Commentaire de l'article 4
De Salve Regina
Loi et principes | |
Auteur : | P. Réginald Héret, O.P. |
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Source : | Extrait du livre La Loi scoute |
Date de publication originale : | 1922 |
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Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
Le Scout est l'ami de tous et le frère de tout autre Scout
L'AMOUR
C'est le grand précepte, celui que nous devons surtout pratiquer et apprendre à pratiquer autour de nous.
Nous ne nous ressemblons pas ? Tant mieux ! Au lieu de nous heurter, il faut nous compléter. Nous ne devons tolérer entre nous aucune discorde, aucun ressentiment prolongé. Sans doute, tous les Scouts ne nous sont pas également sympathiques, mais ils sont tous nos frères et ils ont droit à nos égards et à notre affection.
Rappelons-nous : C'est le Christ qui est notre vrai, notre seul Chef. Il nous réunit surtout à la Messe du matin, au camp, tous groupés autour de Lui.
Plus nos frères sont proches de Lui, unis à Lui, plus ils doivent nous être chers, plus nous devons les aimer, mais les aimer vraiment, d'une affection qui se prouve, qui s'exprime.
A cause de Lui, et comme Il l'a dit, aimons aussi tous les hommes, même nos ennemis, pour les servir et les sauver.
Résultats entre nous : ‑ Joie : on est content, puisqu'on s'aime.
‑ Paix : on ne se querelle point.
‑ Miséricorde : on se pardonne.
‑ Bienfaisance : on s'aide, on se rend service, on se fait plaisir.
Nous devons tous nous aimer parce que nous avons tous le même Père qui est dans les Cieux. Quelles que soient nos différences de race, de nationalité, de culture, d'intérêt, notre origine n'est pas moins commune, ainsi que notre but. On parle aujourd'hui de la "haine féconde" en ce sens que la lutte, la lutte entre races, entre classes, serait la loi de notre vie et le seul moyen que nous ayons de forcer les barrières qui s'opposent au progrès de l'Humanité. Mais non, la haine n'est point féconde ; ce qui est fécond, ce qui est le moyen providentiel par quoi tout se fait, tout avance, ce n'est pas la lutte, c'est le concours.
C'est ensemble, peut-on dire, que Dieu nous a créés, en ce sens que la pensée de notre Père est celle d'une grande famille d'élus où chacun aura sa place et son rôle. Chacun de nous réalise un aspect de son idée de l'homme ; et ce qui nous distingue, nous sépare et trop souvent nous fait obstacle ne sont pour Lui que des variantes du thème. Nous ne nous ressemblons pas, tant mieux ! C'est pour nous compléter, et nos dissonances de caractère, de pensée, de parler, de visage, doivent se résoudre finalement dans l'harmonie.
"La distinction, la multitude des êtres a été voulue par le Créateur. S'il a fait le monde, c'était pour communiquer son excellence aux créatures et la reproduire. Mais il ne pouvait la reproduire suffisamment par une seule créature. Il en a donc fait beaucoup et de toute espèce. De la sorte, ce qui manque à l'une pour donner l'image parfaite de la divine bonté, une autre y supplée. La bonté qui est en Dieu, simple et une, est dans les créatures multiple et variée. L'univers tout entier, pris dans son ensemble, participe donc davantage et reproduit parfaitement la divine excellence, qu'une créature toute seule."
Nous sommes donc faits pour nous entendre, pour nous adapter les uns aux autres et nous aimer. Entre hommes, nous aurons ces rapports raisonnables qui nous feront la vie heureuse, "car rien n'est si propre à l'amitié que la bonne vie", comme dit le philosophe. Bien loin de nous heurter, notre plus grand plaisir sera de goûter la profonde et grande joie humaine de nous retrouver ensemble, d'admirer et de savourer ce qui est bon et beau autour de soi, ce que les autres nous apportent chaque jour: leur intelligence et leur cœur.
Sans doute, il faut souvent beaucoup y mettre du nôtre. Mais n'est-ce-pas notre devoir ? "La charité est patiente, dit Saint Paul, elle est bonne, elle n'est pas envieuse, elle n'est pas inconsidérée; elle ne s'enfle point d'orgueil, elle ne fait rien qui ne convienne, elle ne cherche point son propre intérêt, elle ne s'irrite point, elle ne s'attarde point sur le mal, elle ne prend point plaisir à l'injustice, mais elle se réjouit de la vérité, elle excuse tout, elle croit tout, elle supporte tout." Ce que la charité chrétienne réaliserait dans la vie humaine, cette longue énumération nous le donne à penser. Aux Scouts de prouver que ce n'est point qu'un beau rêve.
