La prière commune en famille – 12 février 1941 –
De Salve Regina
Magistère pontifical sur la famille - Discours aux jeunes époux | |
Auteur : | Pie XII |
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Date de publication originale : | 12 fevrier 1941 |
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Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
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Votre présence Nous apporte un grand réconfort et une grande espérance. Nous avons sous les yeux une assemblée de jeunes familles chrétiennes que le Seigneur se plaît à combler de ses faveurs, lui que vous invoquiez au pied de l'autel tandis que le prêtre bénissait votre union. Vous avez alors en effet invoqué le Seigneur ; à la prière du ministre de Dieu vous avez uni votre prière : c'est par la prière que vous avez commencé votre commune vie nouvelle. Allez-vous continuer à prier ? Invoquerez-vous encore Celui qui est la source de toute paternité et dans l'ordre de la nature et dans l'ordre de la grâce, le Père qui est dans les cieux ? Oui, votre présence ici Nous en donne un gage. Vous venez à Nous pour implorer sur votre jeune foyer Notre bénédiction de Père ; Notre bénédiction confirmera la prière du prêtre et la vôtre ; elle les renforcera pour toute la durée de votre vie : votre présence Nous est une promesse de fidélité à la prière.
Nous avons brièvement commenté dans Notre dernier discours aux jeunes époux les avis que saint François de Sales donne aux gens mariés. Sur la prière des époux, son pinceau a de délicieuses touches que Nous voudrions aujourd'hui offrir à votre considération : « C'est la plus grande et fructueuse union du mari et de la femme que celle qui se fait en la sainte dévotion, à laquelle ils se doivent entreporter l'un l'autre à l'envi. Il y a des fruits, comme le coing, qui, pour l'âpreté de leur suc, ne sont guère agréables qu'en confiture ; il y en a d'autres qui, pour leur tendreté et délicatesse, ne peuvent durer, s'ils ne sont aussi confits, comme les cerises et abricots. Ainsi les femmes doivent souhaiter que leurs maris soient confits au sucre de la dévotion, car l'homme sans dévotion est un animal sévère, âpre et rude ; et les maris doivent souhaiter que leurs femmes soient dévotes, car sans la dévotion, la femme est grandement fragile et sujette à déchoir ou ternir en la vertu »
C'est une grande vertu que la dévotion ; c'est la sauvegarde de toutes les autres vertus. Mais l'acte le plus beau et le plus ordinaire de la dévotion est la prière. L'homme est esprit et corps, et la prière est la nourriture quotidienne de l'esprit, comme le pain matériel est la nourriture quotidienne du corps. La prière a donc d'heureux effets. Mais de même que l'union fait la force, ainsi la prière en commun possède une plus grande efficacité sur le cœur de Dieu. Aussi Notre-Seigneur a-t-il accordé une bénédiction spéciale à la prière faite en commun et il a proclamé à ses disciples : « Je vous le dis encore : si deux d'entre vous s'accordent sur la terre, quelque chose qu'ils demandent, ils l'obtiendront de mon Père qui est aux cieux. Car là où deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux » (Mt 18, 19-20). Mais quelles âmes se trouveront plus véritablement et plus intimement unies au nom de Jésus-Christ pour la prière, que les âmes où le saint sacrement de mariage a imprimé l'image vivante et permanente de la sublime union du Christ avec son Eglise, avec son Epouse bien-aimée sortie au Golgotha de son côté ouvert ?
C'est donc une grande et fructueuse union que celle des époux qui se mettent à genoux l'un à côté de l'autre pour demander à Dieu de conserver, d'accroître et de bénir la fusion de leurs vies. Tous les chrétiens doivent, sans négliger la prière individuelle, accorder dans leur vie une place à la prière en commun, qui leur rappelle leur fraternité dans le Christ et leur devoir de sauver leurs âmes, non point isolés les uns des autres, mais dans la collaboration : à plus forte raison la prière des époux ne doit-elle pas les éloigner et les séparer, tels des ermites, dans une méditation solitaire, au point de ne les réunir que rarement devant Dieu ou au pied de l'autel. Or où donc leurs cœurs, leurs intelligences, leurs volontés se rapprocheront-ils, se pénétreront-ils dans une union plus profonde, plus forte et plus solide que dans la prière à deux, où une même grâce divine descend du ciel pour harmoniser toutes leurs pensées, leurs affections et leurs désirs ? Quel doux spectacle pour les anges que cette prière de deux époux qui lèvent les yeux au ciel et implorent sur eux-mêmes et sur leurs espérances le regard de Dieu et sa main tutélaire ? Peu de scènes de l'Ecriture Sainte valent la prière de Tobie avec sa jeune épouse Sara ; loin d'ignorer les périls qui menacent leur félicité, ils prennent confiance en s'élevant devant Dieu au-dessus des basses vues de la chair, et ils s'encouragent à la pensée que, fils de saints, il ne leur convient point de s'unir « à la manière des Gentils, qui ne connaissent point Dieu » (Tb 8,4-5).
