IXe JOUR DE DÉCEMBRE

De Salve Regina

Vies de saints
Auteur : Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX
Source : D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque.
Date de publication originale : 1878

Résumé : Tome XIV
Difficulté de lecture : ♦ Facile
Remarque particulière : 7ème édition, revue et corrigée


IXe JOUR DE DÉCEMBRE

MARTYROLOGE ROMAIN.

A Tolède, en Espagne, la naissance au ciel de sainte LEOCADIE, vierge et martyre, qui, dans la dure prison où elle avait longtemps langui, sous Dioclétien, par sentence de Dacien, préfet des Espagnes, ayant entendu le récit des tourments épouvantables endurés par sainte Eulalie et les autres martyrs, se mit à genoux pour prier, et, dans la ferveur de son oraison, rendit à Jésus-Christ son âme virginale. 303. — A Carthage, saint Restitut, évêque et martyr, dont saint Augustin fit l'éloge dans un sermon qu'il prononça le jour de sa fête. — Encore en Afrique, les saints martyrs Pierre, Succès, Bassien, Primitif, et vingt autres. — A Limoges, sainte VALÉRIE, vierge et martyre. 46. — A Vérone, saint Procule, évêque, qui, ayant été souffleté, bâtonné et chassé de la ville durant la persécution de Dioclétien, fut ensuite rendu à son Église, et y mourut en paix. — A Pavie, saint Syr, premier évêque de cette ville, qui renouvela les miracles et les vertus des Apôtres. — A Apamée, en Syrie, Saint-Julien, évêque, dont la sainteté brilla d'un grand éclat du temps de l'empereur Sévère. — A Périgueux, saint Cyprien ou Subrau, abbé, homme de grande sainteté 1. Vers 586. — A Nazianze, sainte Gorgonie, sœur de saint Grégoire le Théologien ; il a lui-même écrit l'histoire de ses vertus et de ses miracles. Vers 371.

MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTE.

Au diocèse d'Auch, sainte Valérie, vierge et martyre à Limoges, citée au martyrologe romain de ce jour. 46. — Aux diocèses de Bordeaux, de Chartres et de Meaux, saint Ambroise, évêque et confesseur, dont nous avons donné la vie au 7 décembre, 397. — Aux diocèses de Carcassonne et de Nice, saint Eutychien, pape et martyr, dont nous avons parlé au jour précédent. 283. — Au diocèse de Clermont, saint Nectaire, confesseur, un des apôtres de ce pays 2. 1er s. — Au diocèse de Perpignan, sainte Léocadie, vierge et martyre, citée au martyrologe romain de ce jour. 303. —Aux diocèses de Nancy et de Saint-Dié, saint Romaric ou Remiré, moine de Luxeuil, dont nous avons donné la vie au 8 décembre. 653. — Au diocèse de Toulouse, saint Nicolas, évêque de Myre et confesseur, dont nous avons donné la vie au 6 de ce mois. 324. — Au diocèse de Périgueux, les saints Cyprien, Sour et Amand, confesseurs, dont le premier est cité au martyrologe romain de ce jour. VIe s. — Mans l'ancienne abbaye bénédictine de Jouarre (Jotrum), au diocèse de Meaux, sainte Balde, vierge, troisième abbesse de ce monastère. Ses reliques se conservaient autrefois dans une châsse, au monastère bénédictin de Nesle-la-Reposte (Nigella abscondita), au diocèse de Troyes. VIIe s. — A Vannes, saint BUDOC, évêque de l'ancien siège de Dol. VIIe s. — A Gray (Haute-Saône), au diocèse de Besançon, le bienheureux Pierre Fourier, curé de Mattaincourt (Vosges), instituteur de la Congrégation de Notre-Dame, réformateur et général de la Congrégation de Notre-Sauveur. Nous avons donné sa vie au 7 juillet. 1840. — Autrefois, dans l'abbaye bénédictine de Saint-Riquier, au diocèse d'Amiens, la fête du bienheureux ENGUERRAN, abbé de ce monastère. 1045. — A Saint-Médard de Soissons, translation des reliques de saint Sébastien, martyr (20 janvier), et de saint Grégoire, pape (52 mars) 3. 826.

1. Saint Cyprien se consacra dès sa jeunesse au service de Dieu et prit l'habit religieux dans un monastère dont l'abbé se nommait Savalon, et vivait du temps de Clotaire 1er (511-561). Après s'être perfectionné dans les exercices de la vie cénobitique, il se retira dans une solitude près de la Dordogne. Il s'y construisit un ermitage qui a donné naissance à la ville nommée encore aujourd'hui Saint-Cyprien (Dordogne, arrondissement de Sarlat). Dieu opéra plusieurs miracles par son intercession, tant du son vivant qu'après sa mort. — Saint Grégoire de Tours, De Gloria Confessorum. 2. Après la grande figure de saint Austremoine, apôtre de l'Auvergne, apparaissent celles des saints Baudime, Nectaire et Auditeur, ses illustres auxiliaires. M. Vialle, curé de Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme), nous écrirait à ce sujet, le 1er août 1871 : « Saint Baudime n'a point de légende dans le bréviaire du diocèse de Clermont, et on ne célèbre point chez nous de fête en son honneur. Il est de tradition dans es pays que ce Saint est venu ici de Rome en même temps que saint Austremoine. Il était accompagné de saint Nectaire et de saint Auditeur (on dit encore que ces trois prêtres étaient frères). Notre église possède des ossements de ces trois Saints (fragments du crâne). Je suppose que d'autres reliques de saint Baudime étaient renfermées dans l'intérieur d'un buste byzantin qui le représente ; mais elles auraient disparu. Ce reliquaire est assez bien conservé. Il est en bois de chêne, recouvert d'une lame de cuivre doré ; la tête et les mains sont en cuivre repoussé ; son scapulaire est émaillé de fausses pierreries. « Saint Nectaire, patron secondaire de la paroisse, est honoré ici d'une manière particulière le 9 décembre. Ce Saint a une légende dans le bréviaire de Clermont qui nous apprend qu'il fût d'abord patron titulaire de la paroisse à laquelle il a donné son nom. Plus tard, cet honneur fut déféré à saint Auditeur dont nous célébrons ici la fête le 9 septembre. Je n'ai pu découvrir les motifs ni l'époque de ce changement. Saint Nectaire et saint Auditeur ont leurs tombeaux dans notre église ; personne n'a pu m'indiquer celui de saint Baudime. » 3. Voir l'article Culte et Reliques dans la vie de saint Sébastien et dans celle de saint Grégoire le Grand.

MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.

