Le rapport entre liturgie et eucharistie

De Salve Regina

La réforme de 1969
Auteur : R.P. R.-Th. Calmel, O.P.

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Eucharistie et liturgie

Dans l’Eglise catholique la raison d’être de la liturgie se trouve dans la foi aux sacrements, en particulier le sacrement de l’Eucharistie. Si l’Eucharistie était dépourvue de la consistance surnaturelle que lui reconnaît la foi immuable de l’Eglise, la liturgie serait également dépourvue de réalité et de valeur. Par suite si nous voulons porter un jugement solide sur l’actuel subversion du culte nous devons nous rappeler les enseignements de la Tradition et du Magistère, au sujet du sacrement de l’autel. ces enseignements tiennent en quatre propositions :


  1. A la différence des autres sacrements le rite sacramentel de l’Eucharistie non seulement apporte la grâce mais, pour conférer la grâce, il commence par rendre présent l’auteur de la grâce en personne.

2. La présence du Seigneur avec son Corps et son Sang, son âme et sa divinité est tout ce qu’il y a de plus réel, parce qu’elle se réalise dans la transsubstantiation ; le pain et le vin cessent d’exister et à leur place, sous leurs espèces ou apparences, c’est le Seigneur qui est là dans sa réalité unique de Fils de Dieu fait homme, mort et ressuscité pour nous ; le miracle de la transsubstantiation le rend aussi présent dans tous lieux Où se trouvent les saintes espèces qu'il était présent à la crèche entre les bras de la Vierge ‑Marie et qu'il est présent à la droite du Père dans la gloire des cieux.


3. Troisième proposition de notre foi dans ce sacrement adorable : à la différence des autres sacrements qui nous appliquent, avec quelle libéralité, des fruits particuliers du Sacrifice unique et définitif offert sur le Calvaire, ce sacrement non seulement applique aux hommes les mérites de la croix mais il contient vraiment le ‑sacrifice de la croix ; il en fait mémoire mais la manière d'en faire mémoire ‑ cest‑à‑dire la consécration séparée du pain et du vin ‑ réalise, par la transsubstantiation, l'offrande du corps du Christ immolé et de son ‑sang versé. Ainsi la manière de faire mémoire est telle que le sacrifice de la croix est rendu présent ; non pas un sacrifice autre, non pas une ombre inconsistante et une représentation vide, mais le même sacrifice, exactement le même, avec le même prêtre et la même victime, seule étant différente la manière d'offrir.


4. Enfin, quatrième proposition, ce sacrement est trop grand entre les autres sacrements, il est d'une nature trop spéciale, pour que le caractère baptismal suffise à le réaliser ; il faut ici un pouvoir et un caractère uniques, comme sont uniques les merveilles de lamour rédempteur ici réalisées ; il faut pour réaliser lEucharistie en avoir reçu le pouvoir particulier, par l'intermédiaire de la hiérarchie, de celui qui est l'unique prêtre, le prêtre souverain et éternel ; il faut avoir reçu le caractère sacerdotal ; avoir été élevé à la dignité de prêtre.


Me souvenant de cette doctrine absolument certalpe et irrévocable de notre Mère l'Eglise et voyant les transformations, bouleversements et expériences qui sont le propre, actuellement, de ce que l'on a le front de qualifier renouveau liturgique, je suis bien obligé de conclure que ce chambardement est commandé par une doctrine opposée ‑à la doctrine orthodoxe.