Comme Tobie et Sara, vous connaissez Dieu, jeunes époux, Dieu qui fait toujours lever, voilé ou éclatant, son soleil sur votre matin. Pour pleines et encombrées que soient vos journées, sachez trouver au moins un instant pour vous agenouiller et pour commencer votre journée en élevant votre cœur vers le Père céleste, et en implorant son aide et sa bénédiction. Le matin, au moment où le travail quotidien vous réclame et vous sépare jusqu'à midi, peut-être même jusqu'au soir, lorsqu'après un rapide déjeuner vous échangez une parole ou un regard d'adieu, n'oubliez jamais de réciter ensemble ne fût-ce qu'un simple Notre Père ou Je vous salue, et de remercier le ciel du pain qu'il vous a donné. La journée, longue et peut-être pénible, vous tiendra éloignés l'un de l'autre ; mais vous serez toujours, proches ou lointains, sous le regard de Dieu ; et peut-être même que vous élèverez vos cœurs ensemble en de pieux élans vers Dieu, en qui vous resterez unis et qui veillera sur vous et sur votre félicité.
Et quand tombera le soir sur la dure besogne achevée et que vous vous réunirez au foyer pour goûter la joie d'une commune présence et deviser ensemble des événements du jour, vous donnerez à Dieu, dans ces moments si doux et si précieux d'intimité et de repos, la place qui lui revient. N'ayez crainte : Dieu ne viendra pas vous importuner ni troubler la délicieuse intimité de vos entretiens ; au contraire, Dieu vous entend ; c'est lui qui vous a, dans son cœur, préparé et ménagé ces instants, et il vous donnera par sa présence de Père plus de tendresse et de réconfort.
Au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Nous vous en supplions, chers jeunes époux, ayez à cœur de garder cette belle tradition des familles chrétiennes : la prière du soir en commun. Elle réunit à la fin de chaque jour, pour implorer la bénédiction de Dieu et honorer la Vierge Immaculée par le rosaire de ses louanges, tous ceux qui s'endormiront sous le même toit : vous deux, et puis, dès qu'ils auront appris de vous à joindre leurs menottes, les petits que la Providence vous confiera, et enfin vos domestiques et collaborateurs, — si le Seigneur en a placés auprès de vous pour vous aider dans les travaux de la maison — car eux aussi sont vos frères dans le Christ et ont besoin de Dieu. Que si les dures et inexorables exigences de la vie moderne ne vous laissent pas le loisir de consacrer à la reconnaissance envers Dieu ces quelques minutes bénies, ni d'y ajouter, suivant une coutume aimée de nos pères, la lecture d'une brève vie de saint, du saint que l'Eglise nous propose comme modèle et protecteur spécial pour chaque jour, gardez-vous de sacrifier en entier, pour rapide qu'il doive être, ce moment qu'ensemble vous consacrez à Dieu, pour le louer et pour lui présenter vos désirs, vos besoins, vos peines et vos occupations.
De telles pratiques de dévotion ne reviennent point à transformer la maison en église ou en oratoire : ces exercices ne sont que les mouvements sacrés d'âmes qui ont pris conscience de la force et de la vie de la foi. Dans la vieille Rome païenne elle-même, la demeure familiale avait son petit sanctuaire avec un autel dédié aux dieux lares ; on les ornait de guirlandes de fleurs, spécialement aux jours de fêtes ; on y offrait des sacrifices avec des supplications1. C'était un culte entaché de l'erreur polythéiste ; mais cette dévotion devrait faire rougir de honte beaucoup de chrétiens, qui, le baptême au front, ne trouvent ni une place dans leurs chambres pour l'image du vrai Dieu, ni dans les vingt-quatre heures de la journée le temps de rendre au Christ l'hommage collectif de la famille.
