L'archange saint Michel – 8 mai 1940 –
De Salve Regina
Magistère pontifical sur la famille - Discours aux jeunes époux | |
Auteur : | Pie XII |
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Date de publication originale : | 8 mai 1940 |
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Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
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Parmi la foule des saints qu'elle vénère, l'Eglise offre à ses fidèles des patrons pour leurs différents états et leurs différents âges. Vous le savez, chers jeunes époux ; mais vous serez peut-être surpris de Nous entendre aujourd'hui invoquer sur vous la protection de l'archange saint Michel, dont l'Eglise fête en ce jour l'apparition et pour qui vous n'éprouvez peut-être, de prime abord, que des sentiments de crainte respectueuse. L'iconographie le représente sous les traits sévères d'un guerrier atterrant le démon. L'Ecriture Sainte le nomme un des premiers princes du ciel (Da 10, 13), le chef des milices angéliques qui luttent contre le dragon (Ap 12, 7). La liturgie lui donne la même attitude : descend-il du ciel, la mer s'agite et la terre tremble ; élève-t-il la croix du salut en étendard de victoire, il foudroie les esprits rebelles 2.
Mais plus encore que les autres créatures, l'homme et la femme qui quittent leurs père et mère (Gn 2, 24) pour entreprendre ensemble le mystérieux voyage de la vie, semblent avoir à craindre ce vengeur des droits de Dieu. A ce titre il leur rappelle presque instinctivement le chérubin armé d'une épée de feu qui chasse du paradis terrestre le premier couple humain (Gn 3, 24).
Et pourtant les raisons de confiance et d'espérance l'emportent sur les motifs de crainte. A l'heure même de la tragédie initiale de l'humanité, tandis que nos premiers parents s'éloignaient du nuage sombre et froid de l'anathème, une nuée légère pareille à celle que devait voir un jour le prophète Elie (III Rois, 18, 44), apparaissait à l'horizon et annonçait la rosée bienfaisante des grands pardons : Michel, avec la milice des anges fidèles, entrevoyait la merveille de l'Incarnation divine et de la Rédemption du genre humain. Loin d'envier aux hommes, comme l'orgueilleux Lucifer, l'honneur de l'union hypostatique, il obéit — selon son nom et sa devise : Quis ut Deus ? « Qui est pareil à Dieu ? » — au Seigneur qui n'a pas d'égal à Lui-même, et il adora avec tous les bons anges le Verbe incarné (He 1, 6). Ainsi il n'a jamais cessé d'aimer les hommes, pour lesquels il éprouve une affection pour ainsi dire fraternelle ; et plus Satan s'efforce de les précipiter dans la géhenne, plus l'archange travaille à les reconduire au paradis perdu.
Introduire les âmes auprès de Dieu dans la gloire céleste, c'est une tâche que la liturgie et la tradition attribuent à saint Michel. « Voilà, dit en la fête d'aujourd'hui l'office divin, l'archange Michel, prince de la milice angélique ; son culte est une source de bienfaits pour les peuples et sa prière conduit au royaume des cieux. » « L'archange Michel arrive avec une multitude d'anges ; Dieu l'a chargé de conduire les âmes des saints à la joie du paradis »1. Et à l'offertoire de la messe pour les défunts, l'Eglise prie : « Que ces âmes ne tombent pas dans les ténèbres, mais que le porte-enseigne saint Michel les introduise dans la lumière sainte. » Mais n'allez pas croire que ce « Prévôt du Paradis » que Dieu a constitué prince de toutes les âmes prédestinées — constitui te principem super omnes animas suscipiendas2 — attende l'heure du suprême passage pour manifester sa bonté aux hommes. Combien, chers époux, vous devez apprécier sa protection et son aide pour accueillir en ce monde les âmes auxquelles, dans la docilité aux lois du Créateur, vous préparez une demeure corporelle ! Loin de se borner à cette première aide, saint Michel vous soutiendra tout au cours de votre mission de parents et il prendra soin de vous et de vos enfants.
