L'école des chefs

De Salve Regina

L'éducation des enfants
Auteur : abbé Gaston Courtois
Source : Livre L'école des chefs
Source web : Consulter
Date de publication originale : 1955

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : L'auteur a été à l'origine des Coeurs Vaillants et des Ames Vaillantes

Sommaire

Préface

Des chefs!... Des chefs!... Ce cri est devenu comme un lieu commun.

Aujourd'hui, aussi bien dans les entreprises privées que dans les administrations publiques, aussi bien dans les mouvements de jeunesse que dans les organisations sociales, se pose d'une façon aiguë le problème des cadres.

Et pourtant le tempérament français, dans la richesse de ses tonalités, possède à un degré exceptionnel - l'histoire est là qui le prouve - les harmoniques qui font les vrais chefs.

Comment se fait-il qu'on ait à se plaindre partout d'une telle pénurie de chefs ? Cela ne viendrait-il pas de ce que, depuis plusieurs générations, l'éducation donnée dans les diverses branches de l'enseignement a eu pour but bien plus le succès aux examens que la formation de personnalités fortes, animées du désir de l'action et assoiffées de responsabilités!

«Pas de zèle! Pas d'histoires! Être couvert!» telles ont été trop souvent les règles suprêmes de vie et... d'inaction, de ceux qui détenaient une parcelle d'autorité, à tous les échelons et dans toutes les professions.

On oublie trop souvent que le rôle de chef n'est pas réservé à une super élite, mais que tout homme normal est appelé, peu, ou prou, à exercer le noble métier de chef, ne serait-ce qu'au titre de chef de famille. «La société, aimait à répéter Lyautey, ne devrait être qu'une pyramide de chefs.»

Il n'y aura de «remontée française» que dans la mesure où toutes les écoles, quelles qu'elles soient, auront une mentalité d'écoles de cadres, dans la même mesure aussi où tous ceux qui, à un degré quelconque, ont charge d'hommes, s'efforceront d'être des éducateurs de chefs.

Quelles sont ces qualités?

Toute action commune qui requiert un chef se compose de trois éléments:

- L'œuvre à accomplir - Le chef qui doit la concevoir et la faire exécuter - Les hommes avec lesquels il doit la réaliser.

On peut, sans arbitraire, classer selon cet ordre, les qualités du chef :

Par rapport à l'œuvre à accomplir, c'est d'abord la «compétence» car comment peut-on commander en connaissance de cause si l'on ignore de quoi il s'agit? C'est aussi le «sens du réel» : qui se paie de mots se paie de vent ; qui se nourrit d'illusions va au-devant de toutes les déceptions et ce sont les hommes qu'il aura à conduire qui en seront les premières victimes. C'est enfin «la la foi en la grandeur et en la beauté de sa tâche». Il faut croire à ce qu'on fait et s'y donner soi-même pour entraîner les autres à s'y donner aussi.

Par rapport à lui-même, le chef doit posséder la «maîtrise de soi» ; comment commander à autrui quand on est incapable de se commander à soi-même? «Le détachement de soi». Commander c'est servir ; qui se laisse dominer par son intérêt particulier aux dépens de l'intérêt général, est infidèle à sa mission, puisque celle-ci lui a été confiée essentiellement en vue du bien commun. Enfin «l'esprit de décision et de ténacité». Qui ne sut décider ne sut jamais conduire ; Qui ne sait tenir bon ne sait rien obtenir.

Les hommes dont le chef doit tenir compte dans la réalisation de sa mission, peuvent se ranger en trois catégories :

Il y a les supérieurs, vis-à-vis desquels il doit montrer de la «déférence»; autorité mérite respect ; de la «discipline», qui veut se faire obéir doit commencer par donner l'exemple ; de la «dignité», rien n'est plus contraire à la noblesse du chef que la flatterie ou la platitude.

Il y a les égaux, les «chers collègues», vis-à-vis desquels il doit faire preuve d'esprit de «coordination», sans lequel aucune action d'ensemble n'est possible ; d'esprit de «compréhension», sans effort pour se comprendre, comment arriver à tirer dans le même sens ; de «cordialité», n'est-ce point la petite goutte d'huile qui prévient rouilles, frictions et grippages?

Il y a surtout les subordonnés, ceux qu'on a charge de conduire et de guider, ceux qui ne peuvent rien faire sans vous, mais sans qui vous ne pouvez rien faire non plus, puisque c'est par eux que vous devez «faire faire».

Vis-à-vis d'eux, il faudra de «l'autorité» ; c'est le propre du chef d'ordonner, c'est-à-dire de mettre en ordre et de donner des ordres ; de l' «équité», un chef qui n'est pas juste ne saurait être qu'un tyran ; du «tact», les hommes ne sont pas des machines, ce sont des personnes qui ont droit au respect de leur dignité humaine.

Ces qualités, on le voit, sont nombreuses et complémentaires. Leur dosage peut être varié selon les tempéraments et la mission propre à chacun, mais s'il en manque quelques-unes, ce sont autant de failles qui suffisent à diminuer la valeur du commandement et le prestige de l'autorité.

Puisse cette brochure, sans prétention, aider les jeunes d'aujourd'hui à devenir les chefs de demain, ceux qui referont une France plus belle, digne de son passé et de sa mission.


Avant-propos

Voici quelques conseils pour tirer le maximum de profit de ce livre.

1) Ne le lisez pas d'une seule traite. Voyez, il se divise en quinze leçons ; ce n'est pas trop de consacrer à chacune au moins une semaine.

2) Chaque leçon se compose d'une lecture à méditer, de réflexions personnelles à faire, d'un exercice pratique, de sujets de conversation entre chefs, d'un livre à lire et d'une pensée à noter.

La lecture méditée est à relire chaque jour pendant toute la semaine que dure la leçon. Il ne suffit pas d'une simple lecture même attentive. Il y a des vérités qui pénètrent dans vos muscles et qui, selon le mot de Paul Valéry, ne «deviendront votre chair» qu'à la sixième ou la septième fois.

La lecture méditée est suivie de réflexions personnelles. C'est une sorte d'examen de conscience qui vous permet de vous rendre compte des points sur lesquels vous aurez peut-être des efforts à faire. Faites cet examen tous les soirs que dure la semaine de formation. Répondez-y loyalement et tirez des conclusions personnelles pratiques.C'est peut-être là l'élément crucial de votre formation de chef.

Chaque semaine vous est également proposé un exercice. Ils ont été choisis de manière à vous faire agir immédiatement dans le sens de la qualité à acquérir ou à développer.

Ne prenez pas cet exercice à la légère. S'il vous paraît trop facile, ne le méprisez pas. C'est à petits coups de ciseau, mais orientés, que le sculpteur fait jaillir de la pierre une œuvre d'art. Et s'il vous parait difficile, faites un acte de courage en vous y mettant sans barguigner. C'est à cela que vous pourrez reconnaître si vous avez un tempérament de chef.

Chaque leçon comporte un sujet de conversation avec d'autres chefs. C'est un fait qu'un échange de vues sur une question donnée avec d'autres esprits permet la découverte de nouveaux points de vue et sont l'occasion d'un approfondissement de la pensée.

Veillez seulement à ce que ces échanges de vues ne tournent pas à des discussions stériles. Efforcez-vous de résumer en quelques phrases concises les conclusions.

Chaque semaine, la lecture d'un livre vous est proposée. Si vous n'avez pas le temps de le lire en entier, choisissez au moins les passages essentiels se rapportant au sujet de la semaine. Ils constitueront pour vous le premier embryon de votre bibliothèque de chef, et sans doute aimerez-vous faire de tel ou tel votre livre de chevet.

Enfin, chaque leçon se termine par une pensée à noter. Il vous est conseillé de la transcrire sur un carnet personnel, de l'apprendre par cœur et d'en ajouter d'autres que vous ne manquerez pas de trouver, soit dans les biographies de grands chefs, soit dans d'autres ouvrages sur la psychologie du commandement. Vous aurez ainsi un manuel du chef qui vous sera personnel parce que vous aurez vous-même contribué à le constituer, où, comme pour l'abeille, le pollen que vous aurez butiné, une fois assimilé par vous, sera devenu votre miel.

Si vous observez fidèlement ces consignes, vous ne pourrez pas ne pas constater, au bout de quelques semaines, une évolution de votre comportement psychique et même physique ; vous acquerrez des réflexes de chef et vous éprouverez à la fois, en intensité plus grande, la joie de vivre et la joie de servir.


Leçon 1: Compétence

La première qualité que l'on est en droit d'exiger du chef, c'est la compétence. Question de prestige sans doute, car le chef qui, dans sa partie, s'avère notoirement insuffisant, perd toute considération auprès de ses subordonnés. Question de sécurité pour la communauté humaine qu'il a à diriger et, en un certain sens, question de vie ou de mort, car le chef a essentiellement mission de conduire ; si, par incapacité, il donne des directives erronées, il risque d'aboutir à des catastrophes. C'est un aveugle qui vous fera fatalement culbuter dans le fossé.

Remarquons en passant que la compétence dans une profession ne confère pas par le fait même la compétence dans une autre. La sagesse du vieux fabuliste est toujours de saison : «À chacun son métier, et les vaches seront bien gardées.»

Ce n'est pas parce qu'un maître enseigne bien les langues qu'il sera, du même coup; bon professeur de sciences. Ce n'est pas forcément parce qu'un chef d'armée a été un valeureux soldat qu'il peut devenir, du jour au lendemain, un excellent administrateur ou un fin diplomate. L'Histoire de France - et la plus récente - est là pour montrer que la chose est possible. Mais les domaines sont différents et les exemples les plus illustres ne sont que des exceptions qui confirment la règle.

La compétence du chef n'est pas d'ailleurs de la même nature que celle de ses subordonnés ; elle consiste dans une connaissance suffisante des différentes branches d'activités de son ressort, pour être en mesure d'en organiser l'ensemble, en même temps que dans la possession des notions générales nécessaires pour prévoir, organiser, commander, contrôler, apprécier les valeurs relatives, peser les opportunités, coordonner les efforts de chacun en vue de l'œuvre commune.

Plus le chef a de responsabilités, plus il lui faut, certes, s'évader de la spécialisation technique. Mais même à ce point de vue, sa compétence doit être suffisante, sinon pour exécuter, du moins pour juger et décider en connaissance de cause.

Quelques années avant la guerre, reprenant le titre fameux d'un livre de Faguet, un professeur du Collège de France écrivit un article qui fit quelque bruit et même quelque scandale ; cet article avait pour titre : «Le culte de l'incompétence.» Hélas! il ne faisait que traduire une réalité trop répandue.

Combien il importe de développer chez les générations qui montent le souci de la valeur personnelle, qu'aucune autre - pas même et surtout les valeurs financières - ne saurait remplacer, et d'amener les jeunes à devenir ces «compétences» qui mettent toute leur sagesse et toute leur science au service du bien commun!

Réflexions personnelles

1) Êtes-vous bien décidé à devenir coûte que coûte une valeur dans votre profession? Si vous ne l'êtes pas, ce n'est même pas la peine d'essayer de devenir un chef!

