourut à la condamnation de cet imposteur, ainsi qu'à celle de Secondien et d'Attale, qui faisaient profession de la même impiété que lui. Ce fut vers ce temps que le bienheureux prélat, ayant été obligé d'aller chez Macédon, grand maître du palais de l'empereur, pour solliciter la grâce d'un criminel, ce ministre incivil, que la faveur du prince remplissait d'orgueil et de présomption, lui refusa sa porte et ne voulut pas lui permettre d'entrer pour lui parler : « Vous viendrez aussi à l'église », lui dit alors saint Ambroise ; « mais vous n'y entrerez pas, quoique vous en trouviez les portes ouvertes ». L'événement fit voir la vérité de cette prédiction ; car, Gratien ayant été tué l'année suivante par Andragathe, général d'armée de Maxime, Macédon voulut se sauver dans l'église pour éviter la mort, et quoique les portes ne fussent point fermées, il n'en put jamais trouver l'entrée. Deux autres seigneurs, qui faisaient les catholiques, bien que dans l'âme ils fussent Ariens, voulant se jouer de ce grand homme, lui proposèrent une question difficile sur le mystère de l'Incarnation, et le prièrent d'en donner publiquement la solution. Il y consentit et promit de le faire dés le lendemain, dans la basilique appelée Portienne. Il s'y trouva à l'heure qu'il avait marquée et une foule d'auditeurs avec lui qui étaient ravis de l'entendre discourir sur cette matière. Mais les deux chambellans, au lieu de se rendre au rendez-vous, montèrent dans un chariot et s'en allèrent se promener hors de la ville, sans en donner avis à personne. Dieu ne souffrit pas le mépris qu'ils faisaient si insolemment de son serviteur et des vérités de notre religion ; ils tombèrent de leur chariot, se cassèrent la tête et furent portés au tombeau dans le même temps qu'ils avaient dessein de jouer l'assemblée des catholiques. Saint Ambroise, qui ne savait rien de cet accident, après avoir longtemps attendu, ne laissa pas, nonobstant leur absence, de monter en chaire, et le sermon qu'il y fit nous a produit cet excellent traité qui a pour titre : Du mystère de l'Incarnation de Notre-Seigneur. Sur la fin de la vie de Gratien, il alla à Rome, où il n'avait point encore été depuis huit ans qu'il était évêque, pour assister à un Concile que le pape saint Damase avait convoqué sur les plaintes de Maxime le Cynique, faux archevêque de Constantinople. Ce fut en ce voyage que lui arriva ce que le cardinal Baronius rapporte comme une chose connue parla tradition. S'étant logé dans une hôtellerie, il s'informa de son hôte comment allaient ses affaires, et s'il n'avait rien qui l'inquiétât et lui donnât de l'affliction. Celui-ci, qui était un homme vain et présomptueux, se mit à vanter sa bonne fortune, et, sans rendre aucune action de grâces à Dieu, qui est l'auteur de tous les biens, il dit au bienheureux évêque qu'il n'avait jamais eu d'adversité, que toutes choses jusqu'alors lui avaient réussi selon son désir ; qu'il ne se souvenait pas même d'avoir été malade ; que ses biens étaient abondants, et que tout lui souriait en ce monde. Alors le Saint se souvint de ces paroles de Job : « Ils passent leur vie dans l'abondance des biens de la terre, et tout d'un coup ils tombent dans les enfers ». Il reconnut, par un mouvement divin, qu'elles allaient s'accomplir en ce misérable ; aussi, se tournant vers ceux qui l'accompagnaient, il leur dit : « Sortons d'ici promptement, de crainte d'être enveloppés dans la ruine de cette famille ». A peine furent-ils sortis que la terre s'ouvrit et ensevelit l'hôtellerie avec tous ceux qui étaient dedans ; et ce funeste lieu fut changé en un lac, qui sert de témoin et de preuve éternelle d'un si étrange accident, et nous apprend aussi que le bonheur des méchants est un fléau secret de Dieu ; qu'il ne faut pas envier, mais plutôt déplorer la prospérité de ceux qui paraissent les plus heureux du monde. Quand saint Ambroise arriva à Rome, sa mère était déjà décédée ; mais il y trouva sa sœur, sainte Marcelline, et cette vierge, dont nous avons parlé au commencement, qui lui servait de compagne, et lorsqu'elles lui vinrent baiser la main, il les fit ressouvenir en souriant qu'il la leur avait fait baiser étant enfant, en les assurant qu'il serait évêque. Son séjour en cette ville fut signalé par la guérison miraculeuse d'une femme paralytique, qu'il opéra en lui imposant les mains après sa prière. Dès qu'il eut rendu à l'Église les services qu'il était obligé de lui rendre, il revint à Milan veiller sur la conduite de son troupeau. Ce fut aussi là qu'il chassa les députés de Priscillien et de ses adhérents, lesquels, après avoir été condamnés en Espagne et dans les Gaules, venaient chercher de la protection et de l'appui en Italie. Ce fut aussi là que, pour empêcher l'effet de la requête que quelques sénateurs romains encore païens avaient envoyée présenter à l'empereur pour en obtenir le rétablissement de l'autel de la Victoire, dont il avait ordonné la démolition, avec la permission d'offrir des sacrifices aux anciennes divinités de l'empire et de tirer de l'épargne les frais de cette superstition, notre Saint présenta, par l'ordre du pape saint Damase, au même empereur, celle des sénateurs catholiques qui protestaient contre des demandes si abominables et assuraient Sa Majesté qu'elles ne venaient pas du corps du sénat, mais de quelques sacrilèges qui s'opiniâtraient dans l'impiété de l'idolâtrie. Et il conduisit si sagement cette affaire, que la requêtes des païens fut rejetée et celle des chrétiens reçue et entérinée. La mort de Gratien suivit bientôt cet heureux événement, et elle fut, comme nous l'avons déjà dit, le commencement des persécutions et en même temps des plus illustres victoires de saint Ambroise. Valentinien II, fils du premier et frère de Gratien, d'un second lit, devint maître de l'empire d'Occident ; mais, comme il était encore jeune, Justine, sa mère, princesse arienne, prit en main la conduite des affaires et s'empara de la puissance souveraine. Elle ne put néanmoins d'abord faire éclater sa fureur contre la foi catholique. Le tyran Maxime, qui avait fait mourir l'empereur, était maître de l'Angleterre, de l'Allemagne et des Gaules, il avait deux grandes armées prêtes à fondre sur l'Italie, et le petit Valentinien était trop faible pour arrêter ses conquêtes par la force. Dans un si grand péril, Justine n'avait garde d'attaquer saint Ambroise, ni les orthodoxes qui lui étaient unis ; elle eut, au contraire, recours à lui et le supplia d'aller en ambassade vers ce tyran, pour tâcher d'adoucir son esprit, de l'empêcher de passer les Alpes et de le porter à un accommodement. Il n'y avait rien de plus difficile que ce projet, et il semblait que ce n'était pas moins entreprendre que de vouloir arrêter un torrent dans la plus grande rapidité de sa course. Ambroise néanmoins, qui aimait sa patrie, et qui savait que l'irruption du tyran dans l'Italie la remplirait de meurtres et de sang, accepta cette mission. Il part de Milan, passe les Alpes, et arrive au camp de Maxime ; il demande audience et agit si adroitement auprès de lui, que ce tyran se plaignait depuis que c'était lui qui l'avait empêché de passer les monts quand il en était temps et qui avait fixé le cours de ses victoires. Il fut assez longtemps en ce voyage, parce que Maxime le retint au lieu où il était, jusqu'au retour de Victor, que lui-même avait envoyé vers Valentinien, Mais Dieu le rendit enfin à Milan pour soutenir les intérêts de sa gloire, contre laquelle les païens et les ariens avaient conspiré à la faveur de la minorité du prince. Symmaque, préfet de Rome, avec quelques sénateurs païens, arrivèrent à la cour pour renouveler les demandes qu'ils avaient faites l'année précédente à Gratien, savoir : qu'il leur fût permis de rétablir l'autel de la Victoire et les sacrifices des idoles, et de rentrer dans les anciens privilèges du paganisme. Il était fort à craindre que Valentinien ne se laissât aller à ces sollicitations, tant à cause de la faiblesse de son âge et de son empire, que parce que la plupart de ceux qui entraient dans son conseil favorisaient beaucoup Symmaque et étaient eux-mêmes encore attachés à l'idolâtrie. D'ailleurs l'argent ne manquait pas aux païens pour corrompre ceux qui approchaient de Sa Majesté ; et ils avaient fait les choses si secrètement, que, ni le Pape, ni les évêques, ni aucun des sénateurs chrétiens n'en avaient été informés. Saint Ambroise fut le premier à qui l'on en donna avis lorsque l'affaire avait déjà été proposée au conseil ; mais il ne perdit point de temps. Il mit aussitôt la main à la plume, et écrivit fortement à Valentinien, lui remontrant qu'il ne pouvait accorder aux idolâtres ce qu'ils demandaient sans se rendre lui-même coupable de sacrilège, se déclarer l'ennemi de Jésus-Christ, s'interdire l'approche des saints autels, se fermer la porte de l'église, s'opposer aux sages constitutions de Gratien, son frère, et dégénérer de sa vertu et de sa piété. Ce prince, tout jeune et tout enfant qu'il était, rejeta les avis de ses mauvais conseillers, et répondit vigoureusement qu'il n'accorderait jamais aux païens ce que Gratien leur avait ôté. Notre Saint ne se contenta pas de cette victoire : il composa encore un excellent traité contre les raisons de Symmaque, où il les réfuta si parfaitement, que ce préfet n'eut jamais rien à y répliquer, et qu'il a passé pour une des plus belles apologies qui aient été faites en faveur du Christianisme. C'est l'Épître onzième à Valentinien. Il ne lui fut pas si facile de détruire les entreprises des Ariens. L'ingrate Justine, qui lui était redevable de la conservation de la couronne de son fils et de la sienne, oublia bientôt un bienfait si considérable ; et, parce qu'elle savait que lui seul était capable de s'opposer au dessein qu'elle formait de relever l'arianisme dans Milan, elle fit jouer toutes sortes de ressorts pour le perdre. Elle lui avait déjà opposé un faux évêque de sa secte, scythe d'origine, qui, pour cacher les grands crimes qu'il avait commis en son pays, s'était fait appeler Mercurin, au lieu d'Auxence, qui était son nom. Il est vrai que son diocèse ne s'étendait pas plus loin que le chariot de l'impératrice ; qu'il n'avait ni temple, ni oratoire, ni autel, ni lieu d'assemblée, et que ses paroissiens n'étaient plus que quelques officiers de la cour, et quelques dames, avec une troupe de Goths qui suivaient le prince. Mais Justine entreprit à toute force de lui faire donner une église. Elle en parla au conseil, et il y fut résolu qu'on obligerait notre Saint de lui céder la basilique Portienne. On le manda au palais, et on lui en fit la proposition ; mais ce grand homme, qui brûlait du zèle de l'honneur de son Maître, n'eut garde de livrer un seul de ses temples à ses ennemis. Il répondit courageusement que les églises chrétiennes étaient pour y honorer Dieu d'un culte saint et religieux, et non pas pour y tenir des assemblées sacrilèges, qui ne pouvaient être que très odieuses à sa divine Majesté ; que celles des Ariens étaient de ce genre, et conséquemment qu'il ne pouvait leur donner aucune église ni dedans, ni dehors la ville pour les célébrer. Cependant, le peuple craignant qu'on ne lui fît quelque violence dans le palais, y accourut en si grand nombre et avec tant d'impétuosité, que toute la cour en fut effrayée ; l'impératrice même fut contrainte, pour apaiser ce tumulte, d'avoir recours à celui qu'elle persécutait, de l'assurer qu'on n'entreprendrait rien sur la basilique Portienne, et de le prier d'apaiser et de congédier le peuple. Il le fit d'autant plus volontiers qu'il eût mieux aimé mourir que d'être cause d'un mouvement de sédition et de trouble dans la ville. Dés le lendemain, Justine, oubliant ce qu'elle avait promis, porta son dessein encore plus loin ; car, ne pensant plus à la basilique Portienne, qui était hors de la ville, elle voulut avoir une église neuve, qui était au dedans, et elle envoya dire au Saint, de la part de l'empereur, qu'il eût à la livrer à l'heure même, sans souffrir que le peuple s'en mêlât. Il répondit généreusement qu'il ne pouvait ni la livrer, ni l'empereur s'en emparer, parce que c'était la maison de Dieu dont les évêques étaient les gardiens et non pas les maîtres, et sur laquelle les rois n'avaient aucun droit légitime. On lui fit sur cela beaucoup d'autres instances, mais il demeura constant et inébranlable dans sa résolution ; tout le peuple applaudit à ses réponses et protesta qu'il était prêt à donner son sang pour la défense de son évêque et pour le soutien de la foi catholique. Ceci arriva le vendredi avant le dimanche des Rameaux. Ce même dimanche et le mercredi suivant, l'empereur et la princesse sa mère ne se contentèrent pas de prières et de commandements, mais ils envoyèrent des soldats et firent porter les tentures du palais, tantôt à la basilique Portienne, tantôt à l'église neuve, dont ils voulaient se rendre maîtres. Ils firent arrêter et charger de chaînes des bourgeois qui avaient saisi un prêtre arien. Ils commirent diverses violences pour écarter les catholiques, pendant qu'ils prendraient possession de l'un de ces temples ; mais tout cela ne réussit point. Notre Saint empêcha d'un côté, par son insigne prudence, que le peuple ne fît quelque sédition et qu'il n'y eût du sang répandu ; mais, d'autre part, il fit tant, par sa fermeté inébranlable, par ses prières et ses larmes auprès de Dieu, par son assiduité à l'église, et par sa persévérance à y entretenir son peuple de saints discours tirés des histoires de l'Ancien et du Nouveau Testament, qu'il rendit tous ces efforts inutiles. Enfin, le vendredi saint, le calme fut rendu à l'Église de Milan, et l'empereur témoigna ne plus penser donner une basilique aux Ariens, dans cette grande ville où il faisait sa résidence. Calligone, le chef des eunuques du palais, irrité contre le saint prélat pour la résistance qu'il avait apportée aux volontés de son prince, le menaça de lui faire couper la tête ; mais Ambroise lui fit cette admirable réponse, qui le couvrit de confusion : « Je souhaite que Dieu vous permette de le faire ; je souffrirai alors ce que les évêques sont accoutumés de souffrir, et vous ferez ce que font ordinairement les eunuques ». Deux ans après, cet insolent eut lui-même la tête coupée pour un acte immoral. Euthyme, un des autres officiers du prince, voulant complaire à l'impératrice, avait fait préparer, durant tout ce grand trouble, un chariot dans une maison voisine de l'église, pour y jeter le saint prélat au sortir du service, et le transporter ainsi de la ville en quelque autre province ; mais il n'osa exécuter son projet à cause du zèle que les Milanais faisaient paraître pour la conservation de leur saint pasteur ; et lui-même, l'année suivante, fut chassé de Milan et mené en exil dans le même chariot qu'il avait disposé pour un attentat si criminel. Jamais victorieux n'usa plus sobrement et avec plus de modération de sa victoire qu'Ambroise. Il savait qu'il ne la devait pas à sa force, ni à son industrie, mais à la bonté infinie de Dieu, qui est la source de tous les biens, et sans lequel tout l'effort et toute l'adresse des hommes sont inutiles ; aussi il ne faisait autre chose qu'exhorter son peuple à lui en rendre des actions de grâces, et à reconnaître cette faveur par des actes de religion et de miséricorde. A la fin de l'année, la guerre recommença avec plus de violence qu'auparavant. L'empereur fit une ordonnance par laquelle il permettait à tous ceux qui suivaient les décrets du concile de Rimini, lequel avait établi l'Arianisme en proscrivant la doctrine de la consubstantialité du Verbe, d'avoir des églises, de tenir des assemblées et de faire publiquement les fonctions de leur religion, avec défense aux évêques, sous peine de la vie, de s'y opposer. Il est vrai qu'un des secrétaires d'État, nommé Bénévole, homme d'une insigne piété, refusa de souscrire à une loi si impie et si contraire au bien public, aimant mieux perdre sa charge et être banni du conseil que de contribuer à la condamnation de la vérité ; mais il s'en trouva d'autres qui ne firent pas la même difficulté et qui signèrent volontiers cette loi pour se concilier les bonnes grâces du prince. Sur cet édit, Valentinien et Justine demandèrent de nouveau à saint Ambroise, pour les Ariens, la basilique Portienne, avec les vases sacrés qui y étaient, pour leur servir à la célébration des saints mystères. Le Saint les leur refusa avec la même vigueur qu'il l'avait fait l'année d'auparavant, et leur dit d'une voix intrépide, que si Naboth