Martyrologe de l'Ordre de Saint-Basile. — A Nazianze (Cappadoce), sainte Gorgonie, veuve, de l'Ordre de Saint-Basile, sœur du bienheureux Grégoire le Théologien, qui écrivit lui-même l'histoire de ses vertus et de ses miracles. Vers 371. Martyrologe de l'Ordre des Déchaussés de la très sainte Trinité. — Sainte Bibiane ou Vivienne, vierge et martyre, dont la naissance au ciel se célèbre le 2 décembre 1. 363. Martyrologe des trois Ordres de Saint-François. — Dans les États de l'Église, saint Sylvestre, abbé, instituteur de la Congrégation des religieux Sylvestrins, qui s'endormit dans le Seigneur le 26 novembre 2. 1267. Martyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs. — A Waldsech, dans le diocèse de Constance, la bienheureuse Élisabeth, vierge, religieuse du Tiers Ordre de notre Père saint François, surnommée la Bonne, qui émigra vers son céleste Époux, enrichie des grâces divines, le 5 décembre. Clément XIII a approuvé le culte immémorial qu'on lui rendait 3. 1420.

ADDITIONS FAITES D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.

Chez les Frères Prêcheurs, le bienheureux Dominique Spatafora, confesseur, de l'Ordre de Saint-Dominique. Les habitants de Montecerignone, en Italie (duché d'Urbino), ayant résolu de bâtir un couvent de Frères Prêcheurs pour le service d'une Vierge miraculeuse appelée Notre-Dame des Grâces, on confia l'entreprise au bienheureux Dominique Spatafora, connu par son zèle et sa sainteté. Le bienheureux Père répondit parfaitement à l'attente commune. Quand l'œuvre fut terminée, il obtint la permission de rester dans ce nouveau couvent pour s'y consacrer avec plus de ferveur au service de Marie. Il acheva de s'y sanctifier et en même temps il fit dans les âmes des fruits incroyables de salut et par sa doctrine et par ses bons exemples. Il prenait, sans y manquer, la discipline tous les jours ; il jeûnait fréquemment au pain et à l'eau ; sa grande austérité contre lui-même ne lui permit jamais ni de demander ni d'accepter aucune dispense de la Règle. Dieu lui ayant révélé le jour de sa mort, il n'en dit rien à personne jusqu'à ce jour même ; mais, lorsqu'il fut arrivé, après avoir assisté à tous les exercices du chœur, il appela auprès de lui tous les religieux présents, leur demanda humblement pardon de toutes les fautes qu'il avait pu commettre, leur recommanda chaleureusement la sainte observance, et prit congé d'eux, en leur disant que ce jour-là il devait mourir. En effet, après avoir reçu les derniers sacrements, il s'endormit le jour même du sommeil des justes. Vingt-quatre ans après sa mort (1545), on retrouva son corps frais comme s'il venait de mourir. Cette circonstance miraculeuse augmenta la dévotion dont l'entouraient déjà les fidèles. De nombreux et signalés miracles ont illustré son tombeau. 1521. — A Samosate (aujourd'hui Samisat), ancienne capitale de la Comagène, sur l'Euphrate, les saints martyrs Hipparque, Phìlotée, Jacques, Paragrus, Babide, Romain et Lollien, victimes de la persécution suscitée par l'empereur Maximien. 297. — En Angleterre, sainte Wulphilde (Wilfride, Vulfride), religieuse à Winchester, abbesse de Barking (comté d'Essex), fondatrice-abbesse du monastère de Horton (comté de Dorset). Ses reliques se gardaient dans l'abbaye de Barking, et les Anglais, avant la prétendue Réforme, les entouraient d'une grande vénération. 990.

1. Nous avons esquissé la notice de sainte Bibiane au 2 décembre. 2. Voir la notice de saint Sylvestre au 26 novembre. 3. Nous avons donné la vie de sainte Élisabeth au 5 de ce mois,

Ste VALÉRIE, VIERGE ET MARTYRE A LIMOGES

46. — Pape : Saint Pierre. — Empereur romain : Claude 1er.

Prévenue des dons de l'Esprit de Dieu, cette rose produite par les épines resta vierge en sa chair. Office de sainte Valérie.

