Remarques sur un "incident" conciliaire

De Salve Regina

Révision datée du 13 février 2013 à 22:36 par Abbé Olivier (discussion | contributions) (Page créée avec « {{Infobox Texte | thème = Théologie Fondamentale | auteur = Abbé V.-A. Berto | source = Revue Itin... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)

Théologie Fondamentale
Auteur : Abbé V.-A. Berto
Source : Revue Itinéraires n°91
Date de publication originale : Mars 1965

Difficulté de lecture : ♦♦ Moyen

Remarques sur un « incident » conciliaire

La grande presse de langue française, toujours malveillante et dénigrante à l'égard du Saint- Siège, s'est surpassée en iniquité lors de l'incident dont le bruit a rempli les derniers jours de la troisième session conciliaire.

A la vérité, il y a eu trois « incidents » en huit jours :

1°) la lecture d'une « Note explicative préalable » constituant l'interprétation autorisée à la lumière de laquelle les Pères étaient invités à se prononcer sur la Constitution « de Ecclesia » ;

2°) la proclamation de la Maternité de la Sainte Vierge sur l'Eglise, acte pontifical accompli en présence de l'Assemblée Conciliaire, mais acte pontifical non-conciliaire, puisque le Souverain Pontife, en l'accomplissant, ne s'est pas associé l'Assemblée conciliaire pour qu'elle formât avec lui une seule personne morale, un seul « sujet émetteur » de la proclamation, condition absolument nécessaire à défaut de laquelle cette dernière n'a pas été un acte conciliaire ;

3°) entre ces deux « incidents », qui seraient plus justement appelés des événements, le débat sur le schéma « de la Liberté religieuse » ou plutôt autour de ce schéma, puisque la teneur n'en a pas été débattue et que c'est cela même qui a provoqué dans la presse tant d'allégations parfaitement fausses, et tant de colères non déguisées, jusqu'à mettre nommément en cause le Secrétaire Général du Concile Mgr Felici, qui s'est pourtant acquitté d'une tâche écrasante et extraordinairement difficile avec une éclatante supériorité, le Cardinal-Doyen du Sacré Collège, enfin la personne même du Saint-Père, dont on a bien osé écrire que « le prestige a été atteint ».

Moins « noble » dans l'en-soi, moins important aussi quant à l'avenir lointain de l'Eglise, sinon quant à son avenir immédiat, que les deux événements rappelés plus haut, l'incident soulevé dans l'intervalle semble avoir été le plus vif, le plus déformé aussi par les publicistes des gros tirages.

Nous restituons ici la vérité.

Le règlement du Concile, Ordo Concilii porte expressément :

l) que tout texte soumis à l'approbation des Pères doit leur être distribué de telle sorte qu'ils aient le temps convenable non seulement pour mûrir leur jugement et déterminer leur vote chacun à part soi, mais pour requérir les conseils des théologiens ;

2) que tout texte nouveau doit être soumis à discussion avant d'être mis aux voix.


A) Quant au premier point : Le texte fut distribué le mardi matin 17 novembre, comme devant être voté le jeudi matin 19 novembre, soit quarante-huit heures plus tard. Les théologiens qui n'étaient pas dans Saint-Pierre le mardi matin ne purent en avoir connaissance au plus tôt qu'au début du mardi après-midi. Ils se trouvèrent en présence, comme nous l’allons dire plus précisément, d'un texte qui dans sa plus grande partie leur était nouveau. C'était leur faire des conditions de travail impraticables ; le délai convenable, congruam tempus, leur était refusé, plusieurs auraient cru se parjurer en fournissant aux Pères qui leur eussent éventuellement demandé conseil, des avis précipités, des amendements bâclés. Les théologiens n'ont auprès des Pères qu'une tâche subordonnée, dépendante, obscure, qu'il convient de ne pas enfler ; néanmoins, ils sont assermentés, et ils ont leur conscience.

B) Quant au second point : La première question est de savoir si oui ou non le texte était assez « nouveau », par rapport au texte primitif présenté lors de la deuxième session, pour devoir être soumis à une délibération elle-même nouvelle avant d'être soumis au vote.

