Xe JOUR DE DÉCEMBRE

De Salve Regina

Vies de saints
Auteur : Mgr Paul Guérin, camérier de S.S. Pie IX
Source : D'après les Bollandistes, le Père Giry, Surius, Ribadeneira, Godescard, les propres des diocèses et les travaux hagiographiques publiés à l'époque.
Date de publication originale : 1878

Résumé : Tome XIV
Difficulté de lecture : ♦ Facile
Remarque particulière : 7ème édition, revue et corrigée


Xe JOUR DE DÉCEMBRE

MARTYROLOGE ROMAIN.

A Rome, le décès de saint MELCHIADE, pape, qui, ayant beaucoup souffert durant la persécution de Maximien, vit la paix rendue à l'Église, et entra dans le repos du Seigneur. 314. — Le même jour, saint Carpophore, prêtre, et saint Abonde, diacre, martyrs, qui, pendant la persécution de Dioclétien, après avoir été très cruellement meurtris à coups de bâton, puis mis en prison avec ordre de ne leur donner ni à boire ni à manger, ensuite tourmentés sur le chevalet et remis dans un cachot où ils souffrirent longtemps, eurent enfin la tête tranchée. 303. — A Mérida, en Espagne, le martyre de sainte EULALIE, vierge, qui, entre autres tourments affreux qu'elle souffrit à l'âge de douze ans, sous l'empereur Maximien, par l'ordre du président Dacien et pour la confession de Jésus-Christ, fut mise sur le chevalet et eut les ongles arrachés ; ensuite, pendant qu'on lui brûlait les côtés avec des torches ardentes, le feu l'ayant suffoquée, elle rendit l'esprit. 303. — Au même lieu, sainte Julie, vierge et martyre, compagne de sainte Eulalie, qui se joignit à elle lorsqu'elle allait au supplice, et ne s'en sépara jamais. 303. — A Alexandrie, les saints martyrs Menne, Hermogène et Eugraphe, qui souffrirent sous Galère Maximien. — A Lentini, en Sicile, les saints martyrs Mercure et ses compagnons, soldats, qui furent décapités sous le président Tertille, au temps de l'empereur Licinius. — A Ancyre, en Galatie, saint Gémelle, qui, après avoir souffert de cruelles tortures, consomma son martyre, sous Julien l'Apostat, par le supplice de la croix. — A Vienne, saint Sandoce ou Sandon (Sindulphus), évêque et confesseur. Vers 650. — A Brescia, saint Déusdédit, évêque. — A Lorette, dans la Marche d'Ancône, la TRANSLATION DE LA SAINTE MAISON DE LA GLORIEUSE VIERGE MARIE, Mère de Dieu, dans laquelle le Verbe s'est fait chair. 1294.

MARTYROLOGE DE FRANCE, REVU ET AUGMENTE.

Aux diocèses d'Agen, Ajaccio, Albi, Arras, Autun, Beauvais, Blois, Bardeaux, Cahors, Châlons, Carcassonne, Chartres, Cologne, Clermont, La Rochelle, Le Puy, Lyon, Meaux, Nancy, Nice, Pamiers, Reims, Rouen, Saint-Brieuc, Saint-Dié, Saint-Flour, Tarbes, Versailles et Viviers, fête de la translation de la maison de la bienheureuse Vierge Marie, indiquée au martyrologe romain de ce jour. 1294. — Aux diocèses de Limoges, Paris et Poitiers, sainte Valérie, vierge et martyre à Limoges, dont nous avons donné la vie su jour précédent. 46. — Aux diocèses d'Auch, Mende, Perpignan et Rodez, les saintes Eulalie et Julie, vierges et martyres à Mérida (Estramadure), citées au martyrologe romain de ce jour. 303. — Au diocèse de Soissons, saint EDIBE, évêque de ce siège et confesseur. Ve s. — Dans l'ancienne abbaye bénédictine de Saint-Riquier (Centula), au diocèse d'Amiens, saint Guitmar (Guitmaire, Guitmer, Guimar, Guimare, Guimer, Witmaire, Witmer, Widmer, Vitmar ; Guitmarus, Vitmarus), quatrième abbé de ce monastère. Il fut inhumé dans l'église de Gournay-en-Bray (Seine-Inférieure), qui portait alors le nom de Saint-Etienne 2. VIIIe s. — A Cahors, le décès de saint Gausbert, évêque de ce siège et confesseur, dont nous parlerons au 12 décembre. Vers 950. — Dans l'ancienne abbaye bénédictine d'Afflighem Sainte-Marie, entre Bruxelles et Gand, en Belgique, le bienheureux Fulgence, confesseur. Originaire du Brabant-Wallon, il embrassa la vie monastique dans l'abbaye de Saint-Airy de Verdun où il passa douze ans. Thierry, évêque de cette ville (1047-1089), ayant été excommunié par le pape saint Grégoire VII, à cause de son aveugle attachement à l'empereur Henri IV, l'abbé et les moines de Saint-Airy se virent obligés de quitter leur couvent. Fulgence retourna alors dans sa patrie ; bientôt il entra dans l'abbaye naissante d'Afflighem et il en fut élu abbé (1086). Il y donna pendant trente-six ans l'exemple de toutes les vertus d'un excellent supérieur, et le nombre des religieux s'accrut considérablement sous sa direction. 1122.

MARTYROLOGES DES ORDRES RELIGIEUX.