Cette illustre vierge était fille unique du proconsul Léocadius et de Suzanne, fille de Manilius Armillus et nièce de Lucius Capreolus. Après la mort de son père, Valérie, retirée dans un château construit aux portes de Limoges, grandissait sous l'aile de sa mère ; et, dans cette vie presque entièrement éloignée du monde, l'une et l'autre, par leurs bienfaisantes libéralités et par leurs bons offices, se rendaient chères à tous leurs voisins, qui les entouraient de vénération et d'amour. La mort de Léocadius avait fait un vide immense, irréparable dans cette famille ; mais les grands biens dont elle jouissait lui conservaient la considération et la confiance générale. Sur ces entrefaites, en même temps que l'empereur Claude Tibère confiait à Julius Silanus le gouvernement de la province d'Aquitaine, l'apôtre saint Pierre, venu à Rome depuis deux ans seulement, envoyait Martial, un des soixante-douze disciples de Notre-Seigneur, dans les Gaules, pour y prêcher la foi de l'Évangile. Il lui assigna la ville de Limoges comme le centre de ses travaux apostoliques, et lui donna pour compagnons de voyage et comme ses coadjuteurs, Alpinien et Austriclinien. Étant arrivés dans cette ville, ils reçurent l'hospitalité d'une dame, nommée Radegonde, dont l'habitation était voisine du château. Dès le lendemain de son arrivée, le bienheureux Martial commença à prêcher publiquement l'Évangile, et sa prédication fut suivie d'innombrables miracles. Il y avait en ce temps-là dans le château un pauvre frénétique étroitement lié de fortes chaînes et que personne n'osait aborder, à cause des violents excès auxquels il se laissait emporter quand il était plus tourmenté par le mal. Le serviteur de Dieu, ayant entendu un bruit extraordinaire dans le château, en demanda la cause, et, l'ayant apprise, il alla faire une visite à Suzanne, qui, instruite de tous les prodiges opérés par le bienheureux Martial, le supplia de guérir ce malade comme il avait guéri les autres. A quoi il répondit : « Si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu ». Ému d'une tendre compassion pour cet infortuné, il fit sur lui le signe de la croix : ses chaînes se brisèrent aussitôt, et il fut entièrement guéri. Émerveillées de la puissante efficacité du signe de la croix, et profondément touchées du miracle, Suzanne et Valérie pressèrent de questions le bienheureux Martial, et lui fournirent ainsi l'occasion de leur découvrir les mystères de la foi et de leur développer les ravissantes beautés de la morale évangélique. Comme la grâce de l'Esprit-Saint agissait puissamment dans ces âmes heureusement préparées, le saint apôtre du Limousin n'eut pas beaucoup de peine à leur persuader d'embrasser le christianisme. Suzanne et sa fille se jetèrent à son pied, lui demandant de les baptiser. Le bienheureux Martial leur octroya cette faveur, et, pendant qu'il priait le Seigneur pour elles, toutes les deux furent remplies de l'Esprit-Saint. Six cents serviteurs de la maison de Suzanne, affranchis ou esclaves, reçurent également le baptême, et cette opulente maison fut inondée des plus brillants rayons de la foi chrétienne. Peu de temps après, Suzanne passa à une vie meilleure. Cette épreuve si douloureuse pour le cœur de Valérie, n'ébranla ni sa foi ni sa constance, et, sans hésiter un seul instant, elle résolut de s'avancer de plus en plus dans les voies de la perfection chrétienne. Elle fit don à saint Martial de riches présents, de nombreux bénéfices, de beaucoup de vignes et de terres. Elle déposa aussi entre ses mains une grande partie de l'or, de l'argent et des pierres précieuses qu'elle avait trouvés dans le trésor de sa maison. De plus, elle lui donna un grand nombre de serfs, afin que, lorsque cet homme de Dieu passerait du temps à l'éternité, ces serfs, devenus de fervents serviteurs du très Haut, s'occupassent, au lieu même de sa sépulture, de louer le Seigneur et d'honorer la mémoire du saint apôtre. S'attachant ensuite à ses pas, elle profita merveilleusement des leçons de sagesse qu'il voulut bien lui donner, et elle pénétra bientôt dans les plus hauts secrets de la vie chrétienne. Elle écoutait avec une indicible satisfaction les enseignements élevés de son saint maître, s'instruisait solidement de tous les mystères de la foi, et gravait profondément en son cœur les maximes de l'Évangile. Elle ne se contenta pas de porter le joug des préceptes, elle se crut encore appelée à la pratique des conseils évangéliques. Ses progrès dans la vertu furent rapides ; et tout en elle révélait une âme enrichie des dons célestes, et appartenant désormais plus au divin séjour qu'à la terre. L'ordre le plus parfait régnait dans la maison de Valérie, devenue l'asile du saint Apôtre, dont elle était la fille spirituelle. Là se réunissaient en foule ceux qui venaient de toutes parts demander à saint Martial la guérison de leurs maladies ou la grâce du baptême. Sainte Valérie voulait que les étrangers y fussent généreusement hébergés ; et les plus pauvres d'entre eux étaient l'objet d'un soin tout particulier de la part de notre illustre vierge, qui voulait leur rendre elle-même les services les plus humbles, les plus abjects et les plus révoltants aux yeux du monde. Ses vertus, en lui conciliant l'estime et le respect des habitants de la cité, ajoutaient au prestige de son rang et lui donnaient une influence et un pouvoir devant lequel s'inclinaient les hommes les plus considérables et les dépositaires mêmes de l'autorité. Les enfants du paganisme, subjugués déjà par l'éclat de sa naissance, rendaient hommage à ses précieuses qualités et lui montraient, en toute occasion, une déférence sans bornes. Il semblait que la dignité du proconsulat dont son père avait été investi, étendit encore sur elle un de ses brillants reflets. Valérie était assidue aux prédications de saint Martial, et elle recueillait en son cœur, avec une sainte avidité, les paroles de salut et de vie, pour en faire la nourriture de son âme. Remplie de l'Esprit de Dieu, elle passait les jours et les nuits en oraison, s'adonnait aux jeûnes, aux saintes veilles et à toutes les œuvres de miséricorde, préludant ainsi, sans le savoir, aux rudes combats qu'elle aurait à soutenir un jour, pour la gloire de Dieu, contre le monde et l'enfer. Dieu ayant répandu dans son âme les plus vives lumières de sa grâce, elle comprit le néant et la vanité des plaisirs et des richesses périssables de ce monde, et quoique, depuis longtemps, elle pût se considérer comme la fiancée du nouveau proconsul, elle résolut de renoncer à toutes les grandeurs et à l'honneur de cette alliance, pour n'avoir d'autre époux que le Roi du ciel et de la terre, notre Sauveur Jésus-Christ. Elle alla donc trouver saint Martial, se prosterna à ses pieds, et prononça devant lui le vœu de virginité, promettant au Seigneur de lui demeurer invinciblement unie. Dieu agréa et bénit ce sacrifice d'agréable odeur, et il enrichit le coeur de cette pieuse vierge de ses dons les plus admirables ; et Valérie devint dès lors une des gloires les plus pures de cette Église naissante. Le saint apôtre, dont elle suivait tous les conseils avec une humble docilité, prêchant un jour à tous les fidèles assemblés, leur expliquait la réponse de notre divin Maître à un jeune homme qui, s'approchant de sa personne sacrée, lui avait dit : « Bon maître, que ferai-je de bon pour avoir la vie éternelle ? » Jésus lui répondit : « Pourquoi m'interroges-tu sur ce qui est bon ? Dieu seul est bon ; mais si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements ». — « Lesquels ? » demanda-t-il. — Jésus répondit : « Tu ne tueras point ; tu ne commettras point d'adultère ; tu ne déroberas point ; tu ne rendras point de faux témoignage ; honore ton père et ta mère, et aime ton prochain comme toi-même ». — Le jeune homme lui dit : «J'ai observé tout cela dès ma jeunesse, que me manque-t-il encore ? » — Jésus lui dit : « Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu as, et donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel ; viens ensuite et suis-moi ». Ces paroles pénétrèrent Valérie jusqu'au fond de l'âme, et tout embrasée d'amour pour le divin Époux dont elle avait fait choix, elle souhaita ardemment d'arriver à cette haute