Matériellement, le texte primitif (celui de la deuxième session) comptait 271 lignes ; le texte remanié en comptait 556, soit un peu au delà de 55% de lignes nouvelles ;

des 271 lignes du texte primitif, 75 seulement, à peine un peu plus d'un quart, se retrouvent sans changement dans le texte remanié ;

les paragraphes 2, 3, 8, 12, 14, sont entièrement nouveaux.

A moins de supposer que la Commission compétente se soit livrée à un pur exercice d'amplification oratoire, les précisions que nous venons d'apporter engendrent la certitude que le schéma remanié offrait plus de nouveauté qu'il n'en fallait pour donner lieu à discussion.

Mais, pour une telle discussion, le temps manquait, et grand nombre de Pères ne voulaient rentrer chez eux qu'ayant en mains la « Déclaration sur la liberté religieuse », dût-elle être votée sans délibération.

On crut un moment sortir d'embarras (on, nous ne savons pas exactement qui : le Conseil de Présidence, ou le Tribunal Administratif) en disposant qu'il y aurait un vote préalable de procédure, par lequel l'Assemblée déciderait s'il y avait lieu ou non à délibération ; et qu'on voterait s'il y avait lieu ou non à délibération ; et qu'on voterait ensuite au fond, si le résultat du vote préalable était qu'il n'y avait pas lieu à délibération. Ce fut la nouvelle « à sensation » du jeudi matin.

Mais il tombait sous le sens et il fut vite reconnu que c'était là une mesure inapplicable sans l'agrément du Souverain Pontife, l'Assemblée n'étant pas souveraine indépendamment de lui, et n'ayant pas sans lui pouvoir de modifier le Règlement qu'elle tient de lui.

Le vendredi matin 20 novembre, S. Em. le Cardinal-Doyen, ès-qualités de Président du Conseil de Présidence, fit connaître aux Pères que la solution d'abord proposée n'avait pas reçu l'agrément pontifical, que le schéma devait être discuté dans les formes prescrites par le Règlement, et que ne pouvant l'être en cette troisième session, il ne restait que de le renvoyer à la quatrième.

Les sobres paroles de S. Em. le Cardinal Tisserand, expression immédiate de la volonté souveraine, devaient clore l’« incident » qui depuis deux jours occupait les esprits. Incroyablement, ce fut le contraire. Incroyablement, une sorte de houle de mécontentement naquit dans une forte minorité de l'Assemblée. Incroyablement cette foule trouva qui la pût et la voulût soulever et grossir. Incroyablement, il fut résolu d'appeler du Pape du jeudi soir au Pape du vendredi matin. Incroyablement, car quoi de moins croyable que tout cela ? Quelle apparence qu'une telle attitude pût se concilier avec l'obéissance instantanée due à l'autorité de Pierre ? Quelle apparence qu'elle pût ne pas sembler un précédent de raideur dont les plus mauvais esprits sauraient, quoique mal à propos, se prévaloir ? Quelle apparence enfin qu'une pareille démarche pût réussir, et ne pouvant réussir, pût être autre chose qu'un grave embarras vainement causé à la liberté du Souverain Pontife ?

Ces choses incroyables furent. Une supplique en cinq lignes fut hâtivement rédigée, par laquelle le Saint Père était prié instanter, instantius, instantissime, de permettre le vote sans discussion préalable de la Déclaration sur la liberté religieuse, et qui recueillit en quelques moments, a-t-on dit, plus probablement en quelques heures, de très nombreuses signatures.

Combien de signatures ?

Nous l'ignorons.

Les organes de presse les plus favorables aux signataires, que l'on a sujet de tenir pour les mieux renseignés, ont parlé de huit cents, de neuf cents signatures. Cela doit être proche de la vérité.