Martyrologe de l'Ordre des Camaldules. — A Lorette, dans la Marche d'Ancône, la translation de la demeure sacrée de Marie, Mère de Dieu, où le Verbe s'est fait chair. 1294. Martyrologe de l'Ordre des Frères Prêcheurs. — De même que chez les Camaldules. Martyrologe des trais Ordres de Saint-François. — De même que chez les Frères Prêcheurs. Martyrologe de l'Ordre des Frères Mineurs. — De même que chez les Frères Prêcheurs. Martyrologe de l'Ordre des Ermites de Saint-Augustin. — De même que chez les Frères Prêcheurs. Martyrologe de l'Ordre des Servîtes de la bienheureuse Vierge Marie. — De Mme que chez les Frères Prêcheurs. Martyrologe des Mineurs Capucins de Saint-François. — De même que chez les Frères Prêcheurs. Martyrologe de l'Ordre des Carmes Déchaussés. — De même que chez les Frères Prêcheurs.

1. Le culte de saint Guitmar disparut de Gournay à une époque qu'il est difficile de préciser. On croit que l'église où il fut inhumé porta quelque temps son nom. Toujours est-il que, lorsque Hugues 1er, comte de Gournay, construisit une église pour abriter les reliques de saint Hildevert, récemment apportées, elle fut dédiée à cet évêque de Meaux et qu'on oublia jusqu'au nom de saint Guitmar. — M. l'abbé Corblet, Hagiographie du diocèse d'Amiens.

ADDITIONS FAITES D'APRÈS DIVERS HAGIOGRAPHES.

Au Mexique, le bienheureux Sébastien Montagnol, martyr, de l'Ordre de Saint-Dominique. Ce saint religieux, marchant sur les traces du bienheureux Louis Bertrand, évangélisait le pays des Zacatecas, au Mexique, et y faisait un grand bien. Jaloux de ses succès, le démon suscita parmi les peuplades indiennes un imposteur qui, à l'aide de faux miracles, se faisait adorer comme Dieu. A l'instigation de ce suppôt de Satan, bon nombre de chrétiens renoncèrent à la foi et, s'unissant aux idolâtres, persécutèrent ceux qui étaient demeurés fidèles à l'Évangile. Un jour qu'on célébrait la fête de l'Immaculée Conception de Marie, ces forcenés entrèrent dans l'église, profanèrent les saintes hosties et dépouillèrent de ses ornements l'image de la Mère de Dieu, exposée à la vénération publique. Le bienheureux Père, ne pouvant souffrir une pareille impiété, les reprit vivement de leur sacrilège, mais ceux-ci, rendus encore plus furieux par ces reproches, lancèrent leurs flèches contre le saint prédicateur et le firent mourir de la même mort que son patron. On laissa son cadavre dehors, exposé à la dent des bêtes féroces. Mais le Seigneur le défendit de leurs attaques jusqu'au mois de mars de l'année suivante, où il fut trouvé frais et entier, exhalant un parfum très suave. De ses blessures coulait encore un sang vif. Les fidèles conçurent une grande vénération pour le saint Martyr. Ils placèrent ses reliques dans l'église et ils le choisirent pour protecteur de leur chrétienté. Ce fait ayant eu lieu avant les décrets prohibitifs du pape Urbain VIII, ce bienheureux était, l'an 1634, possesseur d'un culte légitime, et on a pu le continuer jusqu'à nos jours. 1616.

TRANSLATION DE LA MAISON DE LA SAINTE VIERGE

DE NAZARETH EN DALMATIE, ET DE DALMATIE A LORETTE 1294. — Pape : Célestin V.

Introibimus in tabernaculum ejus, adorabimus in loco ubi steterunt pedes ejus. Oui, nous voudrons tous entrer dans sa maison, nous voudrons baiser amoureusement le sol que foulèrent jadis ses pieds sacrés. Ps. CXXXI, 7.

