Le drame de la fin des temps

De Salve Regina

Les Fins dernières
Auteur : P. Emmanuel
Source : Itinéraires n°289, 290, 292 et 294
Date de publication originale : 1985

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen
Remarque particulière : Ces articles reprennent une suite d’articles publiés dans le bulletin N-D de la Sainte Espérance.

Le drame de la fin des temps

Premier article (mars 1885)

I. – Nous avons considéré l’Église dans le passé et dans le présent ; il nous reste à la contempler dans l’avenir.

Dieu a voulu que les destinées de l’Église de son Fils unique fussent tracées d’avance dans les Écritures, comme l’avaient été celles de son Fils lui-même ; c’est là que nous irons chercher les documents de notre travail.

L’Église, devant être en tout semblable à Notre Seigneur, subira, avant la fin du monde, une épreuve suprême qui sera une vraie Passion. Ce sont les détails de cette Passion, en laquelle l’Église fera voir toute l’immensité de son amour pour son divin Époux, qui se trouvent consignés dans les écrits inspirés de l’Ancien Testament et du Nouveau. Nous les ferons passer sous les yeux de nos lecteurs.

Nous n’avons l’intention d’épouvanter personne, en trai­tant un semblable sujet. Nous dirons plus : il nous semble renfermer, à côté de grands enseignements, de grandes conso­lations.

II. – C’est assurément un triste spectacle que de voir l’huma­nité, séduite et affolée par l’esprit du mal, tenter d’étouffer et d’anéantir l’Église sa mère et sa tutrice divine. Mais de ce spectacle sort une lumière qui nous fait apparaître l’histoire tout entière sous son vrai jour.

L’homme s’agite sur la terre ; mais il est mené par des puissances qui ne sont pas de la terre. A la surface de l’his­toire, l’œil saisit des bouleversements d’empires, des civilisa­tions qui se font et qui se défont. En dessous, la foi nous fait suivre le grand antagonisme entre Satan et Notre Sei­gneur ; elle nous fait assister aux ruses et aux violences de l’Esprit immonde, pour rentrer dans la maison de laquelle l’a expulsé Jésus-Christ. A la fin, il y rentrera, et il voudra éliminer Notre Seigneur. Alors les voiles seront déchirés, le surnaturel éclatera partout ; il n’y aura plus de politique proprement dite ; un drame exclusivement religieux se déve­loppera et enveloppera l’univers entier.

On peut se demander pourquoi les péripéties de ce drame sont décrites si minutieusement par les écrivains sacrés, alors qu’il n’occupera que peu d’années ? C’est qu’il sera la conclu­sion de toute l’histoire de l’Église et du genre humain ; c’est qu’il fera ressortir, avec un éclat suprême, le caractère divin de l’Église.

Toutes ces prophéties ont d’ailleurs pour but incontesta­ble de fortifier l’âme des croyants dans les jours de la grande épreuve. Toutes les secousses, toutes les épouvantes, toutes les séductions qui viendront les assaillir, ayant été si exactement prédites, formeront autant d’arguments en faveur de la foi combattue et proscrite. Elle s’affermira en eux, précisément par ce qui devrait la détruire.

Mais nous avons nous-mêmes de grands fruits à retirer de la considération de ces événements étranges et redouta­bles. Après en avoir parlé, Notre Seigneur dit à ses disciples : Veillez donc et priez, pour que vous soyez trouvés dignes de fuir ces choses qui surviendront dans (avenir, et de vous tenir debout en présence du Fils de l’homme. (Luc, XXI, 36.

Ainsi donc, l’annonce de ces événements est un solennel avertissement donné au monde : Veillez et priez, pour ne pas entrer en tentation. (Matt., XXVI, 41.

Vous ne savez pas quand ces choses arriveront : veillez et priez, pour ne pas être surpris.

Vous savez que dès maintenant la séduction agit sur les âmes, que le mystère d’iniquité fait son œuvre, que la foi est réputée un opprobre (s. Grég.; veillez et priez, pour conser­ver la foi.

Voici l’heure de la nuit, l’heure de la puissance des ténè­bres : veillez afin que votre lampe ne s’éteigne pas, priez afin que l’engourdissement et le sommeil ne vous gagnent pas.

Mais plutôt levez vos têtes vers le ciel ; car l’heure de la rédemption approche, car les premières lueurs de l’aube blanchissent déjà la nuit. (Luc, XXI, 28.

III. – Après avoir parlé des enseignements, disons un mot des consolations.

Jamais on n’aura vu le mal plus déchaîné ; et en même temps plus contenu dans la main de Dieu.

L’Église, comme Notre Seigneur, sera livrée sans défense aux bourreaux qui la crucifieront dans tous ses membres ; mais il ne sera pas permis de lui briser les os, qui sont les élus, pas plus qu’à l’agneau pascal étendu sur la croix.

L’épreuve sera limitée, abrégée à cause des élus ; et les élus seront sauvés ; et les élus, ce seront tous les vrais humbles.

Enfin l’épreuve se terminera par un triomphe inouï de l’Église, comparable à une résurrection.

Dans ces temps-là, et même parmi les préludes de la crise suprême, elle verra se convertir les restes des nations. Mais sa plus vive consolation sera le retour des juifs.

Les juifs se convertiront, soit avant soit durant le triom­phe de l’Église ; et saint Paul, qui annonce ce grand événe­ment, ne se tient pas de joie en en contemplant les suites.

On le voit, la parole des Psaumes peut s’appliquer ici à l’Église : Suivant la multitude des afflictions qui ont rempli mon cœur, vos consolations, Seigneur, ont réjoui mon âme.


Deuxième article (avril 1885) - Les signes avant-coureurs

I. – La question de la fin du monde a été agitée dès l’origine de l’Église. Saint Paul avait donné sur ce sujet de précieux enseignements aux chrétiens de Thessalonique ; et comme, malgré ses instructions orales, les esprits ne laissaient pas d’être inquiétés par des prédictions et des rumeurs sans fon­dement, il leur adresse une lettre très grave pour calmer ces inquiétudes.

« Nous vous en prions avec instance, leur dit-il, mes frères, ne vous laissez pas ébranler dans vos résolutions, ni effrayer légèrement, soit par quelque vision, soit par quelque bruit, soit par une lettre qu’on supposerait venir de nous, comme si le jour du Seigneur était proche. »

« Que personne ne vous trompe en aucune façon ! Car il faut auparavant que vienne l’apostasie, et que se révèle l’homme de péché, le fils de perdition… »

« Ne vous rappelez-vous pas que, tandis que j’étais auprès de vous, je vous disais ces choses ? »

« Et maintenant vous savez ce qui empêche qu’il ne se révèle. Car le mystère d’iniquité fait déjà son œuvre. Que celui qui tient tienne bon, en attendant qu’il soit mis de côté. » (2 Thes., II, 1, 6.

Ainsi la fin du monde n’arrivera pas, sans que se révèle un homme effroyablement méchant et impie, que saint Paul qualifie en l’appelant l’homme de péché, le fils de perdition. Et celui-ci à son tour ne se manifestera qu’après une aposta­sie générale, et après la disparition d’un obstacle providentiel sur lequel l’Apôtre avait renseigné de vive voix ses fidèles.

II. – De quelle apostasie saint Paul veut-il parler ? Il ne s’agit pas d’une défection partielle ; car il dit d’une manière abso­lue, l’apostasie. On ne peut l’entendre, hélas ! que de l’apos­tasie en masse des sociétés chrétiennes, qui socialement et civilement renieront leur baptême ; de la défection de ces nations que Jésus-Christ, suivant l’énergique expression de saint Paul, a rendues Con-corporelles à son Église. (Eph., III, 6.) Seule, cette apostasie rendra possible la manifestation, et la domination de l’ennemi personnel de Jésus-Christ, en un mot de l’Antéchrist.

Notre Seigneur a dit : Pensez-vous que le Fils de l’hom­me, à sa venue, trouvera la foi sur la terre ? (Luc, XVIII, 8.) Le divin Maître voyait la foi décliner, dans le monde vieillis­sant. Ce n’est pas que les vents du siècle puissent faire vacil­ler cet inextinguible flambeau, mais les sociétés, enivrées du bien-être matériel, le repoussent comme importun.

Tournant le dos à la foi, le monde s’en va dans les ténèbres, et il devient le jouet des illusions du mensonge. Il prend pour des lumières de trompeurs météores. Il irait jus­qu’à prendre pour les premiers feux du jour les rougeurs de l’incendie.

Reniant Jésus-Christ, il faut qu’il tombe bon gré mal gré dans les griffes de Satan si bien nommé le prince des ténè­bres. Il ne peut rester neutre ; il ne peut se créer une indé­pendance. Son apostasie le met directement sous la puis­sance du diable et de ses suppôts.

Le docte Estius, étudiant le texte de l’Apôtre, dit que cette apostasie a commencé en Luther et en Calvin. C’est le point de départ. Depuis elle a fait un chemin effrayant. Aujourd’hui elle tend à se consommer. Elle s’appelle la Révolution, qui est l’insurrection de l’homme contre Dieu et son Christ. Elle a pour formule le laïcisme, qui est l’élimina­tion de Dieu et de son Christ.

C’est ainsi que nous voyons les sociétés secrètes, inves­ties de la puissance publique, s’acharner à déchristianiser la France, en lui enlevant un à un tous les éléments surnaturels dont quinze siècles de foi l’avaient imprégnée. Ces sectaires n’ont qu’un but : sceller l’apostasie définitive, et préparer les voies à l’homme de péché.

Il appartient aux chrétiens de réagir, de toutes les éner­gies dont ils disposent, contre cette œuvre abominable ; et pour cela de faire rentrer Jésus-Christ dans la vie privée et publique, dans les mœurs et dans les lois, dans l’éducation et dans l’instruction. Il y a longtemps, hélas ! qu’en tout cela Notre Seigneur n’est plus ce qu’il devrait être, à savoir tout. Il y a longtemps que règne une demi-apostasie. Com­ment par exemple, depuis que l’instruction est paganisée, aurions-nous pu former autre chose que des demi-chrétiens ?

En travaillant dans le sens directement opposé à la Franc-Maçonnerie, les chrétiens retarderont l’avènement de l’hom­me de péché ; ils ménageront à l’Église la paix et l’indépendance dont elle a besoin, pour saisir et convertir le monde qui s’ouvre devant elle.

Toute la lutte de l’heure présente est donc concentrée là : laisserons-nous, oui ou non, nous baptisés, se consom­mer l’apostasie qui amènera à bref délai l’Antéchrist ?

III. – L’Apôtre parle, en termes pour nous énigmatiques, d’un obstacle qui s’oppose à l’apparition de l’homme de péché « Que celui qui tient, dit-il, tienne bon, jusqu’à ce qu’il soit mis de côté. »

Par ce tenant, les plus anciens Pères grecs et latins entendent presque unanimement l’empire romain. Conséquem­ment ils expliquent ainsi saint Paul : Tant que subsistera l’empire romain, l’Antéchrist ne paraîtra pas.

Des interprètes plus récents répugnent à cette glose ; ils n’admettent pas que le sort de l’Église semble lié à celui d’un empire ; mais ils cherchent vainement une autre expli­cation qui soit satisfaisante.