De la suite, ou plutôt de la fin de l' « incident », le public ne sait rien. On a dit que la supplique a été portée au Souverain Pontife par un cardinal ; le Cardinal Frings, selon les uns ; le Cardinal Meyer, selon d'autres, le Cardinal Suenens, selon des tiers. Ce qui est sûr, c'est que le Saint-Père, si la supplique lui a été portée, a maintenu son refus, puisque dans son discours du samedi 21, pour la clôture de la troisième session, il a dit que la Déclaration sur la liberté religieuse ne s'était pas trouvée prête pour la promulgation « faute de temps, ob defectum temporis ».

Et qu'aurait-on donc voulu qu'il fît ? Assurément, il y aurait autant d'outrecuidance de notre part à paraître approuver qu'à paraître improuver une décision pontificale ; un acte souverain n'est pas sujet à l'examen des sujets : où serait sa souveraineté ? II ne doit rencontrer que leur obéissance et leur docilité. Mais il veut aussi être défendu contre ceux qui l'attaquent. Dans le cas présent, la tâche est facile. Il y avait vingt raisons pour une de ne pas livrer le schéma en cause à un vote non précédé d'une délibération.

D'abord, le défaut d'urgence. Qui le veut peut aisément savoir ce que l'Eglise pense de la liberté religieuse : il n'a qu'à relire le merveilleux corps de doctrine constitué sur ce sujet, en un siècle et demi, par les Pontifes romains ; s'il a du loisir il peut, avec un profit non moindre, étudier la conduite de l'Eglise depuis qu'elle est sortie des catacombes, et notamment celle des Pontifes romains comme Princes temporels depuis la division de la chrétienté ; s'il a du génie, l'esprit juste, et le sens catholique, il peut scruter les Ecritures, tant celles de l'Ancien Testament où tout, dit saint Paul, arrivait en figures, et pour notre instruction, que celles du Nouveau Testament, avec le « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », et le « Malheur à qui scandalisera un de ces petits qui croient en moi », et les malédictions lancées contre les Pharisiens. Bref, il n'y a peut-être pas de question de droit naturel intégré dans le droit chrétien sur laquelle le chrétien d'aujourd'hui soit plus abondamment éclairé, nous disons le chrétien moyen. Aucune déclaration conciliaire ne répandra jamais plus de lumière que les Encycliques de Léon XIII, ni, puisqu'il ne s'agit pas d'une définition dogmatique, n'aura plus d'autorité.

— Mais on veut autre chose !

— Qui donc, on ? Et quoi donc, autre chose ?

Certains, principalement en France, voulaient obstinément, voulaient puissamment, voulaient passionnément la Déclaration avant la fin de 1964 [1]. On était au 20 novembre, à la veille même de la clôture de la troisième session. Voilà certainement un cas d'urgence, et d'extrême urgence. Mais pourquoi tenaient-ils tant à cette Déclaration avant la fin de î964 ? Parce que 1964 était l'année centenaire de Quanta cura et du Syllabus y annexé, et que la Déclaration devait être, dans leurs désirs, l'amende honorable que l'Eglise doit au genre humain en expiation du Syllabus, et le témoignage de son bon vouloir à suivre désormais des maximes qui lui permettent « un bon COMPAGNONNAGE » avec le monde moderne.

Pour qu'il fût bien clair qu'on 'entendait donner à la « Déclaration » la valeur d'une rétractation, on lui associait la réhabilitation de Galilée, de la naissance duquel, en 1564, le quatrième anniversaire centenaire arrivait aussi en 1964.

Nous donnerions beaucoup pour que ces choses désolantes, ces choses meurtrissantes, n'eussent pas été dites par le P. Congar.