Reprenons les énoncés de la foi touchant le sacrement de l'Eucharistie. Premièrement : faire ce sacrement est réservé aux prêtres. Eh .1 bien, lorsque l'on voit de ‑simples fidèles, parfois des femmes et des jeunes filles, aller prendre le ciboire des hosties consacrées et le calice du précieux sang pour se communier eux‑mêmes et faire communier les autres, comment ne pas conclure : ces manières de faire toute nouvelles tendent à mettre le simple fidèle au même rang que le prêtre en ce qui regarde lEucharistie.‑ Qu'il y ait, d'un point de vue suprême, égalité entre fidèles et prêtres en ce sens que tous nous n'avons en propre que le néant et le péché et que tous, indistinctement, nous serons jugés sur notre conformité à Jésus‑Christ est une chose mais c'est une chose entièrement différente de celle‑ci Jésus‑Christ a racheté les hommes et fondé une Eglise en telle forme qu'il y a une inégalité infranchissable entre celui qui a reçu pouvoir sur son corps eucharistique et celui qui n'a pas reçu un tel pouvoir. ‑ Autre énoncé de la foi l'Eucharistie loin d'être un mémorial sans substance du sacrifice du Vendredi‑Saint, un mémorial qui n'aurait de vertu que par l'intensité de notre croyance personnelle, de nos sentiments de ferveur religieuse, l'Eucharistie est au contraite un mémorial efficace ; la Messe est le même sacrifice que celui de la croix,' exactement le même, seule étant différente la manière d'offrir. Eh bien, si le sacrifice du Testament nouveau et éternel est offert en usant de formules qui, sans nier la réalité de l'oblation et de l'oblation propitiatoire, ne la mentionnent que furtivement, et encore en usant de formules en langue vulgaire toujours sujettes à révision ; de formules en langue vulgaire que les célébrants adaptent à leur gré selon « les urgences pastorales », dans ces divers cas, comment ne pas conclure à une méconnaissance de la réalité sacrificielle de la Messe ‑, sans, doute, sÛrement même, dans plusieurs cas, avons‑nous a. faire à une volonté arrêtée de nier que la Messe soit un sacrifice ; le saint sacrifice et le seul sacrifice ; le sacrifice de la croix mis en forme sacramentelle c'est‑à‑dire en, forme de signe efficient.


En particulier dans ces Messes où ce que l'on appelle bizarrement « liturgie de la parole » occupe une place démesurée, tandis que le Canon et la consécration sont expédiés à la sauvette de façon à passer presque immédiatement ‑de la fameuse prière universelle à une communion aussi peu adorante aussi peu religieuse que possible, dans les Messes de cette sorte, qui tendent à se multiplier, on a nettement l'impression que le sacrement de l’Eucharistie, s'il est une sorte de repas, du moins n'est plus un sacrifice. C'est ici que les nouvelles pratiques apparaissent comme le véhicule d'une hérésie effroyable ; elles donnent l’idée que la présence réelle et la transsubstantiation sont des théories d'un autre âge et non pas une vérité de foi qui dépasse tous les âges, qui s'impose à tous les siècles comme la source et le principe de leur salut. Quand on voit la négligence et l'irrespect avec lesquels on traite le tabernacle, comment les saluts et les processions sont abolis par principe, comment à la Messe elle‑même on supprime inclinations et agenouillements et en général tous les signes d'adoration, on est amené à conclure : si l'Eucharistie n'était pas un sacrement adorable, si le Seigneur n'y était pas présent aussi réellement qu'il siège à la droite du Père, si l'Eucharistie était un repas sans nulle présence réelle, sans nul sacriflee, mais un repas qui donne l'occasion d'une rencontre amicale et vaguement religieuse, s'il en était ainsi, nombre de prêtres ne feraient pas autre chose que ce qu'ils font.


Ils ont cessé de croire à l’Eucharistie du Seigneur parce qu'ils ont cessé de croire en son amour, en la qualité surnaturelle, divine et transcendante de son amour. En effet, c'est parce que Dieu aime à la manière de Dieu que lès sacrements, en particulier l'Eucharistie, ont une consistance de signes efficaces dans l'ordre du salut, une portée pour la vie surnaturelle et éternelle.


