L'ordre d'Exorciste

De Salve Regina

Les sacrements
Auteur : Jean-Jacques Olier
Source : Traité des Saints Ordres
Date de publication originale : 1657

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Le fondateur de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, tout donné à la formation sacerdotale, nous explique ici les différents degrés du sacerdoce (ordres mineurs et majeurs), sur le plan théologique, liturgique et spirituel.

De l’ordre des Exorcistes

Pour bien comprendre l’excellence de cet ordre, il faut savoir que la bonté de Dieu choisit le prêtre pour le rendre comme l’abrégé de toutes ses communications et de ses plus grandes grâces, en le faisant participant de toutes les dignités de Jésus-Christ son Fils.

Jésus-Christ n’est pas seulement le trésorier de tous les biens de son Père, comme dit saint Paul[1] ; il n’est pas seulement le dépositaire de tous les trésors de Dieu et de la plénitude de la divinité : In ipso inhabitat omnis plenitudo divinitatis corporaliter[2]. Il n’est pas seulement l’ange du grand conseil et l’ambassadeur de Dieu ; mais il est encore le roi de toute créature : Factus est principatus super humerum ejus, Rex regum, et Dominus dominantium[3].

Il est le juge et le roi non seulement des hommes, mais aussi des démons ; car il leur commande si absolument, que sa seule présence les fait trembler. C’est ce que l’on voit dans les possédés, qui frémissent à la présence du Très Saint-Sacrement ; et au seul signe de croix, qui est le vrai signal de la puissance de Jésus-Christ, et l’instrument du domaine et de l’empire qu’il a sur eux.

Dieu le Père, qui veut combler les prêtres de tous les biens de Jésus-Christ, et les rendre comme dépositaires de toutes ses bénédictions : Benedixit nos in omni benedictione spirituali in caelestibus in Christo[4], les fait premièrement les trésoriers de ses dons, et les dispensateurs de ses mystères[5]. Il leur donne en maniement le sacré corps et le précieux sang de son Fils bien-aimé qui est son grand trésor[6] : il leur met entre les mains son Testament et sa divine parole, de même qu’il confie à son Fils la doctrine et la science secrète qu’il lui communique de toute éternité.

Secondement, les prêtres sont faits ambassadeurs de Dieu, comme Notre-Seigneur, et continuent son ambassade vers les hommes de la part du Père éternel : en sorte qu’ils prêchent et révèlent ses secrets, qu’ils annoncent ses vérités, qu’ils ont l’honneur de porter sa parole, de même que Jésus-Christ, qui était le véritable ambassadeur envoyé par Dieu à son Église, comme à l’unique société avec laquelle il veut avoir intelligence.

Troisièmement, les prêtres sont faits rois des démons ; car ils ont le droit de leur commander et de les chasser des corps et des cœurs des fidèles, par Jésus-Christ qui est en eux, en l’autorité duquel il leur commandent avec empire, et qui, par la vertu de son esprit, les force de sortir[7].

Ils participent aussi à la royauté de Jésus-Christ dans l’Église, la mettant dans la paix, et la tenant à couvert des attaques malicieuses de tous ses ennemis : Cum fortis armatus custodit atrium suum, in pace sunt ea quae possidet[8] : lorsque le fort armé garde l’entrée de sa maison, tout est en paix et en sûreté.

Or, par anticipation de la prêtrise, et pour initier en quelque sorte à cette autorité royale, les clercs qui semblent être appelés au sacerdoce, l’Église, après leur avoir confié ses trésors et son testament, leur confère la puissance de chasser les démons des corps des possédés, en les faisant exorcistes ; et elle leur donne pour cela le titre d’empereurs spirituels : Ut sint spirituales imperatores[9].

Notre-Seigneur est la porte des bons : Ego sum ostium[10] ; mais il est le juge des méchants, sur lesquels il exerce sa puissance, ainsi que sur les démons, qu’il maudit pour toute l’éternité. Et c’est en cette même vertu que doit entrer l’exorciste, pour prendre autorité sur les malins esprits, et pour les chasser en la puissance de Jésus-Christ[11].

L’Église, qui dispose de Jésus-Christ son cher époux, donne son divin Esprit au lecteur, en l’élevant à l’ordre d’exorciste, afin qu’il use de sa puissance et de sa vertu pour chasser les démons des corps[12], et afin qu’il commence déjà à lutter et à combattre contre eux, en attendant qu’elle lui donne la plénitude de la vertu royale du sacerdoce par laquelle il puisse les chasser, non seulement des corps, mais aussi des âmes[13], où ils demeurent par le péché, et qu’ils possèdent par le moyen du vice. C’est ce que l’on voit dans le baptême, où le prêtre chasse les démons du cœur des hommes. Et c’est ce qui a lieu aussi dans le sacrement de pénitence, où il les chasse de l’âme des pénitents, comme Notre-Seigneur les chassa autrefois de l’âme de sainte Madeleine[14].