n'avait pas voulu livrer à Achab et à Jézabel une vigne qui était l'héritage de ses pères, il serait étrange que lui, évêque, abandonnât à la discrétion des Ariens une église qui était l'héritage de Jésus-Christ ; que, s'il s'agissait de ses propres biens, il les donnerait volontiers à ceux que leurs Majestés lui marqueraient ; mais il les priait de considérer qu'il s'agissait d'un bien qui n'était pas à lui, dont il n'était que le dépositaire et pour lequel il avait à rendre compte au jugement de Dieu. Sur cette réponse, on prit premièrement la résolution de l'arrêter ; mais, par un miracle de la divine Providence, quoiqu'il ne se cachât point, qu'il sortît tous les jours, soit pour faire des visites, soit pour se rendre avec son peuple aux tombeaux des martyrs, et que même il passât souvent devant le palais, en allant ou en revenant, sans être gardé de personne, on n'osa jamais mettre la main sur lui ni lui faire aucune insulte. Ensuite on lui signifia un ordre de se retirer où il voudrait et d'emmener avec lui tous ceux qui auraient dessein de le suivre : c'était afin que les Ariens eussent moins d'adversaires dans la ville et qu'ils se rendissent plus facilement les maîtres, non seulement d'une église du faubourg, mais aussi de la cathédrale. Cette sentence d'exil lui était très agréable, et il ne demandait pas mieux de l'accomplir ; mais voyant bien qu'en son absence son cher troupeau serait en proie aux loups qui voulaient le dévorer, il tint ferme et dit à celui qui était venu le trouver que, si on l'arrachait malgré lui de son bercail, il se laisserait enlever sans résistance, mais qu'il ne pouvait nullement de lui-même quitter le troupeau que la Providence lui avait commis. Cette généreuse réplique fit que l'impératrice Justine envoya des soldats pour le prendre. Ils vinrent à l'église où il était ; mais le peuple le garda au dedans avec tant d'assiduité et de constance qu'ils ne purent jamais y entrer. Dieu même voulut être sa protection, car les battants des portes étant quelquefois demeurés ouverts, les soldats ne s'en apercevaient pas, et quand ils voulaient s'en rendre les maîtres, ils n'en avaient pas le pouvoir ; ils conçurent même tant d'estime pour le bienheureux prélat que, lorsqu'ils entendaient les fidèles chanter les divins offices ou protester, par leurs acclamations, de leur attachement inviolable à la foi catholique, ils joignaient au dehors leurs voix à celles qui retentissaient au dedans. Ce fut en ce temps-là que saint Ambroise, pour empêcher l'ennui et l'attiédissement du peuple, qui demeura plusieurs jours enfermé avec lui dans sa basilique, composa des hymnes sacrées et en ordonna le chant avec celui des psaumes, des cantiques, des antiennes et des versets selon l'usage de l'Église d'Orient ; ce qui inspira aux fidèles une telle dévotion qu'ils oubliaient presque le boire, le manger et les autres soulagements nécessaires à la vie. Ce n'est pas qu'ils vécussent sans aucun aliment corporel, car il y avait, à côté de la basilique, une enceinte de maisons destinées au logement des ecclésiastiques et entourées d'une bonne clôture, où ils allaient, l'un après l'autre, prendre leurs repas par des portes de derrière, sans que les soldats le pussent empêcher ; mais Dieu leur donna un tel courage qu'ils se contentaient de fort peu de chose et que toute leur consolation était de veiller et de prier avec leur bienheureux pasteur. La cour s'ennuyait plus de sa persévérance et de celle des fidèles qui l'accompagnaient, que lui-même d'être renfermé avec ses ouailles dans la bergerie mystique de son église. C'est pourquoi l'empereur s'avisa de l'envoyer sommer de venir au palais disputer, en sa présence, contre le faux évêque Mercurin, sur les matières contestées de la religion. Le Saint méprisa cette sommation et manda à l'empereur que, s'il était question de disputer contre son évêque en plein concile, il le ferait très volontiers ; mais que d'aller disputer contre lui dans le palais, devant des laïques, des catéchumènes et des païens, tels qu'étaient les arbitres qu'il voulait avoir, ce serait une chose contraire aux saints Canons et qui irait au déshonneur de l'Église. Il prêcha ensuite divinement contre cet imposteur et en donna une telle horreur aux fidèles qu'ils auraient plutôt enduré mille morts que de se soumettre à son autorité sacrilège. Ainsi la constance d'un seul homme, rempli de l'esprit de Dieu, rendit inutiles tous les efforts d'un grand monarque et d'une superbe impératrice, et l'Église ne souffrit point de dommage, parce qu'Ambroise ne put jamais se résoudre à rien céder à ceux qui le persécutaient. L'invention des corps de saint Gervais et de saint Protais, qui arriva en ce même temps, les miracles évidents et incontestables qu'ils firent à la vue de tout le monde, et le sang vermeil et presque tout chaud qui coula de leurs veines, après plus d'un siècle qu'ils avaient été enterrés, achevèrent de le rendre victorieux et de confondre les Ariens. Justine, qui avait envoyé un meurtrier pour l'assassiner, et qui même avait gagné un magicien, afin que, par ses enchantements, il mit de la division entre lui et son peuple, sans qu'aucun de ces stratagèmes eût pu réussir, vit bien que le ciel et la terre étaient contre elle. Aussi elle s'apaisa un peu et laissa en quelque sorte l'Église de Milan en repos, sous la conduite d'un si saint prélat. Un des principaux Ariens vit un ange qui parlait à l'oreille de saint Ambroise pendant qu'il prêchait les vérités catholiques, ce qui fut cause de sa conversion et abattit l'orgueil de la princesse Justine ; et le tyran Maxime, au rapport de Théodoret, écrivit à Valentinien que, s'il ne faisait cesser la persécution contre l'Église, il s'en irait au plus tôt porter ses armes victorieuses en Italie, pour venger l'injure qu'il faisait à Dieu et à ses ministres. Cette menace étonna d'autant plus l'empereur et sa mère, qu'ils apprenaient que le tyran se préparait à la guerre, presque avant d'en avoir menacé. Ils n'étaient guère en état de soutenir son irruption ; leurs armées étaient faibles, leurs places mal fortifiées, leur épargne épuisée, et ils avaient tellement aigri tous les ordres de l'empire par les mauvaises démarches de leur gouvernement, qu'on n'avait pas grande inclination à se sacrifier pour l'intérêt de leur couronne. Ce qu'ils purent faire dans une conjoncture si fâcheuse, ce fut d'avoir recours au grand Ambroise, qu'ils avaient persécuté si outrageusement. Ils se souvenaient que c'était lui qui avait la première fois empêché le tyran de les venir surprendre, en un temps où il les eût trouvés dépourvus de tout secours. Ils savaient qu'il était trop généreux pour se ressentir des injures qu'il avait reçues, et qu'ils pouvaient encore espérer qu'il se ferait un point de vertu de leur rendre le bien pour le mal, et de leur procurer la liberté et la vie, quoiqu'ils eussent fait des efforts si extraordinaires pour se saisir de sa personne, pour le charger de chaînes et pour le faire mourir. Leur espérance ne fut pas vaine : Ambroise, que Justine avait regardé comme son plus grand ennemi ; Ambroise, qu'elle avait déchiré par les injures et par les calomnies les plus atroces ; Ambroise, qui devait tout craindre de la fureur de Maxime, lequel se plaignait qu'il l'avait trompé dans sa première ambassade, et était cause qu'il ne s'était pas rendu tout d'un coup empereur de tout le monde ; Ambroise, disons-nous, ne laissa pas d'en entreprendre une seconde auprès de lui. Il se rendit donc au plus tôt à Trèves pour le service de son prince et de la patrie ; il se présenta au palais du tyran ; il entra dans son conseil ; n'ayant pu avoir une audience secrète, comme il la demandait, et qu'il croyait due à son caractère et à l'éminence de sa mission, il lui remontra tout haut son injustice de s'être révolté contre Gratien, son souverain ; de lui avoir ravi le sceptre et la vie ; de retenir ses os privés de l'honneur de la sépulture, et de renouveler la guerre contre le jeune Valentinien qui ne lui avait jamais fait de mal et à qui l'empire appartenait légitimement. Enfin, il insista vigoureusement pour deux choses, savoir : pour la continuation de la paix et pour la restitution du corps de l'empereur décédé. Maxime tâcha de se disculper des justes reproches qu'il lui avait faits ; mais, pour l'amuser à sa cour pendant qu'il avancerait ses préparatifs de guerre, il lui répondit qu'il délibérerait dans son conseil sur ses demandes. Le Saint vit bien son artifice, et ne s'y laissa pas tromper, comme d'autres ambassadeurs qui vinrent encore depuis lui. Il en écrivit à l'empereur et l'avertit de s'en donner de garde. Pour lui, pendant son séjour à Trêves, il porta encore plus loin sa liberté épiscopale. Car, non seulement il refusa absolument de communiquer avec les évêques Ithaciens, faute que saint Martin avait commise ; mais il se sépara aussi de la communion du tyran, et Paulin même, son premier historien, dit qu'il le retrancha de l'union des fidèles et l'avertit de faire pénitence, c'est-à-dire qu'il l'excommunia. Il n'obtint donc rien de ce fourbe, que son orgueil et son ambition rendaient inexorable ; mais il eut l'adresse de découvrir ses secrets pour en informer Valentinien et toute l'Italie. A son retour à Milan, il donna de bons avis à ce jeune prince et à sa mère ; et, s'ils l'eussent cru, ils n'auraient pas été pris au dépourvu par Maxime, ni contraints de s'enfuir honteusement en Orient vers l'empereur Théodose, comme ils firent. Mais Dieu permit ce grand aveuglement pour les punir de la persécution qu'ils avaient excitée contre son serviteur et contre l'Église. Ce n'est pas ici le lieu de rapporter ce qui se passa dans cette guerre si mémorable. Maxime entra en Italie, et, n'y trouvant plus Valentinien, il s'en rendit entièrement le maître. Théodose le vint combattre ; et, ayant défait ses généraux, il le défit aussi lui-même et l'assiégea dans Aquilée, où il se saisit de lui et ne put empêcher que ses soldats le missent à mort pour venger le massacre qu'il avait fait de Gratien. Ensuite il rétablit Valentinien dans tous ses États et dans ceux de Gratien, son frère, l'avertissant de renoncer à l'impiété des Ariens, qui lui avait attiré de si grands fléaux, et de demeurer ferme dans la profession de la foi catholique ; et, par ce moyen, il procura une paix générale à l'Église, à l'empire et à tout l'univers. Pendant ces grands événements, Justine, qui n'était pas digne d'en voir la fin, fut enlevée de ce monde, et saint Ambroise, étant à Milan, retint ses diocésains et les empêcha de prendre la fuite, les assurant, par un esprit prophétique, que leur ville ne serait point attaquée, et qu'ils ne souffriraient aucun mal : comme il arriva effectivement. On ne peut croire l'estime que Théodose fit de cet incomparable prélat : il le regarda comme le protecteur de la foi, le bouclier de l'Église, le boulevard de l'État et le plus généreux évêque qui fût dans le monde. Le Saint ne s'enorgueillit point de cette estime ; mais il s'en servit avantageusement pour corriger ce prince, quand il manqua, et pour prévenir ou réformer beaucoup de désordres qu'il reconnaissait ou qu'il prévoyait devoir arriver dans son empire. Avec quelle force ne lui écrivit-il pas lorsque, par un arrêt de son conseil, il eut obligé l'évêque de Callinique de rebâtir à ses dépens la synagogue des Juifs qu'il avait brûlée, et condamné à de grandes peines des moines qui avaient mis le feu à une église qui était aux hérétiques Valentiniens ? II lui remontra l'injustice de son ordonnance, le tort qu'elle allait faire à la religion, l'avantage qu'elle allait donner aux ennemis de Jésus-Christ sur ses serviteurs, et la liberté qu'ils prendraient ensuite d'insulter aux catholiques ; comme, en effet, les Juifs et les hérétiques avaient insulté les premiers l'évêque et les moines avant ces deux embrasements. Cette lettre, quelque pressante qu'elle fût, n'ayant pas encore pu changer la résolution de Théodose, avec quelle vigueur ne le pressa-t-il pas dans l'église même, devant tout le monde et étant près de monter à l'autel, de casser sa sentence, de révoquer son rescrit et de faire cesser toute procédure ; jusqu'à lui protester qu'il ne commencerait point la messe qu'il n'eût obtenu de sa clémence ce qu'il lui demandait. Il en vint à bout par ce moyen, et Théodose, qui ne pouvait assez admirer le courage invincible du saint prélat, fut ravi d'avoir été forcé à faire ce que de lui-même il n'eût jamais fait. Quelle fut encore sa générosité à soutenir auprès de ce monarque les intérêts de la religion, lorsque Symmaque, ancien préfet de Rome, eut la hardiesse de lui demander encore ce qui lui avait été refusé tant de fois, de laisser aux païens la liberté de leurs sacrifices et de leur fournir les deniers de l'épargne pour faire ces cérémonies abominables ? Ambroise fit alors donner à l'idolâtrie le dernier coup de massue. Symmaque fut banni, les sacrifices des idoles furent entièrement interdits, et il y eut un arrêt d'abattre beaucoup de temples fort célèbres des fausses divinités qui restaient encore. Mais enfin, qui pourrait dignement représenter la vigueur épiscopale, ou plutôt apostolique, que notre glorieux prélat fit paraître à l'égard de ce même prince, lorsqu'il se fut rendu coupable du meurtre des habitants de Thessalonique ? Ces habitants étaient criminels, ils avaient fait une sédition pour tirer de prison un cocher qui était convaincu d'un crime détestable ; et, dans cette sédition, ils avaient tué Buthéric, qui commandait les troupes de l'empereur, avec plusieurs autres officiers de son armée ; ainsi pour ce crime ils méritaient une sévère punition. Mais Théodose excéda dans leur châtiment. Les soldats qui furent envoyés pour cela dans la ville, eurent ordre de faire main-basse pendant trois heures sur tous ceux qu'ils rencontreraient. Les innocents furent massacrés avec les coupables, les femmes avec les hommes, les enfants avec les vieillards ; et un père, s'offrant d'être égorgé pour deux fils qu'il avait, ne put obtenir la vie que d'un seul, encore furent-ils tués tous deux pendant qu'il délibérait lequel des deux il demanderait. Lorsque Ambroise, qui croyait avoir obtenu de Théodose le pardon de cette ville, apprit cette exécution, il en fut outré de douleur, il pleura ceux qui avaient été massacrés, mais il pleura davantage sur Théodose, auteur d'un si grand mal. Il lui en écrivit, il lui en parla ; mais il le fit avec tant de force et d'onction, qu'il le porta à une pénitence des plus exemplaires que l'on ait jamais vues dans le christianisme. Il n'était pas encore bien résolu à se soumettre aux remèdes que lui voulait donner ce sage et excellent médecin, lorsque, nonobstant son crime, il vint un jour de dimanche à l'église pour assister aux divins offices. Ambroise alla au-devant de lui et lui fit un puissant discours pour le faire rentrer en lui-même et l'empêcher d'entrer dans l'assemblée des fidèles, avant d'avoir expié, par ses larmes, la faute qu'il avait commise. Théodose s'humilia devant lui ; mais, pour n'être pas exclu de l'entrée de la maison de Dieu, il lui dit qu'il n'était pas le premier prince qui eût commis de grands crimes ; que David avait été un adultère et un homicide, et qu'il n'avait pas laissé d'approcher du tabernacle et d'être admis à faire des sacrifices au Seigneur. « Oui », dit Ambroise ; « mais, puisque vous avez imité sa faute, imitez aussi sa pénitence ». Et cette parole porta un tel coup dans le cœur de ce monarque, qu'il se résolut, non seulement de pleurer en secret la précipitation de son ordonnance, qui avait été cause de tant d'homicides, mais aussi d'en faire une pénitence publique. Il la fit pendant huit mois, privé de la communion et interdit de l'entrée de l'église. Au bout de ce temps, la fête de Noël étant arrivée, Rufin, son favori, qui le voyait baigné de larmes et outré de douleur de ce qu'il ne lui était pas permis d'entrer dans l'église, où les pauvres, les esclaves et les moindres valets entraient librement, l'exhorta à y aller, l'assurant qu'il obtiendrait d'Ambroise le relâchement de la pénitence qu'il lui avait ordonnée. Ce favori y fut un peu devant, dans l'espérance que le saint évêque ne lui refuserait pas une grâce qui paraissait si raisonnable mais Ambroise le repoussa avec indignation, lui reprochant que c'était lui qui avait porté son maître à ordonner le meurtre qui l'avait rendu criminel devant Dieu et devant les hommes. Théodose vint après Rufin, et le Saint lui parla aussi avec une sévérité surprenante ; néanmoins, après qu'il eut demandé pardon, témoigné l'excès de sa douleur et promis de faire une loi qu'on n'exécuterait plus les sentences de mort que trente jours après qu'elles auraient été prononcées, il l'admit enfin au rang des fidèles. Là, ce grand prince se prosterna contre terre, baigna le pavé de ses larmes, et, pénétré de douleur et de contrition, il disait en s'arrachant les cheveux : « Mon âme est attachée à la terre ; redonnez-moi la vie, Seigneur, selon vos promesses ». Saint Augustin, faisant réflexion sur cet événement, dit que Dieu a voulu que cet empereur fit pénitence publique et qu'il s'humiliât en présence de tout le peuple, afin que nous apprissions à le faire quand nos crimes le demanderaient, et que le pauvre ni le riche, l'artisan ni le grand seigneur ne rougissent point de se soumettre à ce souverain remède qu'un prince aussi puissant que Théodose n'avait pas refusé. Théodoret, qui nous a écrit plus au long une histoire si édifiante, y ajoute encore une circonstance fort remarquable, savoir, que l'heure étant venue d'offrir les dons sur la sainte Table, l'empereur, encore baigné de larmes, s'approcha de l'autel pour faire son offrande, selon la coutume ; mais, qu'après l'avoir faite, il demeura dans l'enceinte du sanctuaire, ainsi que les autres évêques le lui avaient toujours permis, afin de s'y préparer plus en repos à la communion des saints mystères. Alors, le généreux Ambroise lui envoya dire par un diacre que ce n'était pas là la place des laïques ; que ni la pourpre, ni l'or, ni le diadème, ne lui donnaient droit d'y demeurer ; qu'il n'y avait que les clercs qui y pussent être soufferts. Tout autre que Théodose se serait offensé d'un message si extraordinaire et qui paraissait si à contretemps ; mais ce parfait pénitent, que notre Saint voulait entièrement purifier par cette dernière humiliation, le reçut avec une modestie et une soumission admirables. Il dit seulement que ce n'était point par orgueil, ni par usurpation qu'il était demeuré auprès des prêtres, mais qu'il avait suivi en cela l'usage des Églises d'Orient, où on ne lui en avait jamais fait de difficulté ; qu'au reste, il se tenait très obligé au bienheureux évêque de l'avis qu'il lui avait donné, et qu'il allait l'exécuter dans toute son étendue. En effet, il sortit de l'enceinte du sanctuaire et se retira avec le peuple. Depuis, étant retourné à Constantinople, comme l'archevêque Nectaire l'invita, selon la coutume, à demeurer dans le chœur des prêtres après avoir présenté son offrande, il disait qu'il n'avait encore trouvé qu'Ambroise qui méritât le nom d'évêque ; et que lui seul lui avait fait connaître la différence qui était entre un évêque et un empereur. A son imitation, l'empereur Valentinien, qui, durant la régence de sa mère Justine, avait tant persécuté notre Saint, eut depuis beaucoup de vénération et de déférence pour lui ; de sorte que l'on peut dire qu'Ambroise, par sa vertu et par son courage, était devenu le maître des rois et le père de ceux qui commandaient absolument à tout l'univers. Lorsque la paix eut été rendue au monde par la défaite de Maxime, il s'éleva dans sa propre Église une nouvelle guerre qui continua d'exercer son zèle. Jovinien, qui autrefois avait fait profession dans un monastère d'une vie très austère, ne mangeant pas de pain, ne buvant que de l'eau et ne portant qu'une mauvaise robe toute sale, s'abandonna dans la suite à la bonne chère ; il affectait d'avoir le teint vif et vermeil, et d'être toujours fort ajusté. Il se fit aussi chef d'hérésie, enseignant que le mariage était égal à la virginité, qu'il n'y avait point de différence entre s'abstenir des viandes par le jeûne et en user avec actions de grâces ; que ceux qui ont été régénérés par le baptême avec une pleine foi, ne pouvaient plus être vaincus par le démon, et que les mérites n'étaient point inégaux sur la terre, ni récompensés différemment dans le ciel. Il ajoutait que la sainte Mère de Dieu n'était pas demeurée vierge en mettant son Fils au monde, quoiqu'elle l'eût été en le concevant dans son sein. Ce monstre, ayant été condamné à Rome par le pape Sirice, se réfugia à Milan, croyant y trouver quelque appui à la cour. Mais le grand saint Ambroise, qui veillait continuellement sur son troupeau, en ayant eu avis, assembla au plus tôt un Synode et prononça de nouveau anathème contre lui. Cependant, il ne put empêcher que cet hérésiarque, dans des conférences secrètes qu'il eut avec de très saints religieux, qui avaient leur monastère auprès de Milan, n'en corrompît quelques-uns. Sarmation et Barbatien furent de ce nombre. Ils commencèrent à aimer la volupté comme lui, et, ne pouvant en jouir dans un lieu où on ne faisait profession que de pénitence, ils en sortirent pour la chercher au milieu du monde. Notre Saint, qui était le fondateur de cette maison, en eut une douleur extrême ; il ne voulut pas néanmoins les recevoir lorsqu'ils demandèrent à y rentrer, parce que Dieu lui fit connaître qu'ils n'étaient pas véritablement pénitents et qu'ils ne serviraient qu'à semer le dérèglement dans cette communauté. En effet, ils se mirent bientôt à enseigner les opinions exécrables de Jovinien et à prêcher contre le jeûne, la mortification et la continence. Mais notre admirable docteur les réfuta si puissamment, qu'ils ne firent pas grand mal et qu'il ne paraît point qu'ils aient eu aucune suite. Nous avons une excellente Épître, qu'il écrivit à leur sujet à l'Église de Verceil, dont l'évêque était décédé, et qui avait pour cela besoin de ses soins et de sa vigilance. Ces troubles particuliers de l'Église de Milan furent suivis d'étranges catastrophes et révolutions dans l'empire. L'an 392, l'empereur Valentinien, qui attendait impatiemment saint Ambroise à Vienne, en Dauphiné, pour recevoir le baptême de ses mains, y fut étranglé par l'ordre d'Arbogaste, son général d'armée. Eugène, par la faveur de ce général, usurpa l'empire et se rendit maître de tout l'Occident. Théodose, juste vengeur de son collègue, combattit ce tyran, le défit et lui fit trancher la tête ; et, par cette glorieuse victoire, il devint le souverain de tout le monde. Enfin, il partagea l'empire entre Arcadius et Honorius, ses deux enfants, et mourut lui-même à Milan, plein de gloire et de trophées. Pendant ces grandes révolutions, saint Ambroise fit plusieurs actions fort mémorables. Il reçut dans sa ville épiscopale le corps de l'empereur Valentinien, et prononça son oraison funèbre, qui est une pièce fort éloquente et digne de la plume d'un si grand docteur. Il assista à Bologne à la découverte des corps des bienheureux martyrs Vital et Agricole. Il délivra à Florence un enfant possédé du démon ; et, comme il mourut peu de temps après, il le ressuscita en se couchant sur son corps, à l'imitation du prophète Élisée. Il fit des prières instantes pour obtenir à Théodose la défaite entière d'Eugène et d'Arbogaste ; et l'on peut dire qu'elle fut le fruit de ses larmes et de ses sacrifices. Ayant appris cette défaite par une lettre de Théodose même, il porta la lettre à l'église, la mit sur l'autel durant la messe, et la tint à la main en offrant à Dieu l'hostie sainte et vivifiante. Il engagea ce prince à bien user de sa victoire, à pardonner à ceux qu'il avait vaincus, et à gagner leur affection par des actes héroïques de clémence et de douceur. Il l'assista de ses conseils jusqu'à la mort ; et, après sa mort, il fit aussi son éloge funèbre en présence de l'empereur Honorius, son fils. Enfin, ce grand homme devint si célèbre, que les païens mêmes ne le regardaient qu'avec respect, et que les Francs, qui commençaient à paraître en ce temps-là, dirent un jour à Arbogaste, qui était alors son ami (car c'était avant qu'il se révoltât), qu'il ne fallait pas s'étonner de ses victoires, puisqu'il avait l'amitié d'Ambroise, qui commandait au soleil et le forçait de s'arrêter au milieu de sa course. Il y aurait encore une infinité de choses très considérables à remarquer dans la vie d'un prélat si extraordinaire. Il perdit son frère, saint Satyre, peu d'années après sa promotion à l'épiscopat ; mais, quoiqu'il lui fût extrêmement nécessaire, il endura cette perte avec une patience et une résignation merveilleuses. Il ne fit point difficulté de vendre les vases sacrés de l'église pour le rachat des captifs ; il nous a laissé là-dessus cette excellente instruction, que, pour nourrir les pauvres qui meurent de faim, pour délivrer les prisonniers, pour bâtir ou réparer les églises, et pour accroître les cimetières qui sont destinés à la sépulture des chrétiens, il est permis de rompre, de faire fondre et de vendre les vases consacrés à Dieu. Il travailla avec grand soin, tant dans le concile de Capoue, que par ses lettres, à la paix de l'Église d'Antioche, qui se trouvait depuis si longtemps partagée entre deux ou trois différents évêques. Outre qu'il avait trouvé les corps des saints Gervais et Protais, Vital et Agricole, il trouva encore, après la mort de Théodose, ceux de saint Nazaire et de saint Celse, et leur procura une honorable sépulture. Il maintint avec tant de succès, contre le comte Stilicon, le droit des asiles, que les soldats, qui osèrent le violer en prenant Cresconius au pied des autels, furent incontinent après dévorés par les léopards qui sortirent exprès de l'amphithéâtre. La seule réputation de sa vertu eut la force de convertir et d'attirer au christianisme Fritigil, reine des Marcomans, et une lettre qu'il lui écrivit en fit une parfaite servante de Jésus-Christ. Sa prudence et sa générosité délivrèrent Indicie, vierge de Vérone, d'une fausse accusation et d'un jugement indiscret et précipité que l'on avait prononcé contre elle, et lui conservèrent l'honneur que l'envie et la calomnie lui voulaient ravir. Ayant appris qu'un des serviteurs de Stilicon supposait faussement des lettres de son maître pour distribuer des offices à son insu, il le livra au démon, et à l'heure même il en fut possédé. Il marcha un jour sur le pied d'un goutteux, nommé Nicet, ce qui le fit crier bien fort ; mais cet attouchement lui fut si salutaire, que, depuis, il ne fut plus du tout affligé de la goutte. Saint Grégoire de Tours rapporte que le jour de l'enterrement de saint Martin, ce glorieux évêque de Milan, disant la messe et étant entre la leçon et l'épître, s'appuya sur l'autel et s'endormit. Personne n'osa l'éveiller, et il demeura deux ou trois heures en cet état ; enfin, ses officiers le tirèrent et lui témoignèrent que l'heure se passait, et que les assistants s'ennuyaient d'attendre si longtemps : « Ne vous inquiétez pas, mes enfants », leur répondit-il, « sachez que mon frère Martin est mort, et que je viens de célébrer ses obsèques, excepté que je n'ai pas achevé la collecte, parce que vous m'avez interrompu ». On marqua diligemment le jour et l'heure, et l'on trouva qu'effectivement saint Martin était mort en ce temps-là, et que l'on avait vu saint Ambroise à Tours faire la cérémonie de sa sépulture. Baronius rejette cette narration comme fabuleuse, parce qu'il estime que saint Ambroise est mort avant saint Martin. Mais, outre que le témoignage de saint Grégoire doit être de grand poids en cette matière, puisqu'il vivait à Tours assez près du temps de ces deux grandes lumières du Christianisme, qu'il en était archevêque, qu'il en savait la tradition, et qu'il y a peu d'apparence qu'il eût voulu avancer une chose si importante et si extraordinaire, s'il ne l'eût vue, communément reçue et approuvée de son Église ; outre cela, il est encore certain que l'Église de Milan l'a toujours reconnue pour véritable ; que les plus anciennes peintures de la basilique ambrosienne la représentent, et que le cardinal Frédéric Borromée, successeur de saint Charles en cet archevêché, l'ayant trouvée insérée dans les plus anciens bréviaires du diocèse, ne voulut pas permettre, nonobstant le sentiment de Baronius, qu'elle en fût retranchée. Pour ce qui est de la raison de ce savant annaliste, le révérend Père Papebrock, dans une dissertation qu'il a faite sur ce sujet et qu'il a donnée au commencement des Actes des Saints du mois d'avril, montre assez clairement qu'elle est nulle, parce que, selon la meilleure opinion, il faut mettre la mort de saint Martin en novembre 397, et celle de saint Ambroise la veille de Pâques 398, qui, selon l'ancienne supputation des Gaules, appartenait encore à l'année 397. Au reste, ce n'est pas une chose sans exemple qu'un Saint, demeurant dans un lieu, apparaisse et soit vu en un autre lieu, puisqu'on rapporte le même prodige de saint Nicolas, de saint Sévère, de saint François, de saint Antoine de Padoue et de beaucoup d'autres. C'était là sans doute un avis que le ciel donnait à saint Ambroise, que la fin de ses travaux et de son pèlerinage approchait. Avant qu'il tombât malade, un jour qu'il dictait à Paulin, son diacre, un commentaire sur le psaume XLIIIe, un feu lui couvrit la tête en forme de petit bouclier, et de là entra dans sa bouche comme dans sa propre demeure. Alors son visage devint blanc comme la neige et demeura quelque temps dans cette beauté, jusqu'à ce qu'il reprit sa première couleur. Il ne put donc achever l'ouvrage qu'il dictait, et bientôt après il tomba malade. Le comte Stilicon, qui était le plus puissant dans l'empire, craignant que sa mort ne causât un notable préjudice à tout l'Occident, lui envoya plusieurs personnes d'honneur pour le porter à demander à Dieu la prolongation de sa vie ; mais il leur fit cette excellente réponse, dont saint Augustin fait tant d'estime, qu'elle devrait être écrite en lettres d'or : « Je n'ai pas vécu de telle sorte parmi vous, que j'aie honte de vivre davantage ; mais, d'ailleurs, je ne crains point de mourir, parce que nous avons affaire à un bon maître ». Quatre de ses diacres, s'entretenant dans un coin de sa chambre, pour savoir qui l'on pourrait élire évêque en sa place, vinrent à nommer saint Simplicien. Ils étaient si loin et ils parlaient si bas, qu'il ne pouvait pas les entendre ; cependant, Dieu lui révéla ce qu'ils disaient, et il s'écria : « Il est vieux, mais il est bon ». C'était cet excellent prêtre qui avait été son conseil et comme son maître durant tout le temps de son épiscopat, et il fut effectivement mis en sa place après son décès. Saint Bastien, évêque de Todi, le visitait quelquefois dans sa maladie, et un jour qu'il priait auprès de lui, il vit Notre-Seigneur descendre du ciel, s'approcher de son lit et lui faire beaucoup de caresses. Ensuite, la nuit du samedi saint, comme il priait secrètement, les bras étendus en forme de croix, saint Honorat, évêque de Verceil, qui logeait dans une chambre au-dessus de la sienne, entendit par trois fois une voix qui lui disait : « Lève-toi en diligence, il passera bientôt». Il se leva et lui apporta le corps adorable de Jésus-Christ, qu'il reçut avec une profonde révérence, et incontinent après, son âme, munie d'un si excellent viatique, se détacha de la prison de son corps pour aller jouir de l'éternité bienheureuse. Son corps fut porté dans sa cathédrale pour y être inhumé avec l'honneur dû à la grandeur de ses mérites. Plusieurs eurent des visions qui marquaient la gloire qu'il possédait déjà dans le ciel. Surtout il y en eut qui virent une étoile rayonnante élevée au-dessus de son cercueil. Les démons n'en osaient approcher, et les possédés, que l'on y traînait par force, étaient aussitôt délivrés de ces mauvais hôtes. Tant de monde vint à ses obsèques, que l'église ne pouvait pas les contenir ; les Juifs et les païens pleuraient amèrement la perte d'un homme si rare et si plein de bonté. On mettait sur lui des chemises et d'autres linges pour les porter aux malades, afin de leur procurer la guérison. Les vertus de saint Ambroise paraissent avec un si grand éclat dans toute cette vie, que le lecteur les pourra assez remarquer de lui-même. On peut dire que nulle ne lui manquait, et qu'il les avait toutes à un très éminent degré. Ses occupations, presque incroyables pour le gouvernement de son troupeau, ne l'ont pas empêché de composer de très beaux ouvrages. Saint Ambroise est représenté : 1° écrivant, inspiré par un ange ; 2° ayant à côté de lui une ruche avec ses abeilles, comme attribut de la douceur de ses écrits ; 3° refusant l'entrée de l'église à l'empereur Théodose ; 4° debout, mitré et nimbé, tenant d'une main sa crosse, et de l'autre une espèce de sceptre surmonté d'une pomme de pin ; 5° au moment du lavabo de la messe : une femme possédée est guérie en buvant de l'eau qui provenait de cette ablution liturgique.