Nous avouons ingénument que la pensée des anciens interprètes ne nous paraît pas si méprisable, pourvu que nous l’entendions avec une certaine ampleur.

Remarquons que saint Paul, en annonçant aux fidèles une apostasie alors que la conversion du monde était à peine ébauchée, avait dû leur donner une vue de tout l’ave­nir de l’Église. Il leur avait fait connaître que les nations se convertiraient, qu’il se formerait des sociétés chrétiennes, puis que ces sociétés perdraient la foi. Il leur avait montré sans aucun doute l’empire romain transformé, un pouvoir chrétien surgissant à la place d’un pouvoir païen, l’autorité des Césars passant à des mains baptisées qui s’en serviraient pour étendre le royaume de Jésus-Christ. Et il avait pu dès lors ajouter : Tant que durera cet état de choses, soyez tranquilles, l’Antéchrist ne paraîtra pas.

Le sens de l’Apôtre, entendu largement, serait donc celui-ci : Tant que la domination du monde restera entre les mains baptisées de la race latine, l’ennemi de Jésus-Christ ne se montrera pas.

Remarquons, comme corollaire de cette interprétation, que les francs-maçons s’opposent avant tout et par-dessus tout à la restauration du pouvoir chrétien. Qu’un prince s’annonce comme chrétien, tous les moyens sont mis en œuvre pour se débarrasser de lui. C’est ce qu’il ne faut à aucun prix ([1]).

Donc le pouvoir politique chrétien est ce qui empêche­rait la secte d’arriver à son but.

D’un autre côté, les races latines sont vouées à exercer dans le monde une influence catholique, ou bien à abdiquer. Leur mission est de servir à la diffusion de l’Évangile ; et leur existence politique est liée à cette mission. Du jour où elles y renonceraient par l’apostasie complète, elles seraient annihilées ; et l’Antéchrist, surgissant probablement en Orient, les foulerait facilement aux pieds ([2]).

Ici encore il incombe aux chrétiens d’agir sur l’esprit public, de faire reprendre aux gouvernements les traditions chrétiennes, en dehors desquelles il n’y a que décadence pour les nations européennes et spécialement pour notre pauvre patrie.


Troisième article (mai 1885) - L’homme de péché

I. – Il est dans les choses possibles, bien que l’apostasie soit fort avancée, que les chrétiens, par un effort généreux, fas­sent reculer les meneurs de la déchristianisation à outrance, – et procurent ainsi à l’Église des jours de consolation et de paix avant la grande épreuve. Ce résultat, nous l’espérons, non pas des hommes, mais de Dieu, non tant des efforts que des prières.

Dans cet ordre d’idées, quelques pieux auteurs attendent, après la crise présente, un triomphe de l’Église, quelque chose comme un jour des Rameaux, dans lequel cette Mère serait saluée par les longs cris d’amour des fils de Jacob, réunis aux nations dans l’unité d’une même foi. Nous nous associons volontiers à ces espérances, qui visent un fait for­mellement annoncé par les prophètes, et dont nous reparle­rons en son lieu.

Quoi qu’il en soit, ce triomphe, si Dieu nous l’accorde, ne sera pas de longue durée. Les ennemis de l’Église, un moment étourdis, reprendront leur œuvre satanique avec un redoublement de haine. On peut se représenter l’état de l’Église alors, comme tout semblable à l’état de Notre Sei­gneur durant les jours qui ont précédé sa Passion.

Le monde sera profondément agité, comme l’était le peuple juif rassemblé pour les fêtes pascales. Il y aura des rumeurs immenses, chacun parlant de l’Église, les uns pour dire elle est divine, les autres elle ne l’est pas. Elle sera en butte aux attaques les plus insidieuses de la libre-pensée ; mais jamais elle n’aura mieux réduit au silence ses contra­dicteurs, en pulvérisant leurs sophismes.

Bref, le monde sera mis en face de la vérité ; il sera frappé en plein visage par le rayonnement divin de l’Église mais il détournera la tête, et dira : Je n’en veux pas !

Ce mépris de la vérité, cet abus des grâces amèneront la révélation de l’homme de péché. L’humanité aura voulu ce maître immonde : elle l’aura. Et par lui se produira une séduction d’iniquité, une efficace d’erreur (c’est ainsi que Bossuet traduit saint Paul) qui punira les hommes d’avoir rejeté et haï la Vérité.

En parlant ainsi, nous ne faisons pas d’imagination, nous suivons l’Apôtre. D’après lui, en effet, toute séduction d’iniquité agira « sur ceux qui périssent, comme n’ayant pas reçu l’amour de la Vérité qui les eût sauvés. C’est pour cette raison que Dieu leur enverra une efficace d’erreur, afin qu’ils croient au mensonge ; et ainsi seront jugés ceux qui n’auront pas cru à la vérité, mais qui auront consenti à l’iniquité ». (2 Thes., II, 11, 12.

II. – Quand l’homme de péché paraîtra, ce sera donc, comme dit saint Paul, en son temps ; c’est-à-dire à un moment où le corps des méchants, endurci contre les traits de la grâce, rendu compact et intraitable par l’obstination de sa malice, réclamera cette tête.

Elle surgira, et Satan fera éclater en elle toute l’étendue de sa haine contre Dieu et les hommes.

L’homme de péché, l’Antéchrist, sera un homme, un simple voyageur vers l’éternité. Quelques auteurs ont soup­çonné en lui une incarnation du démon ; cette imagination est sans fondement. Le diable n’a pas la puissance de pren­dre et de s’unir la nature humaine, de singer l’adorable mys­tère de l’Incarnation du Verbe.

Les Pères pensent unanimement qu’il sera juif d’origine. Ils ajoutent même qu’il sera de la tribu de Dan, se fondant sur ce que cette tribu n’est pas nommée dans l’Apocalypse comme fournissant des élus au Seigneur. Saint Augustin fait écho à cette tradition, dans son livre des Questions sur Josué. Elle est rendue fort vraisemblable par ce fait que la franc-maçonnerie est d’origine juive, que les juifs en tien­nent les fils dans le monde entier ; ce qui donne à croire que le chef de l’empire antichrétien sera un juif. Les juifs, d’ailleurs qui ne veulent pas reconnaître Jésus-Christ, atten­dent toujours leur Messie. Notre Seigneur leur disait : Je suis venu au nom de mon Père et vous ne me recevez pas : si un autre vient en son nom propre, vous le recevrez. (Joan., V, 43.) Par cet autre, les Pères entendent communément l’Antéchrist.

Quoique l’Antéchrist soit nommé l’homme de péché, le fils de perdition, il ne faut pas croire qu’il sera voué au mal, comme fatalement et irrémissiblement. Il recevra des grâces, il connaîtra la vérité, il aura un ange gardien. Il sera mis en voie de parvenir au salut, il ne se perdra que par sa faute. Toutefois saint Jean Damascène n’hésite pas à dire qu’il sera, dès sa naissance impure, tout imprégné des souffles de Satan. Et il est à croire que, dès l’âge de raison, il entrera en rapports si constants et si étroits avec l’esprit des ténè­bres, il se portera au mal avec une telle opiniâtreté, qu’il ne laissera pénétrer dans son âme aucune lumière surnaturelle, aucune grâce d’en haut. Il restera immuablement rebelle à tout bien.

C’est ce qui lui vaudra le nom d’homme de péché. Il poussera le péché à son comble, en ne faisant de toute sa vie qu’un long acte de révolte contre Dieu ; par cette cons­tante application au mal, il atteindra un raffinement d’im­piété auquel aucun homme n’est jamais parvenu.

La qualification de fils de perdition, qui lui est commune avec Judas, veut dire que sa perte éternelle est prévue de Dieu, voulue de Dieu, en punition de son épouvantable malice, à ce point qu’elle est inscrite dans les Écritures et comme enregistrée d’avance. Il est probable – et c’est la pensée de saint Grégoire – que le monstre connaîtra, à une lumière sortie des gouffres de l’enfer, le sort qui l’attend, qu’il renoncera à toute espérance pour haïr Dieu plus à son aise, qu’il se fixera dès cette vie dans l’irrémédiable obstina­tion des damnés. Et il réalisera ainsi le nom terrible de fils de perdition.

Il sera de la sorte vraiment l’Antéchrist, à savoir l’anti­pode de Notre Seigneur. Jésus-Christ était élevé au-dessus des atteintes du péché ; lui se mettra en dehors des atteintes de la grâce, par un abandon de tout son être à l’esprit du mal. Jésus-Christ se portait à son Père de tous les élans d’une nature divinisée et soustraite aux influences mauvai­ses : lui se portera au mal de tous les élans d’une nature profondément viciée et qui renoncera même à l’espérance.

III. – Étant ainsi diamétralement opposé à Notre Seigneur, il fera des œuvres en opposition directe avec les siennes.

Il sera pour Satan un organe de choix, un instrument de prédilection.

De même que Dieu, envoyant son Fils au monde, l’a revêtu de la puissance de faire des miracles, et même de rendre la vie aux morts, ainsi Satan, passant un pacte avec l’homme de péché, lui communiquera le pouvoir de faire de faux miracles. C’est pourquoi saint Paul dit que « son avè­nement aura lieu suivant l’opération de Satan, avec déploie­ment de puissance, de signes et de prodiges menteurs ». Notre Seigneur n’a fait que des miracles de bonté, il a refusé de faire des prodiges de pure ostentation ; l’Antéchrist s’y com­plaira, et les peuples, par un juste jugement de Dieu, se lais­seront prendre à ses jongleries.

Il est clair, d’après ce qui précède, que l’Antéchrist se présentera au monde comme le type le plus complet de ces faux prophètes qui fanatisent les masses, et qui les entraî­nent à tous les excès sous le prétexte d’une réforme reli­gieuse. A ce point de vue, Mahomet semble être son vrai précurseur. Mais il le dépassera immédiatement en scéléra­tesse, en habileté, comme aussi par la plénitude de son pou­voir satanique.

Nous étudierons dans un prochain article les origines et les développements de sa puissance, ainsi que les phases de la guerre d’extermination qu’il déchaînera contre l’Église de Jésus-Christ.


Quatrième article (juin 1885) - L’Empire de l’Antéchrist - Vision du prophète Daniel

I. – Une nuit, le prophète Daniel eut une vision formidable. Tandis que les quatre vents du ciel se combattaient sur une vaste mer, il vit surgir du milieu des flots, quatre bêtes monstrueuses.

C’étaient une lionne, un ours, un léopard à quatre têtes, puis je ne sais quel monstre d’une force prodigieuse, ayant des dents et des ongles de fer, et dix cornes sur le front.

Il fut révélé au prophète que ces quatre bêtes signifiaient quatre empires qui s’élèveraient successivement sur les flots mouvants de l’humanité.

Or, tandis que Daniel considérait avec épouvante la qua­trième bête, il vit une petite corne naître au milieu des dix autres, en abattre trois, et grandir par-dessus toutes ; et cette corne avait comme des yeux d’homme, et une bouche qui tenait de grands discours ; et elle faisait la guerre aux saints du Très-Haut, et elle l’emportait sur eux.

Le prophète demanda le sens de cette vision étrange. Il lui fut répondu que les dix cornes représentaient dix rois ; que la petite corne était un roi qui finirait par dominer sur toute la terre avec une puissance inouïe.

