VIIIe JOUR DE DÉCEMBRE

De Salve Regina

Vies de saints
Auteur : Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX
Source : D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque.
Date de publication originale : 1878

Résumé : Tome XIV
Difficulté de lecture : ♦ Facile
Remarque particulière : 7ème édition, revue et corrigée

VIIIe JOUR DE DÉCEMBRE

MARTYROLOGE ROMAIN.

La CONCEPTION IMMACULÉE de la glorieuse et toujours Vierge Marie, Mère de Dieu. — A Rome, le triomphe de saint Eutychien, pape, qui ensevelit de ses propres mains, en divers lieux, trois cent quarante-deux Martyrs, auxquels il fut associé, sous l'empereur Numérien, par une sainte mort pour Jésus-Christ ; il fut enterré dans le cimetière Calliste 1. 283. — A Alexandrie, saint Macaire, martyr, qui, sous l'empereur Dèce, confessa Jésus-Christ avec une constance d'autant plus grande que le juge de pressait plus instamment de le renier, et fut enfin condamné à être brûlé vif. 250. — A Trèves, saint Euchaire, disciple de l'apôtre saint Pierre, et premier évêque de cette ville 2. 1er s. — En Chypre, saint Sophrone, évêque, qui fut le défenseur admirable des pupilles, des orphelins et des veuves, et le secours de tons les pauvres et de tous ceux qui étaient dans l'oppression. — Au monastère de Luxeuil, saint ROMARIC, abbé, qui, après avoir occupé le premier rang à la cour du roi Théodebert, renonça au siècle et surpassa tous les autres dans les pratiques de l'observance monastique. 653. — A Constantinople, saint Patape, solitaire, célèbre par ses vertus et ses miracles. — A Vérone, l'ordination de saint Zénon, confesseur. IVe s.

1. Après l'interrègne de cinq jours seulement qui suivit la mort du pape saint Félix 1er (269-274), le dimanche 3 janvier 275, Eutychien, étrusque d'origine, fut promu sur le Siège de saint Pierre. Il siégea sous les règnes d'Aurélien, Tacite, Probus et Carus, depuis le consulat d'Aurélien III et Marcellin (275) jusqu'aux ides de décembre, sous le consulat de Carus II et Carin (283). Il régla, par une constitution, la cérémonie de la bénédiction des fèves et du raisin sur l'autel du Seigneur. Durant sa vie, il ensevelit de sa main, en divers lieux, trois cent quarante-deux Martyrs. Il ordonna, par un décret spécial, que tous les Martyrs fussent revêtus de la dalmatique et du colobium de pourpre, avant d'être inhumés ; en même temps, il enjoignait de lui adresser un rapport exact de leur sépulture. En cinq ordinations, au mois de décembre, il imposa les mains à quatorze prêtres, cinq diacres et neuf évêques destinés à diverses églises. Il reçut la couronne du martyre (8 décembre 283), et fut enterré dans le cimetière de Calliste, puis transporté à Luni (aujourd'hui Luneggiano), sa patrie. Après la destruction de cette ville, il fut déposé à Savone (intendance de Gênes) où venait d'être transféré le siège épiscopal le Luni. — Liber Pontificalis ; Darras, Histoire de l’Église ; Artaud de Montor, Histoire des souverains Pontifes romains. 2. Nous avons esquissé la notice de saint Euchaire de Trèves, ainsi que celle de ses successeurs les saints Valère et Materne, au 14 septembre.

MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTE.

Aux diocèses d'Agen, Ajaccio, Albi, Angers, Autun, Bayeux, Beauvais, Blois, Cahors, Cambrai, Carcassonne, Châlons, Chartres, Cologne, Coutances, La Rochelle, Laval, Le Puy, Meaux, Mende, Pamiers, Paris, Poitiers, Rouen, Saint-Dié, Soissons, Versailles, Verdun et Viviers, fête de l'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, citée au martyrologe romain de ce jour. — A Saint-Léonard (Loir-et-Cher, arrondissement de Blois, canton de Marchenoir), au diocèse de Blois, Saint LEONARD DE DUNOIS, anachorète. VIe s. — A Chémery (arrondissement de Thionville), au diocèse de Metz, Notre-Dame de Chémery, qui possède une célèbre Confrérie de l'immaculée Conception (établie en 1500, par Dom Juan Sellier, chartreux du couvent de Sainte-Marie de Freistroff, et approuvée, en 1609, par le Saint-Siège qui l'enrichit d'indulgences). — Sur la paroisse de Souprosse (canton de Tartas), au diocèse d'Aire, Notre-Dame de Goudosse, qui est l'objet d'une grande vénération et le but de nombreux pèlerinages. A une distance de trois cents mètres du sanctuaire est une source vénérée où boivent avec confiance les pèlerins. — A Carcassonne, Notre-Dame de la Santé, dont le sanctuaire, qui date du XIIe siècle, est dû à Raymond Roger IV, vicomte de Carcassonne. Profanée en 1793 et vendue pour des usages profanes, la chapelle a été rachetée en 1857, et réparée par les soins de Mgr de La Bouillerie. — A Macon (Saône-et-Loire), au diocèse d'Autun, dédicace, par le pape Innocent IV, accompagné de saint Louis et de toute sa cour, de l'église du monastère de Saint-Pierre de cette ville. 1245. — A Lyon, NOTRE-DAME DE FOURVIÈRES. — A Avignon, sainte Cazarie, qui vécut près de cette ville dans un lieu où fut élevée plus tard l'abbaye bénédictine de Saint-André de Villeneuve. Ses reliques furent longtemps conservées dans l'église de ce célèbre monastère. 586. — Encore à Avignon, saint Valens, qui épousa sainte Cazarie, dont nous venons de parler. Les deux époux firent voeu de virginité le jour de leurs noces, distribuèrent leurs biens aux pauvres et se vouèrent à la vie ascétique dans un désert des environs de Villeneuve, sur la rive droite du Rhône. Le clergé et le peuple d'Avignon ayant ensuite désigné Valens pour occuper le siège épiscopal de leur ville, celui-ci ne céda qu'à leurs instances réitérées : il fit déposer lui-même le corps de sainte Cazarie dans une petite chapelle sur la montagne d'Audaon, et s'endormit dans le Seigneur à l'âge de plus de quatre-vingts ans. Vers 591. —Dans plusieurs pays de France et de l'étranger, fondation, par Mme de Melient de Bretagne, de la Congrégation des Sœurs de l'Immaculée Conception, qui reçut de Pie IX le nom de Pie 1. 1854.

MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.

Martyrologe de l'Ordre des Cisterciens. — La Conception immaculée de la Vierge Marie, Mère de Dieu, que l'Ordre des Cisterciens tout entier entoure d'une vénération et d'un culte particuliers. Martyrologe des trois Ordres de Saint-François. — La Conception immaculée de la glorieuse Marie, toujours Vierge, Mère de Dieu, patronne unique et particulière de notre Ordre séraphique. Martyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs. — L'Immaculée Conception de la bienheureuse et glorieuse Vierge Marie, Mère de Dieu, patronne, sous le mène mystère, de tout l'Ordre séraphique. Le souverain pontife Sixte IV a accordé à perpétuité, à ceux qui assistent à la messe et à l'office pendant l'octave de cette fête, les mêmes indulgences que celles que les fidèles peuvent gagner à la fête du très-saint Sacrement. Martyrologe de l'Ordre des Servites de la bienheureuse Vierge Marie. — L'Immaculée Conception de la glorieuse Marie, toujours Vierge, Mère de Dieu. Martyrologe des Mineurs Capucins de Saint-François. — La Conception de la glorieuse Marie, Mère de Dieu, spéciale patronne de notre Ordre des Capucins, sous le mystère de l'Immaculée Conception.

ADDITIONS FAITES D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.

Chez les Frères Prêcheurs, le bienheureux Frumence de Hongrie, martyr, de l'Ordre de Saint-Dominique. Ce grand personnage fit, au XIIIe siècle, ce qu'imita plus tard, au XVIe, saint François de Borgia. Prince puissant, il légua à ses fils ses terres et ses fiefs, et prit l'habit dans un couvent des Frères Prêcheurs. Sa vie fut très sainte ; il avait pour les souffrances un attrait particulier et cherchait toujours les occasions d'en endurer quelqu'une. Un jour que les Tartares avaient fait irruption dans le pays, mettant tout à feu et à sang, et que nos pères prenaient le chemin des montagnes pour échapper au massacre, ce bienheureux prince, désireux du martyre, pria le Père prieur de le laisser demeurer au couvent, pour consoler les chrétiens qui restaient dans la ville ; il pensait en même temps à profiter de l'occasion pour gagner la palme immortelle. Sa demande lui fut accordée. Lorsque les Tartares furent venus, il entra dans l'église du couvent et alla se prosterner tout joyeux, tenant les bras en croix, au pied de l'autel. Les féroces païens ne purent le faire sortir de cette posture pieuse, et, voyant qu'il y persévérait toujours, ils lui percèrent les pieds et les mains, ou plutôt ils le clouèrent sur le marchepied de l'autel et lui écrasèrent la tête. Lorsque les ennemis se furent retirés et que les religieux furent rentrés dans le couvent, l'un d'eux, qui avait vu son corps déchiré et ensanglanté, éprouvant une grande peine de ce que Dieu avait permis qu'il mourût d'une mort si cruelle, le Bienheureux lui apparut et lui dit : « Mon ami, les souffrances de cette vie ne sont point à comparer à la gloire que Dieu donne à ses amis qui ont enduré quelque chose pour son amour ». Le bienheureux Frumence est honoré publiquement dans la Hongrie et dans l'Allemagne. 1242.

1. Cette Congrégation, qui date de l'année même de la définition du dogme de l'Immaculée Conception, compte déjà quatre maisons : l’une à Rome, installée à la Villa Campana, section achetée des deniers de la fondatrice ; une en Bretagne, dans un château de Mme de Mellent ; une troisième près du Fribourg, en Suisse ; une quatrième à Annecy (Haute-Savoie). — Note de M. l'abbé Ducis, archiviste du département de la Haute-Savoie ; lettre de mars 1872.

SAINT LÉONARD DE DUNOIS,MOINE DE MICY, ERMITE DANS LA FORÊT DE MARCHENOIR.

VIe siècle.

Tranquillitatis mater eremus est.

La solitude est la mère de le paix. Saint Jean Chrysostome, Homélies.

Saint Léonard de Dunois, qu'il ne faut pas confondre avec les autres Saints de ce nom, naquit vers la fin du Ve siècle, de parents nobles et pieux. Fidèle à la voix de la grâce, qui l'appelait à une haute perfection, il comprit de bonne heure le néant des choses humaines, et pour se soustraire aux dangers des grandeurs que semblait lui assurer la distinction de ses talents et de sa naissance, il prit la résolution de renoncer à tous ses biens et d'aller s'enfermer dans le célèbre monastère de Micy, près Orléans, où il avait sans doute fait ses premières études. Après avoir vécu plusieurs années sous la direction de saint Mesmin, abbé de Micy, saint Léonard obtint la permission de son saint abbé de quitter la communauté et de se retirer dans la solitude, afin de s'y livrer plus parfaitement à l'exercice continuel de la pénitence et de l'oraison. Beaucoup de religieux agissaient ainsi dans ces temps de ferveur et de foi : pour ne plus penser qu'au ciel, ils abandonnaient avec plaisir le commerce des hommes. Saint Léonard, parti de Micy, suivit d'abord le cours de la Loire, puis, tournant un peu à droite, il vint se fixer au milieu d'une épaisse forêt, près de l'endroit on Thibaut 1er, comte de Dunois, fit élever, au Xe siècle, le célèbre fort de Marchenoir. Cette forêt appelée Silvalonie 1 ou Forêt-Longue, et désignée aujourd'hui sous le nom de Forêt de Marchenoir, s'étendait alors beaucoup plus au midi, par-delà le lieu où a été bâti depuis le bourg de Saint-Léonard, près l'ancien chemin de Blois à Châteaudun. C'est là que notre Saint vint fixer son séjour, pour ne plus s'occuper que du salut de son âme. Son ermitage était situé sur un terrain à peu près triangulaire, ayant 36 mètres de l'est à l'ouest, et 33 du nord au sud, à l'endroit compris aujourd'hui entre la maison de Bel-Air et l'habitation du régisseur de la forêt de Marchenoir appartenant à la très honorable famille de Luynes. A l'aide de quelques offrandes qui lui furent faites, le saint ermite avait construit, près de sa cellule, une petite chapelle dédiée à saint Etienne, où les fidèles des environs venaient prier avec lui et écouter ses salutaires instructions. C'est dans ce lieu alors sauvage et ombragé par des chênes séculaires que le vertueux solitaire vécut dans la pauvreté et la pénitence.

1. Lorsque les forêts, aujourd'hui particulières, de Marchenoir et de Fretteval, ne faisaient encore qu'un tout, ce qui a duré jusqu'au XIVe siècle environ, ce total portait le nom de Forêt-Longue (Silvalonia, Silva longa). Après leur séparation, on a encore donné quelque temps le nom de Forêt-Longue à celle de Marchenoir. — Bordas, Hist. du Dunois, p. 12.

Tout occupé de son salut éternel, saint Léonard laissait entièrement de côté le soin de son corps. Son habit était simple et grossier : il marchait nu-pieds et couchait sur un lit composé de branches d'arbres et d'un peu de mousse ; il se nourrissait de racines et de quelques fruits sauvages qu'il ramassait dans la forêt. Comme on doit bien le penser, la sainteté de sa vie ne tarda pas à se répandre aux environs. Bientôt son humble cellule devint le pieux rendez-vous d'une foule de personnes qui venaient de tous côtés se recommander à ses prières et recevoir ses charitables avis. Le voyageur égaré trouvait près du Saint un asile et un bon conseil ; l'affligé puisait dans ses discours d'abondantes consolations ; les malades amenés des environs, près de lui, s'en retournaient guéris et bénissaient Dieu d'avoir accordé un si grand saint à la contrée. De nombreux pécheurs surtout venaient lui ouvrir leur cœur et, encouragés par ses paroles pleines de foi, ils s'en allaient aussitôt confesser leurs fautes, pour retrouver la paix de la conscience dans le sacrement de la réconciliation. L'empressement des chrétiens à se rendre à la chapelle où saint Léonard priait avec eux engagea plusieurs personnes à fixer leur demeure près de la cellule du vertueux anachorète ; quelques maisons y furent bâties pour recevoir les pèlerins dont le nombre augmentait de jour en jour ; on commença à défricher tout autour pour semer du grain et planter des légumes, et en peu d'années on vit se former une agglomération de bâtiments qui formèrent le bourg actuel. Pendant ce temps-là, saint Léonard, dont la réputation s'était accrue en proportion de ses nombreux mérites, était jugé digne par Dieu d'être admis au nombre des bienheureux dans le ciel. Désirant lui-même de posséder celui qu'il avait tant aimé sur la terre, il bénit une dernière fois ceux qui étaient venus implorer le secours de ses prières, et il rendit sa belle âme à Dieu, le 8 décembre, dans la seconde moitié du VIe siècle. Son corps fut inhumé dans la chapelle de Saint-Étienne, qu'il avait si longtemps sanctifiée par ses prières et dans laquelle il avait opéré tant de miracles. Tous les habitants des environs accoururent de très loin à ses funérailles, et sa sépulture fut inondée des douces larmes de la reconnaissance. A ce moment solennel où le cercueil fut descendu dans la tombe, toutes les pensées se portèrent vers le ciel, où venait de monter l'âme d'un père si tendre et d'un si puissant intercesseur.

CULTE ET RELIQUES.

