Les distractions
De Salve Regina
Vie spirituelle | |
Auteur : | Dom Augustin Guillerand - chartreux |
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Source : | Extrait du livre posthume Face à Dieu |
Date de publication originale : | vers 1960 |
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Difficulté de lecture : | ♦ Facile |
Sommaire
Attention
Ces pensées, nées de l’amour, nous tendent vers Celui auquel nous nous adressons : et c’est l’attention. Une âme attentive est une âme tendue vers l’objet qui l’attire. Une âme distraite est une âme qui se laisse tirer par d’autres objets. L’attention dépend de l’importance que nous reconnaissons à l’objet qui nous sollicite, de l’attrait qu’il exerce. Si nous le savons grand et beau, bon et fort, si nous le connaissons très parfait, riche de tout ce qui peut nous combler, l’attention est extrême.
L’attention à Dieu est rare parce que rares sont les âmes qui le connaissent. Le péché nous a détournés de Lui ; nous vivons en face du créé, les images des créatures nous emplissent l’âme, nous retiennent et rendent l’attention à Dieu difficile. Il faut se retourner. C’est le sens du mot « conversion ». La conversion a bien des degrés. Les Saints seuls sont de vrais convertis, seuls ils vont jusqu’au bout de leur mouvement. Ce bout, c’est un regard ne voulant plus faire attention qu’à Dieu et, peu à peu, à la suite d’exercices plus ou moins prolongés, et avec l’aide de la grâce, se fixant en Lui.
La répétition quotidienne, et souvent plus que quotidienne, des mêmes actes et des mêmes formules est un danger. L’habitude devient aisément routine. La prière n’est plus que mouvement de machine que nulle intervention de l’esprit et du cœur n’anime. Les lèvres seules sont en face de Dieu qui est esprit et veut communiquer sa vie spirituelle. Pendant qu’elles se remuent sans pensée, l’imagination nous emporte sur mille chemins et c’est avec toutes sortes de personnes, de choses – surtout avec nous-mêmes – que nous conversons. L’attention fléchit parce que l’amour manque, et la prière, qui devrait nous embraser, ne fait qu’ajouter au fossé creusé peu à peu par la négligence entre Dieu et nous. Inattention née de froideur, froideur engendrée par l’ignorance, nous glissons ainsi – plus vite, hélas, qu’on ne le pense – sur les pentes de la tiédeur au bout desquelles peut se trouver la mort.
Ce qui importe, toutefois, c’est l’attention du vouloir plus que celle de l’esprit. Celle-ci nous est souvent impossible. Il est des prières distraites ravissant le cœur de Dieu. Quand nous faisons effort pour nous mettre et tenir en face de Dieu et que des dispositions du corps ou de l’âme nous arrachent sans cesse malgré nous au regard et au souvenir de cette présence aimée, quand cette impuissance torture notre désir de Lui et que nous acceptons humblement cette torture, la distraction devient un moyen d’union exceptionnellement précieux et fort. Car tout se mesure à l’amour dans nos rapports avec Dieu et toute répulsion de l’âme à l’égard du créé pour s’unir à l’Incréé est amour. L’attention aux mots que l’on prononce, aux gestes que l’on fait est bonne, à peu près toujours à conseiller. L’attention à Dieu suffit toujours, est souvent préférable, parfois seule possible. L’essentiel est que la définition de la prière soit réalisée, que l’âme, dégagée de ce qui passe, se tourne et se tende vers le Père céleste par quelque moyen et quelque chemin que ce soit. Dès qu’il y a contact, on prie ; si le contact est ardent, on prie excellemment.
Garde du cœur
Les créatures – et le démon qui en use – ne se laissent pas évincer sans combat. La vie d’oraison exige des batailles continuelles : c’est le grand effort et le plus long d’une existence se vouant à Dieu. Cet effort porte un beau nom : il s’appelle la garde du cœur. Le cœur humain est une cité ; il devrait être une forteresse. Le péché l’a livré. Depuis, c’est une cité ouverte dont il faut rebâtir les murs. L’ennemi se jette sans cesse à la traverse. Il le fait avec son habileté et sa force, avec fourberie et avec fougue. Il présente des pensées si heureuses, parfois si utiles, des images si charmantes ou si redoutables, il enveloppe le tout de raisons si pressantes, qu’il arrive à chaque instant à nous distraire, à nous tirer hors de la divine présence.
Il faut sans cesse s’y remettre. Ces reprises perpétuelles, ce recommencement sans fin, plus encore que la lutte proprement dite, nous lassent et abattent. Nous, préfèrerions une violente bataille, violente mais définitive. Dieu ne le veut pas en général. Il préfère cet état de guerre, ces embûches et ces guet-apens, ces précautions et ces vigilances. Il est l’Amour et la longue guerre exige plus d’amour et le développe davantage. D’ailleurs, il est là, il mène lui-même le combat ; il contient l’ennemi ; il surveille et déjoue ses manœuvres, il s’en sert ; il le laisse avancer pour mieux le frapper et l’abattre. Il prépare des triomphes magnifiques par des insuccès passagers, même par des désastres.
Il faut se déprendre d’en bas. La simple récitation mécanique ne suffit pas ; la distraction entretenue volontairement paralyse ; les occupations poursuivies sont un obstacle. On ne fait pas sa part à Dieu ; on ne lui donne rien si on ne lui donne pas toute l’attention dont on dispose. Que de travaux, que de soucis, que de préoccupations vaines auxquelles nous donnons une importance excessive et dont nous ne savons pas écarter la pensée dans nos prières ! Nous croyons y chercher uniquement le règne de Dieu et sa gloire et nous nous cherchons nous-mêmes. Ils ont pour principe la nature et non l’Esprit-Saint. Le démon est là qui nous dit leur utilité extrême, nous excite, nous aide, les fait avec nous, parce qu’ils font reculer l’union divine et le doux contact du cœur.
Pour l’âme pacifiée et libre, gardant son cœur dégagé et le tournant vers Dieu, toute occupation est prière. Pour l’âme qui se donne toute à ses travaux et en oublie Dieu, la prière même est stérile et le temps en est perdu.