« Il vomira, lui fut-il dit, des blasphèmes contre Dieu, il broiera sous ses pieds les saints du Très-Haut ; il pensera pouvoir changer les temps et les lois ; et tout lui sera livré pendant un temps, deux temps, et la moitié d’un temps. » (Dan., VII.

II. – Par ce roi, tous les interprètes entendent l’Antéchrist.

Quelle est la bête sur laquelle surgit, au temps marqué, cette corne d’impiété ? c’est la Révolution, par laquelle on entend tout le corps des impies, obéissant à un moteur occulte, et s’insurgeant contre Dieu : la Révolution, puis­sance à la fois satanique et bestiale, satanique comme ani­mée d’un esprit infernal, bestiale comme livrée à tous les instincts de la nature dégradée. Elle a des dents et des ongles de fer : car elle forge des lois despotiques, au moyen desquelles elle broie la liberté humaine. Elle cherche à s’em­parer des rois et des gouvernements, qui doivent passer un pacte avec elle. Quand paraîtra l’Antéchrist, elle aura dix rois à son service, comme dix cornes sur le front. L’Antéchrist, nous dit Daniel, paraîtra comme une petite corne ; il aura des commencements obscurs. Il ne sera pas issu de famille royale ; ce sera un Mahomet, un Mahdi, qui s’élèvera peu à peu par la hardiesse de ses impostures, secondées de toute la complicité du diable.

La corne en effet qui le représente est très différente des autres. Elle a des yeux comme des yeux d’hommes ; car le nouveau roi est un voyant, un faux prophète. Elle a une bouche disant de grands mots ; car il s’impose non moins par l’éclat de la parole et la séduction des promesses, que par la force des armes et les ruses de la politique.

Tout le monde aura bientôt les regards tournés vers l’imposteur, dont les trompettes d’une presse complaisante célébreront les hauts faits. Sa popularité portera ombrage à plusieurs des souverains apostats, qui se partageront alors l’empire de la bête révolutionnaire. Il s’ensuivra une lutte gigantesque, dans laquelle, suivant Daniel, l’Antéchrist abat­tra trois de ses rivaux.

A ce moment tous les peuples, fanatisés par ses prodiges et ses victoires, l’acclameront comme le sauveur de l’huma­nité. Et les autres rois n’auront d’autre ressource que de lui faire leur soumission.

Ce sera le commencement d’une crise terrible pour l’Église de Dieu. Car la corne d’impiété, parvenue au faîte de la puissance, fera la guerre aux saints et prévaudra contre eux.

III. – Il est probable que, durant toute cette première période qui pourra durer de longues années, l’homme de péché affectera des airs de modération hypocrite.

Juif, il se présentera aux juifs comme le Messie attendu, comme le restaurateur de la loi de Moïse ; il essaiera de tourner en sa faveur les mystérieuses prophéties d’Isaïe et d’Ézéchiel ; il rebâtira, au dire de plusieurs Pères, le temple de Jérusalem. Les Juifs, au moins en partie, éblouis par ses faux miracles et son faste insolent, le recevront, lui le faux Christ ; et ils mettront à son service la haute finance, toute la presse, et les loges maçonniques du monde entier.

Il est très croyable aussi que l’Antéchrist ménagera, pour s’élever, tous les partisans des fausses religions. Il s’annon­cera comme plein de respect pour la liberté des cultes, une des maximes et un des mensonges de la bête révolution­naire. Il dira aux bouddhistes, que lui-même est un Boud­dha ; aux musulmans, que Mahomet est un grand prophète. Il n’est même rien d’impossible à ce que le monde musul­man accepte le faux messie des juifs comme un nouveau Mahomet.

Qu’en savons-nous ? Peut-être ira-t-il jusqu’à dire, en son hypocrisie, pareil à Hérode son précurseur, qu’il veut adorer Jésus-Christ. Mais ce ne sera qu’une dérision amère. Mal­heur aux chrétiens qui supportent sans indignation que leur adorable Sauveur soit mis, pêle-mêle avec Bouddha et Ma­homet, dans je ne sais quel panthéon de faux Dieux !

Tous ces artifices, pareils aux caresses du cavalier qui veut monter en selle, gagneront insensiblement le monde à l’ennemi de Jésus-Christ ; mais une fois affermi sur les étriers, il fera jouer le frein et les éperons ; et la plus épou­vantable tyrannie pèsera sur l’humanité.

IV. – Saint Paul nous fait connaître d’un seul trait toute l’ex­trémité de cette tyrannie, la plus odieuse qui fut et qui sera jamais.

L’homme de péché, dit-il, le fils de perdition, l’impie, « se posera en adversaire, s’élèvera au-dessus de tout ce qu’on nomme Dieu ou de ce qu’on honore comme Dieu, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, comme Dieu lui-même ». (2 Th., II, 4.

Daniel l’avait prédit avant saint Paul. « Il ne comptera pour rien le Dieu de ses Pères ; il se plongera dans les débauches ; il n’aura cure d’aucun Dieu, il se dressera contre tout. » (Dan., XI, 17.

Ainsi, quand l’Antéchrist aura asservi le monde, quand il aura placé partout ses lieutenants et ses créatures, quand il pourra faire jouer à son profit tous les ressorts d’une centra­lisation poussée à son comble : il lèvera le masque, il pro­clamera que tous les cultes sont abolis, il se donnera comme le Dieu unique, et, sous les peines les plus affreuses et les plus infamantes, voudra forcer tous les habitants de la terre à adorer, à l’exclusion de toute autre, sa propre divinité.

C’est là que viendra aboutir la fameuse liberté des cultes, dont on fait tant d’étalage ; la promiscuité des erreurs exige logiquement cette conclusion.

Tandis qu’il était sur la terre, l’adorable Jésus, doux et humble de cœur, ne s’est jamais proposé à l’adoration de ses apôtres, lui qui était Dieu ; tout au contraire, il s’est mis à genoux devant eux, en leur lavant les pieds. L’Antéchrist, monstre d’impiété et d’orgueil, se fera adorer, lui, par l’hu­manité affolée et séduite ; elle aura choisi ce maître, de pré­férence au premier.

Et qu’on ne pense pas que le piège sera grossier ! N’ou­blions pas, dit saint Grégoire, que le monstre disposera de la puissance du diable pour faire de faux prodiges : au lieu qu’au commencement les miracles étaient du côté des mar­tyrs, ils sembleront alors être du côté des bourreaux. Il y aura un éblouissement, un vertige. Seuls les vrais humbles, affermis en Dieu, démêleront le mensonge et échapperont à la tentation.

Mais où l’Antéchrist établira-t-il son nouveau culte ? Saint Paul dit dans le temple de Dieu ; saint Irénée, presque contemporain des apôtres, précise davantage, et dit dans le temple de Jérusalem qu’il fera rebâtir. Ce sera le centre de l’horrible religion. Saint Jean d’ailleurs nous fait connaître que l’image du monstre sera proposée partout à l’adoration des hommes. (Ap., XIII, 24.

Alors bouddhisme, mahométisme, protestantisme, etc., seront supprimés et abolis. Mais il va sans dire que la fureur du monde se dirigera contre Notre Seigneur et son Église. Il fera cesser le culte public ; il enlèvera, dit Daniel, le sacrifice perpétuel. On ne pourra plus célébrer la sainte messe que dans les cavernes et les lieux cachés. Les églises profanées ne présenteront aux regards que l’abomination dans la désolation, à savoir l’image du monstre élevée sur les autels du vrai Dieu. (Daniel, passim.Il y a eu un essai de tout cela dans la Révolution française.

C’est ici que la main de Dieu se fera sentir. Il abrégera ces jours de suprême angoisse. Cette persécution, qui fera vaciller les colonnes du ciel, ne durera qu’un temps, deux temps et la moitié d’un temps, à savoir trois ans et demi.


Cinquième article (juillet 1885) - Les prédicateurs de l’Antéchrist - Vision de saint Jean

I. – Les livres saints, qui entrent en tant de détails sur l’Homme de péché, nous font connaître un agent mystérieux de séduction qui lui soumettra la terre. Cet agent, à la fois un et multiple, est selon saint Grégoire, une sorte de corps enseignant qui propagera partout les doctrines perverses de la Révolution.

L’Antéchrist aura ses lieutenants et ses généraux ; il pos­sédera une armée innombrable. On ose à peine entendre, au pied de la lettre, le chiffre que saint Jean nous donne en parlant de sa seule cavalerie (Ap., IX, 16) ([3]). Mais il aura surtout à son service de faux prophètes comme lui, des illuminés du diable, des docteurs de mensonges ; ennemi personnel de Jésus-Christ, il singera le divin Maître, en s’en­tourant d’apôtres à rebours.

Parlons donc, d’après saint Jean, de ces docteurs impies, que nous nommerons avec saint Grégoire les prédicateurs de l’Antéchrist.

II. – Saint Jean, au chapitre XIII de son Apocalypse, décrit une vision toute semblable à celle de Daniel. Il voit surgir de la mer un monstre unique, réunissant en lui-même par une horrible synthèse tous les caractères des quatre bêtes aperçues par le prophète. Ce monstre ressemble au léopard ; il a les pieds de l’ours, la gueule du lion ; il a sept têtes et dix cornes.

Il représente l’empire de l’Antéchrist, formé de toutes les corruptions de l’humanité. Il représente l’Antéchrist lui-même qui est le nœud de tout cet assemblage violent de membres incohérents et disparates. On croit voir l’imposteur, avec le cortège de chrétiens apostats, de musulmans fanatisés, de juifs illuminés, qui le suivra partout.

Or, tandis que saint Jean considérait cette Bête, il vit une des têtes comme frappée de mort ; puis la plaie mortelle fut guérie. Et toute la terre s’émerveilla après la Bête. Les interprètes voient là un des faux prodiges de l’Antéchrist ; un de ses principaux lieutenants, ou peut-être lui-même, paraîtra blessé grièvement, on le croira mort, quand sou­dain, par un artifice diabolique, il se dressera plein de vie. Cette imposture sera célébrée par tous les journaux, ce jour-là fort crédules ; et l’enthousiasme ira jusqu’au délire.

« Alors, continue saint Jean, les hommes adorèrent le dragon qui donna cette puissance à la Bête ; et ils adorèrent la Bête, en disant : Qui est semblable à elle, et qui pourra la combattre ? »

Ainsi le diable sera publiquement adoré, ainsi que l’An­téchrist ; et ce ne sera pas un culte double, le premier étant adoré dans le second. Saint Jean nous fait assister ensuite à la persécution contre l’Église.

« Et il fut donné à la Bête une bouche disant de grands mots et des blasphèmes ; et elle eut puissance d’agir durant 42 mois. »

Ceci est la parole même de Daniel, et désigne le temps de la persécution arrivée à son paroxysme. 42 mois, cela fait juste trois ans et demi.

« Et elle ouvrit sa bouche en blasphèmes contre Dieu, blasphèmes à son nom, à son tabernacle, à ceux qui habi­tent dans le ciel. »

« Et il lui fut donné de faire la guerre aux saints, et de les vaincre. Et elle reçut puissance sur toute tribu, langue, peuple et nation. »

« Et tous ceux qui habitent la terre l’adorèrent, hormis ceux dont les noms sont écrits au livre de vie de l’Agneau, qui a été tué dès l’origine du monde. »

« Si quelqu’un a des oreilles, qu’il entende ! »

« Qui sera conduit en captivité, ira en captivité ; qui tombera sous le glaive, ne pourra échapper au glaive. Là se montreront la patience et la foi des saints. » (XIII, 3-11.