Et tel est bien le point de vue de la qualité surnaturelle et transcendante de l'amour de Dieu que nous ne devons jamais oublier lorsque nous nous mettons en travers de l'actuelle subversion liturgique ; telle est la vérité de foi qui doit commander notre résistance et la rendre irréductible, parce que cette vérité de foi aura commandé d'abord et illuminé notre vie intérieure. ‑ Considérons les sacrements dans cette perspective suprême. Parce qu’il était nécessaire que le Christ immolé, le Saint de Dieu, ne connaisse pas la corruption, mais plutôt qu'il ressuscite et soit glorifié à la. droite du. Père, il devait nous retirer sa présence visible ; d'autant que cela convenait beaucoup mieux pour exercer et purifier notre vie théologale. Noli me tangere... nondum ascendi ad Patrem meum... Parce que, d'autre part, notre nature blessée est terriblement attirée par le visible, le sensible, les choses terrestres, il convenait au plus, haut point que le Christ remonté aux cieux et répandant sur nous les grâces dont il porte le trésor dans son cœur blessé, il convenait que le Christ glorifié nous communique sa grâce, non pas comme à de purs esprits, d'une nature intègre et angélique, mais plutôt comme à de pauvres hommes charnels, et donc en se servant de choses terrestres, en instituant tout un ordre de signes à notre mesure qui seraient porteurs de sa grâce ; telle est la raison d'être de l'ordre sacramentel. Au baptême le Christ nous communique la grâce qui purifie et qui nous fait renaître ‑ cette grâce méritée par le sacrifice de la croix ‑en se servant de l'eau qui lave et purifie. C'est ainsi que la grâce dont le premier effet est de nettoyer nos âmes du péché et de la faire renaître, nous sera communiquée par un rite d'ablution avec de l'eau pure, en prononçant les paroles voulues par le Seigneur.


De même la grâce méritée par le sacrifice de la croix et qui détient certainement la propriété de purifier de nouveau, même si le pécheur retombe dans le péché mortel, cette grâce si nous l'avons perdue par les péchés commis après le baptême nous sera communiquée de nouveau par un rite de pénitence : humble aveu de nos fautes, manifestation de repentir et paroles appropriées prononcées par le prêtre, qui est à la fois ministre du Bon Pasteur et du Juge Suprême.


Il serait encore loisible de considérer les autres sacrements comme signes sensibles de la grâce, appropriés à notre condition (le pécheurs rachetés. Cependant une ques­tion resterait pendante : si le Christ par les sacrements touche notre âme sous un signe approprié, par un contact salutaire, est‑ce que lui‑même en sa personne très sainte ne se donnera point ? Quand un enfant est baptisé par exemple c'est bien le Christ qui le touche par l'eau du baptême ac­compagnée des peroles rituelles, mais cependant le Christ demeure à la droite du Père. C'est un passage de sa grâce, ce n'est pas une présence et permanence de sa personne, comme lorsqu’il était présent à la crèche, sur la croix ou sur le rivage du lac de Galilée. Eh ! bien, ce Christ dont il était nécessaire qu’Il remonte dans les cieux, s'il convenait qu'il nous touche par des signes de son choix, ne convenait­ il pas aussi qu'il demeure réellement présent au milieu de ses fidèles qui pérégrinent sur ces routes d'exil, qu'il de­meure présent et qu'il vienne résider en eux comme une nourriture céleste ? ‑ Par cette présence et cette résidence personnelle et substantielle il pourrait les toucher d'une manière unique, nouer avec eux les liens d'une intimité confondante, supérieure sans comparaison à celle des autres sacrements. – Enfin, à supposer que son amour dispose de la puissance qui lui est propre pour demeurer réellement présent parmi nous et résider en nous, ne convenait‑il pas qu'il soit présent dans son sacriflee même ? Qu'est‑ce qui pourrait l'en empêcher ? Bien mieux, puisqu'il fondait une Eglise, une société religieuse de la grâce chrétienne, cette Eglise qui est son Epouse n'aurait‑elle de sacrifice qu’en pensée et souvenir ; ne disposerait‑elle de l'Offrande de son Epoux, immolé une fois pour toutes sur le Calvaire, que sous la forme d'un souvenir lointain, d'une Figuration actuellement dépourvue de substance ? ‑ A ces questions sur la présence réelle, le sacrifice toujours présent, la communion en réalité parce que le Seigneur. en personne vient résider en nous ; à ces questions qui se posent avec tant de force, lorsque du moins l'on entrevoit combien l'économie du salut est commandée par la Charité divine, le Seigneur a répondu en plénitude par l'institution de l'Eucharistie. Il a fait l'Eucharistie telle que l'Eglise la célèbre et la célébrera jusqu'à son retour glorieux à la fin des siècles : présence réelle par transsubstantiation ; mémorial de l'unique sacrifice qui le rend présent d'une manière non sanglante ; communion véritable et personnelle ; célébration de ces mystères par des chrétiens ordonnés à cela, par les prêtres qui sont véritablement les ministres du Christ, les seuls par lesquels il exerce son pouvoir unique de faire la transsubstantiation et, par là, de rendre présent son sacrifice.


