La sainte ampoule

De Salve Regina

Histoire de France
Auteur : Abbé Jean Goy, historien et archiviste de l'archevêché
Source : Journal du XVème centenaire
Date de publication originale : 1996

Difficulté de lecture : ♦ Facile

La Sainte Ampoule

La victoire du catholicisme sur l'arianisme fut le premier miracle opéré par le baptême de Clovis. L'histoire des origines de la sainte Ampoule en est un second.

L'histoire de la sainte Ampoule se situe entre deux silences celui, d'abord, des contemporains du baptême de Clovis alors que certains étaient pourtant friands de raconter des miracles, comme Grégoire de Tours qui décrit la scène : " Le roi demande, le premier, le baptême au pontife. Nouveau Constantin, il s'avance vers le bain qui doit enlever la lèpre invétérée qui le couvrait ; il vient laver dans une eau nouvelle les taches hideuses de sa vie passée. Comme il s'avance vers le baptême, le Saint de Dieu lui dit, de sa bouche éloquente "Courbe humblement la tête, Sicambre, adore ce que tu as brûlé et brûle ce que tu as adoré". Beaucoup d'autres contemporains firent mention de ce baptême, sans parler de l'événement merveilleux de la Sainte Ampoule envoyée du ciel. La liste des témoignages serait longue à énumérer. On peut mentionner, par exemple, celui de saint Avit, évêque de Vienne, qui écrit à Clovis pour le féliciter. Mais c'est aussi le silence des contemporains d'Hincmar, de ceux qui participent au sacre de Charles le chauve, en 869, comme roi de Lotharingie : Hincmar préside la cérémonie en présence de tous les grands du royaume et des évêques. Parmi eux l'archevêque de Sens qui, en tant que métropolitain de Paris, pouvait avoir des prétentions à être l'évêque du sacre. Hincmar, parlant du baptême de Clovis peut dire que celui-ci fût oint "par le chrême reçu du ciel, dont nous avons encore". Et personne n'a protesté. Par la suite, Hincmar va préciser les choses en écrivant la vie de saint Rémi : "Le chrême vint à manquer et, à cause de la foule du peuple, on ne pouvait aller en chercher. Alors, le saint prélat, levant les yeux et les mains au ciel, commença à prier en silence, et voici qu'une colombe, plus blanche que la neige, apporta dans son bec une petite ampoule pleine de saint chrême. Tous ceux qui étalent présents furent remplis de cette suavité inexprimable, le saint pontife prit la petite ampoule, la colombe disparut et Rémi répandit de ce chrême dans les fonts baptismaux..." Et pendant des siècles, les voix les plus autorisées, les ennemis les plus acharnés, mentionneront notre petite fiole et son origine céleste. Papes, évêques, théologiens, historiens et polémistes parleront de la sainte Ampoule comme d'un fait admirable, mais bien réel.

Dom Marlot dans son livre sur le sacre Le théâtre d'honneur et de magnificence... en donne une anthologie. Mathieu Paris, historien anglais dira, vers 1250 dans son Histoire d'Angleterre "que le roi de France est le premier des roys de la Chrétienté pour la céleste liqueur dont il est oint en son sacre". Saint Thomas d'Aquin, à peu près à la même époque dit, dans son Traité du gouvernement, "que nos roys sont sacrés d'une onction envoyée du ciel par le ministère d'une colombe". Le pape Paul III, en 1545, dans la bulle de création de l'université de Reims, cite, dans ses motifs, qu'à Reims, "les Rois très chrétiens reçoivent la grâce de la sainte onction envoyée du ciel".

Ce n'est qu'au XVII° siècle qu'apparaît le premier détracteur, le franc-comtois Jean Jacques Chifflet. Dans son traité sur l'ampoule rémoise, alors qu'il est bien crédule sur d'autres points, il tient à renverser la longue tradition du miracle rémois. Il met, principalement, en avant le silence des contemporains de l'événement.

Néanmoins, il semble difficile d'admettre qu'au milieu de l'admiration générale, Hincmar ait créé la légende de toutes pièces. Il avait donc des motifs sérieux pour appuyer ses dires. Malheureusement, Hincmar ne nous a pas directement donné ses sources, et Jamais nous ne saurons la vérité, mais peut-être pourrons nous l'approcher. Depuis le XVII° siècle, les historiens ont avancé différentes possibilités de solutions. Il est fort probable que la vérité se trouve dans un savant dosage entre plusieurs d'entre elles.