2) Pouvez-vous vous rendre cette justice que vous aimez le travail bien fait; et que vous avez horreur du travail bâclé?

3) Avez-vous l'habitude de vérifier votre travail avant de le livrer, par exemple de relire soigneusement vos lettres avant de les expédier?

4) Vous contentez-vous d'une vue superficielle ou aimez-vous aller au fond des choses?

5) Savez-vous suffisamment organiser votre travail et votre temps? N'y a-t-il pas encore dans votre vie trop de minutes gaspillées en futilités?

6) Avez-vous habituellement, le soir en vous couchant, le sentiment d'avoir eu une journée pleine?

7) Quand vous lisez un livre ou une revue, prenez-vous habituellement des notes? Les prenez-vous de manière à pouvoir les retrouver facilement?

8) Relisez-vous quelquefois les notes que vous avez prises lors d'un cours ou d'une conférence?

9) Limitez-vous votre soif de savoir à votre spécialité, ou cherchez-vous à avoir quelques clartés sur les différentes branches du savoir humain?

Exercices

1) Mettre votre point d'honneur à «fignoler» le travail que vous accomplirez cette semaine.

2) Pendant les quinze semaines que dure votre école de chefs, lire chaque semaine une biographie de chef.

3) Établir d'une part la liste des biographies de chefs que vous avez déjà lues et, d'autre part, la liste de celles que vous voudriez avoir lues.

Sujets de conversation

1) En quoi consiste la compétence propre au chef?

2. Échangez vos impressions sur les biographies de chefs déjà lues.

Livre de la semaine

Bainville, «Napoléon» (Fayard).

Pensée

«La plus grande immoralité, c'est de faire un métier qu'on ne sait pas.» (Napoléon)


Leçon 2: Sens du réel

Connaître son métier c'est bien, mais ce n'est pas suffisant. Un chef doit connaître son terrain; c'est-à-dire la réalité sur laquelle il va exercer son action.

À quoi sert une belle théorie, si elle ne cadre pas avec la pratique?

Trop souvent, est-ce paresse, est-ce peur du rude contact avec l'inertie et la complexité des choses et des gens, on se laisse séduire par une brillante idée, mais on s'arrête là.

Il faut tenir les deux bouts de la chaîne : l'idée, oui, car sans idée on ne saurait mener le monde, mais aussi la réalité, cette humble réalité quotidienne sans laquelle l'idée la plus géniale restera un rêve éthéré quand elle ne méritera pas d'avoir pour nom chimère, utopie, illusion.

Le général Franiatte, commandant l'artillerie de la Xe armée Mangin, aimait à répéter à ses officiers : «Messieurs, en artillerie, ce qui importe, ce n'est pas le coup qui part, c'est le coup qui porte».

En éducation c'est la même chose. Ce qui compte avant tout, ce n'est pas la leçon donnée, mais la leçon assimilée.

Connaissez-vous cette boutade attribuée à Chesterton? Il s'agit d'enseigner le latin à John. «Que faut-il connaître d'abord? Le latin; n'est-ce pas?» Et l'auteur de répondre avec humour et flegme : «Non, pas le latin, mais d'abord le petit garçon».

Avoir le sens du réel, c'est connaître le but auquel on veut parvenir, les moyens dont on dispose, les hommes avec lesquels il faudra agir, les oppositions avec lesquelles il faudra compter, les écueils à éviter, les difficultés à surmonter, les déficiences à suppléer.

Voir clair, voir vrai, voir juste, voir loin, n'est-ce point là le regard du vrai chef? Et l'on comprend alors combien il faut développer en nous le goût de la précision, le souci de l'exactitude, le scrupule de l'objectivité.

Avoir le sens du réel, c'est aussi se connaître soi-même, connaître ses possibilités aussi bien que ses limites ; cela fait partie des données du problème, et il faut avoir le courage de ce que l'on est avant d'avoir le courage de ce que l'on veut être.

Avoir le sens du réel, c'est se méfier des formules toutes faites. La réalité est trop complexe pour tenir en des formulaires tout mâchés, où les cas qui se présentent ont une solution imprimée d'avance. Les solutions toutes faites ne sauraient satisfaire des âmes de chefs. Elles ne sont affaire que de commis, c'est-à-dire de ceux qui n'osent pas parce qu'ils ne connaissent que le fameux «précédent» administratif, père de cette odieuse routine qui enlise tant d'énergies pour en faire tant de stérilités.

Avoir le sens du réel, c'est avoir le sens de tout le réel. Certains esprits ont parfois la tentation de s'hypnotiser sur un détail et de ne plus voir que ce détail. «Pour juger sainement, dit Joseph de Maistre, il faut regarder d'en haut et voir l'ensemble», ce qui permet de garder le sens des proportions et de ne laisser à chaque chose que son importance relative.

Avoir le sens du réel enfin, c'est posséder ce flair qui permet de voir d'un coup d'œil les nouvelles possibilités qui se présentent dans un changement de situation pour en tirer parti dans une décision nouvelle adaptée aux circonstances. Il faut savoir, selon le mot de Talleyrand «accepter l'inévitable pour en faire l'utilisable.» En tout gît une «astuce», l'essentiel c'est de la découvrir.

N'est-ce point à ce signe, au dire d'Henri Pourrat, qu'on reconnaît le chef-né : celui qui, prenant dans le présent les choses telles qu'elles sont, en fait surgir de quoi les faire devenir un peu plus ce qu'elles doivent être.

Réflexions personnelles

1) Avez-vous compris que la vie est une lutte et que dans cette lutte il y a des événements qui ne dépendent pas de nous, mais qui constituent une partie des données du problème que nous avons à résoudre?

2) En face d'une difficulté, quelle est votre réaction première : tout abandonner... vous révolter... essayer de vous en sortir sans trop de dommages... ou vous en servir pour faire mieux?

3) Quand vous partez en excursion, faites-vous d'avance le programme de votre journée, ou vous hasardez-vous à l'aventure sans avoir rien prévu?

4) Savez-vous distinguer l'essentiel de l'accessoire, par exemple savez-vous dégager les points importants d'un article ou d'une discussion?

5) Vous efforcez-vous de rester objectif dans vos appréciations, et vous laissez-vous aller facilement à employer les adjectifs d'exagération?

6) Attribuez-vous à toutes les choses ou à tous les gens la même valeur?

7) Acceptez-vous facilement sans esprit critique les faits ou propos qu'on vous rapporte?

Aimez-vous à faire préciser avec toutes les indications de dates, de lieux et de personne? (Vous serez étonné de constater combien de gens, soi-disant bien informés, déforment la réalité, et sont parfois victimes inconscientes du mirage de leur imagination.)

Exercices

1) Si vous avez l'habitude d'employer à chaque instant des superlatifs comme: formidable, épatant, merveilleux, extraordinaire, rayez-les pendant un certain temps de votre vocabulaire.

2) Dans un article de quatre pages, dégagez en cinq lignes l'idée essentielle.

3) Chaque fois que l'on vous rapporte un fait, un texte, un renseignement, demandez le maximum de références et de précisions et, si vous le pouvez, vérifiez par vous-même.

Sujet de conversation

Quelles sont les causes qui empêchent tant d'hommes de voir vrai? Classez ces causes. Tirez-en des conclusions pour vous-même.

Livre de la semaine

Garric, «Le Message de Lyautey» (Spes).

Pensée

«Ne vous contentez pas de ce qu'on vous dit, allez-y voir vous-même. Je ne vous demande pas ce que vous pensez: dites-moi ce qui est. Les faits sont là. Ils restent.» (Foch)


Leçon 3: Foi en la grandeur et la beauté de sa tâche

Un chef qui veut aboutir doit croire à ce qu'il fait et à ce qu'il fait faire.

«Ne fît-on que des épingles il faut être enthousiaste de son métier pour y exceller», affirmait déjà Diderot.

«Il faut croire à ce que l'on fait et le faire dans l'enthousiasme», aimait à répéter, après Ollé-Laprune Robert Garric au moment où il fondait les équipes sociales.

«On ne fait bien que ce que l'on fait avec passion. Celui qui travaille simplement pour gagner de l'argent et qui n'a pas la passion de son métier ne sera jamais un homme de valeur», écrivait Camille Cavallier, le fondateur des Aciéries de Pont-à-Mousson.

Faire passer son idée dans le réel malgré les incompréhensions, les contradictions et l'effroyable force d'inertie des hommes et des choses ne peut réussir que si d'abord on croit à l'intérêt du but poursuivi et si ensuite on s'estime en mesure de l'atteindre.

Croire au but, c'est la première condition pour qu'on s'y donne.

C'est une loi élémentaire de psychologie qu'on ne consent de sacrifice que pour quelqu'un ou quelque chose qui nous dépasse ou qui nous attire.

Un chef qui veut vraiment faire avancer l'humanité ou simplement construire quelque chose de solide ne doit pas craindre d'avoir le cœur pris par la grandeur et la beauté de sa tâche, c'est ce qui lui permettra d'avoir du souffle pour monter les côtes et entraîner les autres à sa suite.

Croire à la valeur du but d'abord, mais aussi croire à la possibilité d'atteindre ce but.

C'est entendu, il y a toujours une marge entre la possibilité et la certitude - sinon où serait le risque? «Mais pour venir à bout des choses, disait Louis XIV, le premier pas est de les croire possibles.»

Un chef qui ne croit pas au succès est battu d'avance et rien n'est plus déprimant que le sceptique qui pense intérieurement : «Il n'y a rien à faire, je n'y arriverai pas», ou le blasé qui ruine en lui-même et dans les autres toute velléité d'effort par un «à quoi bon» découragé et décourageant.

Il y a des élans décisifs et des audaces victorieuses que seul possède un chef enthousiaste, élans et audaces qui, en déterminant la mise en œuvre de toute sa science et de toute sa puissance d'action au service de sa foi, lui permettent de rendre possible ce qui pour tant d'autres serait resté impossible.

Pour devenir un chef de cette trempe il faut déterminer chez vous l'amour de la grandeur et des larges horizons. Rien ne nous a fait plus de tort que l'abus de l'adjectif «petit».

Certes, par notre compétence, notre sens du réel, mettons toutes les chances de succès dans notre jeu, mais ayons au cœur de nobles ambitions, élargissons le plus possible notre angle de vision : l'homme qui souffre de rétrécissement d'idéal ne sera jamais un vrai chef.

Réflexions personnelles

1) Pourquoi voulez-vous devenir un chef? Est-ce pour le plaisir d'avoir des galons? De commander? De dominer? D'organiser? De gagner de l'argent? De vous faire une belle situation? Ou pour faire de votre vie quelque chose de beau, de grand et d'utile?

2) Avez-vous un idéal de vie? Pouvez-vous le préciser en quelques lignes?

3) Avez-vous une devise? Si oui, y pensez-vous quelquefois? Est-elle pour vous un stimulant?

4) Vous sentez-vous capable de vous passionner pour une belle cause?

5) Êtes-vous satisfait à bon compte de vous-même et des autres?