perfection, fruit précieux de la sainte pauvreté. Aussi, dès ce moment, elle se mit à distribuer aux pauvres tout ce qui lui restait de plus précieux, ses diamants, son or, son argent, ses plus beaux vêtements, et elle se dépouilla des esclaves et des vastes domaines que depuis longtemps, de concert avec sa pieuse mère, elle avait donnés à saint Martial, pour subvenir aux besoins de l'Église et y fonder d'utiles institutions. Pauvre volontaire, Valérie suivit avec plus de perfection la voie des vierges ; et, aux yeux du monde, elle ne perdit rien da sa dignité et de l'influence que lui assurait son illustre origine. « Qu'on ne méprise plus la pauvreté », s'écrie Bossuet, « et qu'on ne la traite plus de roturière. Il est vrai qu'elle était de la lie du peuple, mais le Roi de gloire l'ayant épousée, il l'a ennoblie par cette alliance, et ensuite il accorde aux pauvres tous les privilèges de son empire » Ce grand sacrifice était à peine consommé, lorsqu'arriva à Limoges le proconsul Julianus Silanus, le fiancé de Valérie. Il était investi des plus grands pouvoirs, et avait le gouvernement de toute la contrée du Rhône à l'Océan jusqu'aux Pyrénées. Instruit à l'avance de la conversion de Valérie au christianisme, de ses prodigieuses largesses et de sa résolution de vivre dans l'état de virginité, il voulut dissimuler le plus possible son indignation et son dépit ; il l'envoya chercher et lui commanda de comparaître devant lui. Valérie se hâta d'obéir, et, avec un maintien grave et plein de modestie, elle se mit à ses genoux et attendit humblement qu'il lui plût de l'interroger. A sa vue, Silanus ne put contenir sa colère, et, d'une voix altérée et hautaine, il lui demanda s'il était vrai qu'elle eût donné sa foi à un autre époux et quel était l'audacieux mortel qui avait osé courir sur ses brisées et lui ravir le cœur et l'amour de sa fiancée. Valérie prenant alors ]a parole avec une modestie tout angélique, lui répondit qu'elle s'estimerait la plus malheureuse et la plus indigne des créatures, si jamais elle avait eu la pensée de lui préférer quelqu'autre que ce fût ; mais que, obéissant à une divine inspiration, elle avait donné son cœur et son amour au Roi du ciel et de la terre, dont elle était devenue l'épouse en s'unissant à lui par le vœu de virginité. Elle ajouta que non seulement elle ne voyait en cela rien qui pût l'offenser, mais qu'il devait même s'en trouver fort honoré, puisqu'en réalité elle ne mettait au-dessus de lui, dans son estime, que le Créateur du ciel et de la terre, le Rédempteur des hommes, mort sur la croix pour les faire régner avec lui dans le ciel. « C'est à l'apôtre de ces heureuses contrées, à Martial, disciple de Jésus-Christ », dit-elle, « que je suis redevable de cet insigne honneur. Comme moi, soyez docile à sa voix, apprenez à connaître le vrai Dieu, soyez chrétien, soyons vierges tous les deux, et nous demeurerons éternellement unis dans les liens de la céleste dilection ». Outré de colère, navré de douleur et de honte, Silanus coupa court à cet entretien, et, sans plus rien entendre, il la condamna à la peine capitale, et chargea Hortarius, son écuyer, de veiller à l'exécution de la sentence. La généreuse détermination de Valérie renversait en un instant les rêves de fortune de Silanus ; il était frustré dans ses plus légitimes espérances, et sans doute se sentait profondément blessé dans son orgueil. Mais, comme la plupart des grands de Rome, il était aussi plein de haine pour la religion du Galiléen, et au foyer de sa famille toute patricienne il avait, à coup sûr, puisé le mépris des chrétiens, dont l'invincible courage au milieu des plus cruelles tortures était considéré comme une vraie folie par les idolâtres. Aussi Silanus obéit-il à ce double sentiment de mépris et de haine, en prononçant contre Valérie une sentence de mort. Justement fière du sort qui lui était réservé, Valérie, dont l’âme sainte surabondait de contentement et de joie, allait au supplice le sourire sur les lèvres, comme si elle fût allée à une partie de plaisir. Jamais on ne la vit plus satisfaite : l'assurance de son regard, la fermeté de sa démarche, sa parole toujours calme et mesurée, étaient une preuve convaincante du bonheur qu'elle ressentait en elle-même, et montraient combien elle s'estimait heureuse de prouver au céleste Époux l'amour dont elle était consumée pour lui, en répandant son sang pour la gloire de son nom. Chemin faisant, elle dit à Hortarius qui la conduisait au supplice : « Quelle erreur est la vôtre ! Insensé, vous croyez me conduire à la mort, et je cours à la vie ; mais vous, vous mourrez cette nuit. Que deviendront vos trésors et vos richesses ? » Puis, étant arrivée au lieu de l'exécution, elle éleva ses mains vers le ciel, et s'adressant à Jésus-Christ, elle lui dit : « Mon Sauveur Jésus, mon Seigneur et mon Maître, vous avez daigné m'appeler par votre grâce à la connaissance de votre saint nom, et votre serviteur, le bienheureux Martial, m'a fait connaître vos ineffables bontés et les desseins miséricordieux de votre tendresse sur moi, votre pauvre et indigne servante. Pour reconnaître cette immense faveur, j'ai dédaigné les alliances de la terre, et je me suis unie à vous par un lien sacré, par un vœu irrévocable ; car je ne voulais pas qu'aucune puissance au monde pût me priver de vos noces et de votre lit nuptial. C'est donc pour vous, et parce que je ne veux pas être séparée de votre foi et de votre amour, que je vais mourir ; envoyez à mon secours les Anges du ciel, pour me protéger et me défendre contre les dangereuses entreprises du démon, et faites que je vous sois éternellement unie dans la sainte Jérusalem ». Comme elle achevait de prier, on entendit une voix d'en haut lui répondre : « Ne crains rien, Valérie, les Anges te contemplent avec ravissement, ils envient ton bonheur, et ils s'apprêtent à te recevoir dans les splendeurs éternelles de Sion ». A ces paroles, le visage de Valérie s'illumina d'un brillant rayon, et un reflet lumineux des joies célestes sembla s'abaisser sur elle. Puis la glorieuse vierge ayant élevé ses regards vers le ciel, s'écria : « Mon Dieu, mon Père, je remets mon esprit entre vos mains. Ayant dit ces mots, elle courba la tête, et le bourreau la lui trancha d'un seul coup. Au même instant, tous les spectateurs de cette scène émouvante, chrétiens ou païens, virent sortir du corps de sainte Valérie son âme toute éblouissante de lumière comme le soleil, et les Anges la transportèrent au ciel dans un globe de feu, en faisant retentir les airs de chants harmonieux et de ravissantes mélodies. Cependant, alors que le bourreau contemplait avec une secrète satisfaction l'œuvre de destruction et de mort qu'il venait de consommer, il fut surpris, et tout le peuple avec lui, de voir le corps de la bienheureuse martyre se lever de terre, prendre sa tête avec ses deux mains, et, comme s'il était encore plein de vigueur et de vie, s'avancer d'un pas assuré à travers la ville et se diriger vers le lieu où était alors saint Martial. Le bienheureux apôtre était allé, dès le matin, à la basilique de Saint-Etienne, et il y offrait l'adorable sacrifice, afin d'obtenir à sa chère Phìlotée Valérie, la force et le courage dont elle avait besoin pour consommer généreusement son immolation et conquérir les palmes glorieuses du martyre. S'approchant de l'autel où saint Martial offrait la Victime du monde au Père éternel, elle déposa doucement sa tête à ses pieds et son corps s'étendit sur le parvis sacré. Des gouttes de sang tombées du chef de sainte Valérie s'incrustèrent en quelque sorte dans le marbre de l'autel, disent plusieurs chroniqueurs. Sainte Valérie ne se borna point à mettre sa tête aux pieds de saint Martial ; elle voulut aussi laisser en ce lieu une marque indélébile et irrécusable de son esprit d'obéissance et de son martyre, en imprimant les traces profondes de ses pieds sur un marbre qui, retrouvé dans le XIe siècle, fut mis à découvert et exposé à la vénération des fidèles. Cette pierre précieuse, soigneusement conservée pendant plusieurs siècles, était visitée, touchée, religieusement baisée par de nombreux pèlerins désireux de participer aux mérites et à la puissante intercession de la glorieuse servante de Dieu.