C’est ainsi que l’apôtre bien-aimé décrit la terrible persé­cution. A toutes les menaces se joindront toutes les séduc­tions ; il en résultera un fanatisme délirant qui jettera le monde entier aux pieds de la Bête. Mais tous les assauts de l’enfer échoueront devant « la patience et la foi des saints ».

III. – Saint Jean nous peint ensuite le grand agent de séduc­tion qui pliera les esprits des hommes au culte de la Bête.

« Je vis, dit-il, s’élever de terre une autre Bête ; elle avait deux cornes comme celles de l’Agneau, et elle parlait com­me le dragon. »

« Et elle exerçait toute la puissance de la première Bête, en sa présence ; et elle fit en sorte que toute la terre et ses habitants adorèrent cette Bête, dont la plaie mortelle avait été guérie. »

« Et elle fit de grands prodiges, jusqu’à faire descendre le feu du ciel en terre, en présence des hommes. »

« Et elle séduisit les habitants de la terre par les pro­diges qu’il lui fut donné de faire, leur persuadant de fabri­quer l’image de la Bête qui avait reçu la blessure du glaive et avait survécu. »

« Et il lui fut donné d’animer l’image de la Bête, de manière à la faire parler ; et de forcer tous les hommes, sous peine de mort, à adorer la Bête. »

« Et elle fera porter à tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, un caractère à la main droite ou au front ; en sorte que nul ne puisse acheter ou vendre, qu’il n’ait ce caractère, soit le nom de la Bête, soit le chiffre de son nom. »

« Ici est la sagesse. Que quiconque a reçu l’intelligence, suppute le chiffre de la Bête. C’est un nombre d’hommes, et ce nombre est 666. » (Ap., XIII, 11-18.) 

Telle est la seconde partie de la prophétie de saint Jean. Saint Grégoire interprète ce mystérieux passage en ce sens que, comme nous l’avons dit, l’Antéchrist aura son collège de prédicateurs et d’apôtres à rebours. Et ces docteurs de mensonge seront quelque chose comme nos savants moder­nes, doublés d’un magicien ou d’un spirite.

Ils auront l’apparence de l’Agneau. Ils singeront les maxi­mes évangéliques de paix, de concorde, de liberté, de frater­nité humaine ; et sous ces dehors, ils propageront l’athéisme le plus éhonté.

Ils auront l’apparence de l’Agneau. Ils se donneront comme des agents de persuasion, respectueux pour les consciences ; et puis ils feront mourir dans les tourments ceux qui refuseront de les écouter.

« Leurs auditeurs, dit fortement saint Grégoire, ce seront tous les réprouvés ; leur tactique, dit-il encore, consistera à proclamer que le genre humain, durant les âges de foi, était plongé dans les ténèbres ; et ils salueront l’avènement de l’Antéchrist comme l’apparition du jour et le réveil du mon­de. » (Mor. in Job. lib. XXXIII.

Ces prédications seront appuyées par de faux prodiges. Instruits par le diable et son suppôt de secrets naturels encore inconnus, les missionnaires de l’Antéchrist épouvante­ront et séduiront les multitudes par toute espèce de sorti­lèges ; ils feront descendre le feu du ciel, et parler les images de l’Antéchrist qu’ils auront érigées.

Mais ce n’est pas tout. Ils forceront les hommes, sous peine de mort, à adorer ces images parlantes. Ils les oblige­ront à porter, à la main droite ou au front, le chiffre du monstre. Et quiconque n’aura pas ce chiffre ne pourra ni acheter ni vendre.

Là se montre l’effroyable raffinement de la persécution suprême. Celui qui ne portera pas l’estampille du monstre sera par là même hors-la-loi, hors-la-société, passible de mort.

Mais ne voyons-nous pas dès à présent se dessiner quel­que essai de cette tyrannie ?

Que sont tous ces maîtres de l’enseignement sans Dieu, sinon les précurseurs de l’Antéchrist ? La Révolution veut avoir son corps enseignant, chargé officiellement de déchris­tianiser la jeunesse, et d’imprimer au front de tous, petits et grands, pauvres et riches, l’estampille du Dieu-État. L’ensei­gnement obligatoire et laïque n’a pas d’autre but. Déjà on prépare des lois pour interdire l’entrée des carrières publi­ques à quiconque n’aura pas reçu la griffe des écoles de l’État. Le jour où passeront ces lois abominables, on pourra prendre le deuil de la liberté humaine. Nous entrerons sous une tyrannie sombre, étouffante, infernale. L’Antéchrist pourra venir.

Nous voulons l’espérer, la conscience publique est trop chrétienne encore pour supporter une pareille torture. Aussi cherche-t-on, par tous les moyens possibles, à l’endormir. D’ailleurs, que les croyants se consolent ! Toutes ces extrémités ne serviront, dans les desseins de Dieu, qu’à faire éclater la patience et la foi des saints. C’est ce que nous ver­rons au chapitre suivant.


Sixième article (août 1885) - L’Église durant la tourmente

I. – Saint Grégoire le Grand, en ses lumineux commentaires sur Job, ouvre les aperçus les plus profonds sur toute l’his­toire de l’Église. Il est visiblement animé lui-même de cet esprit prophétique répandu dans toutes les Écritures.

Il contemple l’Église, à la fin des âges, sous la figure de Job humilié et souffrant, exposé aux insinuations perfides de sa femme et aux critiques amères de ses amis ; lui devant qui autrefois les vieillards se levaient, et les princes faisaient silence !

L’Église, dit maintes fois le grand pape, vers le terme de son pèlerinage, sera privée de tout pouvoir temporel ; on cherchera à lui enlever tout point d’appui sur la terre.

Mais il va plus loin encore, et il déclare qu’elle sera dépouillée de l’éclat même qui provient des dons surnaturels. « La puissance des miracles, dit-il, sera retirée, la grâce des guérisons enlevée, la prophétie aura disparu, le don d’une longue abstinence sera diminué, les enseignements de la doctrine se tairont, les prodiges miraculeux cesseront. Ce n’est pas à dire qu’il n’y aura plus rien de tout cela ; mais tous ces signes n’éclateront pas ouvertement et sous mille formes comme aux premiers âges. Ce sera même l’occasion d’un merveilleux discernement. Dans cet état humilié de l’Église, grandira la récompense des bons, qui s’attacheront à elle purement en vue des biens célestes ; quant aux mé­chants, ne voyant plus en elle aucun attrait temporel, ils n’auront rien à déguiser, ils se montreront tels qu’ils sont. » (Mor, 1. XXXV

Quelle parole formidable : les enseignements de la doc­trine se tairont ! Saint Grégoire proclame ailleurs que l’Église aime mieux mourir que se taire. Elle parlera donc : mais son enseignement sera entravé, sa voix couverte ; mais plu­sieurs qui devraient crier sur les toits n’oseront plus le faire par crainte des hommes.

Et ce sera l’occasion d’un discernement redoutable.

Saint Grégoire revient souvent sur cette donnée, qu’il y a dans l’Église trois catégories de personnes : les hypocrites ou les faux chrétiens, les faibles et les forts. Or, en ces moments d’angoisses, les hypocrites lèveront le masque, et manifeste­ront leur secrète apostasie ; les faibles, hélas ! périront en grand nombre, et le cœur de l’Église en saignera ; enfin plu­sieurs forts eux-mêmes, trop confiants en leur force, tombe­ront comme les étoiles du ciel.

En dépit de toutes ces tristesses poignantes, l’Église ne perdra ni le courage ni la confiance. Elle sera soutenue par la promesse du Sauveur, consignée dans les Écritures, que ces jours seront abrégés à cause des élus. Sachant que les élus seront sauvés quand même, elle se vouera, dans le plus fort de la tourmente, au sauvetage des âmes avec une éner­gie infatigable.

II. – Malgré l’affreux scandale de ces temps de perdition, il ne faut pas penser en effet que les petits et les faibles seront nécessairement perdus. La voie du salut restera ouverte, et le salut sera possible à tous. L’Église aura des moyens de pré­servation proportionnés à la grandeur du péril. Et ceux-là seulement, parmi les petits, tomberont sous la serre de l’oi­seau de proie, qui auront quitté les ailes de leur mère.

Quels seront ces moyens de préservation ? Les Écritures ne nous laissent pas sans indication à ce sujet ; et nous pouvons sans témérité formuler quelques conjectures.

L’Église se souviendra de l’avertissement donné par Notre Seigneur pour les temps de la prise de Jérusalem, et appli­cable, du consentement des interprètes, à la dernière persé­cution.

« Quand vous verrez l’abomination de la désolation, prédite par le prophète Daniel, debout dans le lieu saint (que celui qui lit, comprenne !), alors que ceux qui sont en Judée s’enfuient vers les montagnes… Priez afin que votre fuite n’ait pas lieu en hiver, ni le jour du Sabbat ! Car il y aura une grande tribulation, telle qu’il n’y en a pas eu depuis l’origine du monde, et qu’il n’y en aura jamais. Et si ces jours n’étaient pas abrégés, nul ne serait sauvé ; mais ils seront abrégés à cause des élus. » (Matth., XXIV, 15, 23.

Conformément à ces instructions du Sauveur, l’Église mettra en sûreté par la fuite les petits du troupeau ; elle leur ménagera des retraites inaccessibles, où la dent de la Bête ne les atteindra pas.

On peut se demander comment il y aura des retraites inaccessibles, alors que la terre sera percée et sillonnée de voies de communication. Il faut répondre que Dieu pour­voira lui-même à la sécurité des fugitifs. Saint Jean nous fait entrevoir cette action de la Providence.

Au chapitre XII de l’Apocalypse, il nous présente une femme vêtue du soleil et couronnée d’étoiles ; c’est l’Église. Cette femme souffre les douleurs de l’enfantement ; car l’Église enfante à Dieu des élus, parmi de grandes souf­frances. Devant elle se tient un grand dragon roux, image du diable et de ses continuelles embûches. Mais la femme s’enfuit dans la solitude, en un lieu préparé par Dieu lui-même, et là elle est nourrie durant 1260 jours (V, 6). Ces 1260 jours, qui font 3 ans et demi, indiquent le temps de la persécution de l’Antéchrist, comme il est manifeste par les autres passages de l’Apocalypse. Donc, durant ce temps, l’Église, en la personne des faibles, s’enfuira dans la soli­tude ; et Dieu lui-même prendra soin de la tenir cachée et de la nourrir.

La fin du même chapitre contient des détails sur cette fuite. Il est donné à la femme deux grandes ailes d’aigle, pour la transporter au désert. Le dragon cherche à la poursuivre ; et sa gueule vomit contre elle de l’eau comme un fleuve. Mais la terre vient en aide à la femme et absorbe le fleuve. Ces paroles énigmatiques désignent quelque grande merveille que Dieu fera paraître en faveur de son Église ; la rage du dragon viendra expirer à ses pieds.