6) Êtes-vous désireux d'améliorer, de changer le monde?

7) Vous sentez-vous de taille à rendre le monde un peu meilleur, un peu plus beau, un peu plus propre et un peu plus heureux parce que vous y serez passé?

8) Aimez-vous les vastes horizons?

9) Croyez-vous à ce que vous faites?

10) Vous découragez-vous facilement?

11) Sans rien prendre au tragique, prenez-vous la vie, les gens et les choses au sérieux?

12) Quand vous le pouvez, avez-vous le geste large, êtes-vous volontiers généreux?

Exercice

Énumérer les raisons personnelles qui vous font juger que la vie est belle et mérite d'étre vécue.

Sujet de conversation

Pourquoi le métier de chef est-il un beau métier?

Livre de la semaine

Hanotaux, «Jeanne d'Arc» (Plon).

Pensée

«Pour venir à bout des choses, le premier pas est de les croire possibles.» (LOUIS XIV)


Leçon 4: Maîtrise de soi

Le chef qui veut être digne de commander doit commencer par être capable de se commander à lui-même.

Sans maîtrise de soi, personne ne peut prétendre à la maîtrise des choses et encore moins des hommes.

En particulier un chef doit être maître de sa langue, de ses nerfs, de son cœur.

Les vrais chefs sont en général des silencieux, ils évitent les paroles inutiles, se gardent de toute outrance de langage, ne livrent pas à tout venant leurs projets ou leurs états d'âme.

Ils savent, suivant la formule de Richelieu, qu'il faut écouter beaucoup et parler peu pour agir efficacement.

Les beaux parleurs peuvent quelquefois faire illusion mais ils n'en sont que plus sévèrement jugés lorsque, l'heure venue d'agir, ils se révèlent au-dessous de la tâche. Rien n'est plus dangereux qu'un chef qui parle à tort et à travers. Et parce que logorrhée et bavardage sont l'indice d'un manque de maîtrise de soi, le chef qui en est atteint ne tarde pas à perdre l'estime et la confiance de son entourage.

Un chef doit être maître de ses nerfs. Guide né de ses hommes c'est sur lui, sur les muscles de son visage, pourrait-on dire, que se fixent leurs regards aux heures critiques pour juger de la situation. Le moindre signe d'inquiétude, de dépression, et «a fortiori» d'affolement, suffit à provoquer une psychose collective de pessimisme, d'angoisse ou de panique.

C'est la sérénité du chef qui détermine dans une collectivité le complexe de sécurité. Pour garder son sang-froid, n'être ni irritable ni excitable, il ne faut pas que le chef se laisse dominer par ses occupations ou par les événements.

C'est extraordinaire comme on rencontre actuellement de gens qui se disent «débordés» ; il semble que ce soit là comme une maladie du siècle, mais n'est-elle pas un peu une maladie imaginaire, fruit de l'auto-suggestion autant que de l'agitation? À force de se dire surmené, on finit par y croire et c'est la porte ouverte à toutes les impatiences et à toutes les fatigues nerveuses. En réalité, ce qui fatigue et ce qui énerve ce n'est pas tant ce qu'on fait que ce que, par manque de prévoyance et d'organisation, on n'arrive pas à faire.

Développer en soi le sens de la hiérarchie des valeurs, établir un ordre d'urgence pour ses activités, y compris les activités de détente nécessaire, proportionner à l'importance de chaque effort le temps qui doit lui être réservé, savoir se ménager des moments - si courts soient-ils - de silence et de réflexion que ni téléphone ni visiteurs importuns ne peuvent interrompre, autant de moyens pour le chef de se garder l'esprit libre, l'œil clair et la volonté calme.

Le chef doit rester maître de son cœur. Sans doute il faut qu'il soit bon, indulgent, compréhensif, mais il ne doit jamais se laisser guider par ses sympathies ou antipathies instinctives. S'il doit avoir le cœur sur la main, il doit garder la main sur son cœur et ne jamais laisser parler son cœur avant que la raison n'ait parlé. Sinon, il est à la merci de toutes les impulsions, de tous les caprices et, disons le mot, de toutes les faiblesses. À devenir la risée de ses subordonnés il n'y a qu'un pas, tant il est vrai que perdre le contrôle sur soi-même est la plus sûre façon de perdre son autorité sur les autres.

On comprend alors combien il importe, pour former de futurs chefs, de développer dans les jeunes générations cet esprit de vaillance qui seul peut assurer ce qu'un auteur du moyen âge appelait «la plus haute des seigneuries»: la seigneurie de soi-même.

Réflexions personnelles

1) Dit-on de vous : «Il a de la volonté, c'est un caractère»?

2) Êtes-vous quelqu'un qui compte, avec qui l'on compte, sur qui l'on peut compter?

3) Le matin, vous levez-vous énergiquement à l'heure fixée par vous la veille?

4) Avez-vous de l'ordre dans vos affaires, sur votre bureau, dans vos tiroirs, dans vos armoires? Remettez-vous immédiatement à leur place objets dont vous n'avez plus besoin?

5) Vous sentez-vous de taille à écouter pendant dix minutes sans l'interrompre un interlocuteur importun? Êtes-vous capable de paraître calme quand vous êtes énervé? De paraître souriant et aimable même quand vous êtes mécontent?

6) Savez-vous encaisser avec flegme une blessure d'amour-propre, un contre-temps, une déception, une contrariété, un échec?

7) Vous plaignez-vous facilement du froid, de la faim, de la soif, de la chaleur?

8) Fermez-vous les portes doucement?

9) Vous arrive-t-il de temps en temps de vous priver d'un plaisir permis ou simplement de le retarder, rien que pour maintenir en bonne forme le tonus de votre volonté?

10) Quand vous lisez un livre qui vous intéresse vraiment, êtes-vous capable de l'interrompre sans mauvaise humeur pour prendre part à une conversation, rendre un service ou simplement affirmer la maîtrise de vous-même?

11)Aimez-vous prévoir votre journée, minuter d'avance vos activités et réaliser coûte que coûte le programme prévu?

Exercices

1) Accomplir chaque jour pendant une semaine une dizaine d'actes de volonté qui vaudront d'autant plus qu'ils auront coûté davantage.

2) Pendant la même semaine, utiliser la méthode d'auto-suggestion positive et progressive. Chaque soir avant de vous coucher, répéter dix fois avec conviction : «J'ai de plus en plus de volonté; je suis de plus en plus maître de moi.»

Sujets de conversation

1) Ce qui compte, dans la vie d'une nation ou dans la vie d'un homme, ce n'est pas tant l'intelligence, mais le caractère. Est-ce vrai? Pourquoi?

2) Montrer pourquoi la vie privée du chef a fatalement des répercussions sur la vie publique. Connaissez-vous quelques exemples célèbres?

Livre de la semaine

Bugnet, «Joffre» (Grasset).

Pensée

«Il faut au chef un moral particulièrement élevé et une maîtrise absolue de lui-même qui lui permettent, au milieu des difficultés, de s'imposer par son calme à ses subordonnés.» (Joffre)


Leçon 5: Désintéressement

Mot rude, mais exigence nécessaire.

La mission du chef lui est confiée essentiellement au nom et en vue du bien commun.

Représentant et réalisateur de l'intérêt général, il ne doit chercher ni son avantage particulier, ni sa propre gloire. Il va au but parce que son devoir est de l'atteindre, il ne va pas à son succès personnel. Ni l'intérêt, ni l'orgueil ne lui dictent ses décisions ; le vrai chef est désintéressé.

À partir du moment où un chef se rechercherait lui-même, sous une forme ou sous une autre, il deviendrait infidèle à sa mission.

Sans doute il est dans l'ordre que le chef, qui a plus de responsabilités, dispose de tous les moyens qui lui permettent de remplir sa tâche, de tenir son rang, d'asseoir son autorité, de soutenir son prestige.

Galons, étoiles, traitement plus élevé, tout cela est légitime, comme expression du grade, accompagnement et conséquence normale de la charge acceptée. «Honor onus, sed etiam oneri honor».

Par contre, cela devient dangereux quand ce sont ces avantages qui ont été la raison profonde et le but principal de l'activité du chef. Car celui qui se laisse dominer par son intérêt particulier perd peu à peu le goût de l'intérêt général, ou l'assimile au sien propre ; c'est la porte ouverte à toutes les défaillances, si un jour, cet intérêt particulier - et le cas n'est pas chimérique - ne coïncide plus exactement avec le bien général.

L'argent, par exemple, est un bon serviteur, mais un mauvais maître. Lorsqu'un homme se laisse dominer par la cupidité, il est sur une pente glissante qui peut aboutir aux forfaitures de la conscience et de l'honneur. Il perd alors le droit de se dire chef.

L'ambition peut être quelquefois un stimulant à l'effort et un surpassement de soi-même. Elle est légitime et saine quand elle a pour but final un meilleur service. Elle est dangereuse quand elle se limite à une soif de domination - «libido dominandi» disent les vieux moralistes - qui devient proprement tyrannie. Commander c'est servir, et non point asservir.

Camille Cavallier divisait les hommes en quatre catégories :

- en bas, ceux qui veulent devenir riches ; - un peu plus haut, ceux qui veulent être quelque chose ; - beaucoup plus haut, ceux qui veulent devenir quelqu'un ; - enfin, au sommet, ceux qu'il appelait les apôtres, c'est-à-dire ceux qui veulent servir la communauté humaine, petite ou grande, en faisant abstraction d'eux-mêmes.

Désintéressement, qualité rare peut-être, mais qualité d'autant plus noble, qui révèle le pur métal sans alliage, dont sont forgées les âmes des vrais chefs.

Réflexions personnelles

1) Vous intéressez-vous aux autres?

2) Vous mettez-vous facilement à leur place?

3) Quand vous discutez, vous efforcez-vous de comprendre le point de vue de votre interlocuteur?

4) Aimez-vous mettre souvent votre «moi» en avant? Parler de votre passé, de vos succès, de vos projets?

5) À table d'hôte, quand on vous passe le plat, recherchez-vous instinctivement les meilleurs morceaux?

6) Quand il vous arrive d'avoir raison, vous gardez-vous de le souligner : «Voyez, je l'avais bien prévu, je l'avais bien dit, etc...»

7) Êtes-vous sensible à l'éloge, à la flatterie au point d'éprouver une secrète complaisance pour le flatteur?

8) Avez-vous compris que celui qui recherche en toutes choses ses aises, qui ne voit que ses avantages, qui ne prête attention aux autres que dans la mesure où ceux-ci peuvent lui rendre service, qui écrase sans vergogne ceux qui le gênent, finit toujours par se faire haïr et mépriser?

9) Acceptez-vous de rendre des services cachés?

10) Vous arrive-t-il de faire des dons anonymes?

Exercices

1) Calculez si vous le pouvez, combien de fois dans une demi-journée. vous employez le pronom «Je».

2) Essayez pendant une semaine de trouver des périphrases pour bannir le «je» ou le «moi» de vos conversations.

Sujet de conversation

Quels doivent être les ressorts d'action d'un chef?