Le Fils de Dieu a souvent chassé les démons des corps ; et il a fait en cela l’exercice et la fonction de l’exorciste, qu’il met en participation de cette autorité[15]. C’est aussi par cette même autorité que l’exorciste peut absolument commander au démon ; car c’est la vertu même de Jésus-Christ qui repose dans les ministres de l’Église[16].

Ainsi l’Église continue en cet ordre, comme dans les précédents, à faire un essai de la fidélité du clerc qui se consacre à son service, et une expérience de la force, de la confiance, et du zèle avec lequel il pourra se comporter un jour, lorsqu’il faudra qu’il attaque les démons, et qu’il combatte non seulement contre la chair et le sang, mais encore contre les princes des ténèbres, contre les pécheurs du monde, et contre l’enfer[17].

Les prêtres doivent combattre non seulement contre les ennemis visibles, mais contre les ennemis invisibles[18] ; non seulement contre les démons qui possèdent les corps, mais encore contre les démons qui possèdent les âmes ; ce qui est d’un bien plus grand et plus puissant travail ; ces premiers combats n’étant point si rudes ni si dangereux, et n’étant pour ainsi dire, qu’un essai des derniers. C’est pourquoi, comme l’ordre des exorcistes est une simple initiation à la prêtrise, l’Église ne leur confère qu’une portion de la puissance du sacerdoce sur les démons ; la fonction qu’elle leur donne ne s’exerce que sur l’extérieur, et non pas sur l’intérieur ; pour les chasser des corps seulement, et non pour en délivrer les âmes ; ce qui est réservé au prêtre, lequel use du pouvoir de Jésus-Christ pour les bannir du plus secret des cœurs.

Cet office oblige les exorcistes de vivre toujours dans un grand anéantissement, dans un sincère aveu de leur impuissance, et dans une reconnaissance continuelle de leur néant[19]. Ils doivent pour cela reconnaître que, bien loin d’avoir en eux aucun pouvoir d’agir contre le démon, ils ne sont par eux-mêmes capables que d’en être possédés, et de lui être assujettis toute l’éternité ; car leur chair est proprement la demeure du démon. Elle était toute pleine de son venin, et misérablement assujettie à sa domination avant le baptême ; et il n’en a été chassé que par Notre-Seigneur, en qui seul on peut trouver la vertu de le soumettre.

Il faut donc qu’ils s’anéantissent sans cesse en eux-mêmes, et qu’ils se donnent à son divin Esprit, pour agir, en sa puissance et en son autorité, contre ces malins esprits. Il faut qu’ils se considèrent comme de misérables et d’inutiles instruments, qui ne peuvent rien faire qu’en sa vertu[20] ; il faut qu’ils se perdent totalement en lui, et que, dans une pleine confiance, ils aient un courage de lion, pour attaquer ce misérable ennemi qui tremble en la présence de Jésus-Christ, et qui craint tout ce qui appartient à ce divin maître.

Il y a des filles saintes qui ont bien eu autrefois le pouvoir de chasser les démons par la présence de l’Esprit divin qui habitait en elles[21]. II y en a eu même qui l’ont fait avec tant de force, que ces malheureux, s’enfuyant à leur abord, ne pouvaient s’empêcher de publier leur grâce éminente et leur grande sainteté, et de rendre hautement témoignage de la rare vertu qui était en elles et qu’ils ne pouvaient souffrir[22].

C’est ce qu’on a vu arriver aussi très communément parmi ces saints anachorètes, et parmi ces grands solitaires des premiers siècles de l’Eglise, qui chassaient les démons par leur seule présence. Et il y en avait même à qui Dieu donnait un tel empire sur eux, que ces esprits de ténèbres prenaient la fuite au seul nom de ces saints, en sorte qu’il ne fallait que les nommer pour leur faire abandonner les corps qu’ils possédaient : tant ils haïssaient leurs vertus[23].

Les démons haïssent tellement la chasteté en certains saints, en d’autres la simplicité, en d’autres la pauvreté, en quelques-uns la patience, en plusieurs la charité, qu’ils entrent quelquefois dans des rages extraordinaires lorsqu’ils en entendent seulement parler ; tant les vertus chrétiennes leur sont odieuses, à cause de l’esprit de Jésus qui les opère dans les âmes[24].