ÉCRITS DE SAINT AMBROISE.

1° L'Aexamdron, ou Traité sur les six jours de la création, écrit vers l'an 389. Il est distribué en neuf discours, aujourd'hui renfermés en six livres, qui répondent à chacun des jours de la création. Saint Ambroise a suivi en partie saint Basile, qui a écrit sur la même matière. 2° Le livre du Paradis, écrit vers l'an 375, a pour objet de précautionner les simples contre les artifices des hérétiques qui abusaient de l'Écriture. Le Saint examine quel est l'auteur du Paradis, ce que c'est que le Paradis, comment Ève fut séduite par le serpent, etc. ; mais en traitant ces questions, il s'attache moins à la lettre qu'au sens allégorique. 3° Les deux livres sur Caïn et Abel, furent composés aussitôt après celui du Paradis, et ils en sont une suite. Il y est traité de la naissance, de la vie, des mœurs, des sacrifices de Caïn et d'Abel. 4° Le livre sur Noé et sur l'Arche, écrit vers l'an 379, Comprend l'histoire du déluge et de l'arche de Noé. C'est dommage que nous n'ayons point cet ouvrage en entier, c'est un des mieux travaillés de saint Ambroise. Noé y est présenté comme un modèle de vertu pour tous les hommes. 5° Les deux livres sur Abraham, écrits vers l'an 387, paraissent être composés des discours que saint Ambroise avait faits aux catéchumènes durant le Carême. On trouve dans le premier un bel éloge d'Abraham, de ses actions, de ses vertus ; le second livre est moins intéressant. Il paraît avoir été corrompu en quelques endroits par les hérétiques. 6° Le livre sur Isaac et sur l'Âme, écrit aussi vers l'an 387. C'est un des plus estimables ouvrages de saint Ambroise. Il y est traité, à l'occasion du mariage d'Isaac avec Rébecca, de l'union du Verbe avec l'âme, ce qui amène une paraphrase du Cantique des cantiques. On doit juger par là que le saint docteur s'attache principalement au sens mystique. 7° Le livre du bien de la Mort, écrit dans le même temps. L'auteur y montre que la mort n'est point terrible en elle-même, qu'elle affranchit l'âme de ses liens ; qu'elle nous met dans l'heureuse nécessité de ne plus pécher, qu'elle peut sous servir de passage à la béatitude éternelle. Il finit par une description de cette béatitude, et exhorte les fidèles à la désirer. 8° Le livre de la Fuite due siècle est du même temps. Il est rempli d'instructions solides sur la vanité des biens du monde, sur le danger de ses charmes, sur la fragilité de la nature humaine, sur le besoin que nous avons du secours de Dieu ; etc. 9° Les deux livres de Jacob et de la vie bienheureuse sont du même temps. C'est un recueil d'instructions adressées aux néophytes, pour leur enseigner les moyens d'acquérir la sainteté de la vie à laquelle ils s'étaient engagés par les vœux du baptême. Ces instructions sont confirmées par des exemples, et surtout par celui du patriarche Jacob, que les afflictions et les traverses n'empêchèrent point d'être heureux de ce bonheur que produit la fidélité au Seigneur. 10° Le livre du patriarche Joseph, écrit vers le même temps, ainsi que le suivant. On y trouve l'éloge des vertus et surtout de la chasteté de Joseph. Le Saint y instruit les pères et mères de la manière dont ils doivent partager leur affection entre leurs enfants. 11° Le livre des Bénédictions des patriarches. Il y est traité de l'obéissance et de la reconnaissance que les enfants doivent à leurs pères et à leurs mères. Les bénédictions que Jacob, étant près de mourir, donne à ses enfants, y sont expliquées dans un sens mystique. 12° Le livre d'Élie et du Jeûne, écrit vers l'an 390. Saint Ambroise y traite du jeûne, de sa vertu, de ses effets. Il fait voir que ce fut par le jeûne qu'Élie opéra tous les prodiges que raconte de lui l'histoire sainte. Il cite plusieurs autres exemples de l'efficacité du jeûne. Selon lui, le jeûne est la nourriture de l’âme, la mort du péché, le fondement de la chasteté, etc. ; il s'élève avec force contre le luxe des festins et contre les désordres qu'entraîne l'intempérance. 13° Le livre de Naboth, écrit vers l'an 395, contre l'avarice, la cruauté des riches et l'abus des richesses. 14° Le livre de Tobie, écrit l'an 376. Le Saint y fait l'éloge de Tobie et de ses vertus, et y donne d'excellentes leçons contre l'usure. C'est sans fondement qu'on a voulu contester cet ouvrage à saint Ambroise. 15° Les quatre livres de l'Interpellation ou de la plainte de Job et de David, écrits vers l'an 383, sont aussi certainement de saint Ambroise. On trouve dans les deux premiers les plaintes que Job et David font à Dieu, sur la faiblesse et la misère de l'homme. Dans les deux autres livres, il répond aux injustes plaintes de ceux qui trouvent à redire que les impies soient heureux en cette vie et les justes dans l'adversité. 16° L'Apologie de David, écrite vers l'an 384. L'auteur y justifie David, et montre qu'il a expié par la pénitence les crimes qu'il avait commis, ce qui est rare parmi les personnes de son rang. Il y a une autre apologie de David qui porte aussi le nom de saint Ambroise ; mais il ne paraît pas certain qu'elle soit de ce Père. 17° Les Commentaires sur les Psaumes. Tout cet ouvrage se réduit à douze homélies ou discours qu'on croit avoir été recueillis par quelqu'un des disciples du Saint. Il n'y a qu'un petit nombre de psaumes expliqués. 18° Le Commentaire sur saint Luc, écrit en 386, est une suite de discours sur cet évangéliste. Le saint docteur s'attache tout à la fois au sens littéral, historique et mystique, et saisit toutes les occasions de combattre les hérésies qui régnaient de son temps. 19° Le Traité des Offices des ministres. Ambroise avait un soin particulier de ne choisir que de dignes ministres de la religion. Il ne voulait point que les membres de son clergé se mêlassent d'affaires temporelles, et il leur ordonnait de se contenter de leur patrimoine, ou, s'ils n'en avaient point, de l'honoraire qu'on leur donnait. Ce fut pour apprendre à tous ses clercs à être véritablement la lumière du monde, qu'il composa, vers l'an 386, ces trois livres des Offices des ministres. On trouve aussi dans cet ouvrage des détails sur les principes généraux de la morale évangélique et qui sous ce rapport conviennent à tous les chrétiens 1. 20° Les trois livres des Vierges ou de la Virginité, à Marcelline. Il n'y avait que deux ans que saint Ambroise était évêque, lorsque Marcelline, sa sœur, le pria de mettre par écrit ce qu'il avait dit en chaire sur l'excellence de la virginité ; car il traitait souvent ce sujet, le dimanche. Il se rendit à sa prière, et composa ses trois livres des Vierges, en 377.