Livre de la semaine

Weygand, «Turenne» (Flammarion).

Pensée

«Le vrai chef est désintéressé. Il va au but parce que son devoir est de l'atteindre. Il ne va pas à son succès personnel, il ne cherche ni son avantage particulier ni sa propre gloire: les temps ou l'on travaillait pour le succès d'un homme semblent assez abolis. Notre temps est de plus en plus entraîné dans le mouvement des grandes vies collectives. Le chef n'est tel que parce qu'il représente le bien commun, et il est chef pour les autres, non pour lui-même.» (ESCOFFIER).


Leçon 6: Décision et ténacité

«Qui ne sut décider, ne sut jamais conduire. Qui ne sut tenir bon, ne sut rien obtenir.»

Ces deux vers, à la manière de Boileau, résument assez bien ces qualités complémentaires l'une de l'autre du commandement : décision et ténacité.

Choisir! à bon escient sans doute, mais choisir. Il y a des gens qui ont toujours peur des initiatives, qui sont dans l'hésitation et qui tergiversent, hésitants, dès que la moindre détermination s'impose. Ce seront des, subalternes peut-être, des chefs jamais ; car un chef, c'est avant tout quelqu'un qui sait prendre, en connaissance de cause, ses responsabilités.

Il faut parfois trancher dans le vif! Rappelez-vous l'histoire d'Alexandre et du nœud gordien... le chef n'est pas un âne de Buridan.

La vie en effet, est faite de petits et grands problèmes qu'il faut résoudre sans cesse. Parfois, surtout lorsqu'on a charge d'âmes, ces problèmes peuvent être graves, et c'est pourquoi, avant de se prononcer, il faut s'entourer d'informations, examiner loyalement les solutions en présence.

Il arrive la plupart du temps, que plusieurs solutions soient également raisonnables, sans être pour cela parfaites. La tentation est grande alors de tâtonner, de prendre des demi-mesures. Rien alors n'est plus dangereux, car la vie presse, et un supérieur irrésolu est voué d'avance à l'échec, car il coupe le jarret de ses troupes.

C'est le rôle et la grâce du chef de déterminer clairement le point de direction où toutes ses forces doivent s'engager pour avoir la victoire ou réaliser un progrès.

Une bonne décision, même imparfaite, suivie d'une ferme exécution, est meilleure que l'attente prolongée d'une solution idéale qui ne sera jamais exécutée. C'est en ce sens que décision vaut mieux que précision.

Mais décider, à lui seul, ne suffit pas. Ce qui compte, ce n'est pas l'ordre donné, c'est l'ordre exécuté. Le succès dépend plus encore de la ténacité dans la réalisation que de l'habileté dans la conception.

«L'intelligence, bien sûr il faut en avoir, disait Foch, mais avant tout de la volonté, une volonté fixe qui ne se disperse pas. Même avec une intelligence moyenne, celui qui tend toute sa volonté vers un but précis et persévère en gardant l'esprit tendu est sûr d'arriver».

Nous avons trop souffert en France de chefs velléitaires, qui ne savaient pas eux-mêmes ce qu'ils voulaient, et de ces chefs girouettes qui, sous prétextes d'opportunisme, tournaient comme le vent!

Comment voulez-vous qu'un chef qui change d'avis pour un oui ou pour un non, et qui ne semble pas tellement tenir à ce qu'il demande, puisse être respecté! Ne faut-il pas voir là l'une des raisons pour lesquelles l'autorité, chez nous, a malheureusement tant perdu de prestige? La cause en est facile à découvrir : ce fut trop souvent l'absence de principes solides, de convictions profondes, de discipline personnelle de la volonté!

C'est en restaurant dans sa vie ces valeurs morales qu'on se prépare à devenir un vrai chef capable de prendre des décisions éclairées et de les faire aboutir.

Réflexions personnelles

1) Avez-vous soif ou peur des responsabilités?

2) Êtes-vous heureux ou malheureux d'avoir des initiatives à prendre?

3) Quand le matin vous commencez votre journée, votre démarrage est-il lent ou immédiat?

4) Quand vous avez plusieurs tâches à accomplir, hésitez-vous longtemps avant de choisir celle par laquelle vous allez commencer?

5) Remettez-vous facilement au lendemain ce que vous pouvez faire le jour même?

6) Quand dans votre programme se trouve quelque travail pénible ou ennuyeux, êtes-vous tenté de le renvoyer à plus tard... ou vous attaquez-vous énergiquement à la besogne?

7) Vous laissez-vous arrêter facilement par un obstacle, ou êtes-vous heureux devant une difficulté à vaincre?

8) Vous arrive-t-il de changer souvent d'avis?

9) Dit-on de vous : «Avec lui, c'est le dernier qui a parlé qui a raison»?

10) Êtes-vous de ceux dont on dit : «Il sait ce qu'il veut, et ce qu'il veut, il le veut bien»?

11) Quand il vous arrive un échec, une déception, une contrariété, êtes-vous découragé ou rebondissez-vous rapidement?

Exercice

Prévoir chaque demi-journée par écrit, pendant une semaine, les travaux que vous aurez à effectuer. Les minuter et fixer leur ordre de succession et s'y tenir strictement. Noter le temps qu'aura duré chaque examen de prévoyance. À la fin de la semaine, il devra être au moins deux fois plus rapide qu'au commencement.

Sujet de conversation

Commentez cette parole : Vivre, c'est choisir, et choisir, c'est sacrifier quelque chose.

Livre de la semaine

Bugnet : «En écoutant le maréchal Foch» (Grasset).

Pensée

«Il faut être d'une nature avide de responsabilités. Les décisions, il faut les prendre avant qu'elles nous soient imposées; les responsabilités, il faut aller au-devant d'elles.» (Foch)


Leçon 7: Déférence

Un chef n'est jamais totalement indépendant. La plupart du temps il a au-dessus de lui des supérieurs en qui il doit respecter l'autorité - ne serait-ce que pour donner l'exemple à ceux qui doivent la respecter en lui.

Cette déférence est d'autant plus nécessaire que depuis plusieurs générations nous subissons en France une véritable crise du respect. Guizot s'en plaignait déjà. Mais ces dernières années, le virus égalitaire s'est tellement bien répandu dans tous les milieux que beaucoup de chefs ont cru de bon ton de jouer au bon garçon, quittes à traiter en camarades leurs propres supérieurs.

Il en résulte une atmosphère générale de laisser-aller qui n'est pas sans danger de graves conséquences, surtout aux heures difficiles où, dans l'intérêt du bien commun, le chef peut avoir à demander, disons le mot, à exiger de durs sacrifices.

En réalité, à l'origine de cette diminution du respect du chef, il y a un affaiblissement de ce que le Père Doncoeur appelle si justement «le sens du sacré». L'absence ou le mépris du sacré fait les peuples décadents. Nulle vie personnelle ou sociale n'est possible si elle n'est accrochée à quelque chose qui la dépasse.

Et ici il ne faut pas hésiter à remonter jusqu'à Dieu, car Dieu seul, autorité suprême parce que «Auteur» de toutes choses, est le fondement de toute autorité. Toute autorité légitime est une participation à l'autorité divine et doit être traitée comme telle.

Il s'agit là de quelque chose de plus grand et de plus haut que la personne du chef, mais qui doit rejaillir sur elle. C'est pourquoi, dans la mesure de ses responsabilités qui justifient son autorité, le chef a droit à des marques extérieures de respect.

L'idéal, c'est sans aucun doute que ces marques extérieures soient la manifestation spontanée chez ses adjoints d'un état d'âme de déférence. Du moins, qu'elles soient l'expression loyale de cette disposition essentielle à servir la cause commune par le respect de l'ordre hiérarchique, sans lequel on aboutit par définition à l'anarchie et au désordre.

Il est possible que sur tel ou tel point d'application pratique, un chef soit d'un avis différent de son supérieur. Il peut se faire que celui-ci ait besoin d'une information complémentaire qui aurait sans doute déterminé chez lui une autre décision, jugée meilleure. C'est pourquoi il est légitime pour un subalterne ou un adjoint de présenter à celui qui est au-dessus de lui ses observations motivées. Mais on peut dire que celles-ci auront d'autant plus de poids qu'elles seront exprimées avec déférence et marquées au coin du désir sincère d'entrer dans les vues du chef, et de se conformer à sa décision finale au service du bien commun.

Ce qui en tout état de cause est à proscrire, c'est la critique du chef. Le chef qui critique son supérieur se nuit doublement à lui-même, car il se prive de la force que représente pour l'accomplissement de sa tâche le respect de l'autorité, et, par une justice immanente, il se prive ainsi du droit d'être lui-même respecté de ses subordonnés.

Un hagiographe de saint François d'Assise l'exprimait naguère en une formule heureuse qu'il ferait bon de méditer longuement : «Le respect est un sentiment si puissant qu'il oblige parfois ceux qui en profitent sans le mériter à essayer d'en être dignes. On les ramène à ce qu'ils devraient être en feignant d'ignorer ce qu'ils ne sont plus - et alors même qu'on aurait manqué ce résultat, on sauve au moins la noblesse d'une fonction de la bassesse d'un homme.»

Réflexions personnelles

1) Dans vos chefs, voyez-vous d'abord la fonction avant la personne?

2) D'une manière générale, réagissez-vous contre la tendance à critiquer vos supérieurs?

3) Quand vous étiez enfant, cédiez-vous à la tentation de donner des sobriquets à vos professeurs? Continuez-vous avec vos supérieurs actuels?

4) Considérez-vous le chef comme quelqu'un à qui il faut bien rendre compte pour ne pas avoir d'histoires avec lui, plutôt que comme un guide près de qui on sait trouver lumière, conseils, orientations, directives?

5) Vous rendez-vous compte combien une simple pensée de défiance vis-à-vis du chef diminue en vous la joie de servir, et combien une critique formulée devant d'autres détruit dans un groupe la confiance et l'enthousiasme?

6) Donnez-vous volontiers à vos chefs les marques extérieures de respect auxquelles ils ont droit?

7) Les leur donnez-vous parce que vous ne pouvez pas faire autrement, ou pour exprimer un sentiment sincère de respect de leur autorité ou leur fonction?

Exercices

1) Pendant toute une semaine, interdisez-vous toute critique, même justifiée, de vos supérieurs.

2) Donnez-leur intérieurement et extérieurement toutes les marques de respect auxquelles ils ont droit.

Sujet de conversation

Pourquoi la critique du chef peut-elle être comparée à un acide qui oxyde ou dissout?

Livre de la semaine

Bessière, «L'Évangile du chef» (Spes).

Pensée

«Le chef doit allier au plus haut degré l'esprit d'obéissance à l'esprit d'initiative, le respect de l'autorité au sens du commandement.» (Dubail).


Leçon 8: Discipline

Le chef doit donner à ses subordonnés l'exemple de la déférence vis-à-vis de l'autorité supérieure. Il doit aussi donner celui de la discipline.

Plus on s'élève dans la hiérarchie, plus la tentation est grande de n'en faire qu'à sa tête. Mais de quel droit commander aux autres si soi-même on n'est pas capable d'obéir?