Nous pouvons, envisager deux versions des faits. Soit, le miracle a bien eu lieu comme nous le raconte Hincmar. Peut-on ajouter que l'enjeu de la victoire de la vraie foi pouvait le justifier. Mais pour croire à un miracle, il faut que celui-ci soit sérieusement attesté. Ce n'est pas le cas ici, en particulier à cause du silence des contemporains. Soit le miracle a eu lieu à un autre moment. Ce fut la première position de repli des auteurs du XIII° siècle, comme les abbés Pluche et Vertot et bien d'autres après eux. Il existe au diocèse de Reims une antique "préface des miracles de Saint Rémi" antérieure à Charlemagne. En voici la traduction donnée par l'abbé Pluche : "comme on cherchait le chrême pour baptiser un malade et qu'on n'en trouvait point, il (saint Rémi) fit mettre sur l'autel les ampoules vides, de manière que, s'étant en même temps prosterné pour prier, une céleste rosée répandit le don béni du saint chrême". L'abbé Pluche de conclure : "Toutes les fables disparaissent et si le miracle de la sainte Ampoule n'est pas si éclatant qu'on le dit ordinairement, la relique n'en devient que plus véritable, puisque ce miracle est plus réel et plus sûr".

Hincmar aurait donc utilisé d'autres éléments. Nous avons, alors, quatre hypothèses : d'abord, des textes anciens dont il ne reste que peu de choses. En 1945, Dom Lambot publie les oeuvres de Godescal d'Orbais. Au numéro 108, il fait référence à une antienne du bréviaire de Reims antérieure à Hincmar puisque son oeuvre lui est, elle-même, antérieure, et l'on trouve la formule : "le Saint chrême envoyé du ciel". L'année d'après, F. Baix publiait un article sur les sources liturgiques de la "Vie de saint Rémi" par Hincmar. Il confirmait ainsi l'exemple de Dom Lambot. Hincmar n'est plus le faussaire dont on a souvent parlé. "Il a emprunté à la liturgie rémoise du VIII° siècle l'histoire de la sainte Ampoule", comme le dit Mr Jean Dervisse dans sa thèse.

Jean-Jacques Chifflet est à l'origine de la deuxième possibilité : une analogie avec le baptême du Christ. Celle-ci fut plus amplement étudiée par un Anglais, Sir Francis Oppenheimer[1]. Nous savons par les Evangiles synoptiques qu'au moment du baptême du christ, l'Esprit Saint apparut sous la forme d'une colombe et celle-ci est toujours représentée dans les oeuvres sur le baptême du christ. Pourquoi la même colombe ne serait-elle pas apparue au baptême de Clovis pour marquer l'importance de celui-ci ? C'est au IX° siècle, qu'apparaît la première représentation de la colombe tenant l'ampoule pour le baptême de Clovis, sur le plat en ivoire d'un livre provenant de Reims conservé, aujourd'hui, au musée de Picardie. Et par un choc en retour, apparaît à peu près à la même époque une représentation du baptême du Christ, dans laquelle la colombe tient une ampoule dans son bec. Sir F. Oppenheimer en donne plusieurs exemples. Parfois, la colombe aura deux ampoules, car le christ est roi et prêtre. Dans le dessin du "Jardin des délices" de l'abbaye de Sainte Odile. La colombe devient une fiole ailée.

Ensuite, comme le rappelle Marc Bloch dans Les Rois Thaumaturges en citant le Dictionnaire d'archéologie chrétienne de Dom Cabrol, il était d'usage dans l'Eglise primitive de conserver l'Eucharistie à l'autel, les saintes huiles au baptistère, dans une colombe. Le geste de l'évêque, levant les mains, pour prendre, dans la colombe, le chrême céleste (le mot pourrait être l'équivalent de saint) serait à l'origine du don venu du ciel par la colombe.

La dernière possibilité est largement exposée par Sir F. Oppenheimer. Hincmar, en 852, a procédé à la translation du corps de saint Rémi du sarcophage, dans une chasse. Nous savons que les Romains plaçaient des fioles de parfums près des corps embaumés. Hincmar, trouvant les deux petites fioles près du corps de saint Rémi, aurait pensé que ces deux fioles, Si précieuses que Saint Rémi ait été inhumé avec, seraient celles dont parle tout l'office de l'apôtre des Francs. On peut, du reste, faire la remarque que la sainte Ampoule n'était pas conservée à la cathédrale, mais, bel et bien dans le tombeau de saint Rémi, près de la chasse qui renfermait son corps.

Voilà donc brièvement exposées les différentes hypothèses qui ont été émises sur l'origine de la sainte Ampoule. La vérité s'y trouve, ou peut-être est-elle encore ailleurs?


  1. Sir F. Oppenheimer, "the legend of the Sainte Ampoule, Londres 1954.
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