La chapelle de Saint-Étienne, devenue le tombeau de saint Léonard, continua comme auparavant à être de plus en plus fréquentée par les pèlerins. Les pauvres, les malades, les affligés, éprouvaient un grand soulagement chaque fois qu'ils venaient se prosterner sur la tombe vénérée, qu'on ne quittait plus qu'avec le désir d'y revenir encore, et chaque jour, la réputation de sainteté du vertueux défunt était confirmée par d'éclatants miracles attribués à son intercession. Ces miracles avaient continué, durant plusieurs siècles, à se multiplier sur la tombe du bienheureux solitaire, et la confiance des fidèles ne s'était pas ralentie un seul instant. Alors Gaultier, évêque de Chartres, qui, à cette époque, avait juridiction sur le pays dunois, fit prendre de scrupuleuses informations sur les faits miraculeux attribués à la protection de saint Léonard. Le résultat fut présenté à un conseil spécial, et il fut résolu que les reliques du serviteur de Dieu seraient tirées du tombeau et exposées à la vénération publique. A cet effet, au mois de mai 1226, Gaultier se rendit au bourg de Saint-Léonard, accompagné de l'évêque du Mans et des abbés de Preuilly, en Touraine, de Bonneval, en Dunois, de Notre-Dame de Bourg-Moyen, de Blois, de Saint-Mesmin, près Orléans, de Saint-Calais, au Maine, et de l'Etoile, près Château-Renaud. Le 10 da même mois, cette illustre assemblée partit processionnellement de l'église paroissiale, dès longtemps dédiée sous l'invocation de saint Léonard. Une foule immense de fidèles suivaient le cortège religieux, qui arriva à la chapelle, où reposait le corps du bienheureux depuis environ sept cents ans. Le tombeau fut ouvert en présence de tous les assistants recueillis ; l'évêque de Chartres en tira les précieux ossements, les enveloppa avec soin dans un linge, et les déposa respectueusement dans une magnifique châsse. A la fin de la cérémonie, il décréta que tous les ans, à perpétuité, l'anniversaire de cette translation serait célébré dans l'église de Saint-Léonard, et il déposa dans la châsse un acte authentique constatant l'identité et l'exaltation des reliques. Cet acte, signé par le prélat et par les principaux assistants, est daté du 6 des ides de mai (10 mai 1226). Il accorda en même temps trente jours d'indulgences aux fidèles qui visiteraient l'église dans l'année courante, et sept jours d'indulgences, à perpétuité, aux personnes qui viendraient en pèlerinage le jour anniversaire de cette translation, fixé maintenant au quatrième dimanche après Pâques, d'après une permission spéciale de Rome. Les reliques de saint Léonard étant ainsi transportées dans l'église paroissiale, les fidèles y allèrent de préférence déposer leurs dons et leurs offrandes, en même temps qu'ils s'y rendaient pour invoquer le Saint, de sorte que la petite chapelle de Saint-Etienne cessa d'être entretenue et tomba bientôt en ruines. On en enleva les matériaux et on construisit, sur le lieu de la sépulture du saint anachorète, un socle de pierres de taille, surmonté d'une Croix appelée la Croix de Saint-Etienne. Ce monument, successivement renouvelé quand sa vétusté l'exige, rappelle sans interruption les souvenirs les plus touchants et inspire les plus salutaires réflexions. En l'année 1818, on découvrit autour de celte croix les fondations de l'ancienne chapelle qui avait reçu le corps de saint Léonard. Ces fondations, reconnues encore une fois avant leur complète destruction, au mois d'avril 1845, avaient un mètre d'épaisseur et décrivaient le plan d'une petite église de quatorze mètres sur six, dans œuvre. En fixant le point où est située la croix, on recensait que le tombeau se trouvait à l'entrée du sanctuaire de la chapelle. Le terrain environnant ces vestiges fut probablement le jardin de l'ermitage. Il devint un cimetière après la mort du Saint, lorsque le bourg fut formé ; et longtemps après la translation des reliques, il conservait encore cette destination, simultanément avec l'espace compris autour de l'église actuelle. Les reliques de saint Léonard furent visitées en 1353, 1394, 1634, 1733, 1772 et 1778. La châsse fut renouvelée en 1394 et en 1772. C'est cette dernière qui existe encore ; elle est de forme quadrangulaire, en bois doré et sculpté. Restaurée en 1872, elle est actuellement renfermée dans une armoire supportée par quatre colonnes en bois, et décore l'autel de Saint-Léonard, placé à droite du chœur, à côté de l'autel de la Sainte-Vierge. Les reliques du Saint furent profanées en 1794 ; sauvées en partie (on conserve encore un fémur, quatre vertèbres et divers ossements rompus et déformés), elles furent rendues à la vénération des fidèles en 1797, et approuvées définitivement, le 15 mai 1824, par M. l'abbé Guillois, vicaire général, délégué à cet effet par Mgr de Sauzin, évêque de Blois. Tous les ans, la veille du quatrième dimanche après Pâques, on expose la châsse au milieu du chœur, sur une estrade décemment ornée, où elle reste ainsi exposée pendant plusieurs semaines. Le lendemain, jour de grande fête pour toute la contrée, le clergé et le peuple, précédés de la châsse, vont processionnellement faire une pieuse station à la Croix de Saint-Etienne. Cette cérémonie est des plus édifiantes : dès le matin, les cloches proclament au loin la solennité ; l'église se remplit de nombreux pèlerins qui se pressent autour des reliques et prient avec ferveur. Vers neuf heures, la procession sort de l'église à travers une multitude extraordinaire d'étrangers de tout âge et de toute condition. La marche est ouverte par l'étendard de la croix et par les bannières paroissiales suivies des confréries. Quatre jeunes gens revêtus d'aubes portent sur leurs épaules les restes vénérés du saint patron de la contrée, pendant que les chantres répètent alternativement les hymnes de leurs ancêtres, concert pieux et touchant qu'accompagne le son grave et solennel des cloches. Arrivé à la Croix de Saint-Étienne, le cortège se déploie autour du lieu où vécut et mourut le bienheureux Léonard. D'autres chants se font entendre, et lorsque le célébrant récite la dernière oraison sur le peuple, mille prières ferventes s'élèvent de tous les cœurs vers le ciel. La procession rentre dans le même ordre. Alors la chaire chrétienne retentit des merveilles du Tout-Puissant, et le panégyrique du glorieux patron de la paroisse dispose l'auditoire à saluer, dans une profonde adoration, le Maître de l'univers qui va descendre sur l'autel pour le salut des hommes. Après la messe, on se presse encore autour des reliques ; une foule remplace une autre foule. Chacun passe dévotement sous la châsse, en priant et en se recommandant à la protection du Saint. La même dévotion continue jusqu'au soir, et le lendemain, jour de la foire habituelle, il est bien peu de personnes qui ne fassent un instant diversion le leurs affaires, pour venir à l'église invoquer la protection du Saint.

Extrait de la Vie de saint Léonard de Dunois, par M. l'abbé Mouzé, curé de Saint-Léonard (Bar-le-Duc, chez Louis Guérin, 1873).

SAINT ROMARIC OU REMIRÉ, MOINE DE LUXEUIL

653. — Pape : Saint Martin 1er. — Rois de France : Sigebert II et Clovis II.


L'âme qui s'est interdit la pompe de la vanité du siècle s'envole aux cieux pleine de richesses. Saint Valérien, Homélies.