Le vrai chef s'efforce de comprendre la pensée de ses supérieurs et concilie l'originalité de ses conceptions personnelles avec le respect des directives reçues. Agir autrement, c'est non seulement insubordination personnelle, mais désordre d'autant plus grave qu'ayant charge d'hommes on assume plus de responsabilité.

Un échange de vues respectueux et loyal avec son supérieur est toujours légitime. Mais discuter les décisions de son chef hiérarchique en dehors de lui est toujours dangereux, car le plus souvent cette discussion se produit dans le vide, sans posséder les éléments nécessaires, et détermine chez les subordonnés une hésitation dans leur obéissance, néfaste le plus souvent à l'intérêt commun. Toute discussion qui tend à affaiblir l'autorité du chef affaiblit par le fait même le groupe qu'il a mission de conduire.

Nous subissons actuellement une véritable crise de l'autorité, fruit d'un ébranlement systématique des forces morales du pays.

Nous l'avons déjà marqué : toute autorité vient de Dieu. Qui essaye de saper Dieu dans l'âme d'un peuple ruine par le fait même le fondement de toute autorité. «Ni Dieu, ni maître» ; les deux négations, vont ensemble : «ni maître» est la conséquence légitime du «ni Dieu». C'est ainsi que, le principe de l'autorité étant affaibli, beaucoup en sont arrivés à considérer la discipline comme une contrainte injustifiée, imposée du dehors à l'épanouissement de leur «moi», et l'obéissance comme une diminution de leur personnalité. À les entendre, celle-ci se grandirait à discuter tout supérieur et à n'accorder leur adhésion qu'à qui leur plaît et dans la mesure jugée bonne par leur libre arbitre, leur caprice ou leur fantaisie.

«La discipline, disait Brunetière dans sa célèbre conférence du 26 avril 1899 sur la Nation et l'Armée, c'est l'apprentissage de la solidarité».

Tout homme, en effet, est l'élément d'un ensemble, le membre d'un corps, le joueur d'une équipe. Et quand, pour jouer un jeu personnel, il se dérobe à la règle du jeu ou à l'autorité du capitaine, c'est l'équipe toute entière qui en est la victime.

L'obéissance, loin d'abaisser l'homme, l'élève, car elle lui permet de servir efficacement à sa place la communauté humaine dont il fait partie. Et quand cet homme est un chef, quel que soit son échelon dans la hiérarchie, elle le grandit en le faisant apparaître comme le détenteur de cette parcelle d'autorité qu'il a reçue du supérieur, au nom de qui il peut d'autant mieux commander que de par son obéissance il ne fait qu'un avec lui.

Réflexions personnelles

1) Avez-vous compris que manquer de discipline vis-à-vis de vos chefs ou vis-à-vis d'une règle est le plus sûr moyen de perdre votre autorité vis-à-vis de vos subordonnés?

2) Êtes-vous capable d'obéir loyalement à un ordre qui vous gêne ou qui ne correspond pas avec vos conceptions?

3) Obéissez-vous parce que le chef vous plaît? parce que l'homme vous convient? par crainte d'une sanction? ou parce que, membre d'un tout, l'exécution loyale d'un ordre particulier donné par l'autorité responsable est nécessaire à l'ordre général?

4) Quand vous faites exécuter un ordre donné par l'autorité supérieure, vous contentez-vous de le transmettre avec plus ou moins de désintéressement ou le prenez-vous à votre compte, faisant corps avec votre chef?

5) Avez-vous le souci de l'exactitude? Êtes-vous ponctuel aux rendez-vous fixés ; arrivez-vous à l'heure aux repas ; remettez-vous au temps promis un travail demandé?

6) Avez-vous compris que si l'on manque de discipline, c'est souvent parce qu'on ne sait pas renoncer à ses aises, à son orgueil ou à sa paresse?

7) Êtes-vous capable de vous imposer une règle de vie et de vous y conformer?

Exercice

Efforcez-vous d'assurer pendant une semaine une obéissance totale, rapide et joyeuse aux ordres reçus ou au règlement que vous vous êtes fixé. Au besoin, précisez-vous un certain nombre de points sur lesquels vous vous examinerez chaque soir.

Sujet de conversation

En quel sens peut-on dire que l'art de commander c'est d'abord l'art d'obéir?

Livre de la semaine

Maurois, «Dialogues sur le commandement» (Grasset).

Pensée

«Rien ne convainc du bienfait de l'obéissance comme l'exercice du pouvoir et les hommes les plus indisciplinés prennent le sens de l'ordre à mesure que l'autorité passe en leurs mains.» (Fayol)


Leçon 9: Dignité

Dans le code d'honneur du fonctionnaire chrétien, publié le 15 septembre 1943, on lit le commandement suivant - article IIIe : «Insère-toi librement dans l'équipe de tes chefs, de tes collègues, de tes sous-ordres: Joyeusement, travaille avec eux dans une atmosphère d'estime, de respect et de confiance réciproques. Envers tes supérieurs, montre-toi déférent sans flatterie, zélé sans ostentation, franc et courageux dans tes opinions.»

Le respect et l'esprit de discipline à l'égard de ses supérieurs sont du devoir d'un vrai chef. La platitude, l'obséquiosité, jamais!

N'est-il pas à remarquer d'ailleurs que ceux qui témoignent un empressement exagéré auprès de leurs maîtres sont souvent d'une dureté et d'une exigence outrancières vis-à-vis de leurs propres subordonnés? Combien cela est opposé à la véritable conception du chef qui, au service du bien commun, respecte toujours la dignité humaine, aussi bien dans sa personne que dans celle des autres, qu'ils soient ses supérieurs ou ses subordonnés.

Cette dignité sera d'ailleurs d'autant plus facile à garder que l'on aura fondé l'obéissance au-delà de la personne individuelle du chef.

Le docteur Simone Marcus, dans un livre assez original sur l'éducation, distingue deux raisons psychologiques d'obéir au chef : la première, dit-elle, est celle qu'on peut appeler la raison féminine : «On obéit au chef parce qu'on l'aime, parce qu'il inspire confiance, parce qu'il sait enthousiasmer», en un mot parce qu'il a l'art de nous plaire. La seconde serait plus proprement masculine. On obéit au chef à cause de son mandat : il représente l'autorité de Dieu ; à cause de son rôle nécessaire : il coordonne les efforts du groupe humain en vue d'une mission déterminée.

Dans la pratique, les deux raisons ne sont pas incompatibles. Il est même désirable à bien des points de vue que les deux éléments puissent jouer.

Ce qu'il y a à retenir, c'est que le deuxième doit toujours primer le premier, car si des hommes ne suivent le chef qu'autant qu'ils l'admirent et qu'ils sont captivés par sa personnalité, il y a d'abord danger qu'ils cessent de lui obéir le jour où, pour une cause quelconque indépendante de sa volonté, le chef a cessé d'être populaire. Il peut y avoir aussi l'écueil d'un certain asservissement de la personnalité qui aboutit à faire des inquiets et des instables, toujours en quête d'un meneur qui soit leur héros, et les dispense d'être des hommes.

C'est une question de dignité pour chacun, à tous les échelons de la hiérarchie, que dans l'accomplissement de sa fonction, un chef soit obéi sans qu'il ait à user chaque fois de persuasion et d'arguments personnels.

Réflexions personnelles

1) Votre attitude envers vos supérieurs est-elle différente selon qu'ils vous sont présents: ou absents? Si oui, à quelles causes attribuez-vous ce décalage?

2) Avez-vous en horreur la flatterie à l'égard des supérieurs et d'une manière générale tout ce qui sent de près ou de loin la manœuvre?

3) Avez-vous compris que la discipline du chef vis-à-vis de son propre supérieur ne pouvait être celle d'un simple exécutant sans responsabilité et qu'il pouvait parfois se trouver des cas où le chef devait au bien commun d'alerter respectueusement son supérieur sur telle ou telle répercussion que, faute d'éléments suffisants, celui-ci n'avait pu prévoir, étant bien entendu d'ailleurs que si, une fois éclairé, le supérieur maintenait l'ordre, la soumission serait aussi loyale que totale?

Avez-vous compris que l'obéissance, ce n'est pas exécution mécanique ou soumission passive, mais collaboration active et communion profonde à l'idée directrice du chef?

Exercice

Efforcez-vous d'avoir vis-à-vis de vos chefs l'attitude digne et loyale que vous souhaitez trouver chez vos subordonnés à votre égard.

Sujets de conversation

1) Quels dangers y a-t-il à se sentir intimidé, paralysé, inhibé devant un supérieur? Comment réagir sans manquer au respect qui lui est dû?

2) D'où vient que ce sont souvent les chefs les plus obséquieux devant leurs supérieurs qui sont ensuite les plus tyranniques vis-à-vis de leurs subordonnés?

3) En quoi la flatterie vis-à-vis du supérieur est-elle dangereuse :

1) pour celui qui la fait. 2) pour celui qui la reçoit. 3) pour ceux qui dépendent d'eux.

4) Pourquoi est-il plus conforme à la dignité humaine d'obéir à un homme parce qu'il est le chef, que parce que cet homme a le don de vous plaire?

5) Pourquoi est-il vrai de dire que l'exécution aveugle et inintelligente d'un ordre est souvent la manière la plus perfide de desservir un chef et de dénaturer sa pensée?

6) Citez des cas où la désobéissance à la lettre peut être obéissance à l'esprit.

7) Montrez comment l'obéissance bien comprise, loin de nuire à la dignité humaine, est pour elle cause d'épanouissement et d'enrichissement.

Livre de la semaine

Lyautey, «Rôle social de l'officier» (Plon).

Pensée

«La récompense du capitaine n'est pas dans les notes du commandant, mais dans le regard de ses hommes.» (Larrouy)


Leçon 10: Esprit de coordination

Un chef n'a pas que des supérieurs ou des inférieurs.

Dans un organisme tant soit peu développé, il a des égaux qui, selon les professions, s'appelleront collègues ou confrères.

Chargés eux aussi d'un service ou d'une tâche analogue, ils ont à contribuer chacun pour leur part au bien de l'ensemble.

La difficulté, c'est d'assurer entre tous les efforts une bonne coordination, car chacun, préoccupé de sa mission propre, est tenté de la réaliser pour elle-même, sans tenir compte de la marche des autres. Il peut en résulter des décalages gravement préjudiciables à tous et particulièrement à l'efficience de l'œuvre commune.

Cela se vérifie dans toutes les formes de l'activité humaine.

Sur le plan militaire, le manque de liaison entre les différentes armes et, dans la même arme, entre les différentes unités, grandes ou petites, est une des causes les plus immanquables de défaite.

Dans une usine, s'il y a cloison étanche entre le service des commandes, la fabrication et les expéditions, on risque de créer l'embouteillage, de multiplier les retards et de mécontenter la clientèle.

Dans le domaine scolaire, quand les différents professeurs d'une même classe ne se sont pas entendus pour échelonner judicieusement les devoirs que doivent leur fournir leurs élèves, ceux-ci ne savent plus où donner de la tête et finissent par tout bâcler.