De ces vérités confondantes les grands docteurs, les modestes théologiens, et la foule immense des simples ont vécu depuis des siècles et des siècles. Cette vérité notamment que le Saint‑Sacrement est irréductible aux autres sacrements, qu’il est d'une dignité sans égale, qu'il mérite d'être traité non seulement avec un grand respect, mais qu'il a droit en toute vérité à notre adoration, ‑ cette vérité fondamentale a nourri la piété des chrétiens depuis les toutes premières messes célébrées par les saints Apôtres. Les prêtres ou les fidèles qui de nos jours laissent affaiblir leur foi dans la présence réelle ou qui adoptent des attitudes ou des façons de faire qui nient, dans la pratique, la présence réelle, ces prêtres et ces fidèles brisent avec deux mille ans de vie chrétienne ou plutôt avec la vie chrétienne de toujours, celle d'hier, d'aujourd'hui et de demain, car il n'existera jamais de vie chrétienne qui mépriserait la foi dans l'Eucharistie.


Trop sublime, dites‑vous. Le peuple chrétien et en général les peuples de la terre dont on prétend qu'ils seraient en pleine mutation, réclament des choses plus accessibles, plus pratiques. Quelle idée d'apporter à l'homme du XXe siècle, l'homme des satellites artificiels, de la démocratie parlementaire ou populaire, et des naissances planifiées, une religion qui ne parle que de surnaturel, de transcendance et de croix. ‑ Nous ne refusons pas la religion, répète à l'envi un certain clergé. Mais, de grâce, pour un homme nouveau une religion nouvelle !... Le malheur est qu'il n'y a pas d'homme nouveau. Ceux qui tiennent ce langage, ou un langage équivalent ne sont pas plus des hommes nouveaux que je ne le suis moi‑même qui les contredis. Pareils à tous les hommes qui nous ont précédés nous mourrons, de vieillesse, d'accident, de maladie, de persécution ou victimes de je ne sais quelle guerre ; car il y aura toujours des maladies et des accidents, des tyrannies et des persécutions, des guerres « classiques ». ou d'abominables guerres subversives ; ce qui est seulement nouveau c'est le perfectionnement des formes de la persécution anti‑chrétienne et les moyens mis en oeuvre par les guerres subversives. Mais ces moyens eux‑mêmes, qui sont en définitive la terreur et le mensonge, ils sont vieux comme le vieux péché couvé dans le vieux coeur. Il n'y a pas d'homme nouveau devant la mort, ni devant les passions ni devant les lois invariables et très humbles de l'acquisition et du progrès de la sagesse et de la vertu. Il n'y a pas d'homme nouveau, mais bien l'homme éternel et l'immuable nature humaine.


A un moment de l'histoire, un jour entre les jours, un jour attendu depuis les âges si reculés de la loi de nature et depuis les deux millénaires de la loi écrite, le Fils de Dieu lui‑même a assumé notre nature dans le sein de la Vierge, il a révélé les secrets de sa propre vie et les secrets de la vie avec lui, il nous a mérité d'avoir part à cette vie par sa mort ; ressuscité, monté aux cieux, il nous communique cette vie par son Eglise et les ‑sacrements de son Eglise, de même que, par elle, il nous transmet ses enseignements. C'est toute la religion, Il n'y a pas de vingtième siècle qui tienne. Immuable nature humaine, transcendance de l'ordre surnaturel, et des sacrements dans cet ordre surnaturel, et surexcellence de l'Eucharistie parmi les autres sacrements : tel est l'ordre établi par le Seigneur Dieu dans sa sagesse et son amour ; il est irrévocable ; acceptez donc d'être aimés comme Dieu a voulu vous aimer. Pour le temps de l'éternité c'est la seule chose qui importe.


R ‑Th. Calmel, o. p.

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