Saint Romaric était d'extraction noble et même royale, selon quelques historiens. Son père s'appelait Romulfe, et sa mère Romulinde. Nous n'avons point de détails sur son enfance ; nous savons seulement que, bien qu'élevé dans un palais, au milieu de toutes les splendeurs du luxe, il n'en reçut pas moins une instruction chrétienne, qui le tint en garde contre les dangers du monde. Le goût de la piété avait grandi en lui avec l'âge ; il éprouvait surtout un plaisir singulier à visiter les monastères et les basiliques qui renfermaient les reliques des Saints. Il aimait aussi à verser l'aumône dans le sein des pauvres ; et dans un sens plus vrai que l'empereur païen, il répétait souvent qu'il regardait comme perdu le jour où il n'avait pas eu occasion de soulager quelque membre souffrant de Jésus-Christ. Il occupait un poste important à la cour de Théodebert, roi d'Austrasie, et s'y était lié d'une étroite amitié avec un noble seigneur nommé Arnould, également au service de ce prince. Aussi pieux que braves, les deux officiers, tout en remplissant avec une scrupuleuse fidélité les fonctions de leur charge, n'en réservaient pas moins leurs cœurs à un Maître plus digne. Convaincus de la vanité des honneurs, ils aspiraient à s'en dépouiller et à se consacrer à Dieu dans la retraite. L'opinion la plus probable est que saint Romaric fut marié avec une fille de noble origine, dont le nom est resté inconnu. Selon les auteurs qui embrassent ce sentiment, il aurait eu de ce mariage trois filles, nommées Asselberge, Adsalsude ou Adzaltrude, et Segeberge. Déjà détaché lui-même des choses de la terre, il s'efforça d'inspirer le même esprit à ses filles. Deux d'entre elles, répondant à ses vues, se dévouèrent à la vie monastique dans le couvent même fondé par leur père, à Remiremont. L'aînée, Asselberge, préféra rester dans le monde, et contre l'avis de son père, épousa un riche seigneur franc, nommé Béthilinus. Cependant Thierry, roi de Bourgogne, avait déclaré la guerre à son frère Théodebert, et l'avait défait près de Toul. L'ayant ensuite poursuivi à la tête d'une nombreuse armée, il le battit de nouveau à Tolbiac. Théodebert, trahi par les siens, fut livré à ce prince cruel, qui le remit à leur aïeule commune Brunehaut, par l'ordre de laquelle il fut d'abord torturé, puis mis à mort. Enflé de sa victoire, Thierry s'avance vers la ville de Metz, fait mourir en passant le père de Romaric, et oblige celui-ci à fuir ; car, toujours fidèle à son maître, Romaric avait préféré la ruine et l'exil à une lâche trahison. Tous ses biens furent confisqués. Il s'enfuit à Metz et alla trouver l'évêque Aridius, homme brutal et entièrement dévoué aux intérêts de Brunehaut. Il se jeta à ses pieds, et le pria d'intercéder près de cette princesse, à l'effet de lui faire rendre sa fortune ; mais cet indigne prélat repoussa sa demande, et même, dans un mouvement de colère, lui donna un coup de pied. Alors Romaric se relève et va se prosterner dans l'église Saint-Martin, en disant : « O bienheureux Martin, je me suis mis sous votre protection. Où êtes-vous donc ? Que faites-vous ? Venez en aide à un infortuné, si vous voulez que l'on ait encore confiance en vous ! » Sa prière ne fut point vaine ; peu de temps après, on apprit la mort de Thierry, et les affaires changèrent tellement de face, que les vainqueurs de la veille devinrent les vaincus du lendemain. Aridius et Brunehaut elle-même se virent réduits à prier humblement Romaric de vouloir bien favoriser leur fuite de Metz : ce qu'il fit généreusement, sans se souvenir en aucune manière des injures qu'il avait reçues. On lui rendit son palais et ses biens ; Clotaire même, héritant de l'amitié de Théodebert pour lui, lui donna une place distinguée à sa cour. Ces événements n'avaient pas peu contribué à détacher entièrement Romaric des biens de la terre. Il venait de recevoir une leçon frappante de l'instabilité des choses d'ici-bas. Dès ses premières relations avec saint Arnould, il avait formé avec lui le projet de se rendre à Lérins ; divers obstacles s'opposèrent à l'exécution de leur dessein, et, pour ce qui regarde Arnould, il devint visible que la Providence les avait suscités. Car, après la mort de Pappolus, évêque de Metz, il fut, tout d'une voix et malgré sa résistance, désigné pour le remplacer. C'était la deuxième année du règne de Clotaire sur toutes les Gaules, en 614. Romaric, privé de son ami, ne songeait peut-être plus à exécuter son projet, quand un incident, ménagé par le ciel, le ramena dans la voie où il devait s'engager. Saint Amé, moine de Luxeuil, évangélisait alors quelques villes d'Austrasie. Ayant sans doute entendu parler de la piété de Romaric, il alla lui demander l'hospitalité. Invité, pendant le repas, à parler des choses de Dieu, le Saint prit pour sujet le détachement absolu, conseillé par l'Évangile, tonna contre les richesses, proie de la rouille et des vers, et parla avec tant d'éloquence, que Romaric sentit se fixer toutes ses incertitudes. Il distribua immédiatement presque tous ses biens aux pauvres, prit avec lui ceux de ses serviteurs qui voulurent l'accompagner, en donnant aux autres la liberté, et partit avec Amé pour le monastère de Luxeuil. Saint Eustaise le dirigeait alors ; et telle était la ferveur qui y régnait, qu'on pouvait justement l'appeler la pépinière des Saints. Romaric ne se montra point indigne de cette glorieuse phalange. Il avait apporté à l'abbaye la plus grande partie de sa fortune, et amené plusieurs de ses serviteurs : or, telle était son humilité, qu'on le vit obéir avec une parfaite docilité à ceux mêmes d'entre eux qui avaient rempli dans son palais les plus viles fonctions. On remarquait son empressement à rechercher les emplois bas et pénibles : comme s'il eût eu besoin d'expier par l'humiliation son ancienne grandeur. Tous les exercices de la pénitence lui étaient doux. La culture du jardin avait surtout de l'attrait pour lui, parce qu'elle était l'occupation des novices ; mais, tout en s'adonnant à ce travail, il trouvait moyen d'exercer son esprit, en apprenant les psaumes par cœur. En peu de temps, Romaric parvint à une haute perfection. L'étroite amitié qui s'était formée entre Romaric et Amé n'avait fait que grandir dans le cloître, et, malgré la pureté d'intention qui en était le principe, elle ne laissa pas que de devenir, pour Romaric, une occasion de chute. Saint Amé s'étant laissé, jusqu'à un certain point, entraîner dans le schisme d'Agrestin, son autorité y entraîna aussi son disciple. Quelques négligences sur certains points de la règle attirèrent à Amé et à Romanis des reproches de la part d'Eustaise. Nous ne savons si ce fut à cette occasion, ou en suite d'un dessein déjà prémédité, que les deux moines sortirent de Luxeuil pour l'objet que nous allons dire. De son immense fortune, Romaric avait conservé un domaine dans les Vosges, probablement d'après le conseil de saint Amé, et dans le but de s'y établir plus tard. Ce lieu était un ancien château ou castrum appelé Habendi, ou Habundí, situé sur une montagne, près de la Moselle. Quand le moment fut venu, et peut-être à raison des dissentiments qui s'étaient élevés entre eux et Eustaise, les deux moines fondèrent d'abord là un couvent de femmes, à la tête duquel ils mirent la vierge Mactefelde ou Macteflède. Amé, tout en portant le titre d'abbé, en laissa la direction à Romaric. Bientôt les religieuses y affluèrent ; deux des filles mêmes de Romaric y prirent le voile : une admirable ferveur animait cette communauté naissante ; et les saints fondateurs virent se reproduire dans un sexe plus faible l'admirable spectacle que leur avait présenté Luxeuil, avec ses six cents moines, marchant d'un même pas dans les voies de la perfection. Mactefelde joignait ses efforts et ses exemples aux leurs, pour imprimer à cette création une impulsion vigoureuse ; elle l'établit sur le plus solide fondement possible : la vie et la mort d'une Sainte ; car elle ne le gouverna que peu de temps : Dieu l'ayant appelée de bonne heure à jouir de la gloire éternelle. A sa mort, Romaric, craignant que, dans la suite, de mauvais choix imposés du dehors n'amenassent des troubles dans le monastère, voulut lui assurer une pleine indépendance. Il régla donc que l'abbesse serait uniquement élue par la communauté, qu'au temporel Habendi ne relèverait que de l'autorité royale, et, au spirituel, du siège de saint Pierre. Que si, par hasard, le sujet élu se montrait peu digne de sa charge, la communauté avait le droit de remontrance ; et, dans le cas où le scandale aurait franchi le seuil du monastère, c'était au souverain Pontife seul à y mettre ordre. Ce règlement fut approuvé par le roi Clotaire ; le pape Jean IV le confirma plus tard, par des lettres écrites de sa main. Nous avons dit que deux des filles de saint Romaric entrèrent comme religieuses à Habendi. La troisième, Asselberge, informée du parti qu'avait pris son père, résolut d'attirer à elle ce qui pouvait rester de l'héritage paternel, auquel, selon un auteur, elle n'avait eu aucune part. Elle envoya donc à son père un premier enfant qui lui était né, dans l'espoir que Romaric se laisserait toucher et rendrait à sa petite-fille ce qu'il avait refusé à sa fille. Le Saint reçut avec joie ce présent de nouvelle espèce, baptisa l'enfant, lui donna le nom de Tecte ou de Gertrude, et confia à ses religieuses le soin de l'élever. Mais les vues mondaines de la mère furent trompées ; non seulement elle n'obtint point ce qu'elle désirait, mais sa fille même ne lui revint point. Elle resta au couvent, y prit le voile, et en devint l'abbesse dans la suite. Peu après la fondation de ce monastère, les Saints en construisirent un second pour les hommes. Ils lui donnèrent, comme au premier, la Règle de Saint-Colomban. Amé en abandonna encore la direction à son disciple. Pour lui, retiré dans une grotte, il ne descendait que tous les dimanches dans le but d'expliquer l'Écriture sainte à ses fils et à ses filles, et de leur donner des avis pour leur avancement spirituel. Du reste, Romaric ne se réglait que par ses avis ; leur union était de plus en plus intime : au point de ne former, pour ainsi dire, qu'une seule âme dans deux corps. Agrestin étant venu, sous le masque de l'humilité, demander place à Remiremont, fut assez habile pour réveiller dans le cœur d'Amé des souvenirs déjà peut-être éteints. Il est certain que l'illustre solitaire trempa plus ou moins dans le schisme de ce dangereux sectaire, mais seulement en ce qui touchait à quelques points accessoires de la Règle de Saint-Colomban. Or, tel était l'attachement de Romarin pour son maître, qu'il ne fit point difficulté de le suivre, même lorsqu'il s'égarait. Il avait encouru comme lui les reproches de l'abbé Eustaise ; comme lui il prêta l'oreille aux perfides suggestions d'Agrestin. Nous manquons de détails sur cette circonstance de la vie de notre Saint ; nous ignorons, par conséquent, dans quelle mesure il prit, lui aussi, part au schisme, et combien de temps il y persévéra. Probablement, son erreur dura peu ; et comme il avait suivi Amé dans sa faute, il l'imita aussi dans son repentir. Un peu avant 625, Romaric apprit que son ami Arnould, évêque de Metz, venait d'abdiquer sa charge dans l'intention de vivre en solitaire. Il se souvint que c'était à lui, après Dieu, qu'il devait la première pensée d'embrasser la vie monastique. Il alla le trouver à Metz, l'accompagna dans tout le voyage, qui fut signalé par de nombreux miracles ; et, dans le désir de le rapprocher de lui, le mena en un lieu appelé suivant les uns Horemberg, suivant les autres Adventius, et éloigné du Saint-Mont d'environ deux mille pas. C'était là qu'il lui avait lui-même préparé une retraite. Saint Arnould accéda au désir de son ami, et ce rapprochement ne fit que confirmer la vieille amitié qui les unissait. Cependant Asselberge n'avait point renoncé à ses projets, et une première tentative avortée ne l'empêcha pas d'en faire une seconde. Ayant eu un fils, elle s'empressa de l'envoyer à son père, dans l'espoir d'être plus heureuse que la première fois. Mais son ambition fut de nouveau déçue. Romaric, accepta, avec une joie plus grande encore, le nouveau dépôt qu'on lui confiait ; il baptisa lui-même son petit-fils, à qui saint Amé voulut bien servir de parrain, le nomma Adolphe, et l'envoya, quand il fut en âge, à son ami Arnould, pour l'élever dans la connaissance et la crainte du Seigneur. Dieu bénit encore les pieuses intentions de son serviteur. Adolphe grandit en vertu, plus encore qu'en âge, et mérita de remplacer son aïeul : l'Église l'honore comme Saint. Après la mort de saint Amé, Romaric lui succéda comme abbé des deux monastères. Il fit en sorte qu'on ne s'aperçût point du changement de supérieur. Entièrement dévoué au bien de ses communautés, il se livrait même à des travaux corporels pour fournir à leurs besoins, bien qu'il fût d'un tempérament très faible. Et s'il arrivait quelquefois que le nécessaire leur manquât, sa coutume était de s'adresser à Jésus-Christ, et de lui dire avec larmes : « Vous avez assez, Seigneur, et même surabondamment : venez donc en aide à votre pauvre serviteur, dont vous connaissez les besoins ». Et toujours sa vive confiance était exaucée : les secours arrivaient à temps. On raconte qu'un jour des ouvriers employés à des travaux pénibles vinrent lui demander de la viande pour réparer leurs forces épuisées, et qu'il leur dit : « Attendez un moment, le Dieu qui peut tout vous en procurera ». A l'instant même, le chien du couvent s'élança à travers la forêt et débusqua un cerf qui vint tomber du haut du rocher, et se brisa la tête, On l'apporta au serviteur de Dieu, qui dit aux ouvriers ; « Dieu ne nous a pas plus fait défaut qu'à l'ordinaire. Prenez et mangez la chair de cet animal, et laissez la peau pour nos sœurs qui en ont besoin ». Une autre fois, se trouvant chez un habitant des Vosges, qu'il visitait souvent, la femme de celui-ci, qui était fort pieuse, se plaignait à lui de n'avoir pas de boisson à lui offrir, sa provision de cervoise étant épuisée de la veille. « N'ayez pas d'inquiétude », lui dit Romaric ; « mais ayez la foi : car Dieu peut procurer de la nourriture et de la boisson même au désert. Entrez dans votre chambre ». Elle entra, et trouva son vase de cervoise rempli jusqu'au bord. Elle la conserva religieusement, et déclara plus tard que beaucoup de malades avaient recouvré la santé en en buvant. Romaric avait établi près du monastère des religieuses un logement pour celles d'entre elles qui étaient atteintes de la lèpre. Une de ces pauvres lépreuses ayant pu se procurer en secret de l'eau dont il avait fait usage pour se laver, en frotta ses membres, et fut parfaitement guérie. Elle vécut longtemps après, proclamant tout haut le miracle dont elle avait été l'objet. Romaric avait aussi établi une léproserie pour hommes, près du couvent de ses religieux, et s'était lui-même chargé de la desservir. Il soignait et pansait les malades de ses propres mains. L'aspect de ces plaies si hideuses, de ces membres putréfiés, ne rebutait point cet homme élevé dans les délicatesses du luxe. La charité de Jésus-Christ avait éteint en lui toutes les répugnances de la nature, et son exemple excitait les autres à l'imiter. Romaric répandait ainsi autour de lui la bonne odeur de ses vertus. Tous avaient l'œil fixé sur lui, comme sur un modèle et un guide ; une sainte émulation entraînait tout le monde sur ses pas. L'heure de la récompense approchait pour Romaric. Cependant, sa charité lui dicta une démarche qui mérite d'être mentionnée. Après la mort du duc Pépin, le roi Sigisbert avait nommé son fils Grimoald, maire du palais. Sigisbert étant mort à son tour, ce même Grimoald rasa son fils Dagobert, chargea Didon, évêque de Poitiers, de le conduire en Irlande, et mit son propre fils sur le trône. Cette action souleva dans le royaume un mécontentement universel. Romaric lui-même s'en émut au fond de sa retraite et, malgré son âge et les difficultés du chemin, il se rendit à la Cour pour annoncer au roi ce que Dieu lui avait révélé de l'avenir. Telle était la réputation du Saint, que Grimoald, sachant qu'il viendrait le voir pendant la nuit, prit lui-même un flambeau, et fit la moitié du chemin à sa rencontre. Saisi de crainte à son aspect, comme s'il eût découvert en lui un signe céleste, il se prit à trembler ; puis, l'embrassant avec respect, il écouta les reproches et les prédictions sinistres que le Saint avait à lui faire, ainsi qu'aux grands de la cour. Bien loin de s'en fâcher, il promit de réparer ses torts, et renvoya Romaric comblé de présents. Le biographe ajoute qu'avant de rentrer, le saint vieillard parcourut encore, autant que ses forces le lui permirent, toutes les terres du monastère, adressant aux colons de pieux avis, les exhortant à persévérer dans la doctrine qu'il leur avait enseignée, et à s'occuper avant tout du salut de leur âme. Dès qu'il fut rentré, la fièvre le saisit ; mais sa langue bénie n'en était pas moins active pour louer Dieu ou enseigner la vérité. Le mal empira peu à peu, et l'heure de sa délivrance approchait. Un saint diacre, transporté en esprit au ciel, y avait vu d'immenses préparatifs, comme pour un grand banquet ; et quelqu'un ayant demandé pourquoi les convives ne se mettaient point à table, le saint pontife Arnould, mort depuis peu, répondit : « Nous attendons notre frère Romaric, qui doit venir aujourd'hui nous rejoindre ». D'un autre côté, des jeunes gens, qui veillaient à l'entrée du monastère, avaient vu une nuée épaisse envelopper la montagne et la cellule du moribond. C'était un dimanche, le 6 des ides de décembre (8 décembre) 653. Les Matines étaient finies et le jour commençait à poindre, quand quelques religieux, s'approchant de la couche de Romaric pour le retourner, le virent défaillir entre leurs bras. Un prêtre, qui était présent, cria : « Attendez donc, mon vénérable maître, qu'on vous ait apporté le saint Viatique ». Aussitôt le mourant revint à lui, leva sa main droite vers le ciel, et fit le signe de la croix sur lui et sur les assistants. Dès qu'il eut reçu la sainte Eucharistie, il ferma lui-même ses lèvres avec sa main, puis ses yeux, et s'endormit paisiblement dans le Seigneur. Aussitôt la nuée qui couvrait sa cellule se fendit, et pendant que les religieux entonnaient les psaumes, on vit une lueur éclatante apparaître dans les airs et illuminer la montagne. Puis un globe de flammes s'en détacha, et s'éleva majestueusement vers le ciel. Personne ne douta que ce ne fût un indice de la bienheureuse entrée de Romaric dans les splendeurs de l'éternité. Il fut enseveli à côté de saint Amé. Après la destruction de l'ancien monastère, son corps fut transféré dans le nouveau, vers l'an 910, avec ceux des saints Amé et Adelphe, par Dreux ou Drogon, évêque de Toul. En 1051, le pape Léon IX, étant venu en Lorraine, canonisa saint Romaric, fit une nouvelle translation de ses reliques, et ordonna qu'elles fussent exposées à la vénération publique. Plusieurs miracles s'opérèrent à son tombeau immédiatement après sa mort, et dans la suite des siècles. Son nom est inséré dans le martyrologe romain et dans celui de France. Il est représenté : 1° debout, en costume religieux, tenant un chapelet ; 2° ayant à ses pieds un sceptre et une couronne ; 3° guérissant un possédé ; 4° quelquefois sans autre attribut qu'un livre ouvert.

Tiré de la Vie des Saints de Franche-Comté, par les professeurs du collège Saint-François-Xavier de Besançon.


FÊTE DE L'IMMACULÉE CONCEPTION DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE.

Érigée en dogme en 1854. — Pape : Pie IX.


Tota pulchra es, amica mea, et macula non est in te.

Vous êtes toute belle, Vierge bien-aimée, et l’œil scrutateur d'un Dieu n'a pu découvrir eu vous la moindre tache. Cantique des Cantiques, IV, 7.