Car nous devons nous aimer encore parce que le Christ est le "centre de tous les cœurs". Il est notre lien depuis qu'Il s'est incarné, qu'Il est devenu l'un d'entre nous. C'est Lui qui est notre Chef. "Le Chef, nous dit‑on, est celui qui fait l'unité, condition primordiale de l'existence, de la stabilité, de la fécondité d'une entreprise." Si cela vaut pour toute entreprise politique, économique, militaire, à combien plus forte raison faudra-t-il un chef pour cette entreprise si périlleuse, si risquée du salut de l'Humanité. "Or nous déclare Saint Paul (Eph. I, 10), le mystère de la volonté divine a été de tout rassembler sous un chef unique dans le Christ ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre". C'est Lui qui orientera tous les élus vers la vie divine, et nous serons ainsi, par Lui, une grande société organisée.
L'Eglise, dans son ensemble, peut être dite un corps mystique par comparaison à un corps humain qui a différents membres et différentes fonctions. Le Christ est son Chef parce qu'il a le rôle que remplit la tête dans un corps d'homme: il organise, il complète, il actionne." C'est bien pour cela que dans sa prière sacerdotale Jésus disait: "Père, qu'ils soient un, comme Toi et Moi nous sommes un." Que nos Scouts comprennent bien que le Christ est vraiment le Chef de tous les hommes, qu'il l'est effectivement de tous les baptisés, et que son désir est de faire rentrer dans une fraternité universelle tous les hommes devenus fils de Dieu.
Et puis, que ceux qui se demandent à quoi servent les Aumôniers scouts veuillent bien réfléchir à ceci : Notre grand Chef, c'est donc le Christ. Disons cela sans mysticisme faux et sans exaltation pieuse. C'est la réalité. C'est Lui qui est notre vrai Chef et il faut, pour comprendre à fond la portée de l'article que nous commentons, que par Lui nous aimions tous les hommes, et qu'en Lui nous ne fassions qu'un.
"Or il y a au centre de notre vie catholique un sacrement qui est justement le sacrement de l'union. L'Eucharistie met notre Chef parmi nous. Le Christ, réellement présent au milieu de notre camp, appelle à Lui tous les siens ; Il les invite au banquet de communion, c'est-à-dire d'unité en Lui ; Il leur donne sa chair livrée pour tous, son sang répandu pour tous avec son amour dévoué à tous. Qu'on dise, si on le peut, plus éloquemment aux hommes si divisés, si adversaires : "Aimez-vous !" Qu'on y oblige avec une autorité plus haute et une tendresse plus persuasive ! Impossible d'être uni au Christ, notre Chef, sans être uni d'intention à tous les hommes. "Nous ne sommes qu'un seul pain, dit Saint Paul, nous tous qui participons au même pain et au même calice." La fermentation fait des grains de raisin un vin généreux: la même fermentation fait des grains de blé un pain nourricier; ainsi le ferment de l'amour fait de tous les baptisés une Église bienheureuse quand par l'Eucharistie le Christ nous rassemble.
On nous demande de nous aimer entre Scouts d'un amour fraternel plus spécial, plus intime. C'est évidemment dans l'ordre. Car ce n'est pas le hasard qui a fait de nous des Scouts. Si le grand idéal chevaleresque a fait vibrer nos cœurs, à qui le devons-nous, en définitive ?
"Tout don excellent, toute grâce parfaite viennent d'en haut, et descendent du Père des lumières." (Jac. I, 17). Jésus est chef et Il nous gouverne; Il fixe à chacun sa place dans l'Eglise. Le croit-on inactif parce qu'on ne le voit pas ? A chacun Il donne sa part de vie et d'activité qui Lui revient après sa vocation éternelle : "Ce n'est pas vous qui m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisi." (Jn. XV, 16).
Nous voici donc rassemblés par une volonté providentielle du Christ. Comprendrait-on que nous ne nous aimions pas comme des frères ? Nous avons la même vocation. Notre rôle est le même. C'est ensemble que nous avons à vivre et à travailler par l'ordre même de notre Chef suprême.
Nous aimons tous les Scouts du monde, Frères chers que Dieu nous donna…
Cependant, puisque c'est dans le Christ que nous aimons tous les Scouts comme des frères, leur position à l'égard du Christ commande notre propre position à leur égard. Les dissidents, qui n'acceptent point l'Église, nous ne pouvons pas les aimer comme nos frères catholiques. Nous voudrons pour eux la Vérité intégrale, nous les plaindrons de ne pas la posséder, nous chercherons à la leur communiquer afin de pouvoir les aimer totalement et sans réserve. Ceux là seulement qui sont unis dans une même foi peuvent s'unir dans une même fraternelle tendresse.
Ceux qui craignent que nous ne formions une caste, une espèce de franc-maçonnerie, ceux qui redoutent le dédain des Scouts pour les V. P., ceux qui blâment nos garçons de s'aimer trop entre eux, je veux dire trop exclusivement, connaissent bien mal les lois de la vie humaine. Ne se préfère-t-on pas en famille ? Ne trouve-t‑on pas un amour plus vif dans ces maisons où les cœurs sont tout proches les uns des autres où l'on se connaît intimement, où l'on ne peut pas se passer les uns des autres ? Tous les hommes se partagent en groupes plus ou moins fermés.