Désolantes, meurtrissantes, mais surtout indignes d'un Concile œcuménique. Fonder une « urgence » sur de telles considérations, c'est obliger la Sagesse romaine à ralentir l'emportement des uns, l'entraînement des autres. Il faut reprendre ici l'une des plus célèbres paroles qui aient été prononcées au premier Concile du Vatican, d'attribution incertaine, mais que nous croyons être de Mgr Cousseau, évêque d'Angoulème : « Ils ont rendu nécessaire ce qu'ils ont déclaré inopportun, quod inopportunum dixerunt, necessarium fecerunt ». La reprendre, mais en la retournant : « Ils ont rendu inopportun ce qu'ils ont déclaré nécessaire, quod necessarium dixerunt, inopportunum fecerunt ». II y aura certainement une Déclaration sur la Liberté religieuse ; le Saint-Père en veut une, en a annoncé une. Quelle qu'en soit la teneur, elle n'aura pas le caractère qu'elle aurait eu en 1964, parce qu'elle n'aura pas eu lieu en î96i.

D'autres raisons prétendues de prétendue urgence, nous n'en voyons pas.

Une lettre latine adressée au Saint-Père, qui sera probablement célèbre aussi, si on vient à en connaître le texte authentique, mais dont on ne connaît à ce jour qu'une traduction française d'origine plus qu'étrange, assez probablement incomplète, et très probablement peu exacte, vu la difficulté qu'on éprouve à la restituer conjecturalement en latin, même en latin de tournure germanique, une lettre, disons-nous, dont le journal Le Monde donnait pour signataires seize cardinaux nommément désignés, faisait état, dès le 11 octobre, de millions d'hommes qui attendent cette Déclaration.

Mais la lettre, du moins la traduction de la lettre, ne se prononçait pas sur l'« urgence ».

Ce n'était pas sa fin, laquelle n'est pas de notre présent propos. Et en outre la raison tirée des millions d'hommes qui attendent la Déclaration avait déjà été alléguée en faveur de l' « urgence » sans avoir persuadé. Vers la fin de la deuxième session, le rapporteur de la Commission compétente, Mgr l'Evêque de Bruges, avait formellement et solennellement attesté que non seulement des millions d'hommes, mais l'Eglise, l'opinion publique, le monde, en somme le genre humain tout entier, attendaient la Déclaration. Or il s'agissait alors du texte primitif ! II s'agissait d'un texte dont la Commission elle-même a estimé non seulement qu'il n'était pas urgent de le voter, mais qu'il avait été très opportun de ne le point voter, puisqu'elle-même, entre la deuxième et la troisième session, y a introduit les amples remaniements dont nous avons parlé plus haut !

Comment ! L'Assemblée conciliaire a eu raison, au propre témoignage de la Commission, de ne pas suivre Mgr de Bruges dans sa persuasion de l' « urgence » du vote, alors qu'il restait plusieurs jours pour la délibération -— car Mgr de Bruges ne demandait aucunement un vote sans délibération, et s'engageait au contraire, au nom de la Commission à travailler jour et nuit pour étudier les amendements éventuellement proposés — et l'on fait maintenant crime au Souverain Pontife de n'avoir point voulu d'un vote sans délibération ?

Voilà encore de l'incroyable, de l'incroyablement inique, de l'incroyablement odieux.

Pour la valeur de l'argument en lui-même, elle est difficile à apprécier. C'est un fait qu'il n'a emporté l'assentiment ni de l'Assemblée à la fin de la deuxième session, ni du Souverain Pontife à la fin de la troisième. Ce contre-argument à lui seul est décisif. Un autre fait vient à l'appui : entre l'invocation d'urgence énoncée par Mgr de Bruges à la fin de la deuxième session, et l'invocation d'urgence énoncée par la supplique du 20 novembre dernier, il y a onze mois et trois semaines. Pendant cet intervalle ni depuis, on ne s'est pas beaucoup aperçu que les millions d'hommes qui attendent la Déclaration aient été jetés dans le désespoir par le retard apporté à la composer, ni seulement aient marqué la plus légère impatience. Il n'est, hélas, que trop évident que l' « urgence » ne peut pas être prouvée par l'attente de millions d'hommes.

Alors ?

Alors rien. Rien de plus. Il n'y avait pas d' « urgence ». La Déclaration pouvait attendre. Le Saint-Père en a jugé ainsi, et, nous tenons à le répéter, son jugement par lui-même et à lui seul suffit pour entraîner le nôtre, à nous simples fidèles. Les pages que nous venons d'écrire ne prétendent pas en être un examen préalable à notre adhésion, ce qui serait une impiété, mais en être une défense et une illustration.