Cependant, tandis que les faibles prieront en sûreté dans une solitude mystérieuse, les forts et les vaillants engageront une lutte formidable, en présence du monde entier, avec le dragon déchaîné.

III. – Il est hors de doute en effet qu’il y aura, dans les derniers âges, des saints d’une vertu héroïque. Au commence­ment, Dieu a donné à son Église les Apôtres, qui ont abattu l’empire idolâtrique, et qui l’ont fondée et cimentée elle-même dans leur sang. A la fin, il lui donnera des enfants et des défenseurs, qu’on peut dire non moins saints et non moins grands.

Saint Augustin s’écrie, en pensant à eux : « En compa­raison des saints et des fidèles qui seront alors, que sommes-nous ? Car, pour les mettre à l’épreuve, le diable sera dé­chaîné, lui que nous ne combattons qu’au prix de mille dangers, maintenant qu’il est lié. Et toutefois, ajoute-t-il, il est à croire qu’aujourd’hui même le Christ a des soldats assez prudents et assez forts, pour pouvoir au besoin déjouer avec sagesse les embûches, et subir avec patience les assauts de leur ennemi même déchaîné. » (De Civ. Dei, XX, 8.

Saint Augustin se demande ensuite : Y aura-t-il encore des conversions, en ces temps de perdition ? Baptisera-t-on encore les enfants, malgré les prohibitions du monstre ? Les saints d’alors auront-ils la puissance d’arracher des âmes à la gueule du dragon furieux ? Le grand Docteur répond affirmativement à toutes ces questions. Sans doute les conver­sions seront plus rares, mais elles n’en seront que plus écla­tantes. Sans doute, en règle générale, il faut que Satan soit lié pour qu’on puisse le dépouiller (Mat., XI, 29) ; mais, en ces jours, Dieu se plaira à montrer que sa grâce est plus forte que le fort lui-même, en son plus furieux déchaînement.

Chacun remarquera combien ces données sont conso­lantes.

Mais quels seront les saints des derniers âges ? Parmi eux nous aimons à penser qu’il y aura des soldats. L’Anté­christ sera un conquérant, il commandera des armées ; il trouvera devant lui des Légions thébaines, des héros de cette lignée glorieuse et indomptable qui a les Macchabées pour ancêtres, et qui compte dans ses rangs les Croisés, les pay­sans de la Vendée et du Tyrol, enfin les Zouaves pontifi­caux. Ces soldats, il pourra les écraser sous le poids de ses hordes innombrables ; il ne les fera pas fuir.

Mais l’Antéchrist sera surtout un imposteur ; par consé­quent il rencontrera comme adversaires principalement des apôtres armés du crucifix. Comme la persécution dernière revêtira l’aspect d’une séduction, ceux-ci uniront à la patience des martyrs la science des docteurs. Notre Seigneur les fit voir un jour à sainte Thérèse, tenant en main des glaives lumineux.

A la tête de ces phalanges intrépides, apparaîtront deux envoyés extraordinaires de Dieu, deux géants de sainteté, deux survivants des anciens âges ; nous avons nommé Hé­noch et Élie, dont nous parlerons à l’article suivant.


Septième article (septembre 1885) - Hénoch et Élie

Les faits merveilleux que nous allons retracer ne sont pas des suppositions aventurées ; ce sont des vérités prises dans l’Écriture sainte et qu’il serait au moins téméraire de nier.

Avant la fin des temps, et durant la persécution de l’An­téchrist, on verra réapparaître au milieu des hommes deux personnages extraordinaires, nommés Hénoch et Élie.

Quels sont ces personnages ? Dans quelles conditions feront-ils leur rentrée providentielle sur la scène du monde ? C’est ce que nous allons examiner, à la lumière des Écritures et de la Tradition.

I. – Hénoch est un des descendants de Seth fils d’Adam, et souche de la race des enfants de Dieu. Il est le chef de la sixième génération à partir du père du genre humain. Voici ce que la Genèse nous apprend à son sujet :

« Jared vécut 162 ans et engendra Hénoch… Or Hénoch vécut 365 ans, et engendra Mathusalem. Et Hénoch marcha avec Dieu, et il vécut, après avoir engendré Mathusalem, 300 ans, et il eut des fils et des filles. Et les jours d’Hénoch furent de 365 ans. Et il marcha avec Dieu, et il disparut, parce que Dieu l’enleva. » (Gen., V, 18-25.

Dieu l’enleva âgé de 365 ans, c’est-à-dire, vu cette épo­que d’extrême longévité, dans la maturité de l’âge. Il ne mourut pas, il disparut. Il fut transporté, vivant, en un lieu connu de Dieu seul. Voilà pour Hénoch patriarche de la race de Seth, trisaïeul de Noé, ancêtre du Sauveur.

Quant à Élie, son histoire est mieux connue. Hénoch, antérieur au Déluge, naquit plusieurs milliers d’années avant Jésus-Christ. Élie parut dans le royaume d’Israël moins de mille ans avant le Sauveur ; c’est le grand prophète de la nation juive.

Sa vie est on ne peut plus dramatique (Reg., III, IV). On pourrait dire qu’elle est une prophétie en action de l’état de l’Église, au temps de la persécution de l’Antéchrist. Il est toujours errant, toujours menacé de mort, toujours à cou­vert sous la main de Dieu. Tantôt Dieu le cache au désert, où des corbeaux le nourrissent ; tantôt il le présente au fier Achab, qui tremble devant lui. Il lui remet les clefs du ciel, pour en faire sortir la pluie ou la foudre ; il le favorise sur le mont Horeb d’une vision pleine de mystères. Il le fait grandir en un mot jusqu’à la taille de Moïse le thaumaturge, de façon qu’avec Moïse il escorte Notre Seigneur sur le Thabor.

La disparition d’Élie répond à une vie d’une étrangeté si sublime. On le voit cheminer avec Élisée son disciple ; il s’ouvre un passage dans le Jourdain, en frappant les eaux de son manteau. Il annonce qu’il va être enlevé au ciel. – Tout à coup « tandis qu’ils allaient et parlaient ensemble, un char de feu et des coursiers de feu les séparèrent, et Élie monta au ciel dans un tourbillon. Élisée le voyait et criait : Mon père, mon père, toi le char d’Israël et son conducteur. Et puis il ne le vit plus » (IV Reg., II, 11-12).

Et c’est ainsi qu’Élie, l’ami de Dieu, le zélateur de sa gloire, fut enlevé et transporté, lui aussi, en une région mysté­rieuse, où il retrouva son ancêtre le grand Hénoch.

Quelle est cette région ? Hénoch et Élie sont vivants, cela est certain. Où Dieu les a-t-il cachés ? Est-ce dans une contrée inaccessible de ce bas monde ? Est-ce dans quelque plage du firmament ? Nul ne le peut dire. On peut seulement affirmer que pour le moment ils sont en dehors des condi­tions humaines ; les siècles coulent à leurs pieds, sans les atteindre ; ils restent dans la maturité de l’âge, et tels sans doute qu’ils ont été enlevés du milieu des hommes.

II. – Leur réapparition sur la scène du monde n’est pas moins certaine que leur disparition.

Voici en effet comment parle de ces grands personnages l’auteur inspiré de l’Ecclésiastique, exprimant toute la tradi­tion juive.

« Hénoch plut à Dieu, et fut transporté dans le paradis, pour prêcher la pénitence aux nations. » (Eccles., XLIV 15.

« Qui peut se glorifier à l’égal de toi, ô Élie ? Toi qui as été enlevé par le tourbillon de flammes, et par le char aux coursiers de feu ; toi qui es inscrit dans les jugements des temps futurs, pour apaiser la colère du Seigneur, pour rap­procher le cœur du père vers le fils, et pour rétablir les tri­bus d’Israël. » (Jb., XLVIII, 1-11.

Ces paroles d’un livre canonique nous font clairement connaître qu’Hénoch et Élie ont une mission ultérieure à remplir. Hénoch doit prêcher la pénitence aux nations, ou, si l’on préfère cette traduction, amener les nations à la pénitence. Élie doit rétablir un jour les tribus d’Israël, c’est-à-dire leur rendre le rang d’honneur auquel elles ont droit dans l’Église de Dieu.

L’unanimité des docteurs a compris que cette double mission se réaliserait simultanément vers la fin du monde. Élie en particulier est considéré comme le précurseur de Jésus-Christ venant du ciel comme juge ; cette pensée ressort manifestement des Évangiles. (Matt., XVII ; Marc, IX.

Donc, les hommes verront un jour, et non sans épou­vante, Hénoch et Élie redescendre au milieu d’eux, et leur prêcher la pénitence avec un éclat extraordinaire. Saint Jean les nomme les deux témoins de Dieu, et il les dépeint comme il suit dans son Apocalypse (XI, 3-7) :

« Ils prophétiseront durant 1.260 jours, revêtus de sacs.

« Ce sont les deux oliviers, et les deux candélabres qui se tiennent en présence du Seigneur de la terre.

« Si quelqu’un veut leur nuire, le feu sortira de leur bouche et dévorera leurs ennemis. Si quelqu’un porte la main sur eux, il périra nécessairement de la sorte.

« Ils ont la puissance de fermer le ciel, pour qu’il ne pleuve pas durant les jours de leur prédication. Ils ont éga­lement la puissance de changer les eaux en sang, et de frapper la terre de toutes sortes de plaies toutes les fois qu’ils voudront. »

Qui ne reconnaît à ce portrait l’Élie de l’Ancien Testa­ment, fermant le ciel durant trois années, et en faisant des­cendre la foudre sur les soldats qui viennent le saisir ?

Les 1.260 jours marquent le temps de la persécution finale, comme nous l’avons déjà fait observer. Ainsi l’appari­tion des témoins de Dieu coïncidera avec la persécution de l’Antéchrist.

Il faut reconnaître que le secours apporté à l’Église sera proportionné à la grandeur du péril.

Les deux témoins de Dieu, revêtus des insignes de la plus austère pénitence, iront partout, et partout ils seront invulnérables ; une nuée pour ainsi dire les couvrira, et lancera la foudre contre quiconque osera les toucher. Ils auront dans leurs mains tous les fléaux, pour les déchaîner à leur gré sur la terre. Ils prêcheront avec une liberté souveraine, en présence même de l’Antéchrist.

Celui-ci frémira de rage ; et ce sera un duel formidable entre le monstre et les deux missionnaires de Dieu.


Huitième article (octobre 1885) - La crise finale

I. – Arrêtons un instant nos regards sur les intrépides mis­sionnaires de Dieu, et remarquons la divine opportunité de leur apparition.

D’après saint Pierre, « il viendra à la fin des temps des séducteurs, des trompeurs, marchant au gré de leurs convoi­tises, qui diront : Où est la promesse et la venue (de Jésus-Christ) ? Depuis que nos pères sont endormis, tout demeure dans le même état depuis l’origine de toutes choses. » (2 Pet., III, 3-4.

Ces séducteurs, ces trompeurs, nous les voyons de nos yeux, nous les entendons de nos oreilles. Ils s’appellent rationalistes, matérialistes, positivistes ; ils nient a priori toute cause supérieure, tout fait surnaturel ; ils ne veulent pas s’occuper de savoir d’où ils viennent, ni où ils vont ; pareils aux insensés du livre de la Sagesse, ils regardent la vie comme une de ces nuées du matin qui ne laisse pas de trace au lever du soleil. Ce qui est au delà du tombeau, ils l’ap­pellent le grand inconnu ; ils se refusent absolument à y por­ter la lumière. Par suite, le tout de l’homme, à leurs yeux, est de jouir le plus possible du moment présent, car tout le reste est incertain.

