La Charité de la Foi

De Salve Regina

Les vertus
Auteur : Apostolus.
Source : In la Vie Spirituelle n°113
Date de publication originale : Février 1929

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

On ne saurait trop insister, croyons-nous, sur la nécessité de fortes études religieuses pour tous ceux qui, laïques ou prêtres, veulent augmenter la foi en ce monde, fortes, c'est-à-dire intelligentes, adap­tées, continues, personnelles. A notre siècle, répéter ne suffit pas. C'est un devoir de penser.

Il va de soi que les qualités qui font un penseur ne sont pas nécessaires à l'apôtre. Une expérience infinie nous prouve qu'un prêtre simplement et profondément bon fait plus de bien dans une paroisse qu'un érudit au cœur sec. Plusieurs intellectuels pourront affirmer qu'un vieux prêtre de campagne, ignorant la scolasti­que ou l'exégèse, a plus appris à leur âme qu'un pro­fesseur de théologie. Sans l'extrême besoin où se trou­vait son diocèse, le cardinal Fesch n'aurait peut-être jamais admis aux ordres sacrés celui qui devait donner au XXe siècle le modèle le plus accompli de Prêtre. Si j'ai la science au point de connaître les arcanes du dogme et de pouvoir en détailler les preuves, et si je n'ai pas la charité, je ne suis qu'un airain ou qu'une cymbale. A quoi il faut encore ajouter que, de nos jours, le clergé des faubourgs et des grandes villes, comme le clergé rural des diocèses dépeuplés est accablé par des besognes nécessaires et lassantes, et qu'il n'a pas ce minimum de loisir indispensable à l'étude.


Tout cela va sans dire, mais, comme le disait le vieux Talleyrand, « si cela va sans dire, cela va encore mieux en le disant ». L'oublier, même en apparence, serait une injustice grave.


Mais, dès qu'on a compris que le devoir de charité précède et enveloppe tous les autres, on est aussitôt amené à penser que la charité ne peut être partielle elle doit se rendre capable de satisfaire tous les besoins, elle doit s'étendre à toutes les blessures. Il y a les besoins du corps et il y a les blessures du corps. Il y a les besoins de l'âme et il y a les blessures de l'âme. Et les besoins et les blessures du cœur. Mais il y a aussi les blessures et les besoins de l'esprit.

D'autre part, selon les temps et les lieux, les circons­tances et les conditions, certains de ces besoins sont plus impérieux que d'autres, et, par conséquent, cer­taines charités plus urgentes. Et de même que la garde impériale, tout en veillant à l'ensemble du combat, se porte aux points où « tressaille la mêlée » afin d'assurer une victoire dont tous profiteront, de même, la charité, tout en ayant les mêmes obligations générales, reçoit à certaines époques des offices parti­culiers : déchargée de certaines besognes, elle doit accepter, par une sorte de compensation, de nouvelles charges. Un exemple va le faire saisir. Au temps de saint Ambroise, comme à celui de saint Vincent, comme à celui du Curé d'Ars, comme au nôtre, la cha­rité principale sera toujours celle qui console, qui com­patit et qui relève. Mais, sur ce fond commun et essen­tiel, selon les besoins et les périls, se détache un devoir spécial qu'on pourrait appeler le devoir du siè­cle, parce qu'il répond au mal du siècle.


Au temps de saint Vincent, en ce temps où la foi était un bien répandu, mais où le clergé des campagnes ne connaissait pas l'indispensable et où le pauvre peuple des campagnes manquait du nécessaire, la charité ecclé­siastique devait s'occuper de réparer l'ignorance des clercs et de chasser cette misère qui paralyse l'effort. En notre temps, où l'État a pris à sa charge les services d'assistance, il est d'autres détresses, moins visibles sans doute, mais pires peut-être par l'incrédulité qu'elles annoncent pour l'avenir : l'instruction reli­gieuse diminue, l'instruction irréligieuse apparaît : le paysan tend à ne voir dans le prêtre qu'un homme connaissant les rites funéraires ; l'ouvrier ne fréquente guère l'église après « sa communion » ; le peuple ins­truit qui gravite autour de l'école doute que la foi soit conforme à la raison, à la science et à l'histoire ; les étudiants, qui seront les élites futures, connaissent les objections à la religion avant d'avoir établi leur foi ; les hautes intelligences sont bien partagées, en somme la misère de l'ignorance ou de l'erreur reli­gieuses est plus grande que la misère sociale. Dans ces conditions, dans l'état de ces rerum novarum, il est incontestable que la charité doit être au premier chef une charité des intelligences. Il y a pour le clergé et pour les laïques instruits un « devoir de penser » plus pressant, plus urgent qu'à toute autre époque de la vie de l'Église. Non certes de cette pensée abstraite et hautaine qui enfante des systèmes clos mais de cette pensée sincère et profonde, de cette cogitatio quae per caritatem operatur, j'entends celle qui discerne les difficultés, qui commence par les éprouver en elle-­même, et qui, par un effort patient d'information et de raisonnement, s'attache à les dissiper : on pourrait dire que c'est la charité de la foi.

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