Joachim était vieux et Anne stérile ; ainsi, il n'y avait nulle apparence qu'ils dussent avoir des enfants, n'en ayant point eu depuis vingt ans qu'ils étaient unis par les liens du mariage. Mais ils allèrent au temple, offrirent un sacrifice, adressèrent leurs prières et leurs vœux au ciel, les accompagnèrent de soupirs et de larmes, et distribuèrent libéralement leurs biens aux ministres de l'autel et aux pauvres, afin que, donnant à Dieu ce qui était en leur pouvoir, ils reçussent aussi de sa main le trésor de ses bénédictions. Leurs désirs furent enfin exaucés, et Anne, nonobstant son âge et sa stérilité, conçut cette fille admirable, après laquelle tous les siècles avaient soupiré. « Ainsi », dit saint Jean Damascène, « une femme stérile et épouse d'un vieillard devint mère, afin que ce miracle préparât les hommes à un prodige incomparablement plus grand, qui était l'union singulière de la maternité avec la virginité, laquelle se devait faire peu d'années après dans celle qui était le fruit de ce premier miracle ». C'est cette auguste conception de Marie qui est aujourd'hui le sujet de l'allégresse et de la vénération de l'Église. Elle se réjouit de voir le lever de cette aurore, qui lui vient annoncer les approches du soleil de justice. Elle se réjouit de voir la formation de cette arche, qui doit la sauver du déluge général du péché. Elle se réjouit de voir la naissance de cet arc-en-ciel, qui l'assure que la colère de Dieu sera bientôt apaisée. Mais, ce qui la remplit particulièrement de joie, c'est que la conception de Marie n'a rien de la honte et de l'infamie de celle des autres hommes. Dans celle-ci la matière est impure ; la forme, qui est l'âme raisonnable, est souillée des ordures du péché, et l'esprit, qui est la plus noble portion de cette âme, est enseveli dans les ténèbres et privé de toute connaissance. Mais dans celle de Marie, nous trouvons des avantages tout contraires. La matière est parfaitement purifiée, l'âme est exempte de péchés et enrichie des plus beaux ornements de la grâce ; l'esprit est rempli d'une très-haute connaissance des vérités divines et humaines. Les saintes lettres nous apprennent que la volonté de tous les hommes étant renfermée dans celle du premier, qui était leur chef dans l'ordre moral aussi bien que dans l'ordre naturel, ils- ont tous péché en lui et par lui, et ils viennent tous au monde avec la tache et l'infamie de ce péché. C'est de la que saint Paul conclut la nécessité d'un réparateur, et que les Conciles et les Pères infèrent avec tant de force contre les Pélagiens, que personne ne peut être sauve que par la miséricorde de Dieu et par la grâce médicinale de Jésus-Christ. Mais nous avons des preuves certaines tirées des mêmes saintes Écritures, des écrits des saints Pères, de la sage conduite et des décrets de l'Église, du consentement des fidèles, et de ce que nous dictent la raison et le bon sens, que Marie, seule entre toutes les femmes et seule entre toutes les personnes qui sont nées d'Adam par la voie d'une génération commune, doit être exceptée de cette généralité. Il semble que Dieu nous l'ait voulu apprendre dès le commencement du monde, par sa malédiction contre le serpent qui avait trompé la première femme et l'avait portée à manger du fruit défendu. Inimicitias, lui dit-il, ponam inter te et mulierem, semen tuum et semen illius ; ipsa conteret caput tuum : « Je mettrai une inimitié entre toi et la femme, entre ta postérité et la sienne ; mais elle prévaudra sur toi et t'écrasera la tête ». Saint Irénée, saint Cyprien, saint Epiphane et les autres Pères disent que Dieu, par cette femme, entend la sainte Vierge, et quelques-uns d'entre eux remarquent que c'est pour cela qu'il ne dit pas : « Je mets dès à présent » ; mais : « Je mettrai ». Il veut donc nous signifier qu'entre Marie et le démon, représenté par le serpent, de même qu'entre Jésus-Christ et toutes les puissances de l'enfer, il y aura une guerre perpétuelle et irréconciliable, et que dans cette guerre elle sera toujours victorieuse et brisera la tête de son ennemi. Or, cela ne serait pas si, dans le moment de sa conception, elle avait été souillée du péché originel. Bien loin d'être alors en guerre avec le démon et d'en être victorieuse, elle aurait été son amie ou plutôt son esclave, elle aurait plié sous sa puissance et sous sa domination. Il y aurait eu divorce entre elle et Jésus-Christ, et elle se serait trouvée dans un état où Dieu n'aurait pu avoir aucune amitié ni aucune inclination pour elle. Il faut donc nécessairement reconnaître qu'elle a été préservée de cette misère générale qui a inondé tout le genre humain, et qu’elle n'a jamais contracté le péché originel. L'Époux des Cantiques déclare bien clairement ce privilège singulier de Marie, lorsqu'il lui dit au chapitre IV : « Vous êtes toute belle, ma bien-aimée, et il n'y a nulle tache en vous ». Car si elle est toute belle, elle ne l'est donc pas seulement dans sa naissance, dans sa vie, dans sa mort, dans sa résurrection et dans l'état de gloire qu'elle possède dans le ciel ; elle l'est aussi, ou elle l'a été, dans le moment de sa création, et elle n'a jamais été sans être belle. Et s'il n'y a nulle tache en elle, il faut donc en exclure non seulement le péché mortel et le péché véniel, mais aussi le péché originel, qui, selon saint Augustin et les autres Pères, est une difformité horrible, laquelle rend une âme exécrable aux yeux de Dieu. Toutes les figures de l'Ancien Testament, que les interprètes sacrés ont perpétuellement appliquées à la sainte Vierge, nous conduisent aussi à la même vérité. Ce vaisseau de Noé qui voguait heureusement sur les eaux du déluge, sans en recevoir aucun dommage pendant que tout le reste du monde en était submergé ; cette arche d'alliance, formée de bois incorruptible, dorée dedans et dehors, et qui ne contenait que les Tables de la loi, la manne et la verge de Moïse ; cette toison de Gédéon, qui demeurait sèche, pendant que toute la terre d'alentour était trempée, et qui fut couverte de rosée dans la sécheresse générale du champ où elle était étendue ; cette nuée du prophète Élie, qui s'éleva du fond de la mer sans en emporter aucune amertume, étaient des prophéties sensibles que Marie, naissant d'une race corrompue, ne contracterait rien de sa corruption, et qu'étant au milieu des pécheurs elle n'aurait nulle part à leur péché. Tel a été le sentiment des plus anciens Pères de l'Église. Ils ont toujours appelé la sainte Vierge « très-pure, très-irrépréhensible, très-immaculée », sans qu'aucun d'eux l'ait jamais comprise en particulier dans la loi générale du péché. Quelques-uns la saluent « plus belle que les chérubins, plus pure que les séraphins, plus innocente et plus sainte que tous les esprits célestes ». Il est vrai que, lorsque, cette vérité, qui était comme cachée dans le sein de l'Église et renfermée dans les propositions générales dont les saints Pères s'étaient servis, commença à se développer, il y eut à son sujet plusieurs contestations entre les docteurs ; mais, après quelque temps de discussion, tout le monde se déclara pour elle. Plusieurs fois le Saint-Siège, voyant que les fidèles honoraient la Conception immaculée de Marie, encouragea cette dévotion, autorisa une fête spéciale, défendit d'enseigner la doctrine contraire, et rendit l'office de l'Immaculée Conception avec octave obligatoire pour tout l'univers catholique. Enfin, le 8 décembre 1854, un des jours les plus fortunés et les plus glorieux de l'humanité sur la terre, nous avons vu ce après quoi les siècles précédents avaient soupiré avec tant d'ardeur, le vicaire de Jésus-Christ, Pie IX, le successeur de saint Pierre, déclarer du haut de la chaire apostolique que la croyance de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge Marie est une doctrine de foi et que personne ne peut la nier sans se séparer de l'unité de l'Église. D'ailleurs, plusieurs excellentes raisons suffiraient sans la décision formelle de l'Église pour nous persuader de cette doctrine. Marie est mère de Dieu, et elle a pour fils Jésus-Christ, le Saint des Saints. Cette vérité, qui a été si solennellement définie au concile d'Éphèse contre les blasphèmes de Nestorius, est reçue et révérée de tous les fidèles. Saint Pierre Damien, à la suite des Pères et des Docteurs, appelle cette dignité de Mère de Dieu « une dignité immense », et assure qu'il n'y a que l'Ouvrier même qui puisse surpasser ce grand ouvrage. Dieu voulant faire une faveur si incompréhensible à Marie, voulant l'élever à une dignité si admirable, voulant la mettre au-dessus des Trônes, des Chérubins, des Séraphins et de toute créature possible, voulant enfin la rendre telle qu'il n'y eût et ne pût y avoir personne plus digne au-dessous de lui, pouvait-il permettre qu'à sa Conception elle fût l'esclave du démon, l'héritière de l'enfer et une créature maudite et exécrable, digne de son horreur et de ses malédictions ? N'aurait-il pas donné par là un grand sujet à Satan de se glorifier d'avoir été, du moins un moment, le maître et le souverain d'une créature si précieuse, et de l'avoir eue sous sa puissance et sa domination ? Et n'aurait-il pas, en même temps, fait tort à la gloire de sa toute-puissance, en ne faisant qu'à demi cet ouvrage si rare et si excellent ? D'ailleurs Marie, pour être digne Mère du Verbe divin, a dû participer, d'une manière très éminente, aux perfections et à la sainteté du Père éternel, puisqu'elle devait être son Vicaire sur la terre et donner une vie humaine à Celui à qui il donne une vie divine dans l'éternité. Or, la sainteté de Dieu est une sainteté perpétuelle et immuable ; il est Saint, il a toujours été Saint, et c'est dans les splendeurs des Saints qu'il a engendré son Verbe ; donc Marie, pour être digne Mère de Dieu, a dû toujours être sainte, et jamais infectée de la corruption d'aucun péché, ni conséquemment du péché originel. Il fallait encore pour cela qu'elle fût semblable à Celui qu'elle devait mettre au monde, puisqu'il doit y avoir de la ressemblance entre le Fils et la Mère, et que lorsqu'elle ne s'y trouve pas, c'est un défaut de la génération. Or, le péché originel n'est autre chose, selon saint Denis, qu'un état de dissemblance d'avec Dieu, habitus dissimilitudinis Dei ; et non seulement de dissemblance, mais aussi d'opposition, de contrariété et d'incompatibilité ; car Jésus-Christ hait nécessairement celui qui est souillé de ce crime, et, le haïssant, il le condamne et le rejette nécessairement de devant ses yeux. Jugez donc si Marie, destinée à être sa Mère, a pu jamais contracter ce péché et en être souillée. Enfin, elle devait être telle que ce ne fût pas un opprobre et une confusion pour lui de la reconnaître pour sa Mère. Or, si jamais elle avait été criminelle, ce serait sans doute un opprobre et un sujet de honte et de confusion pour sa majesté souveraine et infinie de la reconnaître et l'avouer pour sa Mère. Il n'y a point de doute qu'un honnête homme ne rougisse des fautes et des désordres de ceux qui l'ont mis au monde. Ainsi, Marie, étant choisie de toute éternité pour être la digne Mère du Fils de Dieu et une Mère qui fût, non pas sa confusion, mais son honneur et sa gloire, il faut sans doute avouer qu'elle a été préservée du péché et qu'elle a été conçue dans l'innocence et dans le privilège d'une très éminente sainteté. Nous serons encore plus certains de cette vérité, si nous faisons réflexion sur l'assistance que son Fils, qui n'était pas encore selon son humanité, mais qui subsistait selon sa divinité et la regardait déjà comme sa Mère, devait lui rendre au moment de sa Conception. Car il est certain qu'en ce moment si important il pouvait la préserver du péché en lui donnant par avance la grâce d'une sanctification parfaite. Or, s'il le pouvait, comment pouvons-nous nous imaginer qu'il ne l'ait pas fait et n'ait pas voulu le faire ? Ne nous commande-t-il pas aussi d'honorer nos pères et nos mères et de les assister dans leurs besoins le plus promptement qu'il nous est possible ? Quoi ! aurait-il manqué à une loi qu'il a prescrite aux autres enfants ? De plus, Marie devait être coopératrice de son Fils dans la rédemption des hommes. Nous ne lui attribuons ce privilège qu'après tous les Pères de l'Église. Le pape Innocent III, au sermon de l'Assomption, dit en un mot : Quidquid damnavit Eva, salvavit Maria ; « Marie a sauvé tout ce qu'Ève avait perdu ». Ce n'est pas qu'elle nous ait rachetés par ses satisfactions et par ses mérites, mais elle a fourni la chair et le sang qui ont servi à notre rédemption ; elle a été le premier autel où le Sauveur s'est immolé, et elle l'a sacrifié pour nous en même temps qu'il s'est sacrifié lui-même. La conséquence de ce principe, c'est que Marie n'a pas été pécheresse ; car, comment aurait-elle travaillé à la délivrance et à la réconciliation des pécheurs, si elle-même avait été un instant du nombre infortuné des pécheurs ? Il fallait pour cela qu'elle participât au sacerdoce de son Fils et que, comme dit saint Epiphane, elle fût le Prêtre et l'Hostie de notre rachat. Saint Paul ne dit-il pas aussi que notre Prêtre doit être saint, innocent, pur et sans tache ; il fallait qu'elle fut singulièrement et souverainement agréable aux yeux de Dieu, et comment aurait-elle eu cette prérogative si elle avait autrefois été criminelle, et que, par son ancien crime, elle fût, comme les autres hommes, la meurtrière de celui à qui elle avait donné la vie ? II fallait qu'il n'y eût rien à effacer et à pardonner en elle, et n'y aurait-il eu rien à lui pardonner, si la mort de son Fils avait été offerte, non pas pour la préserver du péché, mais pour la réconcilier après en avoir contracté la tache ? Elle n'a donc jamais été coupable, et c'est par cette parfaite innocence qu'elle a justement mérité d'être associée à l'office et à la gloire de notre rédemption. Enfin, Marie est comme la générale des armées de Dieu : à ce titre elle a dû aussi n'avoir jamais de péché. Le Saint-Esprit, au Cantique des cantiques, nous la représente, non seulement comme une guerrière intrépide, mais aussi comme une armée tout entière rangée en bataille et terrible à ses ennemis ; Salomon, comme une tour défendue de mille boucliers et comme un lit nuptial environné des soixante forts d'Israël. Tous les Pères enfin lui appliquent ces paroles du chapitre In de la Genèse : Ipsa conteret caput tuum ; « C'est elle qui te brisera la tête » Cela nous permet-il de croire qu'elle ait jamais été vaincue par Satan, qu'elle ait plié sous son joug et qu'elle ait été sa captive ? Qu'est-ce que la tête du serpent, sinon le péché originel ? N'est-ce pas par ce péché que tous les hommes ont été blessés, et que le poison des autres péchés s'est insinué dans le monde ? Si donc Marie a écrasé la tête du serpent, ne faut-il pas avouer qu'elle a surmonté le péché originel et qu'elle n'en a jamais été l'esclave ? Comme l'exemption du péché est inséparable de la grâce sanctifiante, cette grâce fut dans Marie plus grande qu'aucune qui ait jamais été donnée aux autres créatures, non seulement dans leur première origine, mais aussi dans la consommation de leur perfection ; elle fut même plus grande que celle de tous les anges et de tous les hommes ensemble ; parce que, selon saint Augustin, saint Bernard et saint Thomas, sa grâce a dû être proportionnée à la dignité à laquelle elle était destinée. Or, la dignité de Mère de Dieu vaut mieux elle seule que tout ce que nous pouvons concevoir de grand et de magnifique dans les anges et dans les hommes : les Pères l'appellent « infinie, indicible, incomparable, incompréhensible » ; donc, sa grâce a surpassé toute celle qui a été infuse aux anges et aux hommes, et toute celle à laquelle ils sont arrivés par leurs mérites et leurs bonnes œuvres. D'ailleurs, cette grâce avait tous les avantages intérieurs de la justice originelle, qui étaient de soumettre l'esprit à Dieu, la chair à l'esprit et les mouvements de la nature à la raison, et de donner une puissance parfaite de ne jamais pécher ni mortellement, ni véniellement. Car ce qui fait que la grâce n'a point en nous ces avantages, c'est que nous les avons perdus par le péché de notre origine. Puis donc que la sainte Vierge n'avait aucune part à cette tache, il faut avouer que sa grâce avait toute la force et la vigueur de la justice originelle. De tout ce que nous venons de dire, il est manifeste que l'âme de la sainte Vierge, dans sa Conception, n'a point été souillée des ordures du péché, mais qu'elle a été au contraire embellie des plus précieux ornements de la grâce. Nous ajoutons que la matière dont son corps a été formé a été parfaitement purifiée. Nous sommes obligés d'avouer avec honte que le péché de notre premier père a tellement corrompu et infecté la substance qui sert à notre génération, qu'elle est en nous une semence de désordres et de crimes. Elle allume la concupiscence, elle anime les passions, elle excite les rébellions de la chair contre l'esprit, et elle nourrit cette guerre intestine et perpétuelle qui est entre le corps et l'âme, entre la partie supérieure et la partie inférieure. Mais cette corruption n'a point eu lieu en la sainte Vierge ; la matière que la grâce plutôt que la nature préparait à sa formation a été entièrement dégagée de cette contagion, et elle lui a été donnée dans un état si pur, qu'elle était incapable d'aucun mouvement déréglé. Trois raisons nous persuadent cette vérité : la première, que cette matière devait composer le corps d'une Vierge plus pure que les Trônes, que les Chérubins et que les Séraphins ; et si pure, selon la manière de parler de saint Anselme et du Docteur angélique, qu'on ne peut concevoir au-dessous de Dieu une pureté plus grande et plus parfaite. La seconde, c'est que cette matière devait aussi servir à la composition du corps de Jésus-Christ ; car la chair de Jésus a été formée de celle de Marie, et on peut dire même qu'il y a eu un temps où elle n'a été qu'une même chair avec celle de Marie. La troisième, qu'ensuite cette matière devait servir pour Jésus-Christ à la rédemption du genre humain, et être offerte au Père éternel comme une Hostie sans tache pour notre réconciliation et notre salut. Il reste, pour faire voir la perfection de sa Conception, à montrer que son esprit en ce moment n'a pas été enveloppé de ténèbres, mais qu'il a joui des plus nobles lumières de la nature et de la grâce pour connaître les vérités divines et humaines. C'est ce que nous apprend saint Jérôme lorsqu'il dit qu'elle n'a jamais été dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière : Non fuit in tenebris, sed semper in luce. C'est aussi ce que l'Église nous enseigne lorsqu'elle lui applique tout ce qui est dit de la Sagesse dans les Proverbes et dans l'Ecclésiastique ; car il est impossible que la Sagesse soit dans l'obscurité et dans l'ignorance. Si donc Marie a mérité le nom glorieux de Sagesse, nous devons être persuadés quelle n'a jamais été un seul moment sans jouir de la lumière de la raison et d'une intelligence très parfaite. Au moment qu'elle fut sanctifiée, c'est-à-dire au moment même de sa Conception, elle fut douée de l'usage de la raison ; elle jouit des plus sublimes lumières pour connaître Dieu et se connaître elle-même, et pour faire des actes proportionnés à la grandeur de la grâce et à l'éminence de la charité qui lui étaient données. Quelques théologiens ajoutent que, comme on ne saurait lui dénier le grand privilège que saint Augustin et saint Thomas disent avoir été accordé à Moïse et à saint Paul, de voir quelques moments en cette vie la pure lumière de l'essence divine, on peut croire que l'instant de sa Conception fut un de ces précieux instants où une ferveur si admirable lui fut conférée. Ce n'est pas ici le lieu de traiter à fond des sujets si importants. Nous nous contenterons de dire avec Denis le Chartreux, que, comme Marie a été très semblable à son Fils en sainteté, aussi elle lui a été très semblable en connaissance et en sagesse ; et avec l'abbé Rupert, que son Époux l'a tellement fait entrer dans ses celliers, qu'il ne lui a rien caché des hautes vérités des saintes Écritures. Quelle a donc été la gloire, l'éminence et la perfection de sa Conception ? et n'avons-nous pas sujet de nous écrier aujourd'hui avec une sainte allégresse : « Votre Conception, ô Vierge, Mère de Dieu, a rempli tout le monde et toutes les créatures de joie? Nous n'y trouvons point les défauts et les misères de la nôtre ; votre âme y est sans tache, votre corps y est sans souillure, votre esprit y est sans ténèbres. Tout y est saint, tout y est pur, tout y est lumineux, tout y est digne d'une Mère de Dieu, tout y est digne de celui qui doit naître de vous, tout y est digne de celui qui doit réparer le monde par le corps et le sang qu'il recevra de vous ». Faut-il s'étonner après cela si l'on a établi une fête pour honorer tous les ans un mystère si grand et si digne de respect et de louanges? On ne peut pas préciser l'époque où elle a commencé dans les Églises d'Orient et d'Occident. Elle a été célébrée parmi les Grecs, au moins dans quelques églises particulières, dès le VIe siècle. En Occident il n'en est pas fait mention avant le XIe siècle. La très sainte Vierge, honorée spécialement dans le mystère de sa Conception immaculée, est la patronne des tapissiers, tondeurs de drap et tonneliers. Ce patronage nous semble bizarre, et nous avouons ne pouvoir expliquer en rien son origine.