L'élégance avec laquelle cet ouvrage est écrit l'a fait justement admirer par saint Jérôme et par saint Augustin. Mais il est surtout recommandable par l'onction et l'esprit de piété qui s'y font remarquer de toutes parts. Les deux premiers livres sont employés à montrer l'excellence de la virginité et à faire sentir les avantages spirituels qu'elle procure. L'auteur insiste sur les vertus de la sainte Vierge, qu'il propose comme modèle à ceux qui ont embrassé cet état ; il fait l'éloge de sainte Agnès ; il cite l'exemple de sainte Thècle, et les détails dans lesquels il entre sur ces objets sont embellis de toutes les grâces et de toutes les figures de la rhétorique. Dans le troisième livre, il traite des principaux devoirs des vierges: il leur recommande de ne point boire de vin, de fuir les visites, de s'appliquer aux exercices de piété, de prier et de réfléchir souvent dans la journée, de répéter l'oraison dominicale et les psaumes le soir en se couchant et le matin en se levant, et de commencer chaque jour par la récitation du symbole, qui est l'abrégé et le sceau de notre foi. Il veut que les vierges vivent dans cette tristesse salutaire qui opère le salut ; qu'elles évitent toute joie immodérée, et principalement la danse, dont il fait sentir le danger. 21° Le livre des Veuves, écrit vers l'an 377. Il y exhorte les femmes qui avaient perdu leur mari à garder une chasteté perpétuelle. 22° Le livre de la Virginité, écrit l'année suivante. Le saint docteur y donne, d'après l'Écriture, une haute idée de cette vertu ; mais il ne veut point que les jeunes filles prennent légèrement le voile lorsqu'elles sont d'un caractère inconstant. « Quelques-uns », dit-il, « se plaignent que le nombre des vierges fera bientôt périr le genre humain. Je voudrais savoir qui a manqué de femmes et qui s'est trouvé dans le cas de n'en point trouver ? » Le saint docteur fait observer que ce ne sont point les vierges, mais la guerre et la mer qui détruisent l'espèce humaine. Il ne veut cependant pas qu'on embrasse légèrement l'état de virginité : non seulement le mariage est saint, mais c'est l'état général de ceux qui vivent dans le monde. 23° Le livre de l'institution d'une vierge, écrit vers l'an 391. Ce livre contient la réfutation de Bonose, qui renouvelait l'erreur d'Helvidius, laquelle consistait à nier que la sainte Mère de Dieu ait vécu dans une virginité perpétuelle. L'auteur y rappelle les instructions qu'il avait données à Ambroise, une des vierges qui servaient Dieu à Bologne sous sa conduite ; et il fait voir que la retraite, le silence, l'humilité et la prière sont le principal devoir d'une vierge chrétienne. Il y décrit les cérémonies usitées lorsqu'une vierge embrassait solennellement cet état. Elle se présentait au pied de l'autel, où elle faisait sa profession devant le peuple ; l'évêque, après les instructions relatives à la circonstance, lui donnait le voile qui la distinguait des autres vierges ; mais on ne lui coupait pas les cheveux comme aux clercs et aux moines. Le saint docteur finit en priant Jésus-Christ d'assister à ces noces spirituelles et de recevoir son épouse, qui se consacre à lui publiquement, après s'y être consacrée longtemps auparavant en esprit et dans son cœur. 24° L'Exhortation à la virginité, écrit vers l'an 393. Ce sont des instructions adressées aux filles de Julienne, veuve de Florence. 25° L'Invective contre une vierge qui s'était laissé corrompre. Le Saint l'exhorte à pleurer sa faute, et à l'expier par la pénitence. 26° Le livre des Mystères ou des Initiés. Dans son livre sur les mystères, composé en 387, il instruit les nouveaux baptisés et leur explique avec une grande clarté les cérémonies du baptême et de la confirmation, ainsi que la doctrine de l'Église sur le sacrement de l'Eucharistie. On ne peut douter que cet ouvrage ne soit du saint docteur ; il lui est attribué par tous les auteurs, et ceci se prouve encore par la première partie de l'ouvrage même. L'auteur, après avoir expliqué les anciennes figures de l'Eucharistie, comme le sacrifice de Melchisédech, la manne, l'eau sortie du rocher, ajoute : « Vous dires peut-être : Mais je vois autre chose ; comment puis-je être sûr que je reçois le corps de Jésus-Christ? Je vais prouver que ce n'est point ce qui a été formé par la nature, mais ce que la bénédiction a consacré, et que la bénédiction est plus puissante que la nature, puisqu'elle la change ». Il cite à ce sujet plusieurs miracles, entre autres celui de la verge d'Aaron changée en serpent, et enfin le mystère de l'Incarnation qu'il compare à celui de l'Eucharistie. « Une vierge », dit-il, « a enfanté, ce qui est contraire à l'ordre de la nature ; or, le corps que nous consacrons est né d'une vierge. Pourquoi cherchez-vous l'ordre de la nature dans le corps de Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ est né d'une vierge contre l'ordre de la nature ? Jésus-Christ avait une chair réelle qui fut attachée à la croix et déposée dans le tombeau. Ainsi l'Eucharistie est le vrai sacrement de cette chair. Jésus-Christ nous en assure lui-même, en disant : Ceci est mon corps. Avant la bénédiction des paroles célestes, c'est une autre nature ; après la consécration, c'est son corps... Si la bénédiction d'un homme est capable de changer la nature des choses, que dirons-nous de la consécration divine, où les paroles du Sauver lui-même opèrent ? La parole de Jésus-Christ, qui de rien pouvait faire ce qui n'était pas, n'aura-t-elle pas le pouvoir de changer ce qui est en ce qui n'était pas ? » Le Saint recommande aux nouveaux fidèles de tenir secrets les mystères de leur foi, à cause de l'abus qu'en auraient pu faire les païens. Saint Augustin, qui fut baptisé par saint Ambroise, en 387, assista sans doute aux discours que le saint archevêque fit aux néophytes dans ce temps-là. 27° Les livres des Sacrements ne sont point de saint Ambroise. On trouve la même doctrine et quelques-unes des mêmes expressions que dans les Mystères, dans les six livres sur les Sacrements, qui sont attribués à saint Ambroise par les écrivains du IXe siècle et dans les manuscrits du VIIIe. L'auteur de cet ouvrage était un évêque qui vivait dans un lieu où il y avait beaucoup de catéchumènes adultes, et où il se trouvait encore des restes d'idolâtrie. Les livres sur les Sacrements sont une imitation de celui de saint Ambroise sur les Mystères, avec cette différence que le premier ouvrage est plus long et que le style en est bas et rampant. S'il n'était point de saint Ambroise ; comme les nouveaux éditeurs de ce Père en doutent, ainsi que Ceillier et Rivet, la cause de l'Église y gagnerait, puisqu'au lieu d'un témoin de sa doctrine elle en aurait deux. Voir les nouveaux éditeurs de saint Ambroise, t. II, p. 341. 28° Les deux livres de la Pénitence, écrits vers l'an 384. Dans son livre, il réfute quelques objections des Novatiens ; puis il montre que la pénitence est fausse et infructueuse lorsqu'elle n'est point accompagnée du changement du coeur dans lequel consiste son essence. Le saint docteur exhorte les fidèles à la communion fréquente, parce que l'Eucharistie est notre pain spirituel et notre nourriture journalière. 29° Les cinq livres de la Foi. Eritigerne, roi des Goths, ayant fait une irruption sur les terres des Romains, dans la Thrace et dans la Pannonie, Gratien voulut passer en Orient avec une armée, pour secourir Valens, son oncle ; mais il résolut en même temps de se prémunir contre les pièges des Ariens, dont Valens était le protecteur. Dans cette vue, il pria saint Ambroise, pour lequel il avait une vénération singulière, de lui donner par écrit quelques instructions contre l'Arianisme. Le saint archevêque, pour seconder ses pieuses intentions, composa, en 377, son Traité de la Foi à Gratien, ou de la Trinité. Cet ouvrage est divisé en cinq livres, dont les trois derniers ne furent écrits qu'en 379. C'est une excellente réfutation de l'Arianisme. L'auteur y établit le dogme avec autant d'esprit que de force et de solidité, et donne les réponses les plus satisfaisantes aux objections. 30° Les trois livres du Saint-Esprit, écrits en 381, à la prière de Gratien. Le style des livres du Saint-Esprit est moins concis et plus simple. C'est, dit saint Augustin, parce que le sujet n'a pas besoin des ornements du discours pour toucher le coeur, et qu'il suffit d'établir par des preuves solides la consubstantialité de la troisième personne de la sainte Trinité. On y trouve plusieurs choses copiées de saint Athanase, de Didyme et de saint Basile, sur la même matière. 31° Le livre de l'Incarnation, écrit en 382. C'est encore une réfutation des Ariens, adressée à deux officiers de la cour de Gratien. 32° Les Lettres, au nombre quatre-vingt-onze. Elles sont divisées en deux classes dans la dernière édition : la première classe contient celles dont on a pu fixer le temps, et la seconde, celles dont on n'a point l'époque certaine. 33° Les livres sur la mort de Satyre. Saint Ambroise prononça l'oraison funèbre de son frère Satyre, le jour des funérailles. Sept jours après, on alla au tombeau de Satyre pour répéter les prières de l'Église, suivant ce qui se pratiquait alors. Saint Ambroise lit une seconde fois l'éloge de son frère ; et comme il s'étendit beaucoup sur le bonheur d'une mort chrétienne et sur la résurrection des morts, cet éloge est communément appelé le Discours sur la Résurrection. 34° Les Discours sur la mort de Valentinien et de Théodose. 35° Plusieurs Hymnes. L'Église latine chante encore dans son office des hymnes composées par Ambroise. Saint Augustin, saint Isidore, Bède, le concile de Rome en 430, etc., lui en attribuent douze, telles que Deus Creator omnium ; Jam surgit hora tertia ; Veni, Redemptor gentium ; Illuminans Altissimus ; Æterna Christi munera ; Somno refectis artibus ; Consors paterni luminis ; O lux beata Trinitas ; Fit porta Christi pervia, etc. La plupart des hymnes des féries de l'Église latine paraissent être du même Saint. On dit qu'il établit le premier la coutume de chanter des hymnes à l'église. Celles dont il est l'auteur sont composées de manière que le sens finit au quatrième vers, afin qu'on puisse les chanter à deux chœurs. Saint Hilaire composa aussi des hymnes dans le même temps. Georges Cassandre, dans l'épître dédicatoire de son recueil d'hymnes, fait une observation sur celles qui sont intitulées : Hymnes de saint Pierre et de saint Paul, etc. On ne doit, dit-il, entendre autre chose, sinon que ce sont des hymnes à la louange de Dieu, en mémoire de saint Pierre et de saint Paul ; et ces expressions, église, autel, messe de saint Pierre et de saint Paul, etc., ont la même signification. Celte manière de parler se trouve dans saint Ambroise, dans saint Augustin, etc. La liturgie de Milan, dite ambrosienne, reçut un nouveau lustre de notre saint docteur ; mais il est prouvé par ses écrits même qu'elle était plus ancienne que lui, du moins quant à certains points empruntés de la liturgie romaine. On regarde saint Barnabé, ou plutôt saint Mérocle, comme le premier auteur de cette ancienne liturgie. Voir le Père Lebrun, Explication des cérémonies de la messe, t. II, diss. III, p. 175 ; l'Origine Apostolica della Chiesa Milanese e del rito della stessa, opera del dottore Nicolo Sonmani, oblato e prefetto della bibl. ambros. in Milano, 1755 ; Muratori, Antichita, etc., diss. LVII, de riti della Chiesa amhrosiana, p. 222. Dans l'appendice de l'édition des Bénédictins, nous trouvons deux prières à réciter avant la messe. Quelques critiques cependant ont pensé que celle de ces prières qui commence par ces mots : Summe Sacerdos, pourrait être de notre Saint, et qu'elle représente assez bien son style. On peut voir sur l'hymne Te Deum, le Père Le Brun ; la vie de saint Augustin, etc. Saint Ambroise avait composé encore d'autres ouvrages qui ne sont point parvenus jusqu'à nous. On lui en a attribué d'autres qui ne sont point de lui et dont nous ne dirons rien. Saint Ambroise, dans les règles qu'il prescrit à l'orateur, exige un style simple, clair, plein de force et de gravité, qui exclut l'affectation et les ornements recherchés. Il est cependant tombé lui-même dans les défauts qu'il blâmait, parce que c'étaient ceux de son siècle ; mais les pointes et les jeux d'esprit qu'il emploie quelquefois n'empêchent pas qu'on ne trouve dans ses ouvrages beaucoup de force, de pathétique et d'onction. Fénelon cite la lettre à Théodose, en preuve de la première de ces qualités, et les discours sur la mort de Satyre, en preuve de la seconde. Les livres que le saint docteur a travaillés avec soin sont polis, ingénieux, ornés de fleurs et de figures ; en général, son style est noble, concis, sentencieux, étincelant de traits d'esprit, et a toujours une certaine douceur qui charme le lecteur. Ses lettres, celles surtout qu'il écrivit aux empereurs, sont des chefs-d’œuvre ; on y voit que le Saint connaissait le monde et les affaires, et qu'il savait s'accommoder à tous les rangs. L'édition des Œuvres de saint Ambroise par le cardinal Montalte, depuis Pape sous le nom de Sixte V, est la plus estimée de toutes les anciennes. Elle a été réimprimée plusieurs fois. Dons du Frische et Dom le Nourri, religieux de la Congrégation de Saint-Maur, en ont donné une nouvelle qui a effacé toutes les autres, et qui parut à Paris en 1686, 1690, 2 vol. in-folio. Richard Simon leur a cependant reproché d'avoir laissé dans le texte plusieurs fautes que Dom Lemerault, bibliothécaire de Saint-Germain des Prés, avait entrepris de corriger. Voir les lettres critiques de Richard Simon, et Dom Ceillier. L'édition des Œuvres de saint Ambroise par les Bénédictins a été réimprimée à Venise en 1752, 4 vol. in-folio. Les livres de la Virginité ont été traduits en français par le Père Duranti de Bonrecueil, oratorien, qui les a fait précéder d'une dissertion curieuse sur les vierges. Cette traduction, en un vol. in-12, 1729, est estimée ainsi que celle des lettres du saint docteur, par le même, en 3 vol. in-12, 1741. L'abbé de Bellegarde a traduit le Traité des Offices des ministres, 1 vol. in-12, 1691.