CULTE ET RELIQUES.

Aussitôt après la mort de sainte Valérie, son culte fut en grand honneur dans toute la contrée. Son corps reposa longtemps au lieu où l'avait inhumé saint Martial, et où le duc Etienne avait fait construire, en son honneur, et sous son nom, une somptueuse église, à la gloire du vrai Dieu. Plus tard, à une époque qu'il est impossible de déterminer, ses précieux restes furent transférés dans l'église d'une très ancienne abbaye de Bénédictins, appelée Chambon, où ils reposent encore, à l'exception d'une fort petite portion conservée à la cathédrale de Limoges dans un très beau reliquaire. Les prodiges qui se firent au tombeau de la Sainte ne contribuèrent pas peu à rehausser le culte qu'on lui rendait ; ses reliques furent placées dans une chapelle richement restaurée, et dès lors on vit un plus grand nombre de pieux pèlerins accourir à son autel. Le culte de sainte Valérie se répandit dans toute la France, et sa mémoire était vénérée à Paris dans l'église de Saint-Martial, restaurée par saint Eloi au VIIe siècle. Après la tourmente révolutionnaire, une église paroissiale fut élevée dans la rue de Bourgogne sous le vocable de sainte Valère, et c'est la même que sainte Valérie, vierge et martyre à Limoges ; cette église a été supprimée et transformée en simple chapelle des catéchismes de la paroisse de Sainte-Clotilde, dont la circonscription comprend la plus large part de celle de Sainte-Valère. Dans l'église de Sainte-Clotilde, on voit une chapelle dédiée à sainte Valérie dont la statue est placée au-dessus de l'autel.

Tiré de l'Histoire de sainte Valérie, par le R. P. Ambroise, des Frères Mineurs Capucins.

SAINTE LEOCADIE DE TOLÈDE,VIERGE ET MARTYRE

303. — Pape : Saint Marcellin. — Empereurs romains : Maximien-Hercule ; Dioclétien.

Je ne reconnais de noblesse véritable et recommandable que celle qui unit la vertu à la splendeur de la naissance. Pierre de Blois, Épîtres.

L'Espagne a tant de vénération pour cette Sainte, que nous jugeons à propos de découvrir à la France la grandeur de son mérite devant Dieu et devant les hommes. Elle était de Tolède (Nouvelle-Castille), d'une famille illustre et chrétienne. Sa vertu surpassa beaucoup ses années, et elle s'adonna dès son enfance avec tant de dévotion au service de Notre-Seigneur et à tous les exercices du Christianisme, qu'on la regardait dans sa ville natale comme un modèle d'innocence et de piété. Elle glorifiait ainsi le nom de Jésus-Christ par ses bonnes œuvres, lorsque l'impie Dacien, envoyé en Espagne par les empereurs Dioclétien et Maximien pour exterminer le culte du vrai Dieu, entra dans Tolède, où les païens lui dénoncèrent aussitôt notre Sainte comme une des plus ferventes chrétiennes. Il la fit paraître devant son tribunal ; et, sachant sa condition, il lui reprocha de s'être attachée à une religion qui n'avait rien que de bas et de méprisable (c'est ainsi qu'il traitait le culte que l'on rend au souverain Créateur de toutes les choses). Léocadie, qui savait bien en quoi consiste la véritable grandeur, lui répondit constamment qu'elle s'estimait infiniment heureuse d'être servante de Dieu et de son Fils Jésus-Christ, et que rien ne serait capable de la faire renoncer à sa religion, quand même il lui préparerait les tourments les plus atroces et la mort la plus cruelle et la plus ignominieuse. Dacien, irrité de cette réponse, la fit fouetter en sa présence comme une misérable esclave ; puis, son corps étant déjà tout en sang, il la fit mener dans un cachot en attendant qu'on lui préparât de plus rudes châtiments. Léocadie alla dans cette fosse avec autant de joie que si on l'eût conduite dans un palais magnifique pour y célébrer le festin de ses noces ; et même, voyant sur son chemin des chrétiens déplorer l'état misérable où ils la voyaient, elle les consola, leur disant qu'ils devaient bien plutôt se réjouir de la grâce qu'elle recevait d'endurer quelque chose pour Jésus-Christ, son Seigneur et son Époux. Cependant, Dacien ayant aposté des lieutenants dans les autres villes comme autant de ministres de sa fureur, Calpurnien, qu'il avait laissé à Mérida (Estramadure), fit souffrir à sainte Eulalie des tourments si horribles, que peu de martyrs en ont enduré de semblables, comme nous le verrons au jour suivant. Léocadie en étant informée, conçut tant de douleur des cruautés que l'on exerçait contre les serviteurs et les servantes du vrai Dieu que, la vie lui devenant insupportable au milieu de tant de crimes et de misères, elle pria son Époux céleste de la retirer à lui. Sa prière fut exaucée ; et, dans la plus grande ferveur de son oraison, ayant baisé tendrement une croix qu'elle avait gravée sur une pierre dure par la seule impression de son doigt, elle rendit sa belle âme à celui qu'elle aimait sur toutes choses. Ce fut le 9 décembre 303. On représente sainte Léocadie : 1° mourant dans sa prison ; 2° baisant tendrement une croix, comme nous venons de le dire ; 3° ayant près d'elle des fouets, parce qu'elle avait été cruellement battue avant d'être jetée en prison pour y attendre de nouveaux supplices.

CULTE ET RELIQUES.