DÉFINITION DU DOGME DE L'IMMACULÉE CONCEPTION DE NOTRE-DAME.

L'histoire de la définition du dogme de l'Immaculée Conception est trop importante pour qua nous ne la donnions pas ici en abrégé. L'Espagne fut constamment à la tête de tous les pays catholiques pour obtenir du Saint-Siège une définition dogmatique : ses démarches au XVIIIe siècle sont continuelles. Un de ses rois, chez qui la dévotion envers Marie était héréditaire, Charles II, demanda que l'office de l'immaculée Conception avec octave fût rendu obligatoire pour tout l'univers catholique. Innocent XII, par sa Bulle In excelsa, du 15 mai 1693, accéda à cette demande. Cette mesure fut complétée, lorsque Clément XI, en 1708, rendit la fête de la Conception obligatoire pour toute l'Église. Benoît XIV, qui s'était proposé d'encourager la dévotion envers la Vierge Immaculée, avait, dit-on, manifesté l'intention de publier une Bulle à ce sujet ; mais ce projet ne reçut aucune exécution. Il ordonna seulement qu'à la fête de l'immaculée Conception il y eût chapelle papale en présence du souverain Pontife et de toute sa cour. Mais le monument le plus célèbre de l'Immaculée Conception est, sans contredit, une lettre du bienheureux Léonard de Port-Maurice, que l'on regarde comme l'expression d'un esprit prophétique. Elle témoigne le désir le plus ardent de voir définir ce grand mystère, et présage les plus grands biens pour l'époque Où le Saint-Siège croira pouvoir prononcer cette définition. Passons au XIXe siècle. Les Frères Franciscains du royaume de Naples sollicitèrent du Saint-Siège la permission de célébrer l'Immaculée Conception de la sainte Vierge dans la préface de la messe, chose qui, jusqu'alors, était inouïe. Pie VII accéda à leurs désirs le 17 mai 1806. Cette faveur excita la sainte ambition des diocèses de Séville, de Lyon et d'une foule d'autres ; ils obtinrent la même concession, ainsi qu'un grand nombre d'Ordres religieux, entre autres, celui de Saint-Dominique, qui s'associa enfin à la croyance commune. Une autre dévotion donna un nouvel élan à la piété des fidèles envers Marie Immaculée. Le 20 septembre 1830, la Congrégation des Rites accorda, par deux rescrits, à Mgr l'évêque de Forli et à Mgr l’évêque de Gand, la permission d'ajouter aux litanies de Lorette, qui rappellent si bien les prérogatives de notre bonne mère, cette belle invocation : Reine conçue sans péché, priez pour nous ! En peu de temps, cette sainte pratique devint générale. Le pape Grégoire XVI, en 1840, reçut les suppliques de cinquante-deux cardinaux, archevêques et évêques, qui insistaient sur l'utilité et la nécessité morale de prononcer le jugement définitif. Peu de temps après arrivèrent une quarantaine de demandes semblables des Missions asiatiques, de l'Amérique méridionale, d'Espagne, d'Italie, de Savoie, de Moravie et de Bohème. Sa Sainteté Pie IX reçut, avant le 2 février 1849, quarante demandes des évêques du royaume de Naples, avec une nouvelle instance de Sa Majesté le roi des Deux-Siciles ; dix demandes des archevêques et évêques de France ; quatre-vingts demandes des archevêques et évêques de toutes les parties du monde, sans compter les suppliques des Ordres religieux, des Chapitres et des églises particulières. Le Saint-Père ne pouvait demeurer indifférent à ces vœux unanimes de l'épiscopat catholique, lui qui, comme il le déclara dans sa Bulle Ineffabilis, avait été, dès les premiers jours de son pontificat, préoccupé de celle grave affaire. Dans les années 1847 et 1848, il nomma une commission de consulteurs choisis parmi les prélats et les théologiens les plus distingués de l'Église romaine, et il leur soumit la question de savoir si la pieuse croyance à l'Immaculée Conception pouvait, d'après les usages de l'Église catholique, être solennellement définie. A la fin de 1848, Pie IX, Chassé de Rome par la révolution, se réfugia à Gaète ; il fit continuer les travaux de la commission sur la terre d'exil. A plusieurs reprises il réunit les cardinaux exilés comme lui, et prit leur avis sur le projet de définir la prérogative de la Mère de Dieu. Ce fut de Gaète qu'il adressa, le 2 février 1849, à tous les évêques du monde, la célèbre encyclique par laquelle il les invita à adresser au ciel les plus ferventes prières, alla qu'il éclairât le Chef de l'Église sur cette importante affaire, leur demandant en même temps quelle était, au sujet de l'Immaculée Conception de la sainte Vierge, la croyance de leur troupeau et leur croyance personnelle. Le Saint-Père voulait constater le consentement unanime de toute l'Église. Son but n'était point de provoquer de nouvelles démonstrations du mystère ; cependant un grand nombre de prélats motivèrent si bien leur foi, exposèrent avec tant de profondeur et d'érudition les preuves de la pieuse croyance, que les réponses de l'épiscopat renferment, dans leur ensemble, une démonstration complète et irréfutable du mystère, il est impossible de les lire sans concevoir la plus haute idée de la science et de la piété de l'épiscopat catholique, sans admirer son attachement au Saint-Siège et son dévouement à la cause de la Mère de Dieu. L'unanimité des évêques est aussi une chose des plus remarquables. Sur environ sept cent cinquante cardinaux, patriarches, archevêques, évêques et vicaires apostoliques, que l'Église compte dans son sein, plus de six cents avaient répondu au Saint-Père avant que celui-ci prononçât la définition. Si l'on tient compte des oublis, des cas de maladie, de mort, de vacance de sièges, de lettres égarées à cause des grandes distances, en peut dire que l'épiscopat catholique tout entier a répondu à l'encyclique du 2 février 1849, et manifesté ainsi le vit intérêt qu'il prenait à l'affaire de la définition. A l'épiscopat et aux fidèles se joignirent les théologiens et les docteurs qui consacrèrent leur plume le la gloire de Marie : il faut citer, parmi les plus célèbres, le R. P. Rivalora, le cardinal Lambruschini, le R. P. Perrone, le R. P. Marien Spada, le R. P. Biancheri, le R. P. P. Bigoni, etc. Le Mémoire de Dom Guéranger, abbé de Solesmes, est un petit volume plein de sens et de raison, qui a un cachet tout à fait original. L'auteur a su s'approprier les arguments anciens, de telle sorte qu'ils paraissent nouveaux sous sa plume ; il a fait justice aussi, et d'une manière triomphante, des difficultés que l'on soulevait alors et contre le mystère même et contre sa définibililé. Mais de tous les écrits qui ont paru avant la définition, il n'en est aucun qui, par son étendue, son importance et sa solidité, puisse être comparé au grand travail du R. P. Passaglia, qui depuis a fait un si triste naufrage dans la foi, aujourd'hui heureusement réparé. La Bulle de définition a été calquée sur cet ouvrage. Le Pape voulut que ces publications fussent reproduites à la suite des réponses des évêques, comme des documents contemporains de la grande cause qu'il allait juger. Ils furent donc recueillis, comme toutes les autres pièces, duits la curieuse collection des Pareri, qui atteignit ainsi le nombre de dix volumes, et dont un exemplaire complet fut remis à tous les évêques présent à Rome lors de la solennité de la définition. Lorsque les consulteurs eurent exprimé leur opinion par écrit, le Saint-Père fit imprimer ces avis en trois volumes distincts, afin de les soumettre aux vingt consulteurs, une commission spéciale qui se réunit plusieurs fois dans le courant des années 1852 et 1853, sous la présidence du cardinal Foruari. Le procès-verbal des séances fut rédigé avec le plus grand soin sous le titre de Court exposé des actes de la commission spéciale nommée par Sa Sainteté Pie IX, pour examiner le sujet de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge Marie. A l'exception de deux membres, qui avaient fait partie de la commission des vingt consulteurs, tous les théologiens réunis furent d'avis que le privilège de la sainte Vierge était solidement prouvé par des arguments tirés de la sainte Écriture, des monuments de la tradition, de la doctrine, du magistère et de l'esprit de l'Église, et de la déclaration du Concile de Trente. Tous, à l'exception d'un seul, jugèrent que le Saint-Siège pouvait, sans déroger aux règles ordinaires, prononcer la définition du mystère de la Conception Immaculée de Marie. Ce fut aussi l'avis unanime des cardinaux. Dans les premiers mois de l'année 1854, on sut que le souverain Pontife avait pris la résolution de définir le mystère de l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge et de donner à cet acte solennel tout l'éclat que les circonstances comportaient. Tout l'épiscopat catholique se fût rendu à Rome si le Saint-Père l'eût désiré. Mais, soit qu'il n'ait pas voulu imposer un veuvage simultané à toutes les Églises du monde, soit qu'il ait craint de porter quelque ombrage aux puissances, soit qu'il ait eu d'autres motifs, il se borna à inviter les cardinaux étrangers et un petit nombre de prélats de chaque nation catholique. Beaucoup d'autres se rendirent à Rome pour assister à cette fête. Trois cardinaux furent chargés de présider cette auguste assemblée. L'un d'eux, le cardinal Brandi, exposa les intentions du souverain Pontife, qui étaient, non point de réunir les évêques en Concile, ni d'autoriser une discussion sur le fonds de la question ou sur l'opportunité de la définition, deux points sur lesquels l'assentiment de l'épiscopat catholique lui était déjà connu, et dont il se réservait le jugement ; mais d'entendre leur avis sur le projet de Bulle qui, déjà préparé, ne répondait pas encore tout à fait à sa pensée. On examina donc les textes de l'Écriture, les monuments de la tradition qui devaient figurer dans la Bulle, et la forme qu'il lui fallait donner. Après avoir consulté les évêques, le Saint-Père consulta les cardinaux de l'Église romaine, qu'il réunit en consistoire secret le ler décembre suivant ; lorsqu'il eut leur assentiment unanime, heureux de cet accord, il résolut de prononcer la définition de l'Immaculée Conception le 8 décembre. Quand le jour si impatiemment attendu arriva, la ville sainte était encombrée de pieux pèlerins accourus de toutes les parties du monde, et le peuple romain, fidèle à son antique renommée, s'apprêtait à honorer dignement la Mère de tous les fidèles. A huit heures du matin, les évêques se réunirent dans la grande salle ducale ; au palais du Vatican, pour y prendre leurs ornements pontificaux. Revêtus de la chape blanche et de la mitre de toile blanche, ils se rendirent dans la chapelle Sixtine, où le souverain Pontife arriva bientôt. Le Saint-Père, en arrivant, s'agenouilla au pied de l'autel, et récita à haute voix l'antienne : Sancta Maria et omnes sanctis tui, quaesumus, Domine, nos ubique adjuvent, ut dum eorum merita recolimus, patrocinia sentiamus. Ensuite les chantres entonnèrent les litanies des Saints ; au verset : Sancte Michael ; les évêques se mirent en rang, par ordre d'ancienneté, et descendirent processionnellement le grand escalier de palais, pour se rendre dans la basilique de Saint-Pierre. Les cardinaux en chasuble et mitre précieuses précédaient le Saint-Père, qui fermait la procession. Il était ombragé d'un baldaquin blanc. Arrivés au milieu de la basilique, les évêques se rangèrent en demi-cercle devant la chapelle du Saint-Sacrement, et y attendirent le souverain Pontife avec qui ils s'agenouillèrent tous. Sa Sainteté récita d'abord une courte prière particulière, et puis chanta les trois oraisons : Deus qui nobis sub sacramento, etc. ; Deus refugium nostrum, etc. ; et Actiones nostras, qui terminèrent les litanies. Ces prières finies, la procession forma de nouveaux rangs, et les évêques, suivis des cardinaux et du Saint-Père, se rendirent deux à deux au chœur qui était disposé derrière le maître-autel de la basilique, avec le trône pontifical au fond, comme pour les chapelles papales ordinaires. Dès que les cardinaux, les évêques et les prélats eurent pris place, le souverain Pontife s'assit sur le trône préparé près de l'autel, du côté de l'épître, pour recevoir l'obédience du clergé. Les cardinaux firent devant lui une profonde inclination avant de baiser son anneau. Et après l'avoir baisé, les évêques firent la génuflexion sur le premier degré du trône ; s'agenouillant sur un coussin placé aux pieds du Saint-Père, ils baisèrent respectueusement l'anneau qu'il leur présentait, recouvert de son étole ; en le quittant, ils firent une seconde génuflexion et une inclination de tête, à droite et à gauche, vers les cardinaux assistants. Nous ne décrirons pas les rites magnifiques de l'office pontifical, tel qu'il est célébré par le souverain Pontife dans la basilique de Saint-Pierre, d'abord parce que ces cérémonies n'appartiennent pas à notre sujet, ensuite parce qu'elles ont souvent été décrites ailleurs. Nous ajouterons seulement que, parmi les douze évêques assistants au trône pontifical, figurait le vénérable archevêque de Paris, Mgr Sibour. Il porta le bougeoir durant la messe pontificale et pendant que le Saint-Père prononça la définition. Lorsque le saint Évangile eut été chanté en latin et en grec, selon le rite usité dans l'office du souverain Pontife, les diacres des deux rites se rendirent ensemble jusqu'au trône du Saint-Père au fond du chœur, pour lui présenter le livre des Évangiles et recevoir sa bénédiction ; puis ils retournèrent au maître-autel sur lequel il déposèrent le volume sacré.

Il était onze heures du malin.

Le vénérable cardinal Macchi, doyen du Sacré Collège, s'avança alors, malgré son grand âge, vers le trône du souverain Pontife, au fond du chœur, accompagné du doyen des archevêques et du doyen des évêques présents à la cérémonie, et aussi de l'archevêque du rite grec et de l'archevêque du rite arménien, et il adressa en latin, au Saint-Père, la supplique suivante :


« Très-Saint Père,


« Ce que l'Église catholique désire ardemment et demande de tous ses vœux, à savoir que l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, soit définie par un jugement suprême et infaillible de Votre Sainteté, afin d'accroître les louanges, la gloire et la vénération de Marie, nous venons, au nom du Sacré Collège, des cardinaux, des évêques, du monde catholique tout entier, et de tous les fidèles, supplier humblement et instamment Votre Sainteté de l'accomplir dans cette solennité de la Conception de la bienheureuse Vierge, et de combler ainsi les vœux de tous. A cette fin, daignez, ô Saint-Père, au milieu de la célébration du sacrifice non sanglant, commencé dans cette grande église consacrée au Prince des Apôtres, en présence d'une assemblée aussi majestueuse d'évêques et de fidèles, élever votre voix apostolique et prononcer le décret dogmatique de l'Immaculée Conception de Marie, décret qui fera naître une nouvelle joie au ciel, et qui remplira le monde entier d'allégresse ». Le Saint-Père répondit qu'il accueillait volontiers cette demande du Sacré Collège, de l'Épiscopat et des fidèles ; mais qu'il fallait, avant d'y satisfaire, invoquer le secours du Saint-Esprit. Aussitôt toute l'assemblée se mit à genoux, et entonna avec un ensemble admirable l'hymne Veni Creator, dont le chant animé fit retentir les voûtes sacrées de pieux échos et émut tous les cœurs. Après avoir chanté l'oraison, le souverain Pontife, se tenant debout devant son trône, commença, au milieu d'un profond silence, à prononcer d'une vois forte, claire et distincte, la définition du mystère de l'Immaculée Conception. Lorsque le Saint-Père parvint à ces paroles solennelles : A la plus grande gloire de la Mère de Dieu, par l'autorité des saints Apôtres Pierre et Paul et par la nôtre..., tout pénétré de la grandeur de l'action qu'il faisait, touché de l'impatiente attente du clergé et des fidèles qui tenaient leurs regards fixés sur sa personne et écoutaient avec avidité chacune de ses paroles, se portant sans doute aussi, par la pensée, au céleste séjour où la joie des anges répondait à celle des élus de la terre, le souverain Pontife, ému jusqu'au fond de ses entrailles, sentit sa voix défaillir et ses yeux se remplir de larmes. Mais, faisant un effort sur la nature et dominant son trouble, il continua bientôt d'une voix forte, mais émue et émouvante, son discours, et, après avoir cédé encore une fois à l'empire de sa sensibilité, il termina la lecture du décret au milieu d'un sentiment de joie universelle.