Ce récit est du Père Giry : nous l'avons revu et complété avec l'Histoire des auteurs sacrés et ecclésiastiques, par Dom Ceillier, et la France littéraire, par Dom Rivet.

1. Tout le monde connaît les Offices de Cicéron. Deux empereurs romains lurent cet ouvrage avec tant de soin qu'ils le savaient par cœur. Il n'a cependant pas tous les degrés de perfection qu'il pourrait avoir ; il serait plus utile, s'il y avait plus de méthode, du moins en quelques endroits. Au reste, l'orateur romain ne pouvait rien faire de parfait ; il n'avait point d'idée de la résignation, de l'humilité, de la mortification, de la pénitence et de plusieurs autres vertus ; il ne connaissait point non plus la nécessité de régler les affections, ni celle de rapporter nos actions à une fin digne d'une créature raisonnable. De tous les systèmes de morale donnés par les païens, celui d'Aristote est le plus complet. Les devoirs qui découlent des quatre vertus cardinales y sont expliqués avec autant d'ordre que d'élégance. Aristote cependant ne connaît pas les vertus morales les plus héroïques, et il cite les autres en y faisant entrer un mélange de vanité, d'orgueil et d'amour-propre. Son portrait de l'homme parfaitement vertueux, Ethic., I, 7. c. 8, porte sur un raffinement d'orgueil intolérable. Voir Maximes du duc de La Rochefoucault, et Fausseté des vertus humaines, par Esprit. On ne doit pas être surpris après tout de voir des absurdités et même des impiétés dans les systèmes de morale qu'ont donnés les plus célèbres philosophes de l'antiquité païenne. Ils n'avaient d'autre guide que la raison humaine, dont les lumières sont si souvent obscurcies par les passions. (Voir Cumberland sur la Loi naturelle.) Lorsque les vertus de l'homme sont purement humaines, et qu'elles ne sont point appuyées sur les principes de la révélation, quelque brillantes qu'elles paraissent, on ne doit point se laisser éblouir par leur éclat. Les actions et les affections qu'elles produisent n'ont guère d'autre source que l'amour-propre. La vertu pure et désintéressée est fort rare ; on ne la trouve que là où elle est fondée sur les maximes de crucifiement et d'abnégation tracées dans l'Évangile. C'est ce qui assure la prééminence aux Offices de saint Ambroise sur tous les ouvrages des philosophes païens. Quoique le saint docteur se renferme souvent dans des considérations morales ou philosophiques, il fait voir néanmoins les grands avantages que la morale tire de l'Évangile. Il montre par exemple, I. 3, c. 1, que la maxime de Scipion, qu'il n'était jamais plus occupé ni moins seul que quand il était avec lui-même, a été vérifiée d'une manière plus excellente dans Moïse, Élie, Élisée et les Apôtres. Ces grande hommes savaient non seulement converser avec eux-mêmes, mais ils savaient encore être toujours avec Dieu et goûter les douceurs la contemplation céleste.


SAINTE FARE DE CHAMPIGNY, VIERGE,ABBESSE DE FAREMOUTIER, AU DIOCÈSE DE MEAUX

655. — Pape : Saint Eugène 1er — Roi de France : Clovis II.

Consecratus Deo sum de utero matris meæ.

J'ai été consacré à Dieu dès le sein de ma mère. Judic., XVI, 17.