Vers la fin du treizième siècle, la nouvelle soudaine et terrible que la Terre Sainte était perdue pour les chrétiens répandit une profonde tristesse dans les âmes pieuses ; mais dans le même temps une autre nouvelle, silencieuse et calme, vint réjouir les âmes pieuses et les réjouit encore : la sainte maison de Nazareth, où la vierge Marie conçut le Verbe fait chair, a été transportée par les anges en Dalmatie, et de là dans la Marche d'Ancône, près de Récanati, à Lorette, où elle est encore. C'était en 1291 ; les saints lieux de la Palestine étaient envahis ; l'église magnifique que l'impératrice Hélène avait élevée à Nazareth venait de tomber sous le marteau destructeur des Mahométans ; la sainte maison qu'elle renfermait allait bientôt peut-être avoir le même sort, lorsque Dieu ordonna à ses anges de la transporter sur les terres heureuses de la fidèle Dalmatie. On était au 10 du mois de mai ; à la seconde veille de la nuit, le sanctuaire de Nazareth avait été déposé sur les rivages de l'Adriatique, entre Tersatz et Fiume, dans un lieu appelé vulgairement Rauniza par les habitants du pays. Nicolas IV gouvernait alors l'Église, et Rodolphe de Habsbourg, l'empire ; la ville de Tersatz obéissait à Nicolas Frangipane, issu de l'antique race des Aniciens, dont l'autorité s'étendait sur les terres de la Croatie et de la Slavonie. Au lever de l'aurore, quelques habitants aperçurent avec étonnement le nouvel édifice, placé dans un lieu où jamais l'on n'avait vu jusque-là ni maison ni cabane. Le bruit du prodige est bientôt répandu ; on accourt, on examine, on admire le bâtiment mystérieux, construit de petites pierres rouges et carrées, liées ensemble par du ciment ; on s'étonne de la singularité de sa structure, de son air d'antiquité, de sa forme orientale ; on ne peut surtout expliquer comment elle se tient debout, posée sur la terre nue sans aucun fondement. Mais la surprise augmente quand on pénètre dans l'intérieur. La chambre formait un carré oblong. Le plafond, surmonté d'un petit clocher, était de bois, peint en couleur d'azur et divisé en plusieurs compartiments, parsemé çà et là d'étoiles dorées. Autour des murs et au-dessous des lambris, on remarquait plusieurs demi-cercles qui s'arrondissaient les uns près des autres et paraissaient entremêlés de vases diversement variés dans leurs formes. Les murs, épais d'environ une coudée, construits sans règle et sans niveau, ne suivaient pas exactement la ligne verticale. Ils étaient recouverts d'un enduit où l'on voyait en peinture les principaux mystères de ce lieu sacré. Une porte assez large, ouverte dans une des parties latérales, donnait entrée dans ce mystérieux séjour. A droite s'ouvrait une étroite et unique fenêtre. En face s'élevait un autel construit en pierres fortes et carrées, que dominait une croix grecque antique, ornée d'un crucifix peint sur une toile collée au bois, où se lisait le titre de notre salut : Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. Près de l'autel, on apercevait une petite armoire d'une admirable simplicité, destinée à recevoir les ustensiles nécessaires à un pauvre ménage ; elle renfermait quelques petits vases semblables à ceux dont se servent les mères pour donner la nourriture à leurs enfants. A gauche, une espèce de cheminée ou de foyer, surmontée d'une niche précieuse soutenue par des colonnes ornées de cannelures et de volutes, et terminée par une voûte arrondie, formée par cinq lunes qui se joignaient et s'enchaînaient mutuellement. Là était placée une statue de cèdre, représentant la bienheureuse Vierge debout et portant l'enfant Jésus dans ses bras. Les visages étaient peints d'une espèce de couleur semblable à l'argent, mais noircis par le temps et sans doute par la fumée des cierges brûlés devant ces saintes images. Une couronne de perles posée sur la tête de Marie relevait la noblesse de son front ; ses cheveux, partagés à la Nazaréenne, flottaient sur son cou et sur ses épaules. Son corps était vêtu d'une robe dorée qui, soutenue par une large ceinture, tombait flottante jusqu'aux pieds ; un manteau bleu recouvrait son dos sacré ; l'un et l'autre étaient ciselés et formés du même bois que la statue elle-même. L'enfant Jésus, d'une taille plus grande que celle des enfants ordinaires, avec un visage où respirait une divine majesté, et qu'embellissait une chevelure partagée sur le front, comme celle des Nazaréens, dont il portait l'habit et la ceinture, levait les premiers doigts de la main droite, comme pour donner la bénédiction, et, de la gauche, soutenait un globe, symbole de son pouvoir souverain sur l'univers. L'image de la sainte Vierge, au moment de son arrivée, était couverte d'une robe de laine de couleur rouge, qui se conserve encore aujourd'hui et demeure sans altération. Telle était la disposition de la sainte chapelle, lorsqu'elle vint se reposer dans la Dalmatie 1.