Ces faux savants relèguent les récits de Moïse parmi les cosmogonies fabuleuses. Ils refusent de reconnaître aux livres saints aucune valeur historique. Suivant leurs dires, tous ces documents, en contradiction avec la science, seraient l’œuvre d’un juif exalté, Esdras, qui a voulu rehausser sa nation. Quant à la venue de Jésus-Christ, à la résurrection géné­rale, au jugement dernier, aux récompenses et aux peines éternelles, ils traitent tout cela de rêveries absurdes. Ils assu­rent que l’humanité, en voie de progrès indéfinis, trouvera un jour son paradis sur la terre.

Or, pour confondre ces imposteurs, Dieu suscitera Hé­noch, représentant de la période antédiluvienne, Hénoch pres­que contemporain des origines du monde. Il suscitera Élie représentant du judaïsme mosaïque, Élie qui d’un côté touche à Salomon et à David, de l’autre à Isaïe et à Daniel.

Ces grands hommes viendront, avec une autorité indiscu­table, établir l’authenticité de la Bible, et montrer le chris­tianisme se rattachant à l’ère des prophètes jusqu’à Moïse, et à celle des patriarches jusqu’à Adam. En eux, tous les siè­cles se lèveront pour rendre témoignage à la vérité de la révélation. Jamais la divinité de l’Agneau, qui a été tué dès l’origine du monde (Ap., XIII, 8), n’aura resplendi d’une manière plus fulgurante.

En même temps ils annonceront avec force les approches du jugement. Reprenant les paroles de saint Jean, ils crie­ront à tous les coins du monde : « Faites de dignes fruits de pénitence… déjà la cognée est placée à la racine des arbres… Il a le van dans sa main, il nettoiera son aire, il ramassera son grain dans le grenier, il brûlera les pailles d’un feu inex­tinguible. » (Mat. III, 8-13.) 

Suivant la prédiction de l’Ecclésiastique, Hénoch prêchera la pénitence aux nations, par quoi l’on entend tous les peu­ples hors le judaïsme ; il leur parlera avec la majesté d’un ancêtre, il leur fera connaître et reconnaître Jésus-Christ le Désiré des nations.

Élie s’adressera spécialement aux juifs, qui attendent sa venue ; il se fera reconnaître à eux par des signes de la der­nière évidence ; il fera briller Jésus à leurs regards, Jésus qui est l’os de leurs os et la chair de leur chair.

Il est hors de doute que ces prédications, en dépit des menaces et des tourments, seront suivies de conversions nombreuses et éclatantes, notamment du côté des juifs ; cela est formellement prédit.

Les deux témoins de Dieu prêcheront tantôt ensemble, tantôt séparément ; et, durant leurs trois ans et demi, ils parcourront vraisemblablement toute la terre. Les journaux auront beau faire autour d’eux la conspiration du silence (comme autour des miracles de Lourdes) ; ils s’imposeront à l’attention du monde. L’Antéchrist essaiera vainement de les saisir ; car le feu dévorera quiconque osera les toucher. Ils passeront, avec le glaive de la justice de Dieu, au milieu des hommes de plaisir et de débauches ; et ils les frapperont de plaies hideuses.

Toutefois, de même que celle de Notre-Seigneur, leur mission n’aura qu’un temps. A un moment donné, ils per­dront l’assistance surnaturelle qui les aura protégés jusqu’a­lors. Mais écoutons saint Jean.

II. – « Quand ils auront fini leur témoignage, la bête qui monte de l’abîme fera contre eux la guerre ; elle les vaincra et les tuera.

« Et leurs corps seront gisants sur les places de la grande ville qui s’appelle spirituellement Sodome et Égypte, là où leur Seigneur a été crucifié.

« Et il y en aura de toute tribu, peuple, langue et nation, qui verront leurs corps durant trois jours et demi ; et ils ne laisseront pas placer leurs corps dans les tombeaux.

« Et les habitants de la terre se réjouiront à leur sujet ; ils s’enverront l’un à l’autre des présents, parce que les deux prophètes les auront tourmentés.

« Et après trois jours et demi, un souffle de vie envoyé de Dieu entra en eux. Et ils se tinrent debout ; et une grande épouvante se répandit sur tous ceux qui les virent.

« Et ils entendirent une voix puissante qui leur criait du haut du ciel : Montez ici ! Et ils montèrent au ciel dans un nuage, et leurs ennemis en furent témoins.

« Et à cette heure, il se fit un grand tremblement de terre ; et la dixième partie de la cité fut renversée ; et sept mille hommes furent tués par la secousse ; et les autres remplis de crainte rendaient gloire au Dieu du ciel. » (Ap., XI, 7-14).

Quelle conclusion d’un drame inouï ! Quelle affirmation du surnaturel ! Les deux prophètes se donneront rendez-vous à Jérusalem, où leur Seigneur a été crucifié. Là ils participeront aux divines faiblesses de Jésus ; comme lui ils seront saisis, comme lui jugés, comme lui tourmentés, comme lui mis à mort, peut-être sur la croix.

On croira que c’est bien fini. L’Antéchrist semblera triom­pher sur toute la ligne. On bafouera les deux prophètes ; on rira, on dansera autour de leurs cadavres ; on les laissera sans sépulture, pour s’en mieux repaître les yeux tout à loisir.

Mais tout d’un coup ils ressusciteront ; une grande voix retentira du haut du ciel, et ils y monteront à la vue d’une foule innombrable frappée d’une soudaine épouvante. Il y aura un grand tremblement de terre dans la ville déicide ; sept mille hommes y perdront la vie, les autres se frapperont la poitrine et rendront gloire à Dieu.

Nous le répétons, quel drame ! quel dénouement !

Que fera l’Antéchrist en face de ces prodiges ? Il écu­mera de rage ; il sentira que tout lui échappe, que l’heure de la justice approche.

On pourrait croire qu’à l’instant même éclatera sa puni­tion décrite par saint Paul, que « Jésus-Christ le tuera du souffle de sa bouche et le détruira par l’éclat de sa venue ». (2 Th., II, 8.

Toutefois, d’après la supputation de Daniel, il semble que le châtiment du monstre sera retardé trente jours après l’assomption triomphante d’Hénoch et d’Élie. Daniel dit en effet que, depuis le moment où sera enlevé le sacrifice per­pétuel, où paraîtra l’abomination de la désolation, il s’écou­lera 1290 jours (Dan., XII, 11), par conséquent 30 jours en outre du temps de la prédication d’Hénoch et d’Élie.

Durant ce délai, l’Antéchrist tentera par tous les moyens de ressaisir son influence perdue. Nous ne voulons admettre aucune vision dans le cadre de ce récit ; si nous faisons exception pour celle qu’eut sainte Hildegarde sur la fin de l’ennemi de Dieu, c’est qu’elle n’est qu’un commentaire du mot de saint Paul : Jésus le tuera du souffle de sa bouche !

La Sainte vit en esprit le monstre, entouré de ses officiers – et d’une foule immense, gravir une montagne. Arrivé au sommet, il annonça qu’il allait s’élever dans les airs. Il fut soulevé en effet, comme Simon le magicien, par la puissance du démon. Mais en ce moment un effroyable coup de ton­nerre retentit ; et il retomba foudroyé. Son corps aussitôt décomposé répandit une puanteur intolérable, et chacun s’en­fuit épouvanté.

Ainsi, ou d’une manière analogue, finira l’ennemi de Dieu.

Et son immense empire s’évanouira comme une fumée. Le monde se sentira soulagé d’un poids écrasant. Et il y aura une conversion générale, qui, au dire de saint Paul, paraîtra une résurrection. Nous en parlerons à l’article suivant.


Neuvième article (novembre 1885) - La conversion des Juifs

L’Écriture sainte nous signale un grand événement, qu’elle nous montre comme entrelacé dans la guerre que l’Anté­christ déchaînera contre l’Église ; c’est la conversion des Juifs. Nous avons différé d’en parler jusqu’ici, pour traiter ce sujet avec plus de détails. Il sera d’ailleurs fort bien à sa place au point où nous en sommes. Car la conversion du peuple juif nous est présentée comme le fruit de la prédica­tion d’Elfe.

I. – Le peuple juif est le point autour duquel roule l’histoire de l’humanité. Il a reçu l’attouchement de Dieu, en la per­sonne d’Abraham duquel il sort ; il est, avant Notre-Seigneur, le peuple sacerdotal par excellence, dont l’état, au témoi­gnage de saint Augustin, est tout entier prophétique ; il a donné naissance à la Sainte Vierge et au Sauveur du monde ; il a formé le noyau de l’Église naissante. Tous ces privilèges font de la race juive une race exceptionnelle, dont les desti­nées sont toutes mystérieuses.

Par un renversement étrange et lamentable, du moment où elle produit le Sauveur du monde, la race élue, la race bénie entre toutes, mérite d’être réprouvée. Elle refuse de reconnaître, en son humilité, celui dont elle ne sait pas ado­rer les invisibles grandeurs. Il semble que Dieu ait voulu montrer par là qu’il n’y a rien de la chair et du sang dans la vocation au christianisme, puisque ceux mêmes desquels était le Christ selon la chair (Rom., IX, 5), en sont rejetés pour leur orgueil tenace et charnel.

Leur réprobation toutefois est-elle définitive ? Reste­ront-ils la proie de Satan, exclus du reste du monde par la croix du Sauveur ? A Dieu ne plaise ! Dieu ménage au peuple qui fut le sien de suprêmes miséricordes. A ce peu­ple, auquel il fut dit : « Vous n’êtes plus mon peuple », on dira un jour : « Vous êtes les fils du Dieu vivant. » (Osée, I, 10.) Après être restés de longues années sans roi, sans prince, sans sacrifice, sans autel, les enfants d’Israël cherche­ront le Seigneur leur Dieu ; et cela se fera sur la fin des temps. (Id., III, 4, 5.

Élie sera l’instrument de ce merveilleux retour. « Je vous enverrai, dit le Seigneur dans Malachie, le prophète Élie, avant que vienne le jour du Seigneur grand et terrible. Et il tournera le cœur des pères vers les enfants, le cœur des enfants vers les pères. » (Matt, IV, 5, 6.) C’est-à-dire il réta­blira l’harmonie des mêmes amours, des mêmes adorations entre les saints ancêtres du peuple juif et leurs derniers descendants.

Saint Paul appuie à son tour sur cet événement si conso­lant. Il voit dans la réprobation des Juifs la cause occasion­nelle de la vocation des Gentils. Puis il ajoute : « Je ne veux pas vous laisser ignorer ce mystère, mes frères, c’est que l’aveuglement a frappé partiellement Israël jusqu’à ce qu’entrât la plénitude des nations, et qu’alors tout Israël fût sauvé. » (Rom., XI, 25.) 