À la vérité, le problème de la coordination n'est pas toujours facile à résoudre. Chacun, en effet, a tendance à ne voir que son rayon et à estimer que son secteur est le plus important de tous.

D'autre part, plus les chefs sont des personnalités fortes, plus ils sont enclins à minimiser le service de leurs collègues. De là à l'ignorer, il n'y a qu'un pas, mais n'est-il pas vrai que dans la pratique, il est souvent franchi?

Cela demande un réel effort de se tenir en relation avec les voisins, de maintenir l'alignement avec eux, de synchroniser ou tout au moins, d'harmoniser les mouvements avec les leurs.

C'est là où il faut l'esprit de synthèse qui, au-delà des intérêts immédiats du service, maintienne en vue le bien supérieur de l'ensemble.

C'est là aussi où pour que les engrenages s'embrayent bien les uns dans les autres, en douceur et sans grincement, il faut les gouttes d'huile de la compréhension mutuelle et de la cordialité.

Réflexions personnelles

1) Avez-vous naturellement le souci de vos voisins : le souci négatif de ne pas les gêner, le souci positif de leur venir volontiers en aide s'ils ont besoin de vous?

2) Aimez-vous travailler en équipe ou préférez-vous agir seul?

3) Aimez-vous concerter votre action avec d'autres ou préférez-vous garder pour vous le secret de vos idées et de vos découvertes?

4) Quand vous lisez un livre ou un article de revue, aimez-vous signaler à d'autres les passages intéressants?

5) Considérez-vous les autres comme des étrangers qu'il faut ignorer, des rivaux dont il faut se défier, ou des collègues avec qui il faut collaborer au service d'une belle entreprise à réaliser ensemble?

6) Avez-vous tendance à limiter votre horizon à ce qui vous est propre ou cherchez-vous à rattacher votre action à un plan supérieur?

7) Dans une conversation, qu'est-ce qui vous paraît le plus important, ce que vous dites, ou ce que disent les autres?

8) Dans une photographie de groupe, qui cherchez-vous d'abord?

Exercice

Chaque jour de cette semaine, efforcez-vous de manifester votre intérêt à un travail exécuté par quelqu'un d'autre que vous.

Sujet de conversation

Cherchez ensemble une définition de l'équipe.

Livre de la semaine

Lamarand, «Rôle social de l'ingénieur» (Desclée).

Pensée

«La valeur d'un groupe dépend évidemment de la valeur individuelle des êtres qui le composent, mais plus encore de la puissance de cet impondérable qu'on appelle la force de cohésion.» (CASTELNAU)


Leçon 11: Esprit de compréhension

Pour qu'une équipe de chefs puisse faire œuvre féconde, il faut qu'il y ait entre eux concordance des esprits et des volontés.

Là où il n'y a pas entente un malaise en résulte, dont toute l'œuvre pâtit. Le plus grave, c'est que les subordonnés finissent par s'en apercevoir et, alors, le malaise ne fait que s'accentuer. Car de deux choses l'une; ou ils prennent parti pour l'un des chefs contre les autres, et renforcent ainsi son opposition, au risque de compromettre tout apaisement ; ou bien, perdant confiance dans leurs chefs incapables de s'entendre, ils les englobent dans un même mépris.

On voit que la question est grave. N'ayons toutefois pas la naïveté de croire qu'il soit toujours facile de s'entendre avec des chefs voisins. Par définition, tout chef doit être un caractère, et plus les caractères sont tranchés, plus aussi ils peuvent être tranchants.

D'autre part, tout chef a des intérêts à défendre qui peuvent être contradictoires avec ceux de ses collègues.

C'est pourquoi il faut qu'il y ait, de part et d'autre, volonté loyalement entretenue de compréhension mutuelle. Chacun doit s'efforcer de dominer son point de vue particulier. Bien souvent, lorsqu'on se met à la place de son collègue, on comprend mieux sa position et on trouve également de meilleurs arguments pour défendre la sienne, si elle est réellement défendable.

L'essentiel, c'est que chacun soit décidé à ne pas laisser s'envenimer des malentendus qui, avec le temps, finiraient par créer une véritable psychose de mésentente «a priori».

Que de fois d'ailleurs, en creusant un peu les choses, on s'aperçoit que ce qui divise les hommes, c'est moins une question de fond qu'une question de forme. Il suffit parfois d'une explication loyale et d'un rappel des dénominateurs communs pour dissiper les équivoques et mettre les choses au point.

Ce qui importe, c'est de part et d'autre la plus grande loyauté - le mensonge est corrosif et dissolvant - en même temps qu'une large ouverture d'esprit. À cette condition l'union des chefs est assurée, et l'union des chefs, c'est la force des entreprises.

Réflexions personnelles

1) Est-ce que vous vous mettez facilement à la place des autres?

2) Dans ceux qui vous entourent, vous efforcez-vous de voir les qualités plus que les défauts?

3) Acceptez-vous facilement que tout le monde ne pense point comme vous?

4) La contradiction est-elle pour vous un stimulant ou un sujet de découragement?

5) Dans une discussion, vous efforcez-vous d'abord de bien comprendre le point de vue de la partie adverse?

6) Quand on vous oppose un principe que vous estimez faux, vous efforcez-vous de découvrir et de mettre en relief la parcelle de vérité que contient cette erreur?

7) Vous efforcez-vous de donner aux autres l'impression que vous avez le souci de leur dignité, le sentiment de leur valeur, le désir sincère de leur succès?

8) N'avez-vous pas remarqué que la jalousie, l'irritation, le sauvagisme dans une équipe, sont autant de réactions de défense contre la tendance d'un des membres de l'équipe de vouloir tout accaparer à son profit aux dépens des autres, qu'il écrase, consciemment ou inconsciemment, de sa supériorité?

9) Avez-vous l'habitude des jugements autoritaires sans appel?

10) Votre ton de voix n'est-il pas trop tranchant? Fermer la bouche de quelqu'un, c'est souvent aussi se fermer son cœur.

Exercice

Essayez cette semaine de vous mettre à la place des autres et de juger les choses de leur point de vue.

Sujet de conversation

La vie d'équipe, loin d'être une diminution de la personnalité de chacun, est un enrichissement et un épanouissement pour chacun des membres de l'équipe.

Précisez à quelles conditions un semblable résultat peut être obtenu.

Livre de la semaine

Garric, «Albert de Mun» (Flammarion).

Pensée

«Ni se lamenter, ni s'indigner, mais comprendre.» (SAINT AUGUSTIN)


Leçon 12: Cordialité

Rien ne facilite mieux la compréhension et la coordination entre chefs de service qu'une bonne et franche cordialité. C'est la goutte d'huile qui empêche les rouages de se gripper ; c'est le rayon de soleil qui transfigure les grisailles de la vie monotone ; c'est le tonique - ne dit-on pas le «cordial» - qui réconforte aux heures périlleuses et rend plus agréable ou plus aisée une tâche difficile ou pénible.

Que personne ne se flatte de pouvoir s'en passer! On a beau serrer les dents ou se durcir le masque : nous avons tous un cœur Et s'il faut être assez fort pour accomplir loyalement sa tâche contre vents et marées, quelle que soit l'épaisseur de la couche d'indifférence ou de dédain qui embrume notre action, il ne faut pas être assez fou pour préférer un tel climat de brouillard à une atmosphère joyeuse, ou tout au moins sereine dans les rapports confraternels.

Cette cordialité est d'autant plus nécessaire que l'on est davantage surchargé de travail et davantage en difficulté pour prendre le temps de nous informer longuement.

Savoir que l'on se soutient mutuellement, même quand on n'a pas le temps de se le dire, qu'«a priori» les initiatives sont prises en bonne part, qu'aucun sentiment de jalousie ne viendra ternir intention et réputation, que les explications nécessaires seront demandées et fournies loyalement en vue du succès commun ; savoir surtout qu'en cas de coup dur on trouvera toujours l'appui d'un bras secourable ; cela constitue une sécurité dans l'action qui mérite bien, de part et d'autre, quelques efforts de caractère et même quelques sacrifices d'amour-propre.

Ce serait, en effet, une erreur de croire que la cordialité entre collègues est habituellement le fruit d'une génération spontanée. L'expérience prouve que plus on a à travailler en commun, plus il faut être fidèle à toutes les délicatesses de la plus parfaite courtoisie, que la confiance comme l'amitié ne se commande pas mais se mérite, que la sympathie est un sentiment que l'on recueille d'autant plus sûrement qu'on le sème plus généreusement autour de soi.

Pourquoi cet air dur, ce visage fermé, cet œil soupçonneux, ce ton agressif pour vous adresser à ce collègue? Pourquoi ce sourire ironique, cette joie sadique de le trouver en défaut ou de souligner sa faute?

De grâce, aimeriez-vous qu'on vous traitât ainsi? Tout est-il donc si parfait en vous et chez vous que vous vous sentiez le droit de jouer au redresseur de torts et à l'enleveur de paille dans l'œil de vos voisins? Étonnez-vous après cela que vous soyez discuté et tenu à l'écart!

Il est tellement plus agréable et, disons le mot, plus efficient de travailler dans une atmosphère de bonne humeur et de confiance :

- savoir excuser, aider à réparer une bévue, à atténuer les conséquences d'une erreur, - être heureux d'avoir à rendre service, avoir aussi le bon esprit de fournir l'occasion d'en recevoir, relater d'un mot discret mais sincère le mérite ou le succès d'autrui, - rappeler à propos l'auteur d'une bonne idée ou d'une initiative heureuse, se réunir parfois en dehors du service et là, loin de toute préoccupation immédiate de travail, «s'esbaudir» ensemble dans une atmosphère de joyeuse détente,

autant d'excellents moyens de favoriser cette bienfaisante cordialité des relations entre les chefs.

Mais tout cela n'est possible et même n'est efficace que s'il y a de part et d'autre volonté délibérée de s'entendre à tout prix pour le plus grand bien de l'œuvre commune.

Réflexions personnelles

1) Avez-vous habituellement un visage ouvert ou fermé?

2) Êtes-vous en général avec vos camarades distant ou accueillant?

3) Avez-vous facilement le mot pour rire? Savez-vous plaisanter à propos et sans blesser?

4) Quand on vous dérange, avez-vous l'air bougon?

5) Quand le téléphone vous appelle, répondez-vous sans marquer d'impatience?

6) Acceptez-vous volontiers de rendre service, même quand cela vous gêne?

7) Avez-vous habituellement le souci d'être agréable à ceux qui vous entourent?

8) Quand vous êtes dans l'obligation de refuser un service, le faites-vous de telle manière que l'on comprend bien votre peine sincère de ne pouvoir le rendre?

9) Quand un incident fâcheux est survenu avec un de vos collègues, avez-vous le désir d'arranger cela, ou préférez-vous vous draper dans votre dignité et garder une attitude distante ou boudeuse?

10) Êtes-vous exact, à l'occasion d'un succès ou d'un deuil d'un de vos camarades, à lui manifester sincèrement votre sympathie?