PIE, ÉVÊQUE, SERVITEUR DES SERVITEURS DE DIEU,

Pour qu'a jamais s'en perpétue la mémoire.

« Dieu, qui est ineffable, dont les voies sont la miséricorde et la vérité, dont la volonté est la toute-puissance même, dont la sagesse atteint d'une extrémité jusqu'à l'autre irrésistiblement et dispose avec douceur toutes choses, voyant dans sa prescience, de toute éternité, la ruine lamentable de tout le genre humain, suite de la transgression d'Adam, et ayant, dans le mystère caché dès l'origine des siècles, décrété que, par le sacrement plus mystérieux encore de l'incarnation du Verbe, il accomplirait l'œuvre primitive de sa bonté, afin que l'homme, poussé dans le mal par la perfidie de l'iniquité diabolique, ne périt pas contre le dessein de sa miséricorde ; et que ce qui devait tomber dans le premier Adam fût relevé dans le second par un bonheur plus grand que cette infortune ; choisit et prépara, dès le commencement et avant les siècles, une Mère à son Fils unique, pour que d'elle fait chair, il naquit dans l'heureuse plénitude des temps, et il l'aima entre toutes les créatures d'un tel amour, qu'il mit en elle seule, par une souveraine prédilection, toutes ses complaisances. L'élevant incomparablement au-dessus de tous les esprits angéliques, de tous les Saints, il la combla de l'abondance des dons célestes, pris au trésor de la divinité, d'une manière si merveilleuse, que toujours et entièrement pure de toute tache du péché, toute belle et toute parfaite, elle avait en elle la plénitude d'innocence et de sainteté la plus grande que l'on puisse concevoir au-dessous de Dieu et telle que, sauf Dieu, personne ne peut la comprendre. Et certes, il était tout à fait convenable qu'elle brillât toujours des splendeurs de la sainteté la plus parfaite, et qu'entièrement exempte de la tache même de la faute originelle, elle remportât le plus complet triomphe sur l'antique serpent, cette Mère si vénérable, à qui Dieu le Père a voulu donner son Fils unique, engendré de son sein, égal à lui, et qu'il aime comme lui-même, et le donner de telle sorte qu'il est naturellement un seul et même et commun Fils de Dieu le Père et de la Vierge, Elle que le Fils lui-même a choisie pour être substantiellement sa Mère, Elle de laquelle le Saint-Esprit a voulu que par son opération fût conçu et naquit Celui de qui lui-même procède. « Cette innocence originelle de l'auguste Vierge si parfaitement en harmonie avec son admirable sainteté et avec la dignité sublime de Mère de Dieu, l’Église catholique qui, toujours enseignée par le Saint-Esprit, est la colonne et l'appui de la vérité, agissant comme maîtresse de la doctrine divinement reçue et contenue dans le dépôt de la révélation céleste, n'a jamais cessé de l'expliquer, de la favoriser tous les jours de plus en plus par toutes les voies et par des actes éclatants. Cette doctrine, en vigueur depuis les temps anciens, profondément gravée dans les âmes des fidèles et propagée d'une manière merveilleuse dans tout l'univers catholique par les soins et les efforts des pontifes sacrés ; cette doctrine, l'Église elle-même l'a en effet très clairement enseignée lorsqu'elle n'a pas hésité à proposer la Conception de la Vierge à la vénération et au culte public des fidèles. Par cet acte solennel, elle l'a présentée pour être honorée comme extraordinaire, admirable, pleinement différente des commencements du reste des hommes et tout à fait sainte ; car l'Église ne célèbre par des jours de fête que ce qui est saint. Et c'est pourquoi elle a coutume d'employer, soit dans les offices ecclésiastiques, soit dans la liturgie sacrée, les termes mêmes des divines Écritures parlant de la Sagesse incréée et représentant ses origines éternelles, et d'en faire l'application aux commencements de cette Vierge, qui avait été, dans les conseils de Dieu, l'objet du même décret que l'Incarnation de la Sagesse divine. « Toutes ces choses, connues partout des fidèles, montrent suffisamment avec quel soin l'Église romaine, mère et maîtresse de toutes les églises, s'est appliquée à propager cette doctrine de l'Immaculée Conception de la Vierge ; mais cette Église, centre de la vérité et de l'unité catholique, dans laquelle seule la religion a été inviolablement gardée et de laquelle il faut que toutes les autres églises empruntent la tradition de la foi, a une dignité et une autorité telles qu'il convient d'en rappeler les actes en détail. Elle n'eut jamais rien plus à coeur que de soutenir, de protéger, de promouvoir et de défendre par les voies les plus éclatantes l'Immaculée Conception de la Vierge, son culte et sa doctrine. C'est ce qu'attestent et proclament tant d'actes solennels des Pontifes romains, nos prédécesseurs, à qui, dans la personne du prince des Apôtres, Notre-Seigneur Jésus-Christ a lui-même divinement confié la charge et le pouvoir suprême de paître les agneaux et les brebis, de confirmer leurs frères, de régir et de gouverner l'Église universelle. « Nos prédécesseurs, en effet, se firent gloire d'instituer dans l'Église romaine, en vertu de leur autorité apostolique, la fête de la Conception avec un office et une messe propres, où la prérogative de l'exemption de la souillure héréditaire était affirmée de la manière la plus claire et la plus manifeste. Ils s'attachèrent de plus à accroître l'éclat de cette fête et à propager par tous les moyens le culte institué, soit en l'enrichissant d'indulgences, soit en autorisant les villes, les provinces, les royaumes, à se placer sous le patronage de la Mère de Dieu, honorée sou le titre de l'Immaculée Conception, soit en approuvant des confréries, des congrégations, des communautés religieuses instituées en l'honneur de la Conception Immaculée, soit eu excitant par leurs louanges la piété de ceux qui érigeaient des monastères, des hôpitaux, des autels, des temples sous ce titre, ou qui s'engageaient sur la foi du serment à défendre énergiquement l'Immaculée Conception de la Mère de Dieu. Ils furent surtout heureux d'ordonner que la fête de la Conception fût célébrée dans toute l'Église comme celle de la Nativité, et ensuite qu'on la célébrât avec octave dans l'Église universelle, puis, qu'elle fut mise au rang des fêtes de précepte et saintement observée partout ; enfin, que chaque année, le jour consacré à la Conception de la Vierge, il y eût chapelle pontificale dans notre basilique patriarcale libérienne. Désirant inculquer chaque jour plus profondément dans les âmes des fidèles cette doctrine de l'Immaculée Conception de la Mère de Dieu, et exciter leur piété à honorer et à vénérer la Vierge conçue sans péché, ce fut avec une grande joie qu'ils permirent de proclamer la Conception Immaculée de la Vierge dans les Litanies de Lorette et dans la préface même de la messe, comme pour établir la loi de la prière. Pour Nous, marchant sur les traces d'un si grand nombre de Nos Prédécesseurs, non seulement Nous avons reçu et approuvé ce qu'ils ont si sagement et si pieusement établi ; mais encore, Nous souvenant du décret de Sixte IV, Nous avons revêtu de la sanction de Notre autorité un office propre de l'Immaculée Conception, et à la grande consolation de Notre âme, Nous en avons accordé l'usage à l'Église universelle. « Mais, parce que les choses qui appartiennent au culte tiennent étroitement et par un lien intime à l'objet même du culte, et qu'elles ne peuvent se maintenir déterminées et fixes, si cet objet demeure dans un état de doute et d'ambiguïté, Nos prédécesseurs les Pontifes romains, en mettant tous leurs soins à accroître le culte de la Conception, s'appliquèrent avec sollicitude à en déclarer et à en inculquer l'objet et la doctrine. Ils enseignèrent donc clairement et ouvertement que la fête avait pour objet la Conception de la Vierge, et ils proscrivirent, comme fausse et contraire à l'esprit de l'Église, l'opinion de ceux qui pensaient et affirmaient que ce n'est point la Conception, mais la sanctification que l'Église honore. Ils ne crurent pas devoir agir avec plus de ménagement envers ceux qui, pour ruiner la doctrine de l'Immaculée Conception de la Vierge, avaient imaginé une distinction entre le premier et le second instant de la Conception, disant que l'Église, à la vérité, célèbre la Conception, mais qu'elle n'entend pas l'honorer dans son premier instant ou premier moment. Nos prédécesseurs, en effet, regardèrent comme de leur devoir de protéger et de propager avec le plus grand zèle, non seulement la fête de la Conception de la bienheureuse Vierge, mais encore la doctrine que la Conception, dès le premier instant, est le véritable objet de ce culte. De là ces paroles tout à fait décisives par lesquelles Notre prédécesseur, Alexandre VII, déclara la véritable intention de l'Église : « C'est l'ancienne et pieuse croyance des fidèles chrétiens, que l'âme de la bienheureuse Vierge Marie, dès le premier instant de sa création et de son union au corps, a été, par grâce et privilège spécial de Dieu, et en vue des mérites de Jésus-Christ, son Fils, Rédempteur du genre humain, préservée et exempte du péché originel, et c'est en ce sens qu'ils honorent et célèbrent avec solennité la fête de sa Conception l ». « Nos prédécesseurs s’attachèrent surtout, avec un soin jaloux et une vigilance extrême, à maintenir inviolable et à l'abri de toute attaque la doctrine de Immaculée Conception de la Mère de Dieu. Non seulement ils ne souffrirent jamais que cette doctrine fût en aucune façon censurée et outragée ; mais, allant beaucoup plus loin, ils proclamèrent, par des déclarations formelles et réitérées, que la doctrine en vertu de laquelle Nous confessons l'Immaculée Conception de la Vierge est pleinement en harmonie avec le culte ecclésiastique ; et que cette doctrine antique et universelle, telle que l'Église romaine l'entend, la défend et la propage, est digne à tous égards d'être formulée dans la Sacrée Liturgie elle-même et dans les solennités de la prière. Non contents de cela, pour que cette doctrine de la Conception Immaculée de la Vierge demeurât inviolable, ils défendirent, sous des peines sévères, de soutenir soit publiquement, soit en particulier, la doctrine contraire, voulant, par les coups répétés portés à cette dernière, la faire succomber. Et, afin que ces déclarations éclatantes et réitérées ne parussent pas vaines, ils les revêtirent d'une sanction. Notre prédécesseur Alexandre VII, que nous venons de citer, a rappelé toutes ces choses en ces termes : « Considérant que la sainte Église romaine célèbre solennellement la fête de la Conception de Marie sans tache et toujours Vierge, et qu'autrefois elle avait ordonné un office propre sur ce mystère, selon la pieuse et dévote disposition de Notre prédécesseur Sixte IV ; voulant à Notre tour favoriser cette louable dévotion, ainsi que la fête et le culte qui en est l'expression, lequel n'a jamais changé dans l'Église romaine depuis qu'il a été institué, et désirant à l'exemple des pontifes romains, Nos prédécesseurs, protéger et favoriser cette piété et cette dévotion qui consistent à honorer et célébrer la bienheureuse Vierge, comme ayant été, par l'action du Saint-Esprit, préservée du péché originel ; enfin, pour conserver le troupeau du Christ dans l'unité d'esprit et dans le lien de la paix, pour éteindre les dissensions et faire disparaître les scandales ; sur les instances et les prières des Évêques sus-nommés, unis aux chapitres de leurs Églises, ainsi que sur les instances et les prières du roi Philippe et de ses royaumes, Nous renouvelons les constitutions et décrets que les Pontifes romains, Nos prédécesseurs, et spécialement Sixte IV, Paul V et Grégoire XV ont portés en faveur du sentiment qui affirme que l'âme de la bienheureuse Vierge Marie, dans sa création et dans son union avec le corps, a été pourvue de la grâce du Saint-Esprit et préservée du péché originel, et aussi en faveur de la fête et du culte de la Conception de la Mère de Dieu, lesquels ont été établis, comme il est dit plus haut, dans le sens de cette doctrine, et Nous commandons que l'on garde lesdits constitutions et décrets sous les peines et censures qui y sont spécifiées.