1. Histoire critique et religieuse de Notre-Dame de Lorette, par A. B. Caillau. Paris, 1847.

La stupeur était générale ; on se demandait l'un à l'autre quelle pouvait être cette demeure inconnue, quelle main avait tracé ces figures, quelle puissance avait fait apparaître en un instant ce nouveau sanctuaire ; tous interrogeaient, nul ne pouvait répondre, lorsque tout d'un coup s'élance au milieu du peuple le vénérable pasteur de l'église Saint-Georges, l'évêque Alexandre, natif de Modruzia. Sa présence excite un cri général de surprise ; on le savait gravement malade, sans espérance presque de guérison ; et cependant le voilà plein de vie et de santé ; le mal a disparu ; la fièvre n'a pas laissé la moindre trace. La nuit, dans son lit de douleur, il avait ressenti le plus ardent désir d'aller contempler de ses yeux le prodige dont il vient d'apprendre la nouvelle ; dans ce moment il se voue à Marie, dont on lui a dépeint la miraculeuse image. Soudain le ciel s'est ouvert à ses yeux, la très sainte Vierge se montre au milieu des anges qui l'environnent, et d'une voix dont la douceur ravit intérieurement le cœur : « Mon fils », lui dit-elle, « tu m'as appelée ; me voici pour te donner un efficace secours et te dévoiler le secret dont tu souhaites la connaissance. Sache donc que la sainte demeure apportée récemment sur ce territoire est la maison même où j'ai pris naissance et reçu presque toute mon éducation. C'est là qu'à la nouvelle apportée par l'archange Gabriel, j'ai conçu par l'opération du Saint-Esprit le divin enfant. C'est là que le Verbe s'est fait chair ! Aussi, après mon trépas, les Apôtres ont-ils consacré ce toit illustre par de si hauts mystères, et se sont-ils disputé l'honneur d'y célébrer l'auguste sacrifice. L'autel, transporté au même pays, est celui même que dressa l'apôtre saint Pierre. Le crucifix que l'on y remarque, y fut placé autrefois par les Apôtres. La statue de cèdre est mon image faite par la main de l'évangéliste saint Luc, qui, guidé par l'attachement qu'il avait pour moi, a exprimé, par les ressources de l'art, la ressemblance de mes traits, autant qu'il est possible à un mortel. Cette maison, aimée du ciel, environnée pendant tant de siècles d'honneur dans la Galilée, mais aujourd'hui privée d'hommages au milieu de la défaillance de la foi, a passé de Nazareth sur ces rivages. Ici point de doute : l'auteur de ce grand événement est ce Dieu près duquel nulle parole n'est impossible. Du reste, afin que tu en sois toi-même le témoin et le prédicateur, reçois ta guérison. Ton retour subit à la santé au milieu d'une si longue maladie fera foi de ce prodige. » Ainsi parla Marie, et, s'élevant vers le ciel, elle disparut, laissant la chambre embaumée d'une odeur céleste. Le ministre fidèle sentit le mal s'évanouir, la fièvre s'éteindre, la force renaître ; se lever, se jeter à genoux, bénir sa bienfaitrice, courir à l'auguste sanctuaire pour lui présenter ses actions de grâces, furent tout à la fois et le besoin de sa reconnaissance et la preuve que cette visite surnaturelle n'était pas une chimère enfantée dans un cerveau égaré par la douleur. Nicolas Frangipane, qui gouvernait alors cette contrée, était absent ; il avait suivi à la guerre Rodolphe de Habsbourg : au milieu de cette expédition militaire, il reçoit la nouvelle de ce prodigieux événement. Le prince lui donne la permission de quitter le camp pour aller s'assurer de la vérité. La longueur du chemin ne l'arrête point ; il vient en personne à Tersatz, où, sans se laisser entraîner par un premier enthousiasme, il prend les plus minutieuses informations. Ce n'est pas encore là à ses yeux une démonstration assez assurée : quatre de ses sujets, choisis de sa main, hommes sages et prudents, entre lesquels on remarquait, outre l'évêque Alexandre, Sigismond Orsich et Jean Grégoruschi, se transportèrent à Nazareth, pour examiner et rapprocher les circonstances de ce fait extraordinaire. Leur commission sera remplie avec autant de fidélité que de diligence. Leur rapport sera concluant : à Nazareth de Galilée, la maison natale de la très sainte Vierge ne se trouvait plus ; elle avait été détachée de ses bases, qui existaient encore ; nulle différence entre la nature des pierres restées dans les fondements, et la qualité de celles qui composaient le saint édifice ; conformité parfaite dans les mesures pour la longueur et la largeur du bâtiment. Leur témoignage est rédigé par écrit ; il est confirmé par un serment solennel ; il est authentiqué selon les formes voulues par la loi. Plus de doute, plus d'incertitude. La dévotion a pris un rapide essor ; les peuples accourent de toutes parts. Les provinces de la Bosnie, de la Serbie, de l'Albanie, de la Croatie semblent se vider pour répandre leurs habitants sur cette terre favorisée du ciel. Pour faciliter l'empressement des pèlerins, Frangipane fit entourer les murs bénits de grosses poutres recouvertes avec des planches, selon le goût du pays, où les constructions de ce genre étaient encore en usage, et prodigua les riches offrandes pour augmenter la splendeur de ce vénérable sanctuaire à mesure que la renommée en répandait plus loin la connaissance. Trois ans et demi après son arrivée à Tersatz, la maison de Nazareth, portée par les mains des anges, s'éleva de nouveau dans les airs et disparut aux regards de ce peuple désolé. Le prince fit construire à la même place et sur les mêmes vestiges une petite chapelle, où on lit encore aujourd'hui : « Ici est le lieu où fut autrefois la très sainte demeure de la bienheureuse Vierge de Lorette, qui maintenant est honorée sur les terres de Récanati ». Sur le chemin, on fit graver cette inscription en langue italienne : « La sainte maison de la bienheureuse Vierge vint à Tersatz l'an 1291, le 10 mai, et se retira le 10 décembre 1294 ». Les souverains Pontifes accordèrent plusieurs grâces à la chapelle commémorative de Tersatz. Le clergé et le peuple continuent d'y chanter cette hymne : « O Marie ! Ici vous êtes venue avec votre maison, afin de dispenser la grâce comme pieuse Mère du Christ. Nazareth fut votre berceau, mais Tersatz fut votre premier port, quand vous cherchiez une nouvelle patrie. Vous avez porté ailleurs votre demeure sacrée, mais vous n'en êtes pas moins restée avec nous, ô Reine de clémence. Nous nous félicitons d'avoir été jugés dignes de conserver votre présence maternelle ». Depuis cette époque jusqu'à nos jours, on voit tous les ans les Dalmates traverser par troupe la mer Adriatique, et venir à Lorette, autant pour déplorer leur veuvage que pour vénérer le berceau de Marie. Toujours dans leur bouche sont ces paroles solennelles : « Revenez à nous, Marie, revenez ». L'an 1559, plus de trois cents pèlerins de cette contrée avec leurs femmes et leurs enfants arrivèrent à Lorette, portant des flambeaux allumés, s'arrêtèrent d'abord à la grande porte, où ils se prosternèrent pour implorer le secours de Dieu et de sa sainte Mère, puis furent tous à genoux rangés en ordre par les prêtres qu'ils avaient amenés avec eux, et entrèrent ainsi dans leur temple en criant d'une seule voix dans leur idiome naturel: « Retournez, retournez à nous, ô Marie ! Marie, retournez à Fiume !» Leur douleur était si vive, et leur prière si fervente, que le témoin qui en écrivit l'histoire cherchait à leur imposer silence, craignant, dit-il, que de si ardentes supplications ne fussent exaucées, et que la sainte chapelle ne fût ravie à l'Italie pour aller à Tersatz reprendre son ancienne position. Aussi le souverain Pontife voulut-il favoriser la dévotion de ce bon peuple, en fondant à Lorette un hospice pour recevoir plusieurs familles de Dalmatie qui n'avaient pu se déterminer à retourner dans leur pays en quittant la Vierge de Nazareth, et ne regardaient plus pour leur patrie que le lieu qu'elle avait elle-même daigné choisir pour sa résidence. Quant à l'histoire de la nouvelle translation, voici en quels termes un ermite du temps et du pays, Paul Della Selva, l'écrivit au roi de Naples, Charles II. « L'an de l'incarnation du Seigneur 1294, le samedi 10 décembre, lorsque tout était plongé dans le silence, et que la nuit dans son cours était au milieu de sa route, une lumière sortie du ciel vint frapper les regards de plusieurs habitants des rivages de la mer Adriatique, et une divine harmonie, réveillant la sagesse des plus endormis, les tira du sommeil pour leur faire contempler une merveille supérieure à toutes les forces de la nature. Ils virent donc et contemplèrent à loisir une maison environnée d'une splendeur céleste, soutenue dans les mains des anges, et transportée à travers les airs. Les paysans et les bergers s'arrêtèrent stupéfaits à la vue d'une si grande merveille, et tombèrent à genoux en adoration, dans l'attente du terme et de la fin où aboutirait ce prodige. Cependant cette sainte maison portée par les anges fut placée au milieu d'un grand bois, et les arbres eux-mêmes s'inclinèrent comme pour vénérer la Reine du ciel. Aujourd'hui on les voit encore penchés et recourbés comme pour témoigner leur allégresse. On dit que dans ce lieu était autrefois un temple dédié à quelque fausse divinité, et entouré d'une forêt de lauriers, ce qui lui a fait donner le nom de Lorette, comme on l'appelle encore aujourd'hui. A peine le matin était arrivé, que les paysans se hâtèrent d'aller à Récanati, pour raconter ce qui s'était passé, et tout le peuple s'empressa d'accourir au bois des Lauriers, pour s'assurer de la vérité de cette narration. Parmi les nobles et le peuple, plusieurs restaient muets d'étonnement, plusieurs ne pouvaient se résoudre à croire le miracle. Les mieux disposés pleuraient de joie, et disaient avec le Prophète : « Nous l'avons trouvée dans les champs de la forêt » ; et encore : « Il n'a pas traité ainsi toutes les nations ». Ils honorèrent cette petite et sainte maison, et, pénétrant dans l'intérieur avec dévotion, ils rendirent leurs hommages à la statue de bois de la divine vierge Marie, qui tenait son Fils entre ses bras. De retour à Récanati, ils remplirent la cité d'une sainte joie ; le peuple quittait souvent la ville pour aller vénérer la sainte chapelle ; c'était un concours perpétuel de fidèles qui se croisaient sur la route. « Cependant la bienheureuse vierge Marie multipliait les prodiges et les miracles. Le bruit d'une si grande merveille s'étendait dans les contrées lointaines, comme dans les provinces voisines, et tous accouraient à la forêt des Lauriers, qui se remplit bientôt de différentes habitations en bois, pour servir de refuge aux pèlerins. Tandis que ces événements se passaient, le lion infernal qui tourne sans cesse, cherchant quelque proie à dévorer, suscita des brigands, dont les mains impies souillaient le bois sacré par des vols et des homicides, de sorte que la dévotion de plusieurs se refroidit par la crainte des malfaiteurs. « Au bout de huit mois, le premier miracle fut confirmé par un second prodige. La sainte maison quitta la forêt profanée, et fut placée par le ministère des anges au milieu d'une colline, appartenant à deux nobles frères, les comtes Etienne et Siméon Rainaldi de Antiquis, de Récanati. Cependant la dévotion des fidèles croissait, et la petite et sainte demeure s'enrichissait par de grands dons et de nombreuses offrandes. Les nobles et pieux frères en étaient les dépositaires ; mais bientôt ils cédèrent à l'avarice, s'appliquèrent les présents, et laissèrent pervertir leur jugement jusqu'à en venir à de scandaleuses discussions pour savoir qui des deux l'emporterait sur l'autre. « Alors la sainte maison se retira, quatre mois après son arrivée, de la colline des deux frères, et par un troisième miracle fut portée par les anges dans un nouveau site distant à peu près d'un jet de pierre, au milieu de la voie publique qui conduit de Récanati au rivage de la mer, et c'est là que je la vois encore aujourd'hui et que je contemple de mes propres yeux les grâces continuelles qu'elle accorde à ceux qui viennent y faire leurs prières ». Cependant les citoyens de Récanati voyaient avec anxiété la faiblesse des saintes murailles ; posées sur la terre, elle n'avaient point de fondements pour les soutenir. N'était-il pas à craindre que, subissant peu à peu les effets du temps, elles ne vinssent à s'écrouler et à priver ainsi le pays de ses plus beaux ornements ? Ce qui augmentait encore leur crainte, c'était la situation même du lieu, exposé à de violents tourbillons et à de fréquents orages, où les torrents de pluie semblaient conspirer avec la fureur des vents. Ils se décidèrent, en conséquence, à élever autour de ce frêle édifice une forte muraille établie sur des bases solides et construite en briques durcies au feu. Ils firent plus encore, et, instruits chaque jour des miracles nombreux que Dieu opérait par la vertu de cette sainte maison, ils appelèrent des peintres habiles pour représenter par le pinceau, sur cette muraille, particulièrement du côté du nord, tous les détails de la prodigieuse histoire, afin de donner à tous, et surtout aux ignorants, la facilité de comprendre cette merveille et d'en rendre grâce à la très sainte Vierge. Or, voici maintenant ce qui arriva, d'après le témoignage d'un historien, le Père Riéra : « Le bruit public », dit-il, « a propagé dans les provinces d'Ancône, comme un grand miracle, qu'au moment où l'ouvrage venait d'être terminé, on trouva les nouvelles murailles tellement séparées des anciennes, qu'un petit enfant pouvait y passer facilement avec un flambeau à la main, pour montrer à la foule, quand l'occasion se présentait, la vérité de cet écartement. Ce prodige frappa vivement les esprits, d'autant plus que l'on savait avec certitude qu'auparavant elles étaient si étroitement unies, qu'il n'y avait pas entre les deux l'épaisseur d'un cheveu. De là cette opinion commune que rien absolument ne peut rester attaché aux murailles de l'auguste maison de Lorette, la sainte Vierge le voulant ainsi, pour empêcher de croire qu'elle ait besoin du secours des hommes pour soutenir sa vénérable demeure. Quelle que soit la cause de ce phénomène, la vérité du fait est au-dessus de toute controverse ; car aujourd'hui encore vivent plusieurs témoins qui ont contemplé de leurs propres yeux cet admirable spectacle. Aussi, quand, au temps de Clément VII, Rainero Nerucci, architecte de la sainte chapelle, et qui depuis est resté avec moi dans une douce intimité, voulut, par ordre du Pontife, abattre ce mur de briques, que le temps avait déjà presque renversé, pour élever à la place ce magnifique monument en marbre que l'on voit aujourd'hui, il remarqua, non sans un grand étonnement, que, contre les règles de l'architecture et les plans de l'art humain, toutes les pierres étrangères à la sainte maison s'étaient éloignées comme pour lui rendre de justes hommages. Le même Rainero, ainsi que plusieurs autres, m'ont également raconté que ces murs rapportés s'étaient, depuis plusieurs années, tellement entrouverts, que par de longues fentes, on pouvait facilement contempler l'ancien bâtiment et jouir des admirables délices qui semblent émaner de sa sainteté ». Au commencement du XIVe siècle, les habitants de Récanati élevèrent à Lorette un temple pour y enfermer la sainte chapelle. Une ville se forma autour, à qui les souverains Pontifes n'ont cessé de prodiguer des faveurs spirituelles et temporelles. L'an 1464, le pape Pie II offrit à Notre-Dame de Lorette un calice d'or, pour obtenir la guérison d'une maladie, qu'il y obtint en effet. La même année, son successeur, Paul II, qui éleva une nouvelle basilique autour de la sainte chapelle, disait dans une bulle du 15 octobre : « On ne saurait douter que Dieu, à la prière de la très sainte Vierge, Mère de son divin Fils, n'accorde tous les jours aux fidèles qui lui adressent pieusement leurs vœux des grâces singulières, et que les églises dédiées en l'honneur de son nom ne méritent d'être honorées avec la plus grande dévotion ; cependant celles-là doivent recevoir des hommages plus particuliers, dans lesquelles le très Haut, à l'intercession de cette auguste Vierge, opère des miracles plus évidents, plus éclatants et plus fréquents. Or, il est manifeste, par l'expérience, que l'église de Sainte-Marie de Lorette, dans le diocèse de Récanati, à cause des grands, inouïs et infinis miracles qu'y fait éclater la puissance de cette Vierge bienheureuse, et que nous avons éprouvés nous-mêmes dans notre propre personne, attire dans son enceinte les peuples de toutes les parties du monde ». Sixte IV, successeur de Paul II, déclara Lorette propriété du Saint-Siège ; toutes les personnes attachées au service de l'église relèveront immédiatement de lui, et seront exemptes de toute autre juridiction ; deux sujets capables seront nommés par le souverain Pontife : l'un, pour prendre soin du spirituel, sous le nom de vicaire ; l'autre, pour veiller aux intérêts temporels, avec le titre de gouverneur. Le vicaire instituera huit chapelains obligés à la résidence et chargés de chanter tous les jours une messe solennelle, appelée depuis la messe votive : les pénitenciers ajouteront aux pouvoirs d'absoudre déjà concédés celui de dispenser des vœux, ou plutôt de les commuer en bonnes œuvres et secours appliqués aux besoins de la sainte chapelle. Les Carmes, chargés de la garde des Lieux saints de la Palestine, furent appelés à garder la sainte chambre de la Mère de Dieu. Léon X renouvelle tous les privilèges passés, et en accorde de plus précieux et de plus abondants. Une collégiale fut établie avec douze chanoines, douze prêtres missionnaires et six choristes ; les indulgences des stations apostoliques à Rome furent étendues au sanctuaire de Lorette, où l'on gagnait dans la visite d'une seule église ce que l'on ne pouvait obtenir que par la visite de plusieurs églises dans la capitale du monde chrétien ; les marchés d'automne à Ancône, à Pisaure et ailleurs furent supprimés, pour donner plus d'éclat à celui qui se tenait à Récanati à l'époque de la Nativité ; où l'on vit non seulement des catholiques, mais des Grecs mêmes et des Arméniens, quoique schismatiques, le disputer en dévotion pour Marie avec les fidèles enfants de l'Église catholique. Le vœu de faire un pèlerinage à Lorette fut réservé au Pape, comme ceux de visiter les tombeaux des saints Apôtres ou le sépulcre de Jésus-Christ. Le fameux statuaire Sansovino fut chargé d'entourer d'un magnifique travail en marbre blanc de Carrare le précieux sanctuaire. Le gouverneur reçut le privilège de célébrer la messe en habits pontificaux, et donner au peuple la bénédiction épiscopale. Des ordres furent donnés pour fortifier le château et construire des boulevards, des bastions et des fossés défendus par de grosses pièces d'artillerie, afin de mettre le temple à l'abri de surprise et d'attaques. Clément VII réalise le plan sublime formé par son prédécesseur et son parent Léon X, le plan des décorations magnifiques qui devaient revêtir à l'extérieur de sculptures en marbre blanc les humbles murailles de la sainte maison. Il appelle pour ce grand travail les plus illustres artistes, pour rivaliser de talent et de génie dans l'accomplissement d'un si noble ouvrage. Il établit comme architecte en chef, pour l'église comme pour le portique, le fameux Nérucci. Déjà les marbres avaient été taillés, déjà les ornements étaient prêts à être mis en place. Nérucci fait abattre la muraille antique, qui se trouva, comme il a été dit, écartée des murs fragiles de la chambre miraculeuse. Durant plusieurs jours, elle demeura exposée dans toute sa simplicité aux regards empressés de la dévotion et de la curiosité populaires. Chacun put s'assurer qu'elle était posée sans fondements sur le sol nu. On voyait au-dessous une terre poudreuse et broyée, semblable à celle d'une voie fréquentée et passagère ; on y remarquait même une ronce qui s'était trouvée prise sous le saint fardeau déposé par les Anges ; tout annonçait une route publique, conformément au témoignage constant de la tradition. Cependant il fallut commencer les excavations nécessaires à la construction des bases qui devaient soutenir les marbres précieux ; et alors il fut facile de se convaincre sans aucun doute que les saintes murailles étaient posées comme en suspens sur un terrain inégal et poudreux. Jérôme Angélita dans son rapport officiel au même pape Clément VII, fait une mention particulière de tous ces faits prodigieux, que l'on ne saurait révoquer en doute. Les fondements sortaient déjà de terre, mais le plan arrêté par Léon X, et approuvé par Clément VII, exigeait que l'unique porte de la sainte maison fût murée, et que l'on en ouvrît trois autres à la place, pour éviter les accidents qui arrivaient tous les jours par suite de l'encombrement des pieux pèlerins dans un espace si étroit. A cette nouvelle, le peuple fut dans la consternation ; une rumeur subite s'éleva de toutes parts. Qui oserait violer par les coups d'un audacieux marteau ces murailles que les siècles eux-mêmes ont respectées ? Cependant l'ordre du Pape était pressant ; le bien commun en demandait l'exécution ; la beauté du travail l'exigeait impérieusement. L'architecte Nérucci s'arme de courage, il lève la main, frappe un premier coup ; à l'instant il pâlit, il tremble, il sent défaillir ses forces, il tombe sans connaissance ; on l'emporte dans sa maison ; le danger est imminent, sa vie elle-même paraît compromise. Sa pieuse épouse, le voyant dans cet état funeste, se prosterne aux pieds de Marie, elle invoque l'auguste patronne de Lorette ; ses vœux sont exaucés, la mortelle léthargie se dissipe bientôt, et l'imprudent architecte est heureusement rendu à sa famille et à ses travaux. Cependant on se hâte de faire part au Pontife de ce merveilleux événement, et de lui demander sa décision dans un cas si difficile. Il répond en ces termes : « Ne craignez pas de percer les murs du sanctuaire auguste et d'ouvrir les portes : ainsi l'ordonne Clément VII » Un commandement si formel, et toute l'autorité du Siège apostolique ne purent déterminer l'architecte Nérucci à déposer sa crainte et à obéir. En vain on l'excite, en vain on s'efforce de le persuader ; toutes les tentatives sont inutiles. D'un côté, l'ordre du Pape pressait le travail ; de l'autre, la stupeur publique en arrêtait l'exécution. Tout à coup, contre toute attente, un homme se présente pour une œuvre qui paraissait si dangereuse ; il était clerc et attaché au chœur du sanctuaire, son nom était Ventura Périni. Il prend d'abord trois jours pour se préparer à cette entreprise par de ferventes prières et un jeûne rigoureux ; le dernier jour, vers le soir, il s'avance vers le Saint lieu, environné d'une foule innombrable de peuple ; il fléchit les genoux, il baise et rebaise mille fois les saintes murailles, il prend le marteau ; mais avant de frapper, le bras suspendu en l'air, il s'adresse à Marie, et lui dit avec confiance : « Pardonnez, ô sainte maison de la plus pure des Vierges ce n'est pas moi qui vous perce, c'est Clément, vicaire de Jésus-Christ, dans l'ardeur qui l'anime pour votre embellissement. Permettez-le, ô Marie ! Et satisfaites le bon désir de son cœur ». A ces mots, il frappe un premier coup, suivi de plusieurs autres, sans en ressentir aucun dommage ; les autres ouvriers reprennent courage, l'imitent dans son travail comme dans sa dévotion ; les portes s'ouvrent, les pierres recueillies avec respect sont employées à refermer la seule ouverture qui auparavant donnait entrée dans le précieux sanctuaire ; la poutre qui servait d'architrave est conservée dans la bâtisse comme un monument et un souvenir de l'ancienne disposition de ce lieu, et le nouveau plan avec ses magnifiques sculptures reçoit son exécution. Sixte V, devenu pape en 1585, considérant, dit-il, que la ville de Lorette est célèbre par toute la terre et qu'elle renferme dans son enceinte une insigne église collégiale sous l'invocation de la bienheureuse vierge Marie ; considérant combien est vénérable cette église, au milieu de laquelle s'élève l'auguste maison consacrée par les divins mystères, où cette Vierge pure est née, a été saluée par l'ange et a conçu du Saint-Esprit le Sauveur du monde ; considérant que cette maison a été transportée dans ce lieu par le ministère des anges, que des miracles s'y opèrent tous les jours par l'intercession et les mérites de cette puissante patronne, et que les fidèles serviteurs de Jésus-Christ y accourent de toutes les parties du monde pour y satisfaire leur dévotion par de pieux pèlerinages, Sixte V éleva la ville de Lorette au rang de cité, donna à son église le titre de cathédrale et y établit un évêché. Clément VIII, devenu Pape en 1592, fit en personne le pèlerinage de Lorette, et défendit de chanter d'autres litanies que celles dont l'Église fait maintenant usage et qu'on appelle vulgairement les litanies de Lorette, parce que c'est dans cette église qu'elles furent chantées pour la première fois, d'après la rédaction du cardinal Savelli, à qui on les attribue communément, sur la foi d'une lame d'argent où elles furent gravées, l'an 1483, avec cette inscription qu'on lit au bas : « Paul Savelli, prince d'Albano et député impérial ». Clément IX, pape en 1667, prescrit, après un sévère examen de la Congrégation des rites, par un décret solennel, de consigner dans le Martyrologe romain, au 10 décembre, l'histoire du grand prodige de Lorette par ces mots remarquables. « A Lorette, dans le territoire d'Ancône, translation de la sainte maison de Marie, Mère de Dieu, dans laquelle le Verbe s'est fait chair ». Innocent XII, en 1691, assigna un office et une messe particulière pour cette grande solennité, et fit ajouter dans le bréviaire romain, à la fin de la sixième leçon, l'histoire de ce prodige. Défenseur aussi docte que zélé de la sainte maison, Benoît XIV, avant son exaltation sur le Saint-Siège, avait établi victorieusement son identité avec la demeure humble et modeste de Nazareth contre les critiques du protestant Casaubon et des autres adversaires de la vérité. Aussi n'avons-nous pas lieu de nous étonner qu'il ait conservé toutes les exemptions et les privilèges de ses prédécesseurs, et travaillé à l'embellissement de l'auguste sanctuaire par l'érection de la masse imposante du grand clocher et par l'achèvement de la belle terrasse du palais apostolique. Mais le règne de ce grand Pontife n'offre rien de plus remarquable par rapport à Lorette, que la restauration du pavé de la sainte chapelle et les conséquences qui résultent de l'examen fait à cette époque. C'était en l'année 1761 ; Jean-Baptiste Stella, Bolonais, gouvernait la cité ; sur le point de mettre les ouvriers au travail, il crut avec raison devoir s'entourer des témoins les plus respectables. Il pria monseigneur Alexandre Borgia de venir l'assister dans cette occasion importante, et il appela en même temps quatre autres prélats, les évêques de Iési, d'Ascoli, de Macérata et de Lorette. Il manda d'office un architecte et quatre maîtres maçons, auxquels se joignirent par circonstance trois architectes étrangers, venus dans la ville pour vénérer la sainte maison. Tous étant présents, on commence les fouilles ; on arrive bientôt à la fin des saintes murailles, enfoncées moins d'un pied au-dessous du pavé ; les architectes et les maîtres maçons, descendus les premiers dans l'ouverture, en tirent une terre superficielle et desséchée, mélangée de petits cailloux à demi écrasés, semblables à ceux que l'on trouve dans les sentiers battus et dans les voies publiques. Cependant un des plus habiles architectes s'attache fortement au dessein de creuser plus bas, pour voir à quelle profondeur se trouvait la terre vierge, sur laquelle on a coutume d'établir les fondements pour assurer leur solidité. Déjà, il s'est tellement enfoncé sous l'un des cotés, qu'il disparaît entièrement dans l'excavation. Le gardien Xavier Monti commence à trembler ; le mur de la sainte maison est si mince ! Ne tombera-t-il pas en ruine ? Ne se fendra-t-il pas en quelques endroits ? En vain il exprime ses craintes ; le curieux artiste continue ses recherches. Les terrassiers étaient déjà arrivés à la profondeur de huit à neuf pieds, lorsqu'un cri s'élève : La terre vierge ! La terre vierge ! Il en ramasse une poignée, et, sortant tout joyeux, il la montre à tous les assistants, qui se retirent en bénissant Dieu, dont la main soutient, contre toutes les lois de l'architecture, depuis tant de siècles et malgré les secousses des tremblements de terre, la simple et humble demeure de sainte Marie. La sainte maison n'est pas construite, comme quelques-uns l'ont pensé, en briques cuites au feu, mais elle est composée de pierres vives et travaillées, légères, rougeâtres, poreuses et imprégnées d'une certaine odeur d'antiquité. Elle est bâtie avec des matériaux inