Commentaire de l'article 1

De Salve Regina

Loi et principes
Auteur : P. Réginald Héret, O.P.
Source : Extrait du livre La Loi scoute
Date de publication originale : 1922

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Le Scout met son honneur à mériter confiance

L'HONNEUR

L'honneur, c'est la vertu scoute. Un Scout veut être non seu­lement bon, mais excellent, et l'honneur c'est cela : Le culte de notre propre excellence et de notre vraie valeur d'hommes.

Un Scout n'agit point pour avoir l'estime, la récompense, l'af­fection des autres, par intérêt; ni non plus parce que cela lui plaît, par agrément, par plaisir ; il agit bien parce que c'est beau, parce que c'est "chic". Sa pensée est tout entière à son grand idéal scout qui inspire ainsi chacune de ses actions pour les rendre belles.

L'honneur, c'est la belle vie. Comme la sève au printemps fait fleurir les jeunes arbres, ainsi les belles actions font grandir et germer son âme et c'est cela qui le remplit de joie.

Une telle vie d'honneur est rare et provoque l'admiration, la confiance. Le Scout ne s'occupe point du jugement des hommes, mais il reste toujours en la présence du Chef suprême pour que Lui, le Christ, juge ce qu'il va faire.

Il a donc trois qualités essentielles :

- La sincérité : on peut se fier à sa parole, on sait qu'il n'y man­quera jamais ;

- Le courage : la pensée seule d'une lâcheté lui fait monter le rouge au front ;

- La liberté : il n'est prisonnier d'aucune tyrannie: habitudes, compagnons, préjugés…

Pour être Scout, il faut d'abord être une âme libre qui ne cherche à plaire qu'à Dieu, sans s'occuper des conséquences ; qui va droit, sans pour et sans reproche.

"Agir avec ruse est d'une âme sans grandeur. Une âme noble agit toujours ouvertement. Mais un caractère vil cherche ce qui lui profite et fait peu de cas de sa propre excellence." Je crois bien que l'on a dans ce texte concis tout le commentaire de ce premier article. Qui l'aurait compris saurait expliquer cette formule assez obscure pour nos novices : "Le Scout met son honneur à mériter confiance." Il ne suffit pas de l'expliquer en disant : "Le Scout met sa fierté" ou bien "met sa dignité". Pense‑t‑on que ces termes sont plus clairs pour un petit garçon ? Il ne suffit pas non plus de n'y voir qu'une invitation à la franchise.

Saint Thomas nous dit, en effet, que l'honneur est un témoignage d'excellence. On donne des honneurs a qui possède une situation élevée par sa science, son rôle dans les affaires publiques ou même simplement sa richesse, parce que tout cela est de grand poids pour la vie humaine. On dit de tels hommes : "Ils sont dans les honneurs." Mais qu'est‑ce qu'une situation élevée si celui qui y est installé n'est qu'un homme vulgaire ? A moins de n'être qu'une comédie, nos hommages veulent aller non à des simulacres, mais au vrai mérite. Si bien qu'en réalité, seule la vertu est à honorer, parce que c'est la vertu d'un homme qui décide quelle est sa valeur ou, comme parle Saint Thomas, son excellence.

Il faut avouer que les modernes ont bien avili cette grande conception de l'honneur. Quand ils parlent d'agir par honneur, ils entendent par là en appeler à leur dignité d'hommes ; ils veulent la sauvegarder aux yeux du public, quoi qu'il en soit du fond de leur conscience.

Qu'ils entendent ce que dit Bossuet de l'honneur considéré comme "la bonne opinion qu'on a de nous".

"La vertu est une habitude de vivre selon la raison ; et comme la raison est la principale partie de l'homme, il s'ensuit que la vertu est le plus grand bien qui puisse être en l'homme. Elle vaut mieux que les richesses parce qu'elle est notre véritable bien. Elle vaut mieux que la santé du corps parce qu'elle est la santé de l'âme. Elle vaut mieux que la vie parce qu'elle est la bonne vie et qu'il serait meilleur de n'être pas homme que de ne pas vivre en homme, c'est‑à‑dire ne vivre pas selon la raison et faire de l'homme une bête. Elle vaut mieux aussi que l'honneur parce qu'en toutes choses l'être vaut mieux que le sembler être ; il vaut mieux être riche que de sembler riche, être sain, être savant que de sembler tel. Il vaut donc mieux sans comparaison être vertueux que de le paraître et ainsi la vertu vaut mieux que l'honneur."

L'honneur tel que nous le comprendrons à l'école de Saint Thomas, ne sera donc pas une attitude que l'on se donne ainsi devant le public, mais une vertu intérieure : "Les démonstrations d'honneur ne sont rien si elles ne sont pas l'hommage rendu à la rectitude d'un homme et c'est pourquoi l'honneur consiste essentiellement dans la valeur intime, dans la droiture de la raison et de la volonté ; "l'opinion des hommes n'en est que la constatation accessoire."

Nous pouvons, en effet, nous déterminer à agir pour trois motifs : notre intérêt, notre plaisir, l'amour désintéressé du Bien, et c'est ce dernier amour qui est l'honneur parce que c'est le seul choix qui soit vraiment "droit"

'Notre désir peut se porter vers quelque chose qu'on veut pour avoir autre chose qu'on ne désire que comme moyen, comme intermédiaire, l'argent par exemple ; cela, c'est ce qu'on appelle l'utile et l'on dit alors que nous agissons par intérêt. Ou bien nous poursuivons une réalité qui satisfera complètement nos aspirations humaines, après quoi notre désir n'aura plus rien à demander; c'est ce qu'on appelle "honestum", l'honnête, et l'on agit alors par honneur. Ce qui nous apaise, en quoi notre désir se repose, c'est le délectable, le plaisir.

"C'est là une division non pas tant de choses, de biens qui s'opposent que différents points de vue pour envisager le Bien. Cependant on appelle proprement plaisir ce qui n'a d'autre raison d'être désiré que la jouissance qu'on y trouve, puisque quelquefois c'est nuisible et honteux.

On appelle utile ce qui n'a vraiment d'autre raison d'être désiré que de procurer autre chose, comme une potion amère, à cause de la santé qu'elle restaure. Pour l'honnête c'est ce qui a réellement de quoi satisfaire un désir d'homme."

Hommes de plaisir, hommes d'intérêt, hommes d'honneur, voilà donc comment Saint Thomas nous départage, d'après nos tendances les plus habituelles. On voit ce qu'est pour lui une vie d'honneur : c'est la rectitude intime d'un homme qui choisit toujours ce qui est un vrai bien, pour son progrès moral, au lieu de choisir ce qui est pour son intérêt ou son plaisir. "Il a un grand culte, la Vérité ; quant à sa réputation, peu lui importe." Etre loué, être méprisé, il n'en a pas souci. Ce n'est pas qu'il dédaigne les jugements humains, il pense seulement qu'ils s'égarent souvent et qu'en tous cas ils ne suffisent pas à récompenser une valeur. Quoique les hommes n'aient rien de mieux à offrir que ce qu'ils appellent de l'honneur, c'est en somme assez peu de chose.

Les vertus de nos aïeux, disons‑nous, voilà ce que nous voulons enseigner à nos enfants. C'étaient de grands caractères, des hommes de bien, des héros souvent, en tout cas de vrais chrétiens et quelquefois des Saints. Tels seront donc leur fils. Nos modernes chevaliers seront assez fiers pour ne pas se contenter, comme tant d'autres, de penser petitement, d'aimer pauvrement, de n'avoir qu'un pauvre caractère, et de ne s'éveiller qu'à des sentiments vulgaires, qui est ce qu'on fait lorsqu'on ne "se soucie pas de sa propre excellence". Un chevalier avait une grande âme libre. Il pensait que la vie humaine est tellement haute qu'elle ne peut être appréciée que par Dieu. Un homme d'honneur est un familier de Dieu. Il sait qu'une seule intelligence conduit le monde, celle de Dieu; qu'une seule volonté est toute-puissante pour le diriger, la Sienne. Il s'accorde avec elle. Sa raison, lumière de sa vie, est une participation à la Raison divine qui pénètre tout, qui règle tout. Avec elle, humble associé, il a l'honneur de pouvoir tout régir.

C'est une belle vie. "L'honneur c'est de la beauté dans la vie. On dit qu'un corps est beau quand un homme a les membres bien proportionnés avec un certain éclat de la chair. Il y a pareillement une beauté spirituelle qui consiste en ceci que le commerce d'un homme, son activité sont parfaitement concertés selon la lumière spirituelle de sa raison. C'est cette clarté de vie que l'on appelle l'honneur dont nous avons dit ailleurs qu'il est même chose que la vertu, laquelle modère toutes les affaires humaines d'après la raison."

Il y a, d'ailleurs, bien des degrés dans cette beauté humaine : "Le degré suprême, la plus haute valeur d'un homme, c'est qu'il aille au bien de lui‑même sans y être poussé par d'autres ; le second est celui de ceux qui ont besoin d'y être amenés, mais qui y viennent volontiers ; le troisième, celui de ceux qui ne sont bons que par force; le dernier degré est celui de ceux que la contrainte même ne peut amener au bien; c'est en vain, dit Jérémie, que j'ai frappé vos fils, ils n'en ont pas retiré d'instruction."

Un homme d'honneur porte ainsi sa loi écrite non pas tant dans sa mémoire que dans son cœur, et écrite premièrement par "l'Esprit‑Saint, Puis Par son Propre effort, sa bonne volonté, son travail".

Une vie pareille, oui, c'est une vie de prix et on peut l'appeler une vie excellente. Faisons remarquer à nos Scouts ses rapports avec la vertu que réclame l'article dix. Puisqu'une vie d'honneur est une vie qui ressemble à une oeuvre d'art ; si c'est une idée qui se traduit en actes, écrivant en B.A., le poème de sa pensée intérieure, de son idéal, de sa conception de la vie, elle ne comporte pas de turpitude. Point de plaisirs honteux, de voluptés brutales, niais une tranquille et ferme tempérance qui règle les désirs pervers et garde l'âme pure et claire.

Un jeune homme qui mène ainsi une vie supérieure, que c'est donc impressionnant ! Il y faut, et nous le dirons, une énergie divine. Enseignons à nos Scouts à paraître ainsi devant les hommes comme une règle vivante, qu'on ne peut surprendre en faute, qu'on trouve toujours dans le droit chemin, dont la conscience est si limpide qu'à travers elle on croit apercevoir les clartés du ciel. Très certainement c'est le sens de l'article que nous commentons.

Car, à un tel Scout, chacun donnera sa confiance. En sa présence on a la conviction qu'on est devant quelqu'un qui compte et sur qui on peut compter. C'est une belle valeur humaine. Que cherchons‑nous, tous, qui que nous soyons ? Nous cherchons, pour nous aider dans cette rude piste qu'est la vie, nous cherchons des secours qui ne trompent point, des hommes sur qui l'on puisse faire fond. Et l'une de nos grandes tristesses humaines, c'est justement de ne trouver que des gens qui vous lâchent. Si bien que l'on est saisi d'une admiration respectueuse quand nos yeux croisent un regard dont la lumière est un gage de sécurité. Nos Scouts, dont la raison d'être est de servir, doivent apparaître comme des hommes sûrs.

S'ils ont bien compris ce que c'est que l'honneur : la recherche, non de ce qui profite, mais de ce qui fait la valeur humaine, ce n'est pas d'eux qu'on pourra craindre ces déguisements, ces feintes, ces prudences, ces habiletés perfides qui inquiètent. Dieu est là, et notre petit Scout vit en sa Sainte Présence, sous l'impression permanente de ce Vrai définitif et souverain, qu'il interroge d'abord avant toute démarche. On peut le croire sans épreuve, sa conscience a été jugée par la Vérité, avant d'être jugée par la Vérité, avant d'être jugée par nous.

Il est donc sincère dans ses paroles, et c'est la Véracité. Rien n'est pernicieux comme le mensonge. C'est une injustice. "Comment voulez‑vous que deux hommes vivent ensemble, s'ils ne se croient pas l'un l'autre ? Le mensonge détruit les sociétés humaines, grandes et petites. Il est certain qu'on ne peut pas nous traîner devant un juge pour nous forcer à manifester le Vrai. Mais il n'en reste pas moins que manifester le Vrai est une dette, une dette morale, et nous dirons que c'est par une dette d'honneur que l'homme doit à l'homme la Vérité."

Il est sincère dans ses actes et c'est j'intégrité. Un homme intègre est celui qui agit en toutes choses selon ce qu'il est et, par conséquent, ce qu'il doit. Intègre veut dire complet, et il faut, en effet, si le Scout veut être cet homme d'avant-garde de l'armée catholique que désire Pie XI, il faut qu'il possède toutes les vertus. Le Scout est toujours prêt à réaliser sa promesse. Il ne se permet aucune injure publique ou secrète, ayant délicatement souci des intérêts, de la dignité, des légitimes susceptibilités de ses frères. Ne mentant jamais, il ne peut, à plus forte raison, calomnier ni médire, persuadé comme il l'est que la réputation est un bien plus précieux que la richesse. Il est reconnaissant pour les bienfaits. Il est attentif à porter sa charge des fardeaux communs parce que, s'il se dérobait, le poids en retomberait sur des épaules fraternelles. Il ne critique pas avec acrimonie Fidèle à tous ses devoirs, il laisse ses frères à leurs responsabilités. Il n'est pas sévère, quoiqu'il soit clairvoyant. " Tout droit", comme la flèche de nos frères E. D. F, il va vers son but qui est le sien et sans dévier à droite ni à gauche, il laisse à d'autres le soin d'atteindre d'autres objectifs.

Oui, on pourra se fier aux Scouts s'ils ont une telle rectitude de l'âme. Qu'ils comprennent donc avant toutes choses que l'honneur, qui est, en effet, le fondement du Scoutisme, n'est pas seulement le culte de la dignité personnelle, mais le culte du Bien. Pour être Scout, il faut d'abord être une âme libre qui ne cherche que le Bien, qui ne tient à ménager que le Bien, qui n'a d'amis ou d'ennemis que ceux du Bien qui n'a donc à ruser avec personne, qui va droit, sans peur et sans reproche.

Et je dis qu'ainsi ils mériteront confiance. Une grande joie nous saisit quand nous nous trouvons en face d'une sincérité généreuse. La Vérité ne nous appartient pas, elle n'est pas chose terrestre. Quand un rayon furtif nous en apparaît, il nous conduit tout près du trône de Dieu, d'où il descend.

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