C'est une très ancienne pratique de piété5 que d'invoquer le grand archange comme protecteur de la santé et patron des malades. En venant ici vous avez tous pu voir sa statue de bronze au sommet du château Saint-Ange, auquel il a donné son nom. Saint Michel semble veiller sur la vie et la santé des Romains et leur rappeler comment, suivant une tradition, alors qu'en 590 la peste désolait la Ville éternelle et que saint Grégoire le Grand conduisait le clergé et le peuple en procession pour obtenir de Dieu la cessation du fléau, le saint Pontife vit apparaître sur le monument d'Adrien saint Michel remettant son glaive au fourreau en signe de pardon divin3. Pour vous, chers fils et filles, qui avec les joies entrevoyez déjà les devoirs et les soucis de la famille, demandez à saint Michel d'éloigner de vos familles les angoisses que causent dans le cœur des parents la santé précaire des enfants, leurs crises de croissance ou les maladies.
L'ombre bienfaisante du château Saint-Ange s'étend du reste au-delà de Rome. Saint Michel, assez puissant pour secourir le monde entier, semble accorder une protection spéciale aux fils de notre chère Italie, comme le rappelle précisément la fête que nous célébrons aujourd'hui. Environ cent ans avant la peste de Rome, saint Michel, nous raconte le Bréviaire Romain, apparut sur le mont Gargano4, et cette apparition miraculeuse fit comprendre que l'archange prenait ce lieu sous sa protection particulière et en même temps qu'il voulait qu'on y rendît, en son honneur et en celui des anges, un culte à Dieu. Mais l'Eglise invoque l'archange surtout comme protecteur de la vie des âmes, autrement précieuse que celle du corps et toujours menacée par le contact du mal. L'Eglise a l'assurance inébranlable que les puissances de l'enfer ne prévaudront point contre elle (Mt 16, 18). Mais elle sait aussi que la vie chrétienne des individus et des peuples ne se conserve que par l'aide de Dieu, qui a les anges pour ministres (Ps., ciii, 4). D'où la prière que le prêtre fait à la fin de la messe avec les fidèles : « Saint Michel archange, défendez-nous dans le combat... Repoussez en enfer Satan et les autres esprits malins qui rôdent dans le monde pour la perte des âmes ».
Rarement cette prière fut plus urgente qu'à l'heure actuelle. Empoisonné par le mensonge et la déloyauté, frappé par les excès de la violence, le monde a perdu la paix, la santé morale et la joie. Si, à la suite du péché originel, la terre ne peut être un paradis, du moins elle pourrait et devrait rester un séjour de concorde fraternelle entre les hommes et les peuples. Bien au contraire, l'incendie de la guerre fait rage en beaucoup de nations et menace d'en envahir d'autres. Notre cœur s'émeut particulièrement pour vous, chers fils et filles, et pour tant d'autres jeunes époux de tous pays qui ont uni leurs destinées en ce tragique printemps. Comment voir, sans un frémissement d'horreur, le spectre terrible de la guerre se profiler, ne fût-ce que de loin, sur ces jeunes foyers où sourit l'espérance ? Mais si aujourd'hui les forces humaines semblent incapables de rétablir une paix juste, loyale et durable, les hommes peuvent toujours solliciter l'intervention de Dieu.
Entre les hommes et Dieu, le Seigneur a placé comme Médiatrice sa très douce Mère. Daigne « la Mère aimable », la « Vierge puissante », « l'Auxiliaire des chrétiens » invoquée avec plus de ferveur et d'angoisse tout le long de ce mois de mai — aujourd'hui spécialement sous le titre de Reine du Très Saint Rosaire de Pompéi — daigne Marie unir de nouveau sous le manteau de sa tendresse, dans la paix de son sourire, ses enfants si cruellement divisés. Daigne, comme le chante aujourd'hui l'Eglise dans la sainte liturgie, « l'ange de la paix, Michel, descendre du ciel dans nos foyers, et, messager de paix, reléguer en enfer les guerres, causes de tant de larmes ».