Les païens jetèrent le corps de sainte Léocadie par-dessus les murs de la ville de Tolède, pour être dévoré par les chiens et les corbeaux ; mais les chrétiens l'enlevèrent et l'ensevelirent avec honneur en un lieu assez proche de la cité. Depuis, on a bâti une église sur son tombeau, et plusieurs archevêques de Tolède, entre autres Eugène III, Alphonse et Julien, y ont élu leur sépulture. Il s'y est aussi célébré plusieurs Conciles et fait plusieurs miracles. Outre cette église, due aux libéralités du roi Sisibuthe, il y en a encore deux autres à Tolède, sous le nom de Sainte-Léocadie : l'une au lieu de sa prison, l'autre sur l'emplacement de sa maison paternelle. Au IXe siècle, lors de l'invasion de l'Espagne par les Maures ou Sarrasins, les reliques de sainte Léocadie ont été transportées de Tolède pour les soustraire à la profanation des infidèles. Une partie a été portée à Saint-Ghislain, petite place forte à une lieue de Mons, en Hainaut. Depuis, au XVIe siècle, lors de la conquête des Pays-Bas par Philippe II, roi d'Espagne, cette première portion des reliques a été, par ordre de ce prince, rapportée dans la ville de Tolède. L'autre portion du corps de sainte Léocadie a été transférée au monastère de Saint-Médard de Soissons, et ces précieux restes y sont demeurés pendant plusieurs siècles. Ils y étaient au temps de Charles le Chauve, roi de France (840-877), comme l'atteste Nithard, au livre III de sa Chronique : « Comme Charles s'avançait vers Soissons, les moines de Saint-Médard accoururent à sa rencontre et le prièrent de transporter les corps des saints Médard, Sébastien, Grégoire, Tiburce, Léocadie, etc., dans la basilique où ils reposent maintenant et qui était alors construite en grande partie. Le prince y consentit, s'arrêta en ce lieu, et transporta sur ses propres épaules, avec un grand respect, les corps des Saints ». Pour se rendre compte du motif de la translation de la Sainte à Vic-sur-Aisne, bourg situé à quatre lieues de Soissons, il faut savoir que la terre de Vic avait été donnée au monastère de Saint Médard par la princesse Berthe, fille de Louis le Débonnaire ; et ensuite que Eudes, comte de Paris, puis roi de France (887-898), sous la protection de qui était l'abbaye, avait fait bâtir (889) un château-fort à Vic-sur-Aisne « pour sauvegarder les propriétés du monastère confié à son avoirie ». Plus tard, les religieux de Saint-Médard, se voyant sans cesse vexés par les turbulents sires de Coucy, obtinrent que les seigneurs de Pierrefonds maintiendraient dans le château de Vic un corps de troupes commandé par un chevalier. C'est ce qui eut lieu en effet à la fin du XIe siècle et pendant tout le XIIe. En 1196, les religieux transférèrent dans ce château-fort les reliques de sainte Léocadie. La cérémonie, fixée au jour de l'Ascension, se fit avec la plus grande pompe, et on les déposa dans la chapelle du château. Un jeune religieux, Danz Gautier ou Gautier de Coincy, fut le premier prieur de la petite communauté chargée désormais de garder les reliques de la Sainte et de desservir sa chapelle. En 1219, l'année même de la prise de Damiette (Égypte), des voleurs s'introduisent pendant la nuit dans la chapelle de Sainte-Léocadie, enlevèrent la châsse, la dépouillèrent de ses riches ornements et jetèrent les reliques dans la rivière de l'Aisne. Gautier, au désespoir, en perdit le sommeil. Il passa plusieurs jours et plusieurs nuits à prier et à gémir. Le Seigneur se laissa toucher par de si ferventes supplications. Au bout de cinq jours, la veille de la Pentecôte, ces précieux ossements furent retrouvés dans l'Aisne. Gautier les en tira lui-même, les déposa provisoirement sur le bord de la rivière auprès de laquelle il planta une croix. Une foule de miracles s'opérèrent alors par l'invocation de la Sainte. Milon de Bazoches, cinquantième abbé de Saint Médard, vint faire la reconnaissance des reliques, les renferma dans un reliquaire d'argent émaillé d'or ; et, le 22 juillet, on les reporta en grande cérémonie dans la chapelle du château de Vic. Depuis l'incident dont on vient de parler, la chapelle de Sainte-Léocadie demeura paisiblement en possession de la châsse de sa patronne jusqu'à l'époque de la Ligue (1576). Condé, avec ses Huguenots, s'empara un jour de Vic-sur-Aisne. Les ligueurs reprirent la place en 1590 ; mais ils ne purent résister au sieur de Humières envoyé par Henri IV ; et ils furent tous passés au fil de l'épée. Dans le pillage, la châsse de sainte Léocadie, qui était couverte de lames d'argent et d'autres matières précieuses, fut brisée et les reliques jetées à terre. On allait les livrer aux flammes lorsque Claude de Lépine, curé de Rarement (Aisne, arrondissement de Soissons), témoin de cette profanation, les ramassa furtivement et les envoya par un soldat à l'abbaye de Longpré (Longum pratum), de l'Ordre de Fontevrault, où sa sœur avait fait profession. De nouveaux miracles s'y étant opérés, le Pape accorda des indulgences aux fidèles qui visiteraient l'église de Longpré le jour de la fête de sainte Léocadie. En 1895, les reliques de la Sainte furent très solennellement transportées de l'ancienne châsse dans une autre « plus décente et plus convenable », dit le procès-verbal, « sans rompre les anciens sceaux ou cachets » ; et la fête de cette translation fut fixée au 12 février « pour désormais continuer d'an en a ». Le monastère de Longpré ayant été détruit à la Révolution de 1793, on porta la précieuse châsse de 1805 dans l'église de Haramont, où on la voit encore. Ses parois en ébène sont ornées d'arabesques et d'enroulements fort gracieux en cuivre doré. Elle renferme beaucoup d'ossements ainsi que le chef de la Sainte, à l'exception de la mâchoire inférieure et de quelques dents qui, au commencement de ce siècle, ayant été rendues à l'église de Vic-sur-Aisne, y sont un objet de vénération pour les pieux fidèles. Le lundi de la Pentecôte, on fait autour du bourg une procession dans laquelle est portée solennellement la châsse de sainte Léocadie. La dévotion envers sainte Léocadie ne s'est point refroidie à Vie-sur-Aisne. Aussi, sur la demande du doyen, Mgr de Simony, évêque de Soissons, a pu y établir la Confrérie de Sainte Léocadie, dont le but principat est l'avancement spirituel de ceux qui s'y engagent. « Il se rappelleront », dit l'Ordonnance, « qu'ils doivent s'édifier les uns les autres, par une assiduité plus exacte aux offices, par une conduite plus pure, une vie plus chrétienne et une réception plus fréquente des Sacrements ». Une petite parcelle des reliques de la Sainte se trouve à la chapelle du lycée d'Amiens.

Nous avons complété le récit du Père Giry avec des Notes qu'a bien voulu nous fournir M. l'abbé Henri Congnet, chanoine de Soissons.

LE BIENHEUREUX ENGUERRAN,

ABBÉ DE SAINT-RIQUIER, AU DIOCÈSE D'AMIENS. 1045. — Pape : Grégoire VI. — Roi de France : Henri ler.

Ubi patientia, ibi lætitia. Où est la patience, là est 1a joie. Saint Ambroise, Épîtres.

Enguerran ou Angelran 1, qu'on surnomma le Sage, appartenait à une famille obscure, mais de condition libre, qui vivait dans la pratique des vertus chrétiennes. Il naquit à Saint-Riquier (Somme) vers l'an 975. Sa mère, pendant un songe, vit sortir de son sein une guirlande qui, allant entourer les murs de Centule (nom primitif de Saint-Riquier), provoquait l'admiration des spectateurs. Elle s'empressa de raconter cette vision à son mari, qui vit là un présage des grandeurs que l'avenir réservait à leur enfant.

1. Anguerand, Angeran, Angerand, Anjorant, Angelram, Angelran, Angelramne, Angelrane, Enguelran, Engeran, Enguerrand, Engueran, Ingelramne, Ingelranne, Ingerran, Ingueran, Inguerand. — Angerannus, Angelranus, Angelirannus, Angelramnus, Angalramnus, Engelramus, Enguerandus, Ingelramnus, Ingelranus, Inguerrandus.