Qu'on laisse nos chers enfants s'aimer comme des frères et se le prouver. Puisqu'ils ont le Christ pour modèle, pour juge et pour Chef, que craint-on ? D'autant que voici quels seront les résultats de leur amitié fraternelle :
Premièrement, la joie. Pense-t‑on que nos camps seraient aussi pleins de rires et de chants si on ne s'y aimait pas ? Si le âmes y sont vibrantes, c'est que les cœurs sont à l'unisson. "La joie n'est pas proprement une vertu qui serait distincte de l'amour, mais elle est un acte, un effet de la charité. La tristesse au contraire, qui est un vice, est causée par un excessif amour de soi et ce n'est pas non plus, si l'on veut, un vice spécial, mais une cause universelle de vices, la source d'une foule de péchés." Autour d'eux l'on est si triste, que l'un des plus grands services que nous pourrions rendre à nos enfants, c'est de leur donner le secret de la joie pleine, de la joie surabondante qui est l'amour.
Comme un flot qui nous inonde Leur amour nous environna, chantent-ils. Si c'est l'amour tel que nous l'avons dit, puisé dans celui du Christ, en effet, dit Saint Thomas, ils en seront submergés : "une telle joie dépasse la capacité humaine ; l'homme ne peut l'enfermer lui, c'est pourquoi on dit que l'homme entre dedans, selon la parole de Saint Matthieu : "Entre dans la joie de ton Seigneur."
La paix sera un autre fruit de l'amitié. S'il y a des cris et du tapage, ce ne sera que de joie, car chacun, mis en ordre au-dedans de lui-même par l'amour unique du Bien dont nous avons déjà parlé, accordé aux autres par un sentiment fraternel, ne voudra que ce qu'il devra vouloir et n'aura donc rien à contester. Quand on veut la même chose, on ne se bat point. Quand on accepte affectueusement la volonté de ses frères, on est en paix. On peut avoir sans doute des opinions divergentes sur des questions accessoires ; unis dans le fond, on ne se fera point la guerre. On discutera, on échangera des points de vue, mais ce ne sera que pour mieux voir la vérité dont chacun a le culte loyal. "Quand est-ce que nous voyons les membres de notre corps s'en aller chacun de leur côté ? C'est quand l'âme vivificatrice se retire. Ainsi dans le corps de l'Église la paix n'est conservée entre les différents membres que par la puissance de l'Esprit-Saint, de la charité qui est la vie de l'Eglise. C'est pourquoi l'Apôtre donne cet avertissement aux Ephésiens : "Ayez soin de conserver l'unité d'esprit dans le lien de la paix." On s'écarte de cette unité d'esprit quand on ne cherche plus que son intérêt personnel.
La miséricorde. Puisque nous aimerons notre frère, nous ne passerons pas auprès de ses souffrances, sans nous sentir atteints nous-mêmes. Peut-être ne pourrons nous point le décharger de son douloureux fardeau, mais ce n'est du moins pas rien de lui montrer un cœur compatissant. Remarquons ceci. "Par la miséricorde nous faisons oeuvre divine. Car qu'est-ce qu'être miséricordieux ? C'est remédier aux misères d'autrui. Mais cela est le fait de qui n'est pas lui-même misérable, de celui qui étant supérieur n'a pas de besoins; c'est pourquoi être miséricordieux est le propre de Dieu... Quand à nous la miséricorde est la vertu la plus importante pour le service du prochain; c'est aussi le sacrifice, l'acte de culte qui plaît le plus au Seigneur, parce qu'il est, cet acte, vraiment utile au prochain."
La bienfaisance suivra, parce que si le domaine si vaste de la souffrance nous offre mainte occasion de prouver l'amour que nous portons à tous, notre volonté de rendre service la dépasse pourtant. Si l'on veut, le Scout sera surtout un secouriste, mais sa charité le poussera à aider encore le prochain de ses ressources, de ses conseils, de son esprit, de son talent, de ses prières, et c'est ce que nous avons déjà dit à propos de l'article précédent.
"Frère, que je jouisse de toi dans le Seigneur", dit l'Apôtre. C'est, en effet, dans le Seigneur aimé comme notre Chef suprême que nos Scouts jouiront vraiment les uns des autres. Ne nous lassons pas de le redire, une telle vie est possible. On peut s'aimer les uns les autres avec désintéressement. Cela peut surprendre dans une époque haineuse comme celle-ci, mais que nous importent la surprise et la raillerie des sots ?
Qui donc nous a donné notre Loi ? Celui qui a dit : "L'amour est la fin de la Loi." La Loi n'est qu'une servante : elle se tient dans le vestibule où l'on reçoit les visiteurs; mais le maître de la maison est ailleurs et c'est à Lui que la Loi conduit, à Lui, dis-je, qui est le Roi de sagesse et d'amour. Quand on est près du Maître, on n'a que faire du serviteur; quand en possède l'Amour, on n'a plus besoin de la Loi. Le Scout qui, ayant bien compris ce quatrième article, vivrait dans l'intimité de son Chef et dans l'amour de ses frères, aurait conquis, avec la sagesse, la liberté, parce que : "le spirituel juge de tout, et lui n'est jugé par personne" (I Cor. II).