Cette vierge est une de celles que l'Époux céleste s'est préparées dés le berceau, et auxquelles il a donné des grâces anticipées pour les rendre perpétuellement agréables à ses yeux. Sœur germaine de saint Faron, évêque de Meaux, elle avait le même père, savoir, le comte Agneric, qui descendait d'une ancienne noblesse de Bourgogne, et qui avait de grands biens en cette province ; sa mère était la comtesse Léodegonde, fille unique et héritière d'un comte de Meaux. Cette famille étant très réglée, Fare n'y reçut qu'une excellente éducation et n'y vit que des exemples qui la portaient à la vertu. Mais elle fut d'ailleurs prévenue par une grâce extraordinaire du Saint-Esprit, qui la prépara de bonne heure à être une des plus précieuses demeures de la très adorable Trinité. Saint Colomban, abbé de Luxeuil, fut le premier qui découvrit ce mystère. Étant venu chez ses parents avec saint Eustaise, son disciple, dans le château de Pipimisium (Champigny), dans la forêt de Brie, à deux lieues de Meaux, il fut surpris de voir entre ses mains des épis de blé déjà mûrs ; quoique ce ne fût pas encore la saison ; admirant ce prodige et plus encore celui de sa sainteté précoce, il la prit souvent en particulier, lui parla de la connaissance et de l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui représenta ses beautés et ses adorables perfections, et lui fit connaître les secrètes obligations qu'elle avait de se donner toute à lui et de prendre perpétuellement garde à éviter tout ce qui lui déplaisait et à faire tout ce qui lui était agréable. La jeune comtesse, touchée de ces paroles, lui dit un jour dans sa naïveté d'enfant : « Découvrez-moi, je vous en prie, mon Père, où je trouverai ce divin Maître, afin que je puisse le servir. N'est-ce point lui qui a la bonté de se montrer quelquefois à moi pendant la nuit, tantôt sous la forme d'un enfant d'une beauté merveilleuse qui me fait de très aimables sourires, tantôt sous celle d'un homme plein de majesté, mais déchiré de coups de fouet, couronné d'épines, attaché à une croix et qui a sa mère en sa compagnie, tantôt tout resplendissant et tout environné de lumière ? » Saint Colomban admira les familiarités de l'Époux des vierges avec la petite Fare, et, prenant de là sujet de l'instruire encore plus parfaitement des secrets du divin amour, il l'exhorta à se consacrer entièrement et sans réserve à Celui qui l'attirait par des faveurs si extraordinaires. Pendant qu'il parlait, Dieu toucha tellement le cœur de notre Sainte, qu'elle prit la résolution de faire vœu de virginité à ses pieds. Elle lui dit donc, les mains jointes et les yeux élevés au ciel : « Je m'offre à Jésus-Christ, mon très vénérable Père ; je lui donne mon corps et mon âme, et je veux être toute à lui et pour le temps et pour l'éternité. Priez-le qu'il me reçoive pour sa servante, et qu'il confirme par sa bénédiction le don que je viens de lui faire ». Si ces paroles furent ouïes de ses suivantes, elles ne les prirent sans doute que pour des sentiments d'enfant qui n'avaient nulle conséquence ; mais saint Eustaise, qui accompagnait saint Colomban, en jugea bien autrement et reconnut que Dieu avait agi dans l'âme de cette petite d'une manière extraordinaire et toute surnaturelle, par le ministère de son bienheureux Père. Sainte Fare, se voyant mise au nombre des vierges et des épouses de Jésus-Christ par cette consécration anticipée, s'efforça de ne rien faire qui la rendît indigne d'un si grand honneur. Elle croissait tous les jours en grâce et en vertu, et elle n'omettait rien pour consommer l'ouvrage de sa perfection. Sa conduite sage et discrète donnait de la consolation à ses parents et de l'admiration à ceux qui venaient au château. Elle employait une partie de la journée à la prière et aux exercices de piété, et le reste du temps, elle s'occupait à quelque travail des mains, convenable à son sexe et à sa qualité. Cependant, ayant atteint l'âge de quatorze ans, son père voulut la marier, et l'accorda effectivement à un jeune seigneur de sa naissance, que l'on regardait comme un parti très, avantageux. La Sainte, sachant ce dessein, en fut outrée de douleur, et en pleura tant qu'elle en perdit la beauté et la vue, et qu'elle tomba dans une extrême langueur. Elle demeura en cet état sans que les médecins y pussent apporter remède, jusqu'au bout de trois ans, que saint Eustaise, repassant par Pipimisium, lui rendit visite et la guérit parfaitement, tant de sa langueur que de son aveuglement, sur la parole que le seigneur Agneric, son père, lui donna, qu'il ne la presserait pas davantage de se marier, mais lui laisserait sa liberté. Sainte Fare, étant guérie, ne pensait plus qu'à employer sa santé à louer et à bénir le médecin céleste qui la lui avait donnée. Mais son père, oubliant sa parole, et ne voulant pas manquer de foi à celui à qui il avait promis sa fille, reprit l'affaire de son mariage et porta la chose si avant, que le jour des noces était déjà assigné. Que fera notre chaste vierge dans un si grand danger d'être arrachée malgré elle des bras de son céleste Époux ? Elle prend intérieurement conseil de lui, et, ayant trouvé une occasion favorable, elle se dérobe de la maison de son père et va se cacher dans une chapelle dédiée à saint Pierre, près de Meaux. Là, fondant en larmes et le visage collé contre terre, elle fit cette humble prière : « Apôtre de Jésus-Christ, qui, par le pouvoir que vous avez reçu de ses mains, ouvrez aux justes le royaume des cieux, et le fermez aux pécheurs, je me jette entre les bras de votre charité, et je vous supplie de me recevoir au nombre des vierges de l'Église ; et vous, mon admirable Jésus, qui avez tant de compassion des affligés, quand ils approchent de vous avec un cœur contrit et humilié, conservez, je vous supplie, la fleur de ma virginité que je vous ai vouée par votre inspiration, dès le temps de ma plus tendre enfance ». On ne peut concevoir la colère d'Agneric, lorsqu'il sut que sa fille s'était absentée. Il envoya ses domestiques à sa recherche, avec ordre de la ramener de force, ou même de la mettre à mort, si elle faisait trop de violence pour ne point obéir. On la trouva dans cette chapelle, toute disposée à perdre plutôt la vie que le trésor inestimable de sa chasteté. On l'enleva, on l'amena au château, et son père l'ayant fait enfermer, lui fit souffrir pendant six mois entiers les plus rudes traitements que l'on puisse faire subir à une fille de sa condition. Au bout de ce temps, saint Eustaise repassa pour la troisième fois à Pipimisium. Il fut fort surpris d'apprendre les violences et les outrages que l'on avait faits et que l'on faisait encore à sainte Fare ; et, ne pouvant retenir son zèle, il en fit une sévère réprimande à ce père déraisonnable, le menaçant des châtiments de la justice de Dieu, s'il ne se repentait de son crime et ne le réparait en rendant une parfaite liberté à l'épouse de Jésus-Christ. Agneric, effrayé de ses paroles, reconnut enfin sa faute, et non seulement il rompit le mariage qu'il avait voulu faire sans le consentement de sa fille, et consentit qu'elle reçût le voile de vierge et de religieuse des mains de Gondoald, évêque de Meaux (614), mais il résolut aussi de bâtir en sa considération un monastère 1. En attendant qu'il fût achevé, elle se retira avec deux filles, l'une de Paris, l'autre de Soissons, en un lieu appelé Champeaux, où elle commença à pratiquer tous les exercices de la vie religieuse.

1. L'abbaye portait originairement le nom de Brige, dérivé d'un mot celtique, qui signifie un pont. Duplessis pense qu'il y avait autrefois, comme à présent, un pont sur la rivière, au confluent de 1'Aubetia et du Morin. C'est de là que la forêt, dite aujourd'hui de Faremoutier, fut appelée Saltus Briegius. Le nom latin Eboriacas ou Evoriacas, que le monastère portait dans le VIIe siècle, pariât aussi dérivé du celtique ; c'est de ce monastère que la forêt et le district situés au midi de la Marne ont pris le même nom. Le pays dont il s'agit est connu sous le nom de Brie. Les bâtiments de cette célèbre abbaye ont été presque tous détruits ; ce qui en reste est maintenant une habitation particulière. Sa situation, ses points de vue et la beauté de ses jardins sont remarquables.

Elle fut ensuite conduite en cette nouvelle maison par le même évêque de Meaux, en la compagnie de plusieurs filles qui voulurent, à son exemple, abandonner le monde pour ne plus vivre qu'en Jésus-Christ. Ce prélat la nomma abbesse, et, ayant consacré son église sous le titre de la sainte Vierge et du prince des Apôtres, il lui donna la bénédiction abbatiale. Elle fut plus supérieure par la prééminence de ses bonnes œuvres que par l'autorité de ses commandements. On la voyait la première au chœur, la plus fervente à la psalmodie, la plus constante dans l'oraison et la plus exacte à toutes les observances régulières. On ne peut assez louer son respect et sa modestie pendant les divins offices, son humilité dans toutes ses actions, sa charité envers ses filles, sa douceur et sa débonnaireté envers ceux qui avaient le bonheur de l'aborder. Tout parlait en elle, et son silence n'était pas moins éloquent que ses discours. Son abord inspirait la paix, ses regards calmaient les esprits les plus agités, la sérénité et l'air de dévotion qui paraissaient sur son visage portaient à la piété et au recueillement. Enfin, on apercevait en elle quelque chose de divin, qui, en la rendant aimable, faisait aussi aimer la divine bonté, qui en était le principe. Plusieurs vierges, tant de France que des pays étrangers, attirées par l'odeur admirable de ses vertus, vinrent se ranger sous sa conduite ; des princesses mêmes et des comtesses préférèrent l'austérité du cloître aux plaisirs dangereux du monde. Jonas 1, moine de Luxeuil, en a marqué une partie dans son troisième livre des Actes de saint Colomban et de saint Eustaise, et plusieurs de ce nombre ont mérité un culte public dans l'Église, comme sainte Sisetrude, sainte Hercantrude et sainte Gibitrude. Parmi les avis que sainte Fare leur donnait, elle leur recommandait particulièrement une grande pureté de cœur dans toutes leurs actions, une fidélité toujours constante à correspondre aux mouvements de la grâce et aux inspirations du Saint-Esprit, une extrême défiance d'elles-mêmes pour mettre leur confiance en Dieu seul, un éloignement général de tout ce qui était capable de diminuer et d'affaiblir en elles les ardeurs du divin amour, une adoration perpétuelle de Dieu présent et opérant au fond de leurs âmes, une persévérance invincible à faire tout le bien qu'elles savaient lui être agréable, sans jamais se relâcher, même dans les plus petites choses, et une contemplation assidue de ses adorables perfections, afin de s'exciter à l'aimer de plus en plus et à ne manquer jamais aux promesses qu'elles lui avaient faites. Pour rendre ses exhortations plus efficaces, elle leur mettait souvent devant les yeux l'exemple de la glorieuse sainte Geneviève, qui avait répandu depuis un siècle l'odeur de ses vertus à Paris, à Meaux et aux environs. Ses religieuses s'élevèrent par la pratique de ces enseignements à une si haute sainteté qu'elles étaient ordinairement favorisées de visions célestes, surtout à l'heure de la mort, comme Jonas l'écrit à l'endroit que nous avons déjà cité. Notre Sainte étant tombée si malade qu'on désespérait entièrement de sa guérison, sainte Gibitrude, qui était sa proche parente, sachant combien sa présence était nécessaire à ses filles, pria instamment Notre-Seigneur de la laisser encore sur la terre et de l'ôter plutôt elle-même de ce monde en sa place. Comme elle faisait cette prière, elle ouït une voix du ciel qui l'assura qu'elle était exaucée ; en effet, sainte Fare guérit, et pour elle, elle fut saisie d'une fièvre dont elle mourut. Son âme fut portée à l'heure même par les anges devant le tribunal de Jésus-Christ, pour y recevoir son dernier jugement ; mais il fut suspendu, et une autre voix sortit du trône du juge qui lui ordonna de retourner dans son corps pour y expier, par la pénitence, des fautes dont elle ne s'était pas défaite entièrement dans le monde, comme quelques ressentiments contre ses sœurs qui l'avaient offensée et quelques dégoûts et lâchetés dans le service de Dieu. Elle revint donc en vie et vécut encore six mois avec une innocence et une pureté admirables, après lesquels, ayant été avertie de l'heure de son décès, elle expira très saintement. Sa cellule fut alors remplie d'une si agréable odeur qu'on eût dit que le baume distillait de toutes parts, et au bout de trente jours, selon le témoignage du même Jonas, qui était présent pendant qu'on célébrait une messe solennelle pour elle, suivant la coutume de l'Église, on sentit dans la basilique des odeurs si suaves qu'elles surpassaient tous les parfums de la terre. Il arriva à d'autres de semblables merveilles, et il y en eut une qui, étant en extase durant l'exhortation de la sainte abbesse, fut appelée au ciel par Notre-Seigneur ; mais elle revint un moment à elle pour demander la bénédiction et la permission de mourir à sa bienheureuse supérieure, et elle mourut effectivement aussitôt qu'elle l'eut reçue.


1. Il y avait deux monastères à Faremoutier : l’un d'hommes, l'autre de femmes. Jonas fut moine à Faremoutier, peu de temps après la fondation de cette maison, et il nous a laissé une relation édifiante de ceux qui l'habitaient.


Si Dieu prévenait de tant de faveurs les bonnes religieuses de ce monastère, il était d'ailleurs très sévère à punir celles qui s'éloignaient de leur devoir et transgressaient les ordonnances de leur Règle. Il y en eut deux qui se laissèrent tellement séduire par les artifices du démon que, ne pouvant s'assujettir à une sainte pratique prescrite par saint Colomban, qui était de découvrir trois fois le jour ses mauvaises pensées à la Mère spirituelle, elles ne faisaient cette découverte qu'en apparence et par manière d'acquit. Elles tombèrent donc peu à peu en une si grande dureté de cœur que, se lassant de la rigueur de la vie religieuse, elles s'enfuirent la nuit du couvent et se retirèrent chez leurs parents. La Sainte, s'étant aperçue de leur absence, les fit chercher. On les trouva, on se saisit d'elles et on les ramena. Les autres sœurs firent ce qu'elles purent pour les porter à la pénitence, mais inutilement. Enfin elles moururent misérablement. Pendant trois ans, on voyait de temps en temps au-dessus de leur tombeau un tourbillon de feu en forme de bouclier et l'on entendait deux voix dans la confusion de plusieurs autres, qui disaient chacune en hurlant d'une manière effroyable : « Malheur à moi, malheur à moi ! » Ce terrible châtiment fit un bien merveilleux à ce monastère, et il doit aussi apprendre à toutes les personnes religieuses avec quelle exactitude et quelle sincérité il faut qu'elles s'acquittent de ce qui leur est ordonné par leur Règle et leurs Constitutions, ou par la louable coutume de leur Congrégation. Saint Faron fut redevable à sainte Fare de la résolution qu'il prit de quitter le monde et les embarras du mariage pour embrasser la cléricature. Elle fut cause aussi de plusieurs autres bénédictions spirituelles dont il plut à Dieu de combler toute sa famille, de sorte qu'elle lui fut incomparablement plus utile que si elle avait mis beaucoup d'enfants au monde qui en eussent soutenu la gloire en s'élevant aux premières charges de l'État et en se distinguant dans la carrière militaire. Enfin, âgée de plus de quatre-vingts ans, prévoyant, par une fièvre qui la saisit, que l'heure de sa mort n'était pas éloignée, elle s'y prépara avec une ferveur admirable. Il n'y a rien de plus touchant que les exhortations qu'elle fit à ses filles. « Aimez Dieu sur toute chose », leur dit-elle, « et gardez fidèlement sa sainte loi. Ayez une parfaite cordialité les unes pour les autres ; aidez-vous et supportez-vous mutuellement, afin que la paix et la concorde règnent éternellement dans cette maison. Recommandez souvent à Dieu nos amis et nos bienfaiteurs. Portez compassion aux pauvres et aux pécheurs et priez Notre-Seigneur de suppléer par sa miséricorde au secours que vous ne pouvez pas leur rendre. Faites à votre prochain tout le bien que vous souhaiteriez qu'on vous fît. Ne suivez jamais votre jugement propre. Ne méprisez personne que vous-mêmes. Occupez-vous toujours de Dieu et jetez-vous entre ses bras dans toutes vos peines. Faites des vœux et versez des larmes pour ceux qui vous persécutent. Supportez les afflictions qui vous arrivent avec soumission d'esprit et allégresse, et ne vous estimez jamais plus heureuses que lorsque vous serez environnées de croix et éprouvées par les plus grandes tentations ». Elle adressa aussi des colloques très amoureux à Jésus-Christ et à Marie devant leurs saintes images ; puis, faisant le signe de la croix et mettant la main gauche sur son cœur, elle rendit son esprit entre les bras de son Époux céleste, le 7 décembre 655. On invoque cette grande Sainte pour les maux d'yeux. Dans son testament, elle légua une partie de ses biens à ses frères et à sa sœur ; mais la plus grande partie fut donnée à son monastère. En parlant de cette seconde portion de ses biens, elle fait mention de ses terres de Champeaux ; mais rien ne prouve qu'elle eût fondé un autre monastère, et il pariât que l'abbaye de Faremoutier fit depuis bâtir à Champeaux un prieuré conventuel qui fut, à la fin du XIe siècle, remplacé par un Chapitre de chanoines séculiers, situé dans le diocèse de Paris. Sainte Fare est représentée : 1° debout, tenant sa crosse, des épis et un livre ; 2° bénie par saint Colomban ; 3° se réfugiant dans une église ; 4° recouvrant la vue par l'entremise de saint Eustaise ; 5° recevant l'habit de religieuse des mains de Gondoald, évêque de Meaux ; 6° engageant son frère Faron, jeune seigneur, à quitter le monde ; on la voit dans le parloir ; son frère lui parle en présence de deux religieuses ; 7° montant au ciel avec ses religieuses.

CULTE ET RELIQUES.

En 695, on renferma dans une châsse les reliques de sainte Fare, et il s'est opéré plusieurs miracles par son intercession. Nous en rapporterons un des plus célèbres. Charlotte Le Bret, fille du premier président et trésorier général de France au bureau des finances, en la généralité de Paris, perdit l'œil gauche à l'âge de sept ans ; cela ne l'empêcha pas de se retirer à Faremoutier, où elle prit l'habit en 1609. Sa vue s'affaiblissant de jour en jour, elle perdit encore l'œil droit, et devint entièrement aveugle en 1617. Elle vint deux fois à Paris consulter les plus habiles oculistes, qui déclarèrent unanimement qu'elle avait les yeux morts et qu'elle ne recouvrerait jamais la vue. Pour la délivrer des douleurs qu'elle ressentait fréquemment, on fit mourir ses prunelles à force de remèdes, en sorte qu'elle n'éprouvait plus aucune sensation, même par l'application du vinaigre, du sel et de quelque mordant que ce fût. S'il lui arrivait de pleurer, elle ne s'apercevait de ses larmes que quand elles coulaient sur ses joues. En 1622, on tira les reliques de sainte Fare de la châsse qui les renfermait, afin que toutes les religieuses pussent les vénérer. Charlotte Le Bret ne se contenta pas de les baiser, elle les fit encore appliquer sur ses yeux. Elle y sentit aussitôt de la douleur, quoique depuis quatre ans elle ne souffrit plus rien. A peine eut-on retiré les reliques, qu'une humeur découla de ses yeux. Elle pria qu'on les lui appliquât une seconde et une troisième fois, et, à la troisième fois, elle s'écria qu'elle voyait. La vue lui fut en effet rendue dans le même instant, et elle distingua tous les objets qui l'environnaient. Elle se prosterna pour rendre grâces à l'auteur de sa guérison, et toute l'assemblée se joignit à elle. L'évêque de Meaux fit constater juridiquement les faits, et déclara dans son ordonnance, rendue le 9 décembre 1622, que la guérison était miraculeuse. Les reliques de sainte Fare, qui ont échappé aux profanations révolutionnaires, sont maintenant conservées dans l'église paroissiale de Faremoutier et dans celle de Champeaux. Cette dernière église appartient aujourd'hui au diocèse de Meaux. Sainte Fare est patronne d'Aveluy. Son culte ne se répandit en dehors du diocèse de Meaux qu'au XIIe siècle, époque où l'on commença à distribuer de ses reliques à diverses églises.

Tiré de la Vie de sainte Fare, par Jonas, religieux de Luxeuil ; de l'Histoire de 1'Église de Meaux, par Duplessis, et des Moines d'Occident, par le comte de Montalembert.

SAINT SIMÉON, SOLITAIRE DANS LE PASSAIS (850).

Saint Siméon naquit vers la fin du VIIIe siècle. Prévenu de bonne heure des grâces de Dieu, il fut élevé au sacerdoce, et se retira dans une solitude située sur la paroisse de Vaucé, à trois lieues de Domfront (Orne). Tous ses délices étaient de converser avec Dieu par la prière, et de tendre continuellement vers lui par la pratique de la mortification. Notre-Seigneur, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, le combla de ses consolations dès ce monde, quoique de temps en temps il tempérât ses douceurs par quelques peines spirituelles, afin de le détacher plus entièrement des choses de la terre. La bonne odeur de Jésus-Christ, que notre Saint répandait par ses vertus, lui attira bientôt le respect des populations voisines. Saint Aldric, évêque du Mans (832-856), prévoyant les fruits de salut que le pieux solitaire produirait par ses instructions, le chargea de prêcher la parole de Dieu aux habitants du Passais. Saint Siméon remit avec joie la mission qui lui était confiée. Il quitta sa chère solitude et alla dans les paroisses principales du Passais appeler les peuples à l'amour de Dieu. La vue de cet humble solitaire, exténué par le jeûne et couvert d'un habit très pauvre, sa parole ardente, son zèle infatigable à prêcher les grandes vérités de la religion, sa tendre charité pour les pécheurs, tout contribua à faire une heureuse impression dans les paroisses qu'il évangélisa. Touchés du regret de leurs fautes, beaucoup de pécheurs revinrent à Dieu et les justes travaillèrent avec une nouvelle ardeur à leur sanctification. Après avoir combattu le bon combat, notre cher Saint, comblé d'années et de mérites, alla recevoir la couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment. Sa mort arriva le 7 décembre vers l'année 850. Saint Siméon fut, comme tous les Saints du Passais, inhumé dans la chapelle de son ermitage. Bientôt son tombeau devint l'objet de la dévotion populaire. Les fidèles y accouraient de tous côtés pour réclamer la protection de ce Saint dans leurs maladies et dans les calamités qui affligeaient parfois la contrée. Comme la dévotion du peuple allait croissant, et que Dieu daignait la confirmer par des miracles, l'évêque du Mans fit l'élévation du corps de saint Siméon en présence d'une grande multitude de fidèles. Une partie des précieuses reliques fut exposée à la vénération publique dans l'oratoire du Saint, l'autre fut remise dans son tombeau, ou transportée en des églises que nous ne connaissons plus. Les fidèles continuèrent pendant tout le moyen âge à témoigner à saint Siméon une vénération profonde. Ce fut pour encourager la dévotion du peuple envers ce grand Saint que le pape Alexandre VII établit, à la prière de l'évêque du Mans, une Confrérie de Saint-Siméon dans la chapelle qui lui était dédiée. Cette Confrérie ne tarda pas à devenir considérable par le nombre des fidèles qui s'y firent enrôler afin de gagner les indulgences accordées par le souverain Pontife. En 1793, une pieuse femme, Mme Deraine de la Gauffrie, voyant que les reliques de saint Siméon étaient en danger d'être profanées, et peut-être détruites par les révolutionnaires du district de Domfront, enleva secrètement ce précieux trésor de la chapelle, et le cacha dans sa maison jusqu'au rétablissement du culte catholique. Elle rendit alors à la chapelle, érigée en église paroissiale, les saintes reliques et les pièces qui en constataient l'authenticité. De nos jours, la dévotion à saint Siméon continue d'être en honneur dans les cantons de Passais, du Teilleul et de Landivy. Le 27 décembre 1862, M. le Curé de Saint-Siméon (Orne) donnait les détails suivants sur le culte de son bien-aimé Saint : « Je me crois plus au-dessous qu'au-dessus de la vérité en disant que plus de six mille pèlerins visitent notre église chaque année. Il en vient plus de quatre mille le jour de la Saint-Jean. Bon nombre ont fait dix, quinze, vingt lieues pour venir. On invoque saint Siméon surtout pour les biens temporels, en particulier pour obtenir la bénédiction de Dieu sur les bestiaux. Quand on porte ses reliques en procession pour obtenir de la pluie ou du beau temps, il y a un concours si extraordinaire qu'on s'en fait à peine une idée, à moins de le voir de ses yeux. On remarque encore, à quelque distance de notre petit bourg, une fontaine à laquelle plusieurs vont puiser de l'eau par dévotion. Selon la croyance de ces personnes, cette eau guérit de la fièvre. La fontaine porte le nom de Saint-Siméon ».

Vie des Saints de diocèse de Séez, par M. l'abbé Blin, curé de Durcet.

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