Doué d'un heureux naturel et d'un esprit ouvert, le jeune Enguerran fit de rapides progrès dans l'étude des lettres. Désireux de se consacrer tout entier au service de Dieu, il prit l'habit monastique à l'abbaye de Saint-Riquier, où il donna l'exemple d'une profonde humilité, d'un grand amour de la règle, et de cette charité toute chrétienne qui ne connaît ni la haine ni l'envie. C'est sous la direction de l'abbé Ingélard qu'il s'adonna d'abord à l'étude ; ses progrès furent si considérables, qu'on voulut le mettre à même de ne rien ignorer des sciences du temps, et on confia le perfectionnement de son instruction au célèbre Fulbert, évêque de Chartres, qui venait d'introduire dans le plain-chant les innovations de Gui d'Arezzo. L'espoir qu'on avait conçu ne fut point trompé : sous un maître si habile, Enguerran devint fort savant en grammaire, en musique et en dialectique. Après avoir reçu le sacerdoce, il revint à Saint-Riquier, dont l'école fut bientôt illustrée par ses leçons. Il devait gravir à pas de géant les degrés de la hiérarchie. Après la mort d'Ingélard, c'est-à-dire au plus tard en 1022, les religieux de Saint-Riquier choisirent Enguerran pour leur abbé. Le roi Robert, dont cette élection comblait tous les vœux, voulut à cette occasion se rendre à Centule. Mais le nouvel élu, se croyant indigne d'assumer la responsabilité d'un tel fardeau, s'enfuit dans une forêt voisine. Le bon roi, tout en admirant cette humilité, ordonna aux hommes d'armes de sa suite de faire dans tous les environs une active perquisition : le fugitif, découvert dans la forêt d'Oneux, fut ramené au monastère. Le roi lui fit toucher les cordes des cloches pour l'investir de l'autorité abbatiale, et la consécration ecclésiastique eut lieu sans aucun retard. Le nouvel abbé consacra tous ses soins à donner l'exemple d'une vie irréprochable, à encourager le bien et à prévenir le mal. Tout en se dévouant au salut des âmes, il ne négligeait point les intérêts matériels qui lui étaient confiés : l'abbaye lui dut la reconstruction de l'église Saint-Benoît, l'érection d'une infirmerie et d'une chapelle dédiée à Saint-Vincent, l'acquisition de vases sacrés d'or ou d'argent, la transcription et la reliure de nombreux manuscrits, et une riche ornementation des autels. Ingélard, abbé de Saint-Riquier, avait conclu une convention relative à certains domaines de son monastère avec Notker, évêque de Liège. Après la mort de ce prélat, ses deux successeurs avaient ratifié les anciennes traditions. Un nouveau titulaire, nommé Durand, venait d'être intronisé. Enguerran alla le trouver, et grâce aux recommandations d'Ebles de Rouci, archevêque de Reims, il obtint une charte confirmative, datée du 18 septembre 1022. Quelque temps après, il se rendit en Normandie, pour solliciter la générosité du duc Richard II. Il en reçut une chasuble de pourpre et la donation de l'église d'Equemanville, Scabelli villa, canton d’Honfleur. Le frère du duc, Robert, archevêque de Rouen, fit en même temps présent à l'église de Saint-Riquier d'une belle tapisserie. Si notre Saint avait tant à cœur les intérêts matériels de son abbaye, il savait aussi en faire un noble usage. Enguerran ne se contentait point d'accueillir les demandes des pauvres, il savait les prévenir en déguisant ses bienfaits. Il lui arrivait parfois de sortir de l'abbaye avec l'escarcelle des aumônes, et quand il voyait approcher un indigent, il laissait tomber quelques pièces d'argent et arrêtait le passant pour les lui faire remarquer : «Prenez pour vous », lui disait-il, « ce que la Providence semble vous avoir destiné ». Cette même Providence savait veiller sur les intérêts du généreux abbé. Malbrancq nous raconte qu'Enguerran envoya un jour deux de ses religieux remplir une mission importante et leur donna, suivant l'usage, la bénédiction monastique. Sur la route, des voleurs s'emparèrent des montures des deux Bénédictins ; mais ce fut en vain qu'ils essayèrent de s'en servir : ni le fouet, ni l'éperon ne pouvaient les faire marcher. Les larrons se repentirent et rendirent les chevaux à leurs propriétaires. Le zèle et la charité d'Enguerran étaient connus de tous : une épreuve cruelle devait mettre en relief sa patience et sa fermeté. Il fut atteint d'une paralysie si complète, qu'il ne pouvait plus porter la main à la bouche ni se mouvoir dans son lit. Le pauvre malade considérait cet état douloureux comme un juste châtiment de ses péchés, et s'estimait heureux de racheter ainsi ses fautes. Comme il passait souvent de la tristesse à la joie, et qu'on l'interrogeait sur ces variations d'humeur, il répondait, que tantôt il songeait aux peines éternelles qu'il avait méritées, et tantôt au bonheur que les anges et les saints goûtent dans les cieux. Beaucoup d'entre les moines pensaient, qu'en raison de cette impotence, il fallait remplacer Enguerran. Profitant de ces dispositions, l'un d'eux, Foulques, fils d'Angelran, comte de Ponthieu, voulut usurper les fonctions d'abbé. Grâce au crédit de son père, il obtint cette nomination de Henri 1er qui, l'on ne sait pour quelle cause, se trouvait alors dans ces contrées. Foulques, afin de faire reconnaître ses prétendus droits, donna un somptueux festin aux chevaliers du Ponthieu dans le réfectoire de l'abbaye. Quand Enguerran, qui avait ignoré jusque-là ces audacieuses machinations, fut averti de ce qui se passait, il se fit transporter jusqu'à la porte du réfectoire, et là il prononça l'anathème sur ceux qui voulaient violer les droits de la justice. L'assemblée ayant pris la fuite, il déclara à Foulques, devenu muet de confusion, qu'il ne serait jamais abbé de son vivant. Cette prédiction ne fut point démentie par les événements : car Foulques ne fut nommé abbé de Forestmontiers que le lendemain du jour où Enguerran fut inhumé. Tout paralytique qu'il était, le courageux moine se fit transporter en voiture devant le roi, lui reprocha énergiquement sa faiblesse, et le menaça des châtiments éternels s'il persévérait dans sa pensée d'injustice. Henri 1er manifesta un repentir que l'avenir prouva être sincère : car, quelques années plus tard, sur la demande d'Enguerran, qui se sentait incapable de continuer ses fonctions, le roi lui donna Gervin pour successeur. Ce pieux moine de Verdun ne voulut y consentir qu'autant qu'il serait appelé à cette dignité par les suffrages des moines. Enguerran entra dans ses vues et s'empressa de faire procéder à cette élection, qui devait le décharger du fardeau des affaires. Gervin fut ordonné par Foulque, évêque d'Amiens, le jour de l'Annonciation de l'an 1045. Enguerran, malgré ses infirmités, suivait autant que possible tous les exercices de la communauté, et assistait dans un lit portatif aux méditations, aux offices et à la messe solennelle. Il lui arrivait même de chanter les prières du saint sacrifice, comme s'il eût été à l'autel ; ce que plusieurs considéraient comme une étrange singularité de la part d'un homme qui était surnommé le Sage. Un jour, qu'il avait chanté la messe de cette façon, il demanda un peu de vin pour apaiser sa soif. Après avoir goûté de celui qu'on lui présenta et encore d'un autre : « Ce n'est point de ce vin là que je veux », s'écria-t-il, « mais de celui que j'ai bu à ma messe ». On comprit alors qu'un breuvage céleste lui avait été mystérieusement administré, au moment de la communion, alors qu'il semblait célébrer les saints mystères ; et on lui répondit : « Mon père, vous ne pouvez plus avoir de ce vin-là, à moins que Celui qui vous en a gratifié ne veuille encore vous en donner ». Le pieux abbé se montra tout confus d'avoir révélé la faveur miraculeuse dont il était honoré. Pendant que la maladie d'Enguerran empirait, on reconnut nécessaire d'envoyer un député à la cour pour affaire importante. L'abbé Gervin confia ce message à un religieux qui alléguait une foule d'excuses pour s'en exempter, parce qu'il désirait être présent à la mort du saint abbé, qu'on croyait très prochaine. Cette désobéissance le fit mander auprès d'Enguerran qui, après lui avoir adressé des reproches, ajouta : « Exécutez les ordres qu'on vous a donnés, et sachez que je ne serai pas mis en terre avant votre retour ». C'est ce qui arriva, en effet. Le bienheureux abbé rendit son âme à Dieu le 9 décembre de l'an 1045. Le moine, dont nous venons de parler, revenait de sa mission et se trouvait à Amiens, quand il apprit cette douloureuse nouvelle. Il partit à cheval pour Saint-Riquier, et put encore contempler les restes inanimés du vénérable abbé. Gervin 1er présida à son inhumation, qui eut lieu dans l'église dédiée à Saint-Riquier, devant l'autel de Saint-Laurent. Gui, qui était alors archidiacre de la cathédrale d'Amiens et qui, plus tard, en devint évêque, composa un éloge en vers de son ancien maître et l'épitaphe suivante :