1. Alexandre VII, cont. Sollicitudo omnium Ecclesiarum, 8 décembre 1661.

« En outre, quant à tous et à chacun de ceux qui cherchent à interpréter ces constitutions et décrets de manière à diminuer la faveur qui en résulte pour la doctrine en question, et qui s'efforcent de mettre en discussion la fête ou le culte rendu dans le sens de cette doctrine, d'en faire l'objet de leurs attaques, soit directement, soit indirectement, comme sous le prétexte d'examiner si cette doctrine peut être définie, de commenter ou d'interpréter l'Écriture sacrée, ou les saints Pères ou les Docteurs ; tous ceux, en un mot, qui auraient l'audace, par quelque motif que ce puisse être et de quelque façon que ce soit, de parler, de prêcher, de traiter, de disputer contre elle, par écrit ou de vive voix, en déterminant ceci ou cela, en affirmant, en faisant valoir des arguments ou en faisant sans solution les arguments allégués, ou quel que puisse être le moyen employé dans le même but ; quant à tous ceux-là, outre les peines et les censures contenues dans les constitutions de Sixte IV, auxquels Nous entendons les soumettre et les soumettons par les présentes, Nous voulons que, par ce seul fait et sans autre déclaration, ils soient privés du pouvoir de prêcher, de faire des leçons publiques ou d'enseigner et d'interpréter, ainsi que de toute voix active ou passive dans toute l'élection : ils seront donc par le fait même, et sans autre déclaration, frappés à perpétuité d'incapacité pour prêcher, lire en public, enseigner et interpréter, et ils ne pourront être absous ou dispensés de ces peines que par Nous-même ou par Nos successeurs ; et Nous entendons les soumettre encore aux autres peines que Nous, ou les Pontifes romains Nos successeurs, pourrons leur infliger, comme Nous les y soumettons par les présentes, renouvelant les constitutions on décrets ci-dessus rappelés de Paul V et de Grégoire XV. « Quant aux livres dans lesquels la doctrine susdite, la fête ou le culte rendu dans le sens de cette doctrine se trouverait révoquée en doute, ou dans lesquels, en quelque manière que en soit, quelque chose serait écrit contre elle, ou qui contiendraient des discours, disputes ou traités destinés à la combattre, Nous prohibons tous ceux qui ont été publiés postérieurement au décret cité de Paul V ou qui seraient publiés à l'avenir, et cela sous les peines et censures spécifiées à l'index des livres prohibés, et Nous commandons et voulons qu'ils soient tenus et considérés comme expressément prohibés par le fait même et sans aucune déclaration ». « Or, tout le monde sait avec quel zèle cette doctrine de l'Immaculée Conception de la Vierge, Mère de Dieu, a été professée, soutenue et défendue par les Ordres religieux les plus illustres, par les académies de théologie les plus célèbres et par les Docteurs les plus versés dans la science sacrée. Tout le monde sait également combien les évêques ont toujours été jaloux, même dans les assemblées ecclésiastiques, de déclarer ouvertement et publiquement que la très sainte Mère de Dieu, la Vierge Marie, par les mérites du Seigneur et Rédempteur Jésus-Christ, n'a jamais été soumise au péché originel, mais qu'elle a été entièrement préservée de la souillure originelle et de la sorte rachetée d'une façon plus admirable. A toutes ces autorités se joint l'autorité la plus grave et la plus élevée, celle du Concile de Trente. En formulant le décret dogmatique sur le péché originel, où, conformément aux témoignages des saintes Écritures, des saints Pères et des plus accrédités Conciles, il a établi et défini que tous les hommes naissent souillés par la faute originelle, le Concile a déclaré solennellement qu'il n'était pas dans son intention de comprendre dans ce décret et dans cette généralité de sa définition la bienheureuse et Immaculée Vierge Marie, Mère de Dieu. Par cette déclaration, les Pères de Trente ont montré, autant que les temps et les circonstances le rendaient opportun, que la bienheureuse Vierge Marie a été exempte de la tache originelle, et ils ont ainsi exprimé clairement que rien dans les divines Lettres, rien dans la tradition ni dans l'autorité des Pères, ne peut être valablement allégué qui, en quelque manière que ce soit, porte atteinte à cette grande prérogative de le Vierge. « Et rien n'est plus véritable : de célèbres monuments de la vénérable antiquité, tant de l'Église orientale que de l'Église occidentale, prouvent en effet avec évidence que cette doctrine de l'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, qui a été, d'une manière si éclatante, expliquée, déclarée et confirmée chaque jour davantage, qui s'est propagée d'une façon si merveilleuse chez tous les peuples et parmi toutes les nations du monde catholique, avec le ferme assentiment de l'Église, par son enseignement, son zèle, sa science et sa sagesse, a toujours été professée dans l'Église comme reçue de main en main de nos pères et revêtue du caractère de doctrine révélée. Car l'Église du Christ, vigilante gardienne et protectrice des dogmes qui lui sont confiés, n'y change rien, n'en diminue rien, n'y ajoute rien ; mais, traitant avec une attention scrupuleuse, avec fidélité et avec sagesse les choses anciennes, s'il en est que l'antiquité ait ébauchées et que la foi des Pères ait indiquées, elle s'étudie à les dégager, à les mettre en lumière, de telle sorte que ces antiques dogmes de la doctrine céleste prennent l'évidence, l'éclat, la netteté, tout en gardant leur plénitude, leur intégrité, leur propriété, et qu'ils se développent, mais seulement dans leur propre nature, c'est-à-dire en conservant l'identité du dogme, du sens, de la doctrine. « Les Pères et les écrivains de l'Église, instruits par les oracles célestes, n'ont rien eu plus à coeur dans les livres qu'ils ont composés pour expliquer les Écritures, pour défendre les dogmes, pour instruire les fidèles, que de célébrer à l'envi et d'exalter de mille manières admirables la souveraine sainteté de la Vierge, sa dignité, son intégrité de toute tache de péché et son éclatante victoire sur le cruel ennemi du genre humain. C'est pourquoi, lorsqu'ils rapportent les paroles par lesquelles Dieu, dans les commencements du monde, annonçant les remèdes préparés dans sa miséricorde pour régénérer les mortels, confondit l'audace du serpent séducteur et releva merveilleusement l'espérance de notre race en disant : « Je mettrai l'inimitié entre toi et la femme, entre sa race et la tienne », les Pères enseignent que, par cet oracle, a été clairement et ouvertement annoncé le miséricordieux Rédempteur du genre humain, le Christ Jésus, Fils unique de Dieu, et que sa bienheureuse Mère la Vierge Marie y est aussi désignée, que l'inimitié du Fils et de la Mère contre le démon y est également et formellement exprimée. C'est pourquoi, de même que le Christ, Médiateur de Dieu et des hommes, ayant pris la nature humaine, efface le sceau de la sentence qui était contre nous, et l'attache en vainqueur à la croix, de même la très sainte Vierge, unie à lui par un lien étroit et indissoluble, avec lui et par lui exerçant des hostilités éternelles contre le serpent venimeux, et triomphant pleinement de cet ennemi, a écrasé sa tête de son pied immaculé. « Ce triomphe unique et glorieux de la Vierge, son innocence très excellente, sa pureté, sa sainteté, son intégrité préservée de toute souillure du péché, son ineffable richesse de toutes les grâces célestes, de toutes les vertus, de tous les privilèges, sa grandeur, les mêmes Pères en ont vu l'image, tantôt dans cette arche de Noé, qui, après avoir été établie de Dieu, échappa pleinement saine et sauve au commun naufrage du monde entier ; tantôt dans cette échelle que Jacob vit s'élever de la terre au ciel sur les degrés de laquelle les anges de Dieu montaient et descendaient, tandis que Dieu lui-même s'appuyait sur le sommet ; tantôt dans ce buisson que Moïse vit tout en feu dans un lieu sacré, et qui, au milieu des flammes ardentes, loin de se consumer ou de souffrir la diminution même la plus légère, verdissait merveilleusement et se couvrait de fleurs ; tantôt dans cette tour inexpugnable en face de l'ennemi, à laquelle sont suspendus mille boucliers et l'armure complète des forts ; tantôt dans ce jardin fermé qui ne saurait être violé et où aucune ruse ne peut introduire la corruption ; tantôt dans cette éclatante cité de Dieu, qui a ses fondements sur les montagnes saintes ; tantôt dans ce très auguste temple de Dieu, qui, brillant des splendeurs divines, est plein de la gloire du Seigneur ; tantôt dans une foule d'autres symboles de même nature, par lesquels, selon la tradition des Pères, la dignité sublime de la Mère de Dieu, son innocence sans tache et sa sainteté préservée de toute atteinte, avaient été admirablement figurées et prédites. « Pour décrire ce même ensemble, cette abondance des dons divins et cette intégrité originelle de la Vierge, de qui est né Jésus, ces mêmes Pères, se servant des paroles des Prophètes, ont célébré l'auguste Vierge elle-même comme la colombe pure, la sainte Jérusalem, le trône sublime de Dieu, l'arche de sanctification et la maison que la Sagesse éternelle s'est bâtie ; comme cette reine, qui, remplie de délices et appuyée sur son bien-aimé, sortit de la bouche du très Haut toute parfaite, toute belle, toute chère à Dieu. Et considérant dans leur cœur et leur esprit que la bienheureuse Vierge Marie a été, au nom de Dieu et par son ordre, appelée pleine de grâce par l'ange Gabriel lorsqu'il lui annonça son incomparable dignité de Mère de Dieu, les Pères et les écrivains ecclésiastiques ont enseigné que, par cette singulière et solennelle salutation, dont il n'y a pas d'autre exemple, il est déclaré que la Mère de Dieu est le siège de toutes les grâces divines, qu'elle a été ornée de tous les dons du Saint-Esprit ; bien plus, qu'elle est comme le trésor infini de l'abîme inépuisable de ces dons, de sorte qu'elle n'a jamais été atteinte par la malédiction, et que, participant, en union avec son Fils, à la bénédiction éternelle, elle a mérité d'entendre de la bouche d'Élisabeth, inspirée par l'Esprit-Saint : Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. « Aussi, c'est leur sentiment, non moins clairement exprimé qu'unanime, que la glorieuse Vierge a brillé d'un tel éclat de tous les dons célestes, d'une telle plénitude de grâce et d'une telle innocence, qu'elle a été comme un miracle ineffable de Dieu, ou plutôt le comble de tous les miracles, et en un mot Mère de Dieu, et que, rapprochée de Dieu autant que le comporte la nature créée et plus que toutes les créatures, elle s'élève à une hauteur que ne peuvent atteindre les louanges ni des hommes ni des anges. Pour attester cet état d'innocence et de justice dans lequel a été créée la Mère de Dieu, non seulement ils l'ont souvent comparée à Ève, vierge innocente et pure, avant qu'elle fût tombée dans les embûches mortelles de l'astucieux serpent, mais encore ils l'ont mise au-dessus d'elle, trouvant mille manières admirables d'exprimer cette supériorité. Ève, en effet, en obéissant misérablement au serpent, perdit l'innocence originelle et devint son esclave ; mais la bienheureuse Vierge, augmentant sans cesse ses dons d'origine, loin de jamais prêter l'oreille au serpent, détruisit entièrement, par la vertu divine qu'elle avait reçue, sa force et sa puissance. « C'est pourquoi ils n'ont jamais cessé d'appeler la Mère de Dieu : lis parmi les épines ; terre entièrement intacte, virginale, sans tache, immaculée, toujours bénie et libre de toute contagion du péché, dont a été formé le nouvel Adam ; paradis tout brillant, tout agréable, tout parfait d'innocence ; d'immortalité et de délices, établi par Dieu même et défendu contre toutes les embûches du serpent venimeux ; bois incorruptible que le ver du péché n'a jamais gâté ; fontaine toujours claire, scellée par la vertu de l'Esprit-Saint ; temple divin ; trésor d'immortalité ; seule fille non de la mort, mois de la vie ; rejeton de grâce et non de colère, qui, par une providence spéciale de Dieu, s'élevant verdoyante d'une racine infectée et corrompue, a toujours fleuri en dehors des lois établies et communes. Et comme si ces choses, malgré leur splendeur, étaient insuffisantes ; ils ont déclaré, par des paroles expresses et précises que, lorsqu'il s'agit du péché, il ne saurait être eu aucune façon question de la sainte Vierge Marie, à qui a été donnée une surabondance de grâces pour le vaincre entièrement. Ils ont professé que la très glorieuse Vierge a été la réparatrice de sa race et une source de vie pour le genre humain ; qu'elle était élue avant les siècles ; que le Tout-Puissant se l'était préparée ; que Dieu l'avait prédite quand il dit au serpent : « Je mettrai l'inimitié entre toi et la femme », et que c'est elle, il n'en faut pas douter, qui a écrasé la tête venimeuse de ce même serpent. C'est pourquoi ils ont affirmé que cette bienheureuse Vierge avait été, par grâce, exempte de toute tache du péché, et pure de toute contagion, et du corps, et de l'âme, et de l'intelligence ; que, toujours en communication avec Dieu et unie à Lui par une alliance éternelle, elle n'a jamais été dans les ténèbres, mais toujours dans la lumière, et que c'est pour cela, pour la grâce originelle qui était en elle et non pour l'état de son corps, qu'elle a été une demeure digne du Christ. « A tout ce que nous venons de dire, il faut joindre les magnifiques paroles par lesquelles, en parlant de la Conception de la Vierge, les Pères ont rendu ce témoignage que la nature, s'avouant vaincue par la grâce, s'était arrêtée tremblante et dans l'impuissance de suivre sa marche ; car il devait se faire que la Vierge Mère de Dieu ne serait conçue d'Anne qu'après que la grâce aurait porté son fruit ; cette conception, en effet, était celle de la femme première-née de qui devait être conçu le premier-né de toutes les créatures. Ils ont affirmé que la chair de la Vierge prise d'Adam n'avait point reçu les souillures d'Adam, qu'ainsi la bienheureuse Vierge a été un temple créé par Dieu même, formé par le Saint-Esprit, enrichi réellement de pourpre et de tout ce que l'or façonné par ce nouveau Béséleel peut donner d'éclat, qu'il faut à juste titre l'honorer comme le chef-d'œuvre propre de la divinité, comme soustraite aux traits enflammés du malin esprit, comme une nature toute belle et sans aucune tache, répandant sur le monde, au moment de sa Conception Immaculée, tous les feux d'une brillante aurore. Il ne convenait pas, en effet, que ce vase d'élection fût terni des souillures ordinaires ; car, bien différent de tous les autres, il est venu de la nature, sans venir de la faute ; bien plus, il était tout à fait convenable que, comme le Fils unique a eu pour Père dans les cieux celui que les Séraphins proclament trois fois Saint, il eût aussi sur la terre une Mère qui n'eût jamais été privée de l'éclat de la sainteté. Et cette doctrine était entrée si avant dans les esprits et les pensées de nos pères, qu'elle avait fait adopter parmi eux ce langage fort particulier et si étonnant, par lequel ils avaient coutume d'appeler la Mère de Dieu : Immaculée et immaculée à tous égards, — innocente et l'innocence même, — intègre et d'une intégrité parfaite, — sainte et exempte de toute souillure de péché, toute pure, toute chaste, le type même de la pureté et de l'innocence, — plus belle que la beauté, d'une grâce au-dessus de toute espèce de charmes, — plus saints que la sainteté, la seule sainte, — très pure d'âme et de corps, Vierge qui a surpassé toute chasteté et toute virginité, — la seule qui ait été faite tout entière, le tabernacle de toutes les grâces du Saint-Esprit, celle qui, au-dessous de Dieu seul, est au-dessus de toutes les créatures, qui par nature est plus belle, plus parfaite, plus sainte que les Chérubins et les Séraphins, que toute l'armée des Anges, et dont, ni sur la terre, ni dans le ciel, aucune langue ne peut dignement célébrer les louanges. Ce langage, personne ne l'ignore, a passé naturellement dans les monuments de la sainte liturgie et dans les offices ecclésiastiques ; on l'y retrouve ça et là, il y règne et y domine ; la Mère de Dieu y est invoquée et louée comme la seule colombe de beauté, exempte de corruption ; comme la rose toujours dans l'éclat de sa fleur ; comme entièrement et parfaitement pure, et toujours immaculée et toujours heureuse, et elle y est célébrée comme l'innocence qui n'a souffert aucune atteinte, comme une autre Ève qui a enfanté l'Emmanuel. « Il n'y a donc pas lieu de s'étonner si cette doctrine de l'Immaculée Conception de la Vierge Mère de Dieu, consignée dans les divines Écritures, au jugement des Pères, qui l'ont transmise par leurs témoignages si exprès et en si grand nombre, doctrine qu'expriment et exaltent tant d'illustres monuments de la vénérable antiquité, et que l'Église a proposée et confirmée par le plus grave jugement, il n'y a pas lieu de s'étonner si cette doctrine a excité tant de piété, de sentiments religieux et d'amour chez les pasteurs mêmes de l'Église et chez les peuples fidèles, qu'ils se sont glorifiés de la professer d'une manière de jour en jour plus éclatante, et que rien ne leur est plus doux et plus cher que d'honorer, de vénérer, d'invoquer et de célébrer partout, avec une dévotion ardente, la Vierge Mère de Dieu, conçue sans tache originelle. Aussi, dès les temps anciens, les Pontifes, les membres du clergé, les Ordres religieux, les empereurs mêmes et les rois ont demandé instamment à ce Siège apostolique de définir l'Immaculée Conception de la très sainte Mère de Dieu comme dogme de la foi catholique: Ces demandes ont été renouvelées de nos jours ; elles ont été adressées surtout à Notre prédécesseur Grégoire XVI, d'heureuse mémoire, et à Nous-même, soit par les évêques, soit par le clergé séculier, soit par les Ordres religieux et par les peuples fidèles. « Aussi, connaissant parfaitement toutes ces choses, y trouvant pour Nous-même les motifs de la plus grande joie et en faisant l'objet d'en sérieux examen, à peine avons-Nous été, malgré Notre indignité, porté, par les desseins mystérieux de la divine Providence, sur cette chaire sublime de Pierre, pour prendre en main le gouvernail de toute l'Église, que, dans le sentiment de vénération, de piété et d'amour dont Nous fûmes dès Notre enfance pénétré pour la très sainte Vierge Marie, Mère de Dieu, Nous n'avons rien eu plus à cœur que de faire tout ce que pouvait encore désirer l'Église pour honorer davantage la bienheureuse Vierge et donner un nouvel éclata ses prérogatives. Mais, voulant apporter en cela toute la maturité possible, Nous constituâmes une Congrégation particulière formée de plusieurs de Nos vénérables Frères les Cardinaux de la sainte Église romaine, distingués par leur piété, leur prudence et leur science dans les choses divines ; Nous choisîmes en outre, tant dans le clergé séculier que dans le clergé régulier, des hommes profondément versés dans les sciences théologiques, afin que tout ce qui concerne l'Immaculée Conception de la Vierge fût examiné par eux avec le plus grand soin, et qu'ils nous exposassent leur propre sentiment. Et quoique le grand nombre des demandes qui Nous avaient été adressées de définir enfin l'Immaculée Conception de la Vierge, Nous fit voir clairement quel était en ce point le sentiment de la plupart des pasteurs de l'Église, Nous envoyâmes à tous Nos vénérables Frères les évêques du monde catholique une lettre encyclique donnée à Gaète le 2 février 1849, pour leur demander d'adresser à Dieu des prières, et de Nous faire ensuite savoir par écrit quelle était la piété et la dévotion de leurs fidèles envers la Conception Immaculée de la Mère de Dieu, et surtout ce qu'ils pensaient eux-mêmes de la définition à porter ; quel était sur ce point leur désir, afin de rendre Notre jugement suprême avec toute la solennité possible. « Ce n'a pas été, certes, une faible consolation pour Nous quand les réponses de Nos vénérables Frères Nous sont arrivées. Mettant à Nous écrire l'empressement d'une joie et d'un bonheur inexprimables, non seulement ils Nous ont confirmé de nouveau leurs pieux sentiments et la pensée qui les anime, eux tout particulièrement, et leur clergé, et le peuple fidèle, envers la Conception Immaculée de la bienheureuse Vierge, mais encore ils ont sollicité de Nous, comme par l'expression d'un vœu commun, que l'Immaculée Conception de la Vierge fût définie par le suprême jugement de Notre autorité. Nous n'éprouvâmes pas moins de joie lorsque nos vénérables frères les Cardinaux de la S. E. R. composant la Congrégation spéciale dont Nous avons parlé, et les théologiens consulteurs choisis parmi nous, après avoir mûrement examiné toutes choses, Nous demandèrent avec le même zèle et le même empressement cette définition de la Conception Immaculée de la Mère de Dieu. « Suivant les traces glorieuses de Nos prédécesseurs, et désirant procéder conformément aux règles établies, Nous avons ensuite convoqué et tenu un Consistoire où, après avoir parlé à Nos vénérables frères les Cardinaux de la sainte Église romaine, Nous avons eu l'extrême joie de les entendre Nous demander de vouloir bien émettre une définition dogmatique au sujet de l'Immaculée Conception de la Vierge, Mère de Dieu. « Plein de confiance en Dieu et persuadé que le moment opportun était venu de définir l'Immaculée Conception de la très sainte Vierge, Mère de Dieu, qu'attestent et mettent merveilleusement en lumière les oracles divins, la vénérable tradition, le sentiment permanent de l'Église, l'accord admirable des pasteurs catholiques et des fidèles, les actes éclatants et les constitutions de Nos prédécesseurs ; après avoir examiné toutes choses avec le plus grand soin et offert à Dieu des prières assidues et ferventes ; il Nous a paru que Nous ne devions plus différer de sanctionner et de définir par Notre jugement suprême l'Immaculée Conception de la Vierge, et de satisfaire ainsi aux très pieux désirs du monde catholique et à Notre propre dévotion envers la très sainte Vierge, afin d'honorer de plus en plus en Elle son Fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ, puisque tout ce que l'on rend d'honneur et de louange à la Mère retourne à la gloire du Fils. « C'est pourquoi, après avoir continuellement offert, dans l'humilité et le jeûne, Nos prières particulières et les prières publiques de l'Église, à Dieu le Père par son Fils, pour qu'il daignât diriger et fortifier Notre âme par la vertu de l'Esprit-Saint ; après avoir encore imploré l'assistance de toute la Cour céleste et appelé par nos gémissements l'Esprit consolateur ; agissant aujourd'hui sous son inspiration, pour l'honneur de la sainte et indivisible Trinité, pour la glorification de la Vierge Mère de Dieu, pour l'exaltation de la Foi catholique et pour l'accroissement de la Religion chrétienne ; par l'autorité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, des bienheureux Apôtres Pierre et Paul, et par la Nôtre, nous déclarons, prononçons et définissons que la doctrine selon laquelle la bienheureuse Vierge Marie fut dès le premier instant de sa Conception, par une grâce et un privilège spécial de Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée et exempte de toute souillure de la faute originelle, est révélée de Dieu, et que par conséquent elle doit être crue formellement et constamment par tous les fidèles. Si donc quelques-uns, ce qu'à Dieu ne plaise, avaient la présomption de penser dans leur cœur autrement qu'il n'a été défini par Nous, qu'ils apprennent et sachent que, condamnés par leur propre jugement, ils ont fait naufrage dans la foi et quitté l'unité de l'Église ; et de plus, que, si par la parole, par l'écriture et par toute autre voie extérieure, ils osaient exprimer ces sentiments de leur cœur, ils encourraient par le fait mène les peines portées par le droit. « Nos lèvres s'ouvrent dans la joie et Notre langue parle dans l'allégresse ! Nous rendons et Nous ne cesserons jamais de rendre les plus humbles et les plus ardentes actions de grâces au Christ Jésus Notre-Seigneur, qui, malgré notre indignité, nous a fait la faveur singulière d'offrir et de décerner cet honneur, cette gloire et cette louange à sa très sainte Mère, et nous reposons avec une confiance entière et absolue dans la certitude de Nos espérances. La bienheureuse Vierge, qui, toute belle et immaculée, a brisé la tête venimeuse du cruel serpent et a apporté le salut au monde ; qui est la louange des Prophètes et des Apôtres, l'honneur des Martyrs, la joie et la couronne de tous les Saints, qui, refuge assuré et auxiliatrice invincible de quiconque est en péril, médiatrice et conciliatrice toute-puissante de la terre auprès de son Fils unique, gloire, splendeur et sauvegarde de la sainte Église, a toujours détruit les hérésies ; qui a arraché aux calamités les plus grandes et aux maux de toute espèce les peuples fidèles et les nations, et qui nous a délivrés nous-mêmes des périls sans nombre dont nous étions assaillis, la bienheureuse Vierge fera par son puissant patronage que, tous les obstacles étant écartés, toutes les erreurs vaincues, la sainte Église catholique, notre Mère, se fortifie et fleurisse chaque jour davantage chez tous les peuples et dans toutes les contrées ; qu'elle règne d'une mer à l'autre, des rives du fleuve aux extrémités de la terre ; qu'elle jouisse pleinement de la paix, de la tranquillité, de la liberté, afin que les coupables obtiennent le pardon, les malades le remède, les faibles la force de l'âme, les affligés la consolation, ceux qui sont en péril le secours ; afin que tous ceux qui errent, voyant se dissiper les ténèbres de leur esprit, reviennent au sentier de la vérité et de la justice, et qu'il n'y ait qu'un troupeau et qu'un pasteur. « Que tous Nos bien-aimés fils de l'Église catholique entendent nos paroles ; qu'ils persévèrent, et avec une ardeur encore plus vive de piété, de religion et d'amour, à honorer, invoquer et prier la bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu, conçue sans tache originelle, et qu'ils aient recours avec une entière confiance à cette douce Mère de grâce et de miséricorde dans tous leurs dangers, leurs angoisses, leurs nécessités, leurs craintes et leurs frayeurs. Il n'y a rien à craindre, il n'y a jamais lieu de désespérer, quand on marche sous la conduite, sous le patronage et sous la protection de Celle qui, ayant pour nous un coeur de mère, et se chargeant de l'affaire de notre salut, étend sa sollicitude dans tout le genre humain. Établie par le Seigneur Reine du ciel et de la terre, exaltée au-dessus de tous les chœurs des anges et de tous les ordres des Saints, assise à la droite de son fils unique Notre-Seigneur Jésus-Christ, ses prières maternelles ont une force très puissante ; ce quelle veut elle l'obtient ; elle ne peut demander en vain. « Enfin, pour que cette définition de l'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie parvienne à la connaissance de toute l'Église, Nous avons voulu publier cette lettre apostolique, qui en conservera à jamais la mémoire ; ordonnant que les copies ou exemplaires, même imprimés, de cette lettre, s'ils sont souscrits par un notaire public ou munis du sceau d'une personne constituée en dignité ecclésiastique, fassent foi pour tous, comme si l'original même était produit. « Qu'il ne soit donc permis à aucun homme d'enfreindre ce texte de Notre déclaration, décision et définition, ou par une audace téméraire de la contredire et de s'y opposer. Si quelqu'un ne craint pas de commettre cet attentat, qu'il sache qu'il encourra l'indignation de Dieu tout-puissant et de ses bienheureux Apôtres Pierre et Paul. « Donné à Rome, à Saint-Pierre, l'an de l'incarnation de Notre-Seigneur mil huit cent cinquante-quatre, le six des ides de décembre, de Notre pontificat l'an neuvième ». PIE IX, PAPE.