Pour vous, bien-aimés fils et filles, qui avez dans l'âme l'ardeur qu'allume la grâce du sacrement de mariage, le centre de votre existence doit être le Crucifié ou l'image du Sacré-Cœur de Jésus : que le Christ règne sur votre foyer et vous réunisse chaque jour autour de lui. En lui vos espérances trouveront leur soutien et vos angoisses leur réconfort, ce soutien et ce réconfort si nécessaires en cette vie terrestre où les journées, même les plus longues, ne rencontreront jamais une heure de parfaite sérénité.
Mais voici pour vous unir l'un à l'autre davantage encore, voici un chemin plus haut : le chemin qui vous conduit de votre demeure à celle qui est la maison du Père par excellence, votre chère église paroissiale. Là est la source des bénédictions divines ; là vous attend ce Dieu qui a sanctifié votre union et qui vous a déjà donné tant de grâces ; là est l'autel autour duquel la messe dominicale réunit le peuple chrétien, et l'Epouse du Christ, l'Eglise, vous y convie par une invitation solennelle. Vous y assisterez ensemble toutes les fois que vous le pourrez ; et ce sera un spectacle édifiant — et Nous souhaitons que ce soit souvent, très souvent — chaque fois que vous vous approcherez ensemble de la Table sainte, dans l'union la plus intime de toutes, pour recevoir le Corps de Notre-Seigneur, ce très saint Corps, le lien le plus puissant entre les chrétiens qui s'en nourrissent et qui, membres du Christ, vivent de sa vie, ce très saint Corps qui accomplira en vous, par des voies toutes divines, la pleine fusion de vos âmes dans les hauteurs de l'esprit. Et de quelle incomparable joie vous exulterez, lorsque vous ferez place entre vous deux à une petite tête d'ange aux yeux candides, qui se lèvera à vos côtés pour recevoir sur d'innocentes lèvres l'hostie de neige où vous lui aurez enseigné à croire que demeure la présence réelle de son cher Jésus. Chaque fois qu'autour de vous le baptême aura régénéré un de vos petits, votre joie augmentera et se multipliera ; et leurs cœurs peu à peu s'ouvriront et se prépareront à participer avec vous à ce divin banquet.
Certes, les événements et les nécessités de la vie ne vous laisseront pas toujours le loisir de vous agenouiller ensemble au pied de l'autel ; vous serez plus d'une fois obligés d'accomplir chacun pour soi ces actes de piété chrétienne ; peut-être que de longues séparations vous seront imposées par vos devoirs de l'heure présente, par les exigences de la guerre. Mais les cœurs déchirés par l'éloignement trouveront-ils meilleur rendez-vous que la sainte communion, où Jésus lui-même les réunira, à travers tous les espaces, dans son propre Cœur ?
Vous êtes de jeunes époux ; de l'autel qui a béni votre mariage, vous regardez vers l'avenir et vous rêvez d'années nombreuses, de brillantes et roses aurores. Saint François de Sales termine ses avis aux gens mariés en les invitant à célébrer le jour anniversaire de leurs noces par une fervente communion reçue côte à côte : c'est une si belle recommandation que Nous ne pouvons manquer de la répéter à votre adresse. Au pied de l'autel qui vous a vus échanger vos promesses, vous vous retrouverez vous-mêmes, vous rentrerez en vos âmes, et alors est-ce que les grâces de cette union dans le Christ n'assureront pas une durée et une force sans défaillance à vos résolutions de mutuelle confiance, d'intime et inébranlable affection et de don réciproque sans réserve ? Oui, les grâces de cette union dans le Christ nourriront ces sentiments qui forment et illuminent dans vos pensées et dans vos cœurs la fidélité des premiers jours de votre vie commune, et qui doivent, dans les intentions de Notre-Seigneur, continuer à posséder et à soutenir toute votre vie de pèlerinage terrestre.
Puisse l'effusion de Notre Bénédiction apostolique vous obtenir, chers jeunes époux, l'abondance de cette tendre et forte, franche et persévérante dévotion, qui est, tout au cours de la vie, une source féconde et intarissable de vrai réconfort, de vraie paix, de vraie joie et de véritable félicité.