Le Bon Pasteur

De Salve Regina

Texte de méditation
Auteur : Abbé Berto
Source : Extrait du Bulletin de N.-D.-Du-Ménimur

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Le Bon Pasteur

La réunion des Anciennes élèves a eu lieu cette année le dimanche après Pâques. Cette coïncidence est heureuse. Dans la langue des chrétiennes familles d’autrefois, une langue qu’il ne faut pas laisser disparaître et qu’il nous appartient de maintenir vivante, ce dimanche s’appelait le dimanche du Bon Pasteur parce qu’on y lit à la messe un passage de ce merveilleux chapitre dixième de Saint Jean où Notre Seigneur, cherchant à nous donner une idée de sa tendresse, se compare au berger aimant et fidèle, à qui rien ne coûte pour paître et protéger son troupeau.


Le Bon Pasteur ! Nous savons bien qu’il n’est plus visiblement sur la terre ; mais il s’est choisi des suppléants. Peut-être lorsque nous faisons l’application de cette allégorie, pensons-nous d’abord aux évêques et aux prêtres, et il est vrai qu’elle leur convient, plus spécialement. Cependant elle peut, elle doit s’entendre aussi des maîtresses chrétiennes. Ne nous laissons pas arrêter par le genre grammatical des mots. Saint Paul ne prend-il pas soin de nous dire, dans son énergique langage : « Il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave ni homme libre ; il n’y a plus ni homme ni femme ; car vous n’êtes tous qu’une personne dans le Christ Jésus » ? Un dans le Christ, qu’est-ce à dire ? Ce n’est pas seule­ment que la charité d’une religieuse éducatrice imite la charité de Jésus, qu’elle lui est semblable comme une copie à son modèle ; c’est que la même et identique sollicitude, la même et identique vigilance de Jésus passe de son Cœur dans les cœurs de celle qu’Il s’est choisi, que c’est Jésus qui aime ses brebis avec leur cœur.

De la vient l’efficacité et la clairvoyance de cet amour.


Une jeune fille n’a pas seulement besoin qu’on lui explique une tragédie de Racine ou qu’on lui démontre le théorème de Pytha­gore. Cette pâture est trop maigre, et si pendant quelques temps elle peut paraître suffisante, il vient toujours une heure, où elle n’apaise plus la faim de l’âme. Mercenarius autem... Cependant le berger mercenaire n’a pas autre chose à offrir. De la Littérature et de l’Histoire, de l’Algèbre et de la Physique, il ne connaît pas d’autres prairies ; et les âmes qu’il tient parquées dans cet horizon sans grandeur peu à peu se sentent étouffer et mourir d’inanition.

Il vient aussi toujours une heure où le loup paraît. Comme la gueule meurtrière d’un fauve, le gouffre du monde et du péché guette sa frêle proie à demi fascinée par l’attrait de l’abîme. Le berger mercenaire est là, et sa brebis lui lance avant de se préci­piter, un suprême regard. Peut-être serait-il temps encore, s’il s’élançait… Mais non : « Sauve toi toi-même ; moi, je n’y puis rien. »

Parmi les jeunes filles qui ont grandi loin de l’influence du Seigneur, combien, lisant ce que je viens d’écrire, pourraient s’écrier : « Voilà l’histoire de mon adolescence, et maintenant mon âme morte est dans mon corps comme un cadavre dans son cercueil. »


Mais le bon Pasteur ! Sa présence multipliée spirituellement dans les cœurs dont il se sert pour aimer ses brebis fait à celles­-ci une atmosphère et un bercail. Son action souveraine les guide aux substantiels pâturages de la vérité. Là, l’horizon est im­mense et joint vraiment la terre au ciel ; là une nourriture inépuisable et saine s’offre à toutes les avidités. Si parfois quelque brebis a besoin d’un encouragement ou d’un réconfort, la voix du Pasteur, sa voix bien reconnaissable sort des lèvres maternelles qu’Il a ouvertes. Et quand vient l’heure inévitable et au fond pro­videntielle du péril, Il est là, toujours prêt à donner sa vie, la vie qu’il a dans les cœurs dont il a fait les organes de sa charité, la vie qu’il a au Saint-Sacrement puisque l’Eucharistie, qui nous le donne vivant, nous le donne aussi sacrifié.


Bienfait digne de toutes actions de grâces, d’avoir passé les années de préparations à la vie sous le regard du Bon Pasteur. Qu’il ne soit pas vrai de dire, comme on l’a dit parfois, que ceux-là seuls, celles-là seules, savent estimer ce bienfait à son prix, qui en ont été privés. La reconnaissance convient aux âmes nobles, combien plus aux ennoblies par l’adoption divine ! Et si, quelque jour, après avoir vécu dans l’heureuse insouciance des brebis qui paissent en sûreté, il faut changer de rôle et partager les fatigues et les inquiétudes du bon Pasteur, que Jésus trouve, en toutes celles qui sont assemblées autour de Lui en ce deuxième dimanche après Pâques, des instruments dociles et généreux.

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