Cette lecture achevée, le cardinal doyen se prosterna de nouveau aux pieds du Saint-Père, pour le remercier du décret de définition qu'il venait de prononcer, et pour le prier de le rendre public par une Bulle authentique. En même temps, les protonotaires apostoliques se présentèrent, et le promoteur de la foi, comme avocat consistorial, pria le Saint-Père d'ordonner qu'un procès-verbal fût dressé de cet acte solennel ; le souverain Pontife donna aussitôt ses ordres à cette fin. Ces dernières cérémonies furent à peine aperçues du public et du clergé, qui étaient tout absorbés par la douce pensée d'avoir entendu prononcer la définition dogmatique du grand privilège de la Mère de Dieu. A peine les dernières paroles de la définition s'étaient-elles échappées des lèvres du Pontife, que le canon du château Saint-Ange annonça, à coups redoublés, le grand événement à la ville sainte et aux contrées voisines. Toutes les cloches de Rome furent mises en branle, et les maisons ornées comme par enchantement. Après l’Ite missa est, le Saint-Père entonna le Te Deum, qui fut chanté alternativement par les chantres de la chapelle papale et par le chœur. Le ton avec lequel on chanta ce cantique attestait, par sa vivacité et son éclat, la joie douce et profonde dont toutes les âmes étaient pénétrées, et ajoutait un nouveau lustre à la fête. Le Saint-Père, après l'oraison d'action de grises, donna la bénédiction pontificale, récita le dernier Évangile, et, orné de sa tiare, il bénit sur son trône la couronne d'or, chargée de pierreries, qu'il devait placer sur la tête de l'image de la sainte Vierge, qui est peinte sur la chapelle de l'autel du chapitre de Saint-Pierre. Le couronnement eut lieu en présence des évêques et de la foule immense qui remplissait la basilique. On a estimé à cinquante mille le nombre des personnes qui assistèrent à la cérémonie de la définition ; ce nombre n'est pas exagéré. L'église de Saint-Pierre était remplie dans toutes ses parties, au point que la circulation y était devenue impossible. On ne se souvenait point, à Rome, d'avoir jamais vu une semblable foule réunie sous les voûtes de Saint-Pierre.

CONGRÉGATION DES FILLES DE L'IMMACULÉE CONCEPTION.

La Congrégation des Filles de l'Immaculée-Conception est une Congrégation religieuse reconnue par l'Église, enrichie par elle de grâces précieuses, et recommandée spécialement aux jeunes personnes qui sont dans le monde, comme un moyen très avantageux pour les aider à arriver au salut. Le nom auguste, sous la protection duquel l'Église a placé cette association, indique assez le prix qu'elle y attache. L'Immaculée Conception étant le privilège le plus glorieux de la très sainte Vierge, la famille pieuse qui en porte le nom et l'étendard béni ne doit-elle pas avoir les premiers droits à sa maternelle protection ? But de l'association. — Tous les chrétiens sont, par adoption, enfants de Marie ; mais tous ne portent pas dignement ce titre, et tous n'auront point part à ses ineffables privilèges. Le but de l'association est de réveiller la sève chrétienne dans les âmes de la jeunesse du sexe, et de donner, par elle, au christianisme des fleurs d'innocence, au monde des fleurs de charité, au ciel des anges. Or, comme le modèle le plus parfait des vertus chrétiennes est le très saint et immaculé cœur de Marie, c'est à l'imitation de ce parfait modèle que s'engage sérieusement quiconque aspire au titre d'enfant de Marie dans les rangs de son Immaculée Conception. La Congrégation repousse donc, par sa nature même, quiconque n'éprouve pas le sentiment généreux de travailler à son salut et de pratiquer, avec édification, l'ensemble de la vie chrétienne. Pour aspirer à l'honneur d'être congréganiste, il faut donc plus que la vie ordinaire des gens du monde, il faut la vie exemplaire, le désir ardent et soutenu de travailler à sa perfection. Faveurs accordées aux membres de l'association. — Les faveurs réservées aux enfants de Marie dans l'association sont de deux espèces : 1° Les faveurs spirituelles sont un nombre considérable d'indulgences, plénières pour la plupart, à gagner durant la vie, et spécialement fixées aux fêtes de la très sainte Vierge ; — une indulgence plénière à l'article de la mort ; — une foute d'indulgences partielles chaque fois qu'une associée remplit une des pratiques de la Règle ; — la participation personnelle à toutes les bonnes œuvres, communions, aumônes, actes de charité et tous les mérites possibles de la part des autres associées ; — mais, par-dessus tout, l'assurance que Marie, la meilleure des mères, veille, avec une affection plus tendre, sur celles qui s'appellent ses enfants ; 2° les faveurs de second ordre, auxquelles donne droit le titre d'enfant de Marie, sont : 1° Le droit de porter le costume blanc, le cordon bleu de ciel, le ruban et la médaille sur la poitrine, aux jours de fêtes, de processions ou de convocations solennelles ; 2° le droit d'arracher au monde, qui voit passer sous ses yeux une jeune fille en livrées virginales, l'éloge le plus flatteur et le plus enviable : « Donc elle est pure, donc elle est sage ! » 3° le droit d'être visitée, en cas de maladie, par des compagnes dévouées, et d'être secourue, en cas de besoin, par les petites ressources de la Congrégation ; 4° le droit au concours de toute la Congrégation le jour des funérailles d'un de ses membres, et à une pompe toute spéciale en sa faveur ; 5° le droit à l'oblation du saint sacrifice de la messe au nom de la Congrégation, le jour même de la mort d'une congréganiste, ou le premier jour libre après son décès ; 6° le droit d'avoir sa part à un service solennel qui sera célébré pour toutes les congréganistes décédées dans le courant de l'année.

Nous avons complété le récit du Père Giry, avec l'ouvrage intitulé L'Immaculée Conception de la bienheureuse Vierge Marie, considérée comme dogme de foi, par Mgr J.-B. Malou, évêque de Bruges ; et le Manuel de la Congréganiste de l'Immaculée Conception, par un curé du diocèse de Valence.

NOTRE-DAME DE FOURVIÈRES, A LYON.

Le 8 décembre 1852 fut pour la ville de Lyon un grand jour de fête : on inaugurait sur le clocher de Fourvières l'image colossale de Marie, en bronze doré. Nous saisissons avec joie l'occasion de cet anniversaire pour dire un mot à nos pieux lecteurs de ce sanctuaire vénéré. Notre-Dame du Bon Conseil était une petite chapelle qui remontait à l'an 840 : on l'appela plus tard Notre-Dame de Fourvières (de foro veteri), parce qu'elle était bâtie là où était l'ancienne ville romaine et son forum, sur les ruines des constructions colossales faites par les empereurs. Agrandie successivement durant le cours des siècles, elle était déjà un monument remarquable en 1793, quand la Révolution la dépouilla de ses ornements et la vendit comme bien national. Après que la paix eut été rendue à l'Église, le cardinal Fesch, devenu archevêque de Lyon, racheta Fourvière, et, le 19 avril 1805, Pie VII, venu en France pour le couronnement de l'empereur, rouvrit lui-même le sanctuaire vénéré et y offrit le premier le sacrifice expiatoire. A dater de ce jour, la dévotion à Notre-Dame de Fourvière reprit son antique essor ; le culte divin y recommença ses exercices, les pèlerins y vinrent en foule, l'amour et la confiance enrichirent le pieux sanctuaire d'ornements et de dons divers ; des grâce multipliées et insignes y furent obtenues, et les murs se couvrirent des ex-voto de la reconnaissance. Cette reconnaissance des Lyonnais s'est traduite de nos jours par une grande manifestation. Ils ont eu la généreuse pensée de substituer à la chapelle primitive de Fourvière une grande et belle église qui montre de loin à tous les regards la protectrice de la ville. Dans cette vue, ils ont acheté les propriétés voisines pour dégager la chapelle de constructions qui la cachaient à la vue ; ils ont transformé les flancs abruptes de la colline en une promenade verdoyante, d'un facile accès ; ils ont élevé un clocher monumental, au sommet duquel ils ont placé une statue colossale de Marie, en bronze doré, étendant sur la ville ses mains pleines de bénédictions. Aujourd'hui, le concours des pèlerins à Notre-Dame de Fourvière est prodigieux. Il se célèbre dans la chapelle environ seize mille messes par an, quelquefois plus de quatre-vingts en un seul jour. Il s'y fait au moins deux cent mille communions chaque année, quelquefois beaucoup plus. Il y vient annuellement de vingt à trente évêques, le nombre des autres pèlerins est incalculable. Les habitants de la cité y affluent d'abord aux fêtes de la Vierge, puis toutes les fois qu'ils éprouvent ou craignent quelque malheur ou qu'ils forment quelque entreprise ; enfin et surtout le 1er janvier de chaque année : ce jour-là on accourt à Fourvière de grand matin, la chapelle est ouverte plus tôt qu'à l'ordinaire, la foule s'y précipite. C'est Lyon qui vient souhaiter la bonne année à sa bonne Mère, et recevoir comme étrennes sa bénédiction.

Extrait de Notre-Dame de France, par M. le curé de Saint-Sulpice.

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