La Déclaration pouvait attendre. On peut même dire qu'elle devait attendre. Sans étudier publiquement sa teneur, à quoi nous ne sommes pas autorisé, nous voyons au moins deux raisons « extrinsèques » de la retarder.

En premier lieu, il faut que la Déclaration ne paraisse à aucun degré commandée dans son texte par des considérations d'opportunité. Il est malheureusement douteux que des millions d'hommes l’attendent, mais il est certain que tous les hommes en ont besoin, et plus encore ceux qui sont à naître que ceux d'aujourd'hui. Ce besoin se confond avec le besoin de vérité. Il faut donc que la célébration d'un Concile ne soit que l'occasion d'une Déclaration qui en elle-même doit être intemporelle. Le vœu du monde, implicite tant qu'on voudra, mais véritable, vœu de nature, d'une nature humaine que le péché originel n'a blessée que pour que pût s'y insérer vitalement le greffon salutaire, c'est que l'Eglise de Dieu dise le vrai, dise le droit. On veut, de plusieurs côtés, qu'elle lâche ses principes, qu'elle lâche le Syllabus, qu'elle lâche le corpus pontifical ; on veut autre chose, et cela, en effet, pourrait être bâclé en huit jours. Mais le genre humain a besoin de la même chose ; pour s'affranchir du tumulte, le Concile, lui, a besoin de temps, et le Saint-Père ne peut pas livrer aux fantaisies d'un jour l'œuvre admirable de ses prédécesseurs.

En second lieu, il nous paraît qu'un vote sans délibération n'eût pas été de la dignité du Concile. Certainement, le Concile coûte cher ; on a calculé que le « prix de revient » d'une intervention de dix minutes est au moins de cent mille anciens francs ; cela pose des problèmes, et c'est une grande raison pour que les Pères n'interviennent qu'à très bon escient. Dire que l'on veut que l'Eglise soit enfin (apparemment qu'elle ne l'était pas !) « l'Eglise des pauvres », et le dire à dix mille francs la minute, c'est faire que l'Eglise soit un peu moins « l'Eglise des pauvres ». Nous qui vivons parmi les pauvres et pour les pauvres, nous aurions soulagé beaucoup de pauvres avec le montant de deux interventions d'un même orateur dont la deuxième n'était à autre fin que de rétracter la première, 1-1= 0 ; ci : deux cent mille francs, et en vingt minutes ; c'est ce qu'il nous faut trouver pour entretenir chez nous pendant un an un petit enfant pauvre.

Brisons là-dessus, le cœur nous frémit.

Mais entre le luxe des paroles vaines prohibées par le Saint Evangile, le luxe du temps gaspillé que saint Paul nous commande au contraire de racheter comme une denrée rare et précieuse, et une précipitation hasardeuse, éperdue, passionnée, il y a la démarche à la fois active et sereine, la maîtrise de soi, l'énergie qui ne se dépense pas en gesticulations sans but, mais qui va à sa fin par des mouvements réglés. En certains de ses membres, l'Assemblée conciliaire a paru perdre le sang-froid. Le Concile tout entier l'a gardé parce que sa Tête souveraine l'a gardé, l'a communiqué, l'a rétabli où il avait manqué. « Le prestige même du Pape a été atteint. » On a osé écrire cela, et le papier supporte tout, mais c'est une insigne et exécrable fausseté. Le « prestige du Pape » — (quel charabia !) — a grandi. Grâce à lui a grandi le « prestige » du Concile, qui se fût discrédité en cédant à la poussée. Refusant de céder, Rocher inébranlable, parlant, comme il avait annoncé qu'il le ferait, en Pasteur et en Maître, à l'heure de son choix, en la manière de son choix, « lié uniquement au Seigneur, uni Domino devinctus », — expression splendide dont il souhaitait l'insertion dans la Constitution de Ecclesiq, qui en eût été le diamant, et qui fut pitoyablement rejetée par la majorité de la Commission, — affranchi de toute sujétion humaine à raison même de sa totale dépendance de Dieu, le Saint-Père a préservé sa liberté, en laquelle réside toute la liberté du Concile, et, avec la liberté du Concile, c'est I'HONNEUR du Concile qu'il a courageusement, noblement, bienheureusement préservé.