C’est pourquoi il faut que l’exorciste soit parfaitement vertueux en Jésus-Christ, afin que ses seules vertus, quand il n’aurait pas d’autre pouvoir, soient capables de mettre en fuite tous les démons[25].

On les a vus même souvent chassés par les vertus des personnes possédées, de sorte qu’à mesure qu’elles croissaient dans la grâce et dans la fidélité à Dieu, les malins esprits les abandonnaient, et se retiraient tout confus, ne pouvant supporter des âmes si fidèles et si saintes, qui ne leur donnaient aucun lieu de repos, ni aucun moment pour se complaire en elles.

Or, comme l’humilité est l’ennemie jurée du démon, en même temps qu’elle est l’entrée et le fondement de toutes les vertus, de sorte que pas une ne peut sans elle être solidement établie dans une âme, on doit juger de quelle importance il est qu’un exorciste soit parfaitement humble.

Pour moi, j’ai vu par expérience qu’un acte d’humilité, fait par un exorciste, ou par celui que l’on priait d’exorciser en sa place, obligeait le démon de rendre en ce moment mille témoignages de désespoirs et de rage. C’est ce qui lui ôte toute puissance et toute prise sur une âme ; c’est ce qui le confond et le désarme. Rien ne nous met si en sûreté contre ses entreprises ; rien ne tient un cœur si à couvert de ses attaques[26].

Les prêtres sont comme des digues qui s’opposent à la mer, et qui empêchent les déluges dont elle couvrirait le monde et inonderait toute la terre. Ils ne sont rien en apparence, mais en effet ils sont plus forts dans la main de Dieu que l’océan dans plus grandes fougues et dans l’agitation de ses plus furieuses tempêtes[27].

Les prêtres servent de remparts au monde et à l’Église contre la malignité des démons et contre la rage de tout l’enfer. Ils ne sont que comme de petits grains de sable, mais, dans leur petitesse, ils font croître le désespoir et la rage de ces esprits infernaux, qui se voient obligés de rompre leur superbe et de briser leur orgueil aux pieds d’une cendre légère et d’un peu de poussière.

Un prêtre, qui se regarde toujours selon la vérité de ce qu’il est par lui-même, ne doit jamais se voir que comme un peu de cendre et comme la chose du monde la plus faible. Il doit dire sans cesse, comme ce grand patriarche si puissant en la foi : Cum sim pulvis et cinis[28]. Mais lorsque, dans cette vue, il se confie parfaitement en Dieu et qu’il ne s’appuie que sur Jésus-Christ, de qui seul il veut attendre tout son secours, il n’y a rien au monde de plus puissant contre les démons ni de plus terrible à tout l’enfer ; et c’est là ce qui doit rendre l’exorciste tout puissant pour détruire l’arrogance du démon et pour triompher de son orgueil.

Il est bon de remarquer encore si l’exorciste est vaillant et courageux contre la tentation, et s’il se munit de force en Jésus-Christ ; car il n’y a rien que les démons craignent davantage que les âmes généreuses dans les tentations. Ils prennent la fuite au seul nom de ces âmes[29] : combien plus fuiront-ils en leur présence, lorsqu’elles auront cette puissance de Jésus-Christ pour les chasser par la vertu de l’ordre, laquelle a une tout autre efficace que les vertus personnelles qui se rencontrent dans le reste des chrétiens !

Il faut encore que l’exorciste soit bien enflammé de l’amour de Jésus-Christ, qui lui donne une haine mortelle du démon, mais une haine en esprit : je dis en esprit, pour la distinguer de la haine de la chair, qui cause une colère sensible, et qui sert, au démon de jouet pour amuser les exorcistes et pour les empêcher d’agir contre lui en la vertu de l’Esprit-Saint qu’il redoute. Comme c’est par là qu’il les affaiblit, qu’il les échauffe, qu’il les lasse, qu’il les abat et que quelquefois même il les tue, ils doivent beaucoup veiller, pour ne point se laisser surprendre à cette tentation.

L’exorciste doit aussi être sur ses gardes pour se préserver de la curiosité, à laquelle on est souvent attiré par les réponses et par les discours du démon. Il faut pour cela parler peu et se tenir beaucoup en silence[30], à l’imitation de Notre-Seigneur, qui en chassa un par ces paroles : Obmutesce, et exi : Tais-toi, et sors[31] ; autrement nous donnons prise sur nous à ce malheureux. Et, de plus, nous donnons encore prise à sa complaisance et à sa superbe, en nous rendant ainsi ses écoliers et ses auditeurs, ce qui fait qu’il s’opiniâtre à demeurer, parce que cela le contente et qu’il ne peut avoir de plus grande satisfaction que de voir qu’on l’écoute et qu’on se laisse aller à ses suggestions malignes.