Tel est donc le dessein de Dieu. Il faut que toute la gen­tilité entre dans l’Église ; et quand sera terminé le défilé des nations, Israël à son tour entrera. Ce sera le grand jubilé du monde ; la grâce se répandra par torrents. A prendre les prophéties au pied de la lettre, tous les Juifs vivant alors, fussent-ils nombreux comme les sables de la mer, seront sauvés jusqu’au dernier. (Rom. IX, 27.) 

Pour comprendre les tressaillements profonds que ce grand événement fera courir dans le monde, il faut avoir recours aux figures prophétiques, par lesquelles Dieu s’est plu de mille manières à l’annoncer.

Le peuple juif entrant dans l’Église, c’est Ésaü se réconciliant avec Jacob. Avec quelle tendresse ! « Courant au-devant de son frère, Ésaü l’embrassa ; et, lui serrant le cou et le baisant, il pleura. »

Mais c’est surtout Joseph reconnu par ses frères, qui est le vrai symbole de Jésus reconnu par ses frères les Juifs ! Ils l’ont autrefois vendu et crucifié, et voici qu’un impérieux besoin de vérité et d’amour les amène à ses pieds sur la fin des temps. Quelle rencontre ! Quel spectacle ! Jésus, dans tout l’éclat de sa puissance, dévoilant aux Juifs les trésors de son cœur, et leur disant : C’est moi Joseph, c’est moi ce Jésus que vous avez vendu ! (Gen., XLV.

Ouvrez enfin l’Évangile, à la page de l’enfant prodigue. (Luc, XV.) Ce prodigue, qui vient de si loin, ce sont les pauvres Gentils entrant dans l’Église. Les Juifs sont repré­sentés par le fils aîné, jaloux et égoïste, qui s’obstine à rester dehors parce que son frère a été reçu dans la maison. Le père sort et lui fait des instances touchantes, coepit illum rogare. Ce dénaturé refuse d’écouter son père ; mais à la fin il l’écoutera, il entrera, et ce sera double réjouissance à la maison paternelle.

Non ! on ne peut se figurer les allégresses de l’Église, quand elle ouvrira son sein de mère aux enfants de Jacob. On ne peut se figurer les larmes, les transports d’amour de ceux-ci, quand, le voile étant retiré de leurs yeux, ils recon­naîtront leur Jésus. A quel moment précis aura lieu ce grand événement ? Là est le point de la difficulté. Sans pré­tendre la résoudre, nous espérons quelque peu l’éclaircir.

II. – Il semble certain, d’après la tradition, que l’Antéchrist sera de nationalité juive. Il apparaîtra comme le produit de cette fermentation de haine qui, depuis des siècles, aigrit le cœur des Juifs contre Jésus leur tendre frère, leur incompa­rable ami.

Il semble également certain que les Juifs en bonne partie accueilleront ce faux messie, lui faisant cortège, et lui sou­mettront le monde par la mauvaise presse et la haute finance.

Mais, dès les temps qui précéderont la venue de l’homme de péché, il se formera, parmi les Juifs, un courant d’adhé­sion à l’Église ! Les grands événements ont toujours des pré­ludes qui les annoncent.

Saint Grégoire déclare que la fureur de la persécution de l’Antéchrist portera principalement sur ces Juifs convertis, dont nul n’égalera la constance à supporter tous les outrages et tous les tourments pour le nom mille fois béni de Jésus.

Ce passage de saint Grégoire est trop important, pour que nous l’omettions ici.

Le grand pape explique une des mystérieuses prophéties en action d’Ézéchiel. (Ezech., III.) C’est un drame en trois actes. 1° Dieu ordonne au prophète de sortir dans la cam­pagne ; cette sortie représente la diffusion de l’Évangile parmi les Gentils. 2° Il le fait rentrer dans sa maison, où il est chargé de liens, emprisonné et réduit au silence : ceci indi­que comment l’Évangile sera prêché par les Juifs aux Juifs mêmes, dont les uns se convertiront, les autres saisiront les prédicateurs et les accableront de mauvais traitements, à savoir durant la persécution de l’Antéchrist. 3° Dieu paraît, ouvre la bouche au prophète qui parle avec plus de force que jamais : c’est ce qui aura lieu à la venue d’Élie, lequel, par ses prédications enflammées et irrésistibles, convertira les restes de sa nation (In Ezech. lib. I, hom. XIII).

On ne saurait assez admirer ici la lucidité prophétique de saint Grégoire. Il démêle d’avance les phases du grand évé­nement qui nous occupe : scission du peuple juif en deux parties, oppression des convertis par les réfractaires, conver­sion totale opérée par Élie.

Le saint pape assure, en ses commentaires sur Job, que ce retour définitif des restes d’Israël aura lieu sous les yeux mêmes et en dépit de la rage de l’Antéchrist. (Mor., lib. XXXV, c. XIV.) Si l’Église jouit de semblables consolations sous le feu même de la persécution, que sera-ce à l’heure du triomphe ! C’est ce que nous allons rapidement considérer.

III. – Il y a des destructions nécessaires, pour lesquelles Dieu emploie les mauvais anges. L’Antéchrist, à sa manière et malgré lui, sera la verge de Dieu.

Cette verge de fer pulvérisera les schismes, les hérésies, les fausses religions restes du paganisme, le mahométisme et le judaïsme lui-même ; elle broiera le monde pour une pro­digieuse unité.

Quand ce colosse d’impiété aura été abattu par la petite pierre, celle-ci deviendra une montagne immense et couvrira la terre ; l’Évangile, n’ayant plus d’obstacle d’aucune sorte, régnera sans contradiction sur l’univers entier.

Les Juifs seront les principaux ouvriers dans cet établis­sement du royaume de Dieu. Saint Paul s’extasie devant les grandes choses qui résulteront de leur conversion. « Si le péché des Juifs, s’écrie-t-il, a fait la fortune du monde, si leur retranchement a fait les richesses des nations, combien plus leur adhésion totale ? … si leur perte a été la réconcilia­tion du monde, que sera leur entrée dans l’Église sinon une résurrection ? » (Rom. XI, 12, 15.) Nous craindrions d’affai­blir, en les commentant, ces antithèses énergiques. Il est légi­time d’en conclure que les Juifs convertis mettront au ser­vice de l’Église une inexprimable ardeur de prosélytisme. Rajeunie par cette infusion de vie, l’Église sortira des étreintes de la persécution comme de la pierre d’un tombeau ; et elle prendra possession du monde, avec la majesté d’une reine et la tendresse d’une mère.

Ces événements seront-ils le prélude immédiat du juge­ment dernier, ou l’aurore d’une ère nouvelle ? Nous dirons les conjectures qu’on peut formuler sur cette question.


Dixième article (janvier 1886) - L’avènement du souverain Juge

I. – Il est superflu de chercher à préciser l’heure à laquelle aura lieu le second avènement de Notre Seigneur. Il y a là un secret impénétrable à toute créature. « Quant à ce jour et à cette heure, nous dit Jésus-Christ, personne ne la connaît, pas même les anges du ciel, si ce n’est le Père tout seul. » (Matth., XXIV, 36.)

Toutefois ce moment suprême, qui mettra fin à ce monde de péché, sera précédé de signes éclatants, qui fixeront l’attention non seulement des croyants, mais des impies eux-mêmes. Il y aura d’abord, nous l’avons montré, la persécution de l’Antéchrist, l’apparition d’Hénoch et d’Élie. Quand saint Paul nous dit que Jésus-Christ tuera l’impie du souffle de sa bouche, et le détruira par l’éclat de sa venue, il semble même que le châtiment de l’Antéchrist coïncidera avec l’avènement du souverain Juge. Néanmoins ce n’est pas là le sentiment général des interprètes. On peut expliquer saint Paul en disant que la destruction de l’impie ne sera consommée qu’au jour du jugement général, bien que sa mort ait eu lieu quelque temps auparavant. D’un autre côté, les Évangiles insinuent assez clairement qu’il y aura un certain laps de temps, quoique relativement court, entre la punition du monstre et la consommation de toutes choses. Que dit en effet Notre Seigneur ? Il commence par peindre une tribulation telle qu’il n’y en a ja-mais eu depuis le commencement du monde ; c’est la persécution de l’Antéchrist. Puis il ajoute : « Aussitôt après la tribulation de ces jours, le soleil sera obscurci, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel, les puissances des cieux seront ébranlées ; et alors paraîtra dans les cieux le signe du Fils de l’Homme ; et toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’Homme venir sur les nuées du ciel avec une grande puissance et une grande majesté. » (Matth., XXIV, 29, 30.) Voilà les signes qui précéderont immédiatement l’avènement de Jésus-Christ comme juge. Mais comment concilier, avec tous ces préludes formidables, cette soudaineté et cet imprévu qui, d’après d’autres textes de l’Évangile, caractérisent cet avènement ? Un peu plus loin en effet Notre Seigneur nous représente les hommes des derniers jours du monde, en tout semblables aux contemporains de Noé, que le Déluge surprend mangeant et buvant, se mariant et faisant des noces. (Id, ibid., 36-40.) Saint Thomas répond à cette objection que tous les bouleversements précurseurs de la fin du monde peuvent être considérés comme faisant corps avec le jugement lui-même, pareils à ces craque-ments sinistres qu’on ne distingue pas de l’effondrement qui les suit. Avant tous ces présages terribles, les hommes pourront se moquer des avertissements de l’Église. Mais en entendant craquer la machine du monde, ils pâliront ; et comme dit saint Luc, ils sécheront de crainte, dans l’attente de ce qui va survenir à l’univers. (Luc, XXI, 26.) Le même saint Thomas répand une vive lumière sur les temps qui s’écouleront entre la mort de l’Antéchrist et la venue de Jésus-Christ, quand il dit : « Avant que commencent à paraître les signes du jugement, les impies se croiront en paix et en sécurité, à savoir après la mort de l’Antéchrist, parce qu’ils ne verront pas le monde finir, comme ils l’estimaient auparavant. » (Suppl. Q. LXXI, art. I, ad 1) A l’aide de ce petit mot, nous pouvons former sur les derniers temps du monde les conjectures les plus plausibles ; et nos lecteurs ne manqueront pas de s’y intéresser, tout en ne les recevant qu’à titre de simples probabilités.

II. – Nous avons dit, et nous maintenons comme incontestable que la mort de l’Antéchrist sera suivie d’un triomphe sans égal de la sainte Église de Jésus-Christ. Les allégresses prophétiques de Tobie recouvrant la vue en même temps qu’il retrouve son fils, l’enivrante joie des Juifs à la chute d’Aman et de ses satellites, les transports des habitants de Béthulie, délivrés par Judith du cercle de fer qui les étreignait ; la purification du temple par les Macchabées, vainqueurs de l’impie Antiochus ; enfin et surtout le calme et paisible triomphe de Job rétabli par Dieu dans tous ses biens, voyant accourir à ses pieds ses amis et ses parents repentants, les réunissant tous à un religieux banquet : toutes ces images expriment insuffisamment l’état de la sainte Église, ouvrant son cœur et ses bras maternels à ses en-nemis comme à ses enfants, aux Juifs convertis comme aux hérétiques réconciliés, aux descendants de Cham comme aux fils de Sem et de Japhet, en un mot réalisant la grande unité achetée au prix du sang d’un Dieu, un seul bercail et un seul pasteur !