V.-A. BERTO.
Supérieur du Foyer de Jeunesse
Notre Dame de Joie.
(extrait d’Itinéraire n°91, mars 1965)


Sur un incident conciliaire : Une page de Mgr. Carli

Le présent article complète celui que l'Abbé V.-A. Berto avait publié, sous le titre : « Remarques sur un incident conciliaire », dans notre numéro 91 de mars 1965.

Bien que nous ayons eu le bon propos de faire un récit irréprochable de l' « incident » survenu à la fin de la troisième session conciliaire, à propos du schéma sur la liberté religieuse, notre mémoire s'est trouvée en défaut : nous avons étendu sur quatre jours, du mardi 17 au vendredi 20 novembre, une suite d'événements qui n'en a occupé que trois, le dernier épisode ayant eu lieu non le vendredi 20, mais le jeudi 19.

Nous avons l'obligation de nous corriger, et la bonne fortune de le pouvoir faire en citant un témoin tout à fait irrécusable, S. Exc. Mgr Carli, évêque de Segni.

Mgr Carli est connu — et reconnu même par ceux qui ne partagent pas ses vues — pour l'un des Pères les plus remarquables du deuxième Concile du Vatican, tant par la vigueur de sa doctrine et la merveilleuse clarté de son exposition que par la courageuse précision de sa parole. « Est, est; non, non : oui quand c'est oui, non quand c'est non » : en Mgr Carli se rencontre à un degré éminent cette droiture évangélique.

Le texte que nous apportons (traduit par nous de l'italien en un mot-à-mot très littéral) se trouve p. 3, n° 4, du tiré-à-part d'un article de Mgr Carli paru dans la revue Palestra del Clero (Rovigo, Istituto Padano di arti grafiche), livraison du 15 février 1965, sous le titre : « La questione giudaica davanti al Concilio Vaticano II ». Voici ce texte :

« Pour corriger tant d'inexactitudes et de malveillances propagées par la presse, nous sommes en mesure de rétablir les faits selon la plus absolue fidélité. « Le nouveau texte sur la liberté religieuse — la troisième rédaction pour être précis — fut distribué aux Pères conciliaires pendant la Congrégation Générale du mardi 17 novembre 1964, avec la notification qu'il serait voté dans la Congrégation Générale du jeudi 19.

« Un groupe d'évêques (Français, Brésiliens, Italiens, Chiliens, Espagnols, etc...) accoutumés à se réunir tous les mardis après-midi pour un échange fraternel d'idées sur les schémas conciliaires, constatèrent ce mardi-là que le texte reçu le matin présentait une rédaction substantiellement et formellement différente de la rédaction précédemment discutée in Aula.

« En fait, en face des 271 demi-lignes [2] du texte précédent, s'offraient les 556 du nouveau, et de ces 271, 75 seulement étaient demeurées sans changement. Et surtout étaient nouveaux le point de vue et les motivations de la question, un long excursus historique et la preuve scripturaire. Voter un tel texte quelques heures à peine après sa présentation parut donc à ces évêques chose non sérieuse et, en outre, contraire au Règlement.

« Recueillant, dans le temps très court dont ils disposaient, environ 150 signatures, ils présentèrent vers les 11 heures du mercredi 18, un exposé dans lequel ils demandaient un renvoi du vote, parce que :

a) le temps suffisant n'avait pas été accordé, contrairement à la prescription de l'art. 30 §2 du Règlement ( « les schémas des décrets et canons et tout texte quelconque à approuver doivent être distribués aux Pères de telle manière qu'il leur soit laissé un espace de temps convenable pour prendre des conseils, mûrir leur jugement et arrêter leur suffrage. »)

b) s'agissant d'un texte substantiellement nouveau, était nécessaire la discussion préalable, conformément à l'art. 36 du Règlement.