Si, au contraire, on le tourmente continuellement par l’invocation de Jésus-Christ et de sa sainte Mère, par exorcismes, par les injures, par les malédictions et par les opprobres qui l’humilient, comme aussi par la pratique constante et fidèle des vertus, on l’oblige de sortir, parce qu’il trouve encore plus, de repos dans l’enfer et bien moins de tourment qu’en la présence de Jésus-Christ et de ses ministres, qui, agissant en sa vertu, le surchargent toujours de nouvelles vexations.

Il est encore important de ne pas omettre dans cet emploi le jeûne et l’oraison, parce que ce sont les grands moyens que Notre-Seigneur même nous indique dans l’Évangile pour ces sortes d’ennemis : Ce genre de démons, dit-il[32], ne se chasse ; que par la prière et par le jeûne.

Enfin, il faut avertir les exorcistes et tous ceux qui, étant appelés à cette fonction, voudront travailler avec sûreté et avec quelque succès, qu’ils doivent veiller très particulièrement sur toute leur conduite, pour s’y conserver dans une pureté entière, afin que, le démon ne trouvant sur eux aucune prise, ils soient en état, après en avoir absolument triomphé en eux-mêmes, de le chasser ensuite avec plus de puissance du corps des autres, selon l’avis important que l’Église leur donne dans leur ordination : Ne in moribus vestris aliquid sui juris inimicus valeat vindicare. Tunc etenim recte in aliis daemonibus imperabitis, cum prius in vobis eorum multimodam nequitiam superatis[33].

Il ne faut pas aussi oublier d’exciter le possédé à s’exercer le plus qu’il peut à la pureté, à l’humilité, à la charité, à la patience et aux autres vertus chrétiennes qui affligent le démon et le mettent dans un nouvel enfer ; car, de se voir à tout moment vaincu par Jésus-Christ, qui le maudit toujours et qui triomphe à toute heure de lui par l’instrument d’une faible créature, comme est celle qu’il possède, laquelle, avec le secours de son Maître, le terrasse et l’abat, lui qui semble devoir renverser toute créature, c’est lui qui renouvelle le triomphe et de la croix, et c’est ce qui le désespère toutes les fois qu’il y pense. Car il a vu son orgueil abattu sous la faiblesse d’un morceau de bois, et sous l’infirmité de la mort et d’une chair mortelle. Lui qui disait : Je serai égal au Très-Haut, a été pourtant vaincu par celui qui s’est anéanti, et qui, se faisant serviteur de son Père, a triomphé glorieusement de ses vaines grandeurs[34].


  1. Coloss., II, 3.
  2. Coloss., II, 9.
  3. Is., IX, 6 ; I Tim., VI, 15.
  4. Ephes., I, 3.
  5. I Cor., IV, 1.
  6. Saint Thomas, Hymn. S. Sacr.
  7. Tertullien, Ad Scapulam, c. 2 ; P. L., I, c. 700.
  8. Luc, XI, 21.
  9. Pontif. Rom., de Ord. Exorcist.
  10. Joan., X, 9.
  11. Saint Cyprien, Lib. de Bapt. Christ.
  12. Pontif. Rom., in Ordin. Exorcist.
  13. Marc, XVI.
  14. Saint Grégoire, Hom. 33 ; P. L., 76, c. 1239.
  15. Mag. Sent., lib. 4, dist. 24 ; de Exorcist. ; P. L., 192, c. 902.
  16. Joan., IV, 13.
  17. Rit. Rom., in Orat. Exorc. ante Exorc.
  18. Eph., VI, 12.
  19. Rit. Rom., in Orat. ante Exorc.
  20. Rit. Rom. de Exorc. obsess. a daemon.
  21. Sainte Catherine de Sienne.
  22. Vit. Patr., lib. I ; in Vita S. Ephras.
  23. Vit. Patr., lib. 9, cap. 3.
  24. Saint Chrysostome, Hom. 4 de Laudib. Pauli.
  25. Saint Bernard, Serm. 3, in Dedic. ; P. L., 183, c. 524.
  26. Saint Jean Clim., grad. 25.
  27. Saint Chrysostome, Hom. 10 in Matth.
  28. Gen., X, 28.
  29. Saint Ambroise, In Luc, lib, 4 ; P. L., 15, c. 1623.
  30. Rit. Rom., de Exorcism.
  31. Luc, IV, 35.
  32. Matth., XVII, 20.
  33. Pontif. Rom. in Ord. Exorc.
  34. Orig., Hom. 8 in Jos. Saint Pierre Chrysol., Serm. 170, paragr. 3.
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