10) Avez-vous compris que la revendication méticuleuse de tout votre dû en toutes circonstances finit par constituer pour votre entourage une attitude injurieuse : «Summum jus summa injuria»?

Exercices

1) Faites le total de vos camarades ou de vos collègues. Le nombre de ceux qui vous sont sympathiques est-il supérieur au total de ceux qui vous sont indifférents ou antipathiques?

2) Appliquez-vous à regarder avec bienveillance les gens auxquels vous avez affaire.

Sujets de conversation

1) Quels dangers représentent le manque de cordialité entre chefs?

2) Comment peut naître et grandir l'amitié entre chefs?

Livre de la semaine

Guy de Larigaudie, «Étoile au grand large» (Seuil).

Pensée

«Il est un bon moyen de se créer une âme amicale: le sourire. Tu veux faire à un camarade une critique que tu juges nécessaire, lui donner un conseil que tu crois utile? Critique, conseil, choses dures à avaler. Mais souris, compense la dureté des mots par l'affection de ton regard, le rire de tes lèvres, par toute ta physionomie joyeuse, et ta critique, ton conseil porteront mieux... parce qu'ils n'auront pas blessé.» (Guy de Laricaudie).


Leçon 13: Autorité

C'est le propre du chef d'ordonner, c'est-à-dire de créer de l'ordre et de l'unité en fixant la place de chacun et en lui précisant les directives qui lui permettront d'accomplir sa mission au service de l'ensemble.

Cela ne va pas sans difficultés, car toute réalisation comporte des efforts et même parfois des risques ; il faut obtenir chez les subordonnés un dépassement d'eux-mêmes et une application au travail qui vont à l'encontre de cette grande loi de paresse qui régit notre humaine nature, la loi du moindre effort.

C'est le rôle du chef de déterminer un climat de vaillance en faveur de la tâche commune de façon à ce que, spontanément, chacun y consacre le meilleur de lui-même. C'est là où l'on reconnaît le vrai chef, quand, sa seule présence ou même son souvenir latent suffisent à faire réaliser des progrès et des performances qu'on ne ferait pas tout seul.

Ce serait une erreur de croire d'ailleurs que les subordonnés apprécient chez leurs supérieurs la tolérance du laisser-aller ; même s'ils y trouvent quelque avantage et en profitent largement, ils qualifient volontiers cette carence defaiblesse coupable, car, à partir du moment où le désordre s'insinue dans une communauté humaine quelle qu'elle soit, la brèche ne fait que grandir et bientôt tout s'effondre, pour le grand dam de tous.

«Permettre à ses subordonnés la négligence et sacrifier l'œuvre à leurs aises ou même à leur paresse, n'a jamais valu au chef l'affection, mais seulement le mépris», écrivait avec juste raison Joseph Hours dans «Positions».

On n'a pas de goût au travail dans une entreprise où il n'y a pas de tête, où chacun fait ce que bon lui semble, où les horaires ne sont pas respectés; où règnent le gaspillage, le caprice, le désœuvrement, le mauvais esprit et finalement l'anarchie.

La fermeté du chef est une garantie et un encouragement pour l'équipier honnête et consciencieux ; elle est le meilleur antidote contre les tentations de ceux qu'au régiment on appelait les «carottiers» et les «tire-au-flanc», et qui se retrouvent aussi bien dans la vie civile que dans la vie militaire, dès que l'autorité tant soit peu se relâche.

Prévenir a toujours mieux valu que guérir. La réputation de vigueur dans le commandement vaut à la troupe l'économie de bien des incartades et aux officiers celle des répressions, tant est vraie cette loi de Lyautey : «Plus on sait qu'un chef est fort, moins il a à faire usage de sa force.»

Il est des hommes de qui émane un véritable fluide, une étonnante irradiation magnétique. Ils n'ont pas besoin de s'agiter et de multiplier les ordres : quelques directives, nettes et brèves et ils obtiennent immédiatement l'unanimité des volontés qui se tendent avec force et parfois avec enthousiasme vers le but proposé.

C'est là - question de tempérament et peut-être d'heureuse hérédité - un don précieux qui n'est pas accordé à tous, mais cela peut s'acquérir et se développer. Plus un homme est maître de lui-même, plus il se donne avec foi à l'œuvre entreprise, plus il aime profondément et pour eux-mêmes ceux qu'il a mission de conduire, plus son autorité morale grandit, qui, loin de briser les volontés, lui permet de les décupler au service de la tâche confiée.

Réflexions personnelles

1) Avez-vous bien compris que l'autorité ne consiste pas tant dans l'art de donner des ordres que dans celui de se faire obéir?

2) Êtes-vous bien fidèle à ne jamais donner d'ordres qui puissent trahir de la colère, de l'orgueil ou de l'arbitraire?

3) Avant de donner un ordre, vous assurez-vous qu'il est: (a) vraiment nécessaire? ; et (b) réalisable par ceux qui doivent l'exécuter?

4) Savez-vous tenir un juste milieu entre la peur de donner des ordres et la manie d'en donner à tort et à travers?

5) Êtes-vous de ces chefs qui mendient l'obéissance, cherchant à se faire pardonner leur grade, ou bien de ceux qui commandent avec arrogance, heureux de faire plier les autres devant eux?

6) Êtes-vous bien décidé à ne jamais commander par caprice, mais aussi à ne jamais laisser lettre morte un ordre que vous aurez légitimement donné?

7) Avez-vous bien compris qu'un chef n'a jamais le droit d'abdiquer son autorité et qu'il a le devoir de la faire respecter?

8) Un ordre doit être concis ; formulez-vous les vôtres en quelques mots simples, en formules vigoureuses et brèves qui ne laissent place à aucune échappatoire ou aucune incertitude?

9) Un ordre doit être précis. Pensez-vous, quand vous donnez un ordre, à désigner nommément celui qui sera responsable de son exécution?

10) Un ordre doit être compris ; pour vous en assurer, le faites-vous répéter par celui qui doit l'exécuter ou en assurer l'exécution?

Exercices

1) Plusieurs fois par jour, à propos de ce que vous avez à faire ou de ce que vous faites faire, reposez-vous la question cruciale de tout chef qui veut voir clair pour mieux se faire obéir: De quoi s'agit-il?

2) Imaginez une décision à prendre et rédigez, en une formule vigoureuse et brève, l'ordre à donner.

Sujet de conversation

Un chef ne fait respecter l'autorité qu'il représente que s'il se fait respecter. Il ne se fait respecter que dans la mesure d'abord où il est respectable.

À quelles conditions un chef est-il respectable?

Livre de la semaine

Wilbois, «La psychologie au service du chef d'entreprise» (Alcan)

Pensée

«Les hommes ne recherchent pas la complaisance d'une autorité faible; ils sont heureux de trouver quelqu'un qui soit fort et sur qui ils puissent s'appuyer ; la fermeté virile les rassure, la faiblesse complaisante les met en défiance et, finalement, les dégoûte.» (Lacordaire).


Leçon 14: Équité

Être juste, c'est la première qualité qu'un homme digne de ce nom réclame de celui qui a autorité sur lui.

Ce sentiment de justice est tellement inné au cœur de l'homme que toute injustice, même chez un chef aimé, le déçoit, le révolte et le cabre. Il comprendra qu'un supérieur soit exigeant, sévère même, mais il sera dérouté par une manœuvre déloyale ou un acte arbitraire, et s'il ne peut exprimer tout haut ce sentiment, il gardera au fond du cœur une blessure secrète, qui s'exhalera un jour ou l'autre en plainte amère, en rancœur tenace et peut-être en haine implacable.

Être juste, c'est distribuer éloges et blâmes avec discernement, c'est savoir reconnaître la bonne volonté de chacun, c'est aller au fond des choses et tenir compte, le cas échéant, des causes qui ont freiné l'effort de celui qui a fait de son mieux.

Être juste, c'est attribuer à qui de droit, même et surtout à un inférieur, le mérite de telle idée ingénieuse, c'est savoir faire loyalement la part du succès qui revient à chacun des collaborateurs.

La tentation est toujours grande pour un chef de revendiquer pour lui la paternité d'une solution heureuse trouvée par l'un de ses aides. C'est le débat de conscience du professeur Doutreval de «Corps et Âmes» de Van der Meersch, qui tait finalement le rôle prépondérant de son assistant Groix dans une découverte scientifique.

Être juste, c'est ne jamais faire de promesse qu'on ne soit en mesure de tenir, c'est rester impartial en toutes circonstances, sans jamais se laisser guider par ses sympathies, c'est accorder l'avancement d'après la valeur et les aptitudes éprouvées, et non d'après le poids des recommandations ou l'habileté dans l'art de flatter que pourrait posséder le candidat.

Être juste, c'est ne pas retirer d'une main ce qu'on accorde de l'autre, c'est respecter la hiérarchie que soi-même on a créée, c'est renforcer l'autorité de ceux qu'on a placés à la tête d'un service ou d'une section, et ne pas intervenir dans leur rayon sans passer par eux.

Être juste, c'est reconnaître loyalement son erreur ou sa faute, et ne pas chercher à la faire retomber sur autrui, encore moins la rejeter sur un subalterne qui n'a fait qu'exécuter de son mieux et avec les moyens dont il disposait des ordres imprécis ou incomplets.

Être juste enfin, c'est apporter dans l'exercice de sa mission une droiture irréprochable, qui fait plus pour assurer l'ascendant moral sur une collectivité que l'usage de tous les artifices du commandement.

Parmi tous nos rois, saint Louis est resté dans l'histoire le type le plus achevé du vrai chef. En quelques années - n'oublions pas qu'il est mort, à 44 ans - il a conquis un tel prestige qu'il mérita d'être appelé la «conscience de l'Europe», et malgré ses défaites en Égypte, il a produit sur les musulmans une telle impression qu'on peut faire remonter jusqu'à lui l'influence séculaire de la France, en Orient.

À quoi tient un tel prestige? Avant tout, à son parfait esprit de justice, reposant sur une loyauté totale. Elle fut souvent courageuse car elle allait, en bien des circonstances, à l'encontre des mœurs de l'époque, par exemple quand il rendit à Henri III d'Angleterre le Limousin et le Périgord, quand il obligea messire de Nemours à restituer aux Sarrasins les dix mille livres qu'on avait astucieusement réussi à détourner au moment du paiement de la rançon promise.

Et saint Louis restera dans la mémoire des peuples le roi qui, sans acception de personne, rendait la justice sous le chêne de Vincennes.

Plus un chef a d'autorité, plus il doit craindre d'en abuser. Le moindre arbitraire peut avoir des conséquences redoutables pour le moral de ceux qui dépendent de lui. Ce serait le déshonneur du chef que de condamner ses inférieurs à la duplicité parce que lui-même n'aurait point agi avec droiture.

En un mot, le chef doit se faire des réflexes d'équité, c'est non seulement son propre prestige, mais celui de l'idée d'autorité qui est en jeu.

Réflexions personnelles

1) L'injustice qui ne vous atteint pas personnellement vous laisse-t-elle indifférent? Prenez-vous facilement parti pour la victime d'une injustice?