« Peu d'instants après la réception de l'exposé, le Doyen du Conseil de Présidence, s'étant consulté avec les Modérateurs, donna lecture publique de cet exposé, et disposa que le lendemain matin, l'Assemblée entière, par vote écrit, aurait à décider si le texte serait voté immédiatement, ou si le vote serait renvoyé.

« Le soir de ce même mercredi, le groupe des Evêques... protestataires fit connaître aux organes compétents qu'il considérait la décision prise comme illégale, non tant parce qu'elle concernait collégialement le Conseil de Présidence, que plutôt parce que l'Assemblée était absolument incompétente pour décider s'il serait dérogé ou non à des articles prescriptifs d'un Règlement émané du Souverain Pontife. Le matin, du jeudi 19, après consultation collégiale, le Conseil de Présidence reconnut loyalement l'erreur de procédure dans laquelle on était tombé et décida de renvoyer, par manque de temps utile, l'examen et le vote du schéma sur la liberté religieuse à la quatrième session du Concile. Nonobstant l'appel immédiat adressé au Souverain Pontife : « lnstanter, instantius, instantissime », par 500 Pères au plus [3], la décision du Conseil de Présidence reçut confirmation autorisée. Et ainsi avec l'esprit et la lettre du Règlement, fut sauvé le principe même de la ...liberté religieuse qui appartient aussi aux minorités conciliaires, et fut sauvé surtout le sérieux du Concile engagé dans une question extrêmement délicate. »

V.-A. BERTO.
(extrait d’Itinéraire n°94, juin 1965)

  1. Ce sont les mêmes qui, obstinément, puissamment, passionnément, ne voulaient pas que la Sainte Vierge fût proclamée Mère de l'Eglise. Ce n'est pas une contingence ; ce sont deux effets nécessaires d'une unique pseudo-théologie sous-jacente. C'est ainsi en toutes matières théologiques
  2. Chaque page était imprimée sur deux colonnes (.Note du traducteur.)
  3. D'après le P. Caprile S.J. (Civiltà Cattolica du 20 février 1965), exactement 441. Nous avons fait état de 800 ou 900 signatures, d'après la presse favorable à ce violent effort pour arracher un vote sans délibération. On voit s'il faut en rabattre. Le P. Wenger (la Croix, 2 mars 1965) dit que l'on dit que l'article du P. Caprile est « inspiré ». Certainement, il sent d'une lieue la « vérité officielle ». Le P. Wenger ajoute que l'article « s'efforce d'expliquer et de justifier l'attitude des organismes directeurs au cours de la dernière semaine de la session ». « S'efforce » donne assez à entendre qu'il n'y parvient pas. En quoi le P. Wenger a raison, quoique d'une autre manière qu'il ne l'entend. « L'attitude des organismes directeurs » est facilement explicable et cent fois justifiée, mais non par les considérations de tactique qu'emploie exclusivement le P. Caprile. Sous l'emphatique et horrible affectation d'objectivité caractéristique des documents de cette sorte, on ne trouve que l'idée la plus basse, et par là même la plus fausse, de la nature et du déroulement d'un Concile oecuménique. Plus l'analyse phénoménologique est parfaite dans son ordre, plus inévitablement elle laisse échapper l'essentiel, qui n'est pas de cet ordre. Qui ne lirait que le P. Caprile ne soupçonnerait seulement pas que l'affaire d'un Concile n'est pas de rallier à une « majorité » une « minorité » — au besoin en usant, flouant et roulant ladite « minorité » — mais de rallier « majorité » et « minorité » à une certaine valeur non mesurable, qui est la vérité. Le même lecteur soupçonnerait encore moins, s'il est possible, que l'honneur, la loyauté, le courage ne sont pas pour tout le monde des mots radicalement dénués de toute espèce de signification. Mais comment nous faire comprendre ? (Note du traducteur.)
Outils personnels
Récemment sur Salve Regina