Quem tegit hi tumulus, lectissimus Angelirannus Hujus cœnobii pastor et abba fuit. Dux gregis Ecclesiæ, monachum spes inclyta vitæ, Vixit, et in mundo mundus, et in Domino.

Hariulfe nous raconte qu'un miracle illustra ce tombeau. Une femme de Feuquières, canton de Moyenneville, y conduisit sa fille paralytique, et y fit brûler un cierge. La jeune malade s'endormit un instant et se réveilla guérie.

ÉCRITS DU BIENHEUREUX ENGUERRAN.

Enguerran a été considéré comme un des hommes les plus savants de son époque. C'est le témoignage que lui rend saint Géraud : qui eo tempore cæteris philosophabatur altius. Nous ne pouvons guères contrôler ce jugement littéraire, parce que Enguerran nous a laissé peu d'écrits. Le seul ouvrage important qui nous reste de lui, la Vie en vers de saint Riquier, est d'une grande médiocrité poétique. Voici les œuvres qui sont dues à la plume d'Enguerran : 1° La Vie en vers de saint Riquier, dédiée à Fulbert de Chartres. Le premier livre est une traduction très littérale de la biographie rédigée par Alcuin. Les deuxième et troisième livres suivent d'aussi près un récit anonyme de miracles, composé au IXe siècle. Le quatrième livre paraît appartenir en propre à l'auteur et relate ce qui concerne la translation du corps de saint Riquier, en 981. Le premier et le dernier livres ont été seuls publiés par Mabillon. 2° Des Histoires en vers de saint Vincent, martyr, et de sainte Austreberte, qui ne nous sont point parvenues. 3° Un Catalogue rimé des abbés de Saint-Riquier. Hariulfe le considère comme défectueux, parce qu'on n'y voit pas figurer Nithard, Ribbode, Helgaud et Coschin. Est-ce bien là une omission, et n'est-ce pas plutôt Hariulfe qui aurait multiplié à tort le nombre des abbés de Centule ? 4° Des Hymnes en l'honneur de saint Riquier, de saint Valery et de saint Vulfran. Celle de saint Vulfran est restée en usage, dans la liturgie amiénoise, jusqu'à la réforme de M. de la Motte. 5° L'Épitaphe d'Oger ou Odelger, prieur de Saint-Riquier, et probablement celle de Gui, abbé de Forestmontiers, lesquelles nous ont été transmises par Hariulfe. On voit, par le choix de ces sujets, qu'Enguerran a été essentiellement un hagiographe diocésain.

Extrait de l'Hagiographie du diocèse d'Amiens, par M. L'abbé Corblet.

SAINT BUDOC, ÉVÊQUE DE L'ANCIEN SIÈGE DE DOL (VIe siècle).

Judual, prince de Bretagne, qui dut à saint Samson de recouvrer l'héritage de ses pères, et qui régna ensuite dans ce pays sous le nom d'Alain 1er, eut de son mariage avec Azenor, fille du comte de Léon, six fils, dont le quatrième se nommait Deroch ou Budoc. Celui-ci fut, dès son enfance, confié au saint évêque de Dol, afin qu'il l'élevât dans son monastère et qu'il prit soin de son éducation. Sous cet excellent maître, Budoc fit des progrès remarquables dans la science et dans la piété. S'étant décidé à renoncer au monde et à se consacrer à Dieu, il fut admis dans le clergé et devint par la suite abbé du monastère de Dol. Son mérite n'échappa pas à saint Magloire, qui, voulant se décharger du fardeau de l'épiscopat, le désigna pour son successeur et le sacra évêque. On vit bientôt le disciple animé du même esprit que les saints maîtres qui l'avaient dirigé dans les voies de la perfection, et l'on reconnut qu'il possédait toutes les vertus d'un véritable pasteur. La réponse pleine de prudence et de piété qu'il fit à saint Magloire, lorsque ce vénérable vieillard lui communiqua le dessein qu'il avait conçu de s'éloigner du pays de Dol pour jouir plus librement des douceurs de la solitude, est une preuve éclatante de sa sagesse, et montre non seulement son zèle pour son troupeau, que son saint prédécesseur édifiait par sa vie et ses discours, mais aussi son éloignement pour ces sentiments de jalousie, qui surprennent quelquefois les personnes vertueuses occupées de la même bonne œuvre. L'histoire ne nous a pas conservé le détail des actions de saint Budoc pendant son épiscopat. On sait seulement qu'il entreprit un voyage à Jérusalem et qu'il s'y fit tellement estimer qu'on lai donna un grand nombre de reliques, qui furent dans la suite portées à Orléans et déposées dans l'église de Saint-Samson. Malgré le silence des historiens à son égard, on ne peut douter qu'il n'ait été un saint prélat, et son culte est depuis longtemps établi dans l'église de Dol, On ignore absolument le temps de sa mort ; le martyrologe parisien, qui fait mention de lui au 19 novembre, la fixe à l'an 580. Le Père Le Large croit qu'elle arriva en 588, l'abbé Dévie l'indique à l'an 600 environ, et Dom Lobineau la place dans le VIIe siècle. Le jour de son bienheureux trépas est mieux connu ; c'est le 8 décembre, mais sa fête est depuis longtemps transférée au lendemain, à cause de celle de la Conception. Dans le diocèse de Léon il était autrefois honoré le 18 novembre. Les reliques de saint Budoc étaient conservées à Dol, à l'époque du procès entre cette église et celle de Tours, ainsi que l'atteste une pièce qui servit à cette cause et que Dom Morice a publiée dans ses Mémoires. Il paraît qu'elles furent détruites ou perdues, lorsque Jean-sans-Terre, roi d'Angleterre, vint, au commencement du XIIIe siècle, faire le siège de Dol et en brûla la cathédrale. On assure que la paroisse de Plourin (Finistère), dans l'ancien diocèse de Léon, en possédait encore dans le siècle dernier.

Extrait des Saints de Bretagne, par Dom Lobineau et l'abbé Tresvaux.

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