2) Vous laissez-vous influencer dans vos impressions par des préjugés de classe, de race ou de famille? Vis-à-vis des humbles, des petits, des domestiques, des fournisseurs, votre attitude est-elle naturellement bienveillante ou arrogante?

3) Aimez-vous mettre en relief les mérites de vos collègues ou de vos collaborateurs?

4) Vous arrive-t-il de vous attribuer les idées des autres? Avez-vous en toutes choses un souci d'objectivité?

5) N'avez-vous pas tendance à interpréter les événements à votre façon pour renforcer votre point de vue ou votre thèse?

6) Avez-vous horreur du mensonge et du bluff?

7) Pensez-vous que souffler une leçon, copier une composition, constituent des mœurs à réprouver qui marquent la décadence de l'esprit français?

8) Vous faites-vous scrupule de rapporter dans leur teneur fidèle les propos qu'on vous a tenus?

9) Quand vous avez émis un jugement ou donné un renseignement qui s'avère inexact, reconnaissez-vous facilement que vous vous êtes trompé, et vous faites-vous, un point d'honneur d'effectuer vous-même la rectification?

10) Tenez-vous , fidèlement les promesses que vous avez faites? Vous considérez-vous comme lié par votre parole?

11) Vous arrive-t-il d'excuser facilement une faute chez vous-même et d'être impitoyable pour la même faute chez l'un de vos inférieurs?

12) Quand vous avez commis une erreur, acceptez-vous d'en prendre la responsabilité ou cherchez-vous à vous en excuser en la faisant retomber sur autrui?

Exercice

Ayez le souci pendant huit jours de nuancer tous vos jugements, de leur accorder un coefficient de valeur, par exemple de n'affirmer pour certain que ce dont vous êtes sûr.

Sujet de conversation

Que pensez-vous de ce vieil adage français : «La meilleure façon d'être adroit, c'est d'être droit»?

L'illustrer par des exemples concrets.

Livre de la semaine

Colette Yver, «Saint Louis» (Spes).

Pensée

«Pour justice et droiture garder, sois raide et loyal envers tes sujets, sans tourner ni à droite ni à gauche, mais toujours droit.» (SAINT LOUIS)


Leçon 15: Tact

Un chef ne doit jamais perdre de vue ce principe : ceux qu'il commande ne sont pas des machines mais des hommes, avec tout ce que comportent de fierté, de sensibilité, de susceptibilité aussi, ces simples mots : des hommes.

Ces hommes, il les lui faut connaître d'abord par leur nom de famille certes, mais plus encore par leur nom d'âme, les connaître non à travers les feuilles d'un répertoire ou les fiches d'un dossier, mais par un contact personnel.

Tous les vrais chefs ont ardemment désiré le «contact» avec leurs hommes. Sans remonter à Haroun Al-Raschid, - le célèbre calife qui aimait à se promener incognito dans Bagdad, pour mieux connaître les aspirations de ses sujets et l'effet de ses ordonnances, rappelez-vous Lyautey, qui avait la phobie du travail en vase clos et recherchait avidement toutes les occasions de «rencontres en plein vent», pour capter, comme à la source, les réactions vraies de ses gouvernés à tous les échelons de la hiérarchie.

Le contact personnel facilite tellement la compréhension mutuelle. Mais attention! s'il est vrai de dire qu'il n'y a pas de tact sans contact, il peut malheureusement y avoir contact sans tact. Et c'est ici qu'il faut que le chef possède et développe en lui ce doigté, disons mieux ce sens de l'humain, qui lui permette d'approcher sans heurter, de toucher sans froisser, de convaincre sans violenter, de commander sans humilier.

Tout peut y contribuer, le regard, le ton de voix, le geste, le port de tête, mais plus encore les sentiments intérieurs, qui influent à notre insu sur notre comportement extérieur.

Quel que soit le niveau social de ceux qu'un chef a sous ses ordres, il ne doit jamais oublier qu'ils ne sont pas ses serviteurs à lui, mais, à leur rang, les serviteurs avec lui d'une entreprise, d'un idéal, d'une cause qui les dépasse ensemble.

Il y a là une nuance qui, si elle est bien comprise, influera sur les rapports du chef avec ses collaborateurs.

Ainsi, rien n'est plus contraire à l'attitude du vrai chef que de sembler triompher lorsqu'on a trouvé un inférieur en défaut, que de manifester une joie maligne à rectifier une erreur, à relever un oubli, à souligner une insuffisance, et que de se montrer sottement heureux d'avoir l'occasion de donner une «bonne» leçon.

Un chef qui a du tact veille avec grand soin à ne jamais vexer. S'il peut être de son devoir d'intervenir, de réprimander, de prendre même des sanctions, il le fait toujours avec calme, en n'abusant jamais de la situation et en respectant la dignité humaine du responsable. Il se garde de toute brimade, de toute brusquerie. Il se défie en particulier de l'ironie qui, tolérable et parfois même tonifiante entre égaux, peut, de supérieur à inférieur, causer des blessures douloureuses qui ne seront peut-être jamais cicatrisées.

Un chef a le droit d'être un homme d'esprit, mais il a encore plus le devoir d'être un homme de cœur

Et c'est parce qu'il est un homme de cœur qu'il sait reconnaître un effort, dire au bon moment une parole d'encouragement, souligner délicatement un progrès ou une réussite. De cette manière d'ailleurs, il fait plus pour remonter un découragé ou entraîner un indécis que par des critiques acerbes ou d'incessantes gronderies.

Il a le souci de confier ou de faire confier de plus hautes responsabilités à ceux qui en sont capables et dignes. Dans le cadre des responsabilités échues, il respecte les personnalités et favorise l'esprit d'initiative, heureux de donner à chacun l'occasion de mettre en valeur ses aptitudes au service du bien commun.

N'est-ce pas en s'appliquant à découvrir ce qu'il y a de meilleur en lui et en y faisant appel qu'on amène un homme à se valoriser et à fournir son maximum d'efficience?

Un chef qui a du tact crée ainsi autour de lui un climat de joie et de confiance, où chacun est stimulé à donner toute sa mesure.

C'est même à ce signe qu'on le reconnait : près de lui, parce qu'il a le «sens de l'homme», on se sent devenir plus homme, au meilleur sens du mot.

Réflexions personnelles

  1. Avez-vous le souci de traiter avec égards tous ceux qui vous entourent?
  2. Considérez-vous que la politesse du langage et des manières sied à un chef?
  3. Croyez-vous qu'un chef a plus d'autorité et de popularité en prenant un genre vulgaire et un parler grossier?
  4. Êtes-vous heureux d'avoir pu humilier quelqu'un, même si ce quelqu'un le méritait?
  5. Vous arrive-t-il souvent de plaisanter sur le compte des autres? Si oui, soyez prudent ; plus on a d'autorité, plus les piqûres d'épingles peuvent être mortelles.
  6. Pensez-vous quelquefois à complimenter ou à encourager sincèrement les autres quand ils ont fait quelque chose de bien, ou vous contentez-vous de dire, avec une moue dédaigneuse : «Après tout, ils n'ont fait que leur devoir»?
  7. Attachez-vous une grande importance à connaître, à prononcer et à écrire correctement le nom des hommes auxquels vous avez affaire?

Exercice

Avant de dire quelque chose à quelqu'un «essayez sur votre cœur» comme le recommandait Pascal, pour voir quelle impression vous ressentiriez si on vous le faisait à vous-même.

Sujet de conversation

1) Pourquoi une tournure d'esprit caustique peut-elle être dangereuse chez un chef?

2) Que pensez-vous du paternalisme? En quoi va-t-il contre le respect de la dignité humaine? Alors que les paternalistes sont souvent des gens de bonne foi, animés des meilleures intentions, ne voulant que le bonheur de leurs subordonnés, comment se fait-il qu'ils obtiennent des résultats diamétralement opposées à ce qu'ils escomptaient?

Livre de la semaine

Guitton, «Léon Harmel» (Spes).

Pensée

«La question sociale est avant tout une question d'égards.» (LÉON HARMEL)


Envoi

Si vous avez bien suivi les conseils marqués au début de ce livre, voici plus de trois mois que vous avez, avec patience et ténacité, travaillé à vous faire des réflexes de chef.

Mais ne croyez pas pour cela que votre formation soit terminée. Il y a une patine que seul donne le temps ; et rien ne saurait remplacer la pratique du commandement en pleine vie.

Avant de vous quitter, je vous laisse simplement trois ultimes pensées :

1) Le métier de chef est un métier difficile; 2) Le métier de chef est un métier rude ; 3) Le métier de chef est un beau métier.

Le métier de chef est un métier difficile : vous avez encore beaucoup à apprendre ; il y a une psychologie du commandement qui ne se trouve pas dans les livres et que seule peut apporter l'expérience personnelle. Soyez humble et prudent, observez, demandez conseil. Ne croyez pas tout voir, tout avoir, tout savoir. Ne vous imaginez pas qu'avant vous on n'a rien fait et que tout va marcher comme par enchantement parce que vous arrivez. «C'est l'art le plus délicat que celui qui consiste à conduire des hommes» dit le proverbe. Vous vous en apercevrez vite!

Le métier de chef est un métier rude : on ne s'y appartient plus ; on appartient corps et âme aux autres et à la cause qu'il faut défendre, à la mission qu'il faut réaliser. On a parfois des coups durs, d'autant plus douloureux qu'ils peuvent venir de la part de ceux sur lesquels on croyait pouvoir s'appuyer. On touche du doigt, et d'une façon qui peut être à certaines heures dramatiques, l'étroite connexion entre l'autorité et la responsabilité. C'est un métier où les erreurs de manœuvre peuvent se payer cher.

Mais ayez confiance...

Le métier de chef est un beau métier : parce qu'il oblige celui qui est le détenteur d'une parcelle d'autorité de s'en rendre digne ; il est le haut service de vos frères en humanité ; il ne permet pas longtemps de rester médiocre et, pour peu que vous ayez du cœur, il vous amène à vous dépasser vous-même.

Croyez en ce métier et, quoi qu'il arrive, donnez-vous à fond. Prenez comme devise : Y croire - Y croire - Y croire. Ayez comme principe : Croire et Vouloir, c'est Pouvoir.

Grâce à vous, il y aura des hommes dont la vie aura été plus belle et plus féconde.

Grâce à vous, il y aura un peu plus de bonheur sur la terre et en tout cas, un peu plus d'idéal.

Dans l'accomplissement de votre mission si exigeante, tour à tour crucifiante et exaltante, pensez que vous n'êtes jamais seul ; pensez à Celui au nom de qui, finalement, vous avez reçu autorité, c'est-à-dire pouvoir de commander.

Aux heures sombres, demandez-Lui avec confiance sa lumière et sa force.

Aux heures lumineuses, faites monter vers Lui, avec allégresse, la joie de votre âme.

Comme Foch au soir du 11 novembre 1918 : «Non nobis, Domine, non nobis, sed nomini tuo da gloriam».

Au revoir, frère chef et... bon service!

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