Assurément, et même dans cette période de triomphe, il y aura encore des méchants, des impies ; mais il est permis de penser qu’ils se cacheront, et qu’ils disparaîtront dans l’immensité de la joie publique. Ces beaux jours ne dureront, hélas ! que le temps de pouvoir oublier les solennels événements qui les auront fait naître. On verra peu à peu la tiédeur succéder à la ferveur ; et ce passage insensible se fera d’autant plus vite, que l’Église n’aura pour ainsi dire plus d’ennemis à combattre. Voici comment un auteur estimé, M. l’abbé Arminjon, dépeint l’état dans lequel alors tombera le monde : « La chute du monde, dit-il, aura lieu instantanément et à l’improviste : veniet dies Domini sicut fur (2 Pet., III, 10). – Ce sera à une époque où le genre humain, plongé dans le sommeil de la plus profonde incurie, sera à mille lieues de songer au châtiment et à la justice. La divine mi-séricorde aura épuisé tous ses moyens d’action. L’Antéchrist aura paru. Les hommes répandus dans tous les espaces auront été appelés à la connaissance de la vérité. L’Église catholique une dernière fois se sera épanouie dans la plénitude de sa vie et de sa fécondité. Mais toutes ces fa-veurs signalées et surabondantes, tous ces prodiges se seront de nouveau effacés du cœur et de la mémoire des hommes. L’humanité, par un abus criminel des grâces, sera revenue à son vomis-sement. Tournant toutes ses aspirations vers la terre, elle se sera détournée de Dieu, au point de ne plus voir le ciel, et de ne plus se souvenir de ses justes jugements (Dan., XIII, 9). Toute foi sera éteinte dans les cœurs. Toute chair aura corrompu sa voie. La divine Providence jugera qu’il n’y a plus de remède. « Ce sera, dit Jésus-Christ, comme au temps de Noé. Les hommes vivaient alors insouciants, ils faisaient des plantations, ils construisaient des maisons somptueuses, ils se raillaient agréablement du bonhomme Noé, se vouant au métier de charpentier et travaillant jour et nuit à construire son arche. Ils disaient : quel fou, quel visionnaire ! Cela dura jusqu’au jour où le déluge survint, et engloutit toute la terre : venit diluvium et perdidit omnes. (Luc, XVII, 27.) « Ainsi la catastrophe finale se produira lorsque le monde sera le plus en sécurité ; la civilisation sera à son apogée, l’argent abondera sur les marchés, jamais les fonds publia n’auront été plus à la hausse. Il y aura des fêtes nationales, de grandes expositions ; l’humanité, regorgeant d’une prospérité matérielle inouïe, dira comme l’avare de l’Évangile Mon âme, tu as des biens pour de longues années, bois, mange, amuse-toi… Mais tout à coup, au milieu de la nuit, in media nocte – car ce sera dans les ténèbres, et à cette heure fatidique de minuit où le Sauveur apparut une première fois dans ses abaissements, qu’il reparaîtra dans sa gloire ; – les hommes, réveillés en sursaut, entendront un grand fracas et une grande clameur, et une voix se fera enten-dre qui dira : Dieu est là, sortez à sa rencontre, exite obviam ei. » (Matth. XXV, 6.) Et l’auteur ajoute que les hommes n’auront pas le temps de se repentir. Ici nous nous séparons de lui. La grande catastrophe sera en effet précédée de signes effrayants dont l’ensemble formera un suprême appel de la divine miséricorde ; bien aveugle et bien endurci quiconque y résistera ! Le soleil sera obscurci, comme épuisé par une déperdition de lumière. La lune n’en recevra plus un rayonnement assez vif, pour briller elle-même. Le ciel se pliera comme un livre, envahi par une obscurité épaisse. Les puissances des cieux seront ébranlées ; car les lois des mouvements des corps cé-lestes paraîtront suspendues. Il y aura un trouble profond dans la mer, un grand fracas de flots soulevés, la terre étant secouée de mouvements insolites ; et les hommes ne sauront où se jeter pour fuir les éléments déchaînés. Enfin la terre s’ouvrira, et lancera des globes de flammes qui produiront un em-brasement général, tandis que paraîtra dans les airs une croix éclatante annonçant la venue du souverain Juge. Combien de temps dureront ces signes ? Nul ne le sait. Ce que l’Écriture nous dit, c’est que les hommes sécheront d’épouvante. Il en sera d’eux comme des contemporains de Noé. Tandis que celui-ci continuait l’arche, chacun le raillait : mais quand le Déluge commença à tout envahir, chacun trembla, et plusieurs au témoignage de saint Pierre se convertirent.

Il est permis d’espérer de même qu’aux approches du jugement, une partie des hommes, voyant les cieux se voiler et sentant la terre manquer sous leurs pieds, feront un acte de contrition suprême et rentreront en grâce avec Dieu. Quant aux justes, ils lèveront la tête avec confiance ; et la croix qui brillera les remplira d’allégresse. La carrière mortelle de l’Église sera terminée. Le monde attendra pour finir qu’elle ait recueilli le dernier de ses élus.


Onzième article (février 1886) - Conclusion

Nous sommes arrivé au terme de notre étude. En jetant un regard sur ses destinées futures, nous nous sommes uniquement appuyé sur ces prophéties qui forment partie intégrante de l’Écriture divinement inspirée. La substance de notre travail est donc puisée aux sources mêmes où vient s’alimenter la foi catholique ; et nous ne pensons pas qu’on puisse nier sans témérité ce que nous avons avancé touchant l’avènement de l’Antéchrist, l’apparition d’Hénoch et d’Élie, la conversion des Juifs, les signes précurseurs du jugement. Là où nous aurions pu nous tromper, c’est dans les commentaires que nous avons donnés de plusieurs passages de l’Apocalypse, ainsi que dans l’enchaînement que nous avons cherché à établir entre les événements cités plus haut. Mais si nous avons erré, c’est en suivant des interprètes autorisés et le plus souvent des Pères de l’Église. Avons-nous eu tort de voir dans l’état présent du monde les préludes de la crise finale qui est décrite dans les Saints Livres ? Nous ne le pensons pas. L’apostasie commencée des nations chrétiennes, la disparition de la foi de tant d’âmes baptisées, le plan satanique de la guerre menée contre l’Église, l’arrivée au pouvoir des sectes maçonniques, sont de tels phénomènes que nous ne saurions en imagi-ner de plus terribles. Toutefois nous ne voudrions pas qu’on forçât notre pensée. L’époque où nous vivons est indécise et tourmentée. L’humanité est inquiète et hésitante. A côté du mal, il y a le bien ; à côté de la propagande révolutionnaire et satanique, il y a un mouvement de renaissance catholique, manifesté par tant d’œuvres généreuses et de saintes entreprises…Les deux courants se dessinent chaque jour plus clairement lequel des deux entraînera l’humanité ? Dieu seul le sait, lui qui divise la lumière et les ténèbres, et leur marque leur place respective. (Job, XXXVIII, 19, 20.) Il est certain d’ailleurs que la carrière terrestre de l’Église est loin d’être fermée : peut-être même n’a-t-elle jamais été plus largement ouverte. Notre Seigneur nous a fait connaître que la fin des temps n’arriverait pas avant que l’Évangile ait été prêché dans tout l’univers, en témoignage à toutes les na-tions. (Matth., XXIV, 14.) Or, peut-on dire que l’Évangile ait été prêché au cœur de l’Afrique, dans la Chine, au Tibet ? Quelques rares lumières ne font pas le plein jour ; quelques phares allumés le long des rivages ne chassent pas la nuit des terres profondes qui s’étendent derrière eux. Comment l’Église fournira-t-elle cette carrière ? Sous quels auspices portera-t-elle aux nations qui l’ignorent, ou qui l’ont insuffisamment reçu, le témoignage promis par Notre Seigneur ? Sera-ce à une époque de paix relative ? Sera-ce parmi les angoisses d’une persécution religieuse ? On peut formuler des hypothèses dans les deux sens. L’Église se développe d’une manière qui déconcerte les prévisions humaines ; qu’on se souvienne des merveilleuses conquêtes faites sur l’infidélité, au moment le plus aigu de la crise du protestantisme ! En réalité, la confiance la plus absolue dans les magnifiques destinées futures de l’Église n’est aucunement incompatible avec nos réflexions et nos conjectures sur la gravité de la situation présente. En estimant que nous assistons aux préludes de la crise qui amènera l’apparition de l’Antéchrist sur la scène du monde, nous nous gardons bien d’ailleurs de vouloir préciser les temps et les moments ; ce que nous regarderions comme une témérité ridicule. Qu’on nous permette une comparaison qui expliquera toute notre pensée. Il arrive au voyageur de découvrir, à certain point de sa route, toute une vaste étendue de pays, bornée à l’horizon par des montagnes. Il voit se dessiner clairement les lignes de ces montagnes lointaines ; mais il ne saurait évaluer la distance qui l’en sépare. Lorsqu’il entreprend de franchir cette distance intermédiaire, il rencontre des ravins, des collines, des cours d’eau ; et le but semble s’éloigner à mesure qu’il s’en rapproche. Ainsi en est-il pour nous, à notre humble avis, dans les temps présents. Nous pouvons pressentir la crise finale, en voyant s'ourdir et se développer sous nos yeux le plan satanique dont elle sera le cou-ronnement. Mais, du point où nous en sommes à l’heure de cette crise, que de surprises nous réserve l’avenir ! Que de restaurations du bien toujours possibles ! Que de progrès du mal possibles, hélas ! eux aussi ! Que d’alternatives dans la lutte ! Que de compensations à côté des pertes ! C’est ici qu’il faut reconnaître, avec Notre Seigneur, qu’il appartient au Père seul de disposer les temps et les moments. Non est vestrum nosse tempora vel momenta, quae Pater posuit in sua potestate. (Act., I, 7.) Dans cette incertitude, dominée par la pensée de la Providence, que faire ? Veiller et prier. Veiller et prier, parce que les temps sont incontestablement périlleux, instabunt tempora periculosa (2 Tim., III, 8) ; parce que le danger est grand, à cette époque de scandale, de perdre la foi. Veiller et prier, pour que l’Église fasse son œuvre de lumière, en dépit des hommes de ténèbres. Veiller et prier, pour ne pas entrer en tentation. Veiller et prier en tout temps, pour être trouvés dignes de fuir ces choses qui surviendront dans l’avenir et de se tenir debout en présence du Fils de l’homme, Vigilate, omni tempore orantes, ut digni habeamini fugere ista omnia quae futura sunt et stare ante filium hominis. (Luc, XXI, 24.)



  1. – (1) Le P. Deschamps donne de curieux détails sur la haine vivace que la franc-maçonnerie porte aux représentants du pouvoir chrétien. En une certaine épreuve, l’initié reçoit cette devise énigmatique : L. D. P. Or cette devise est à double sens. Dans le premier, elle signifie : Liberté de penser. C’est la révolte contre Dieu. Dans le second : Lilia destrue pedibus. Foule aux pieds les lis : c’est le renversement des monarchies chrétiennes
  2. – (2) C’est la tradition des premiers âges de l’Église, consignée dans Lactance, qu’un jour l’empire du monde retournera en Asie : Imperium in Asiam revertetur.
  3. – (1) Ce passage, d’ailleurs, se rapporte peut-être à des temps antérieurs à ceux de l’Antéchrist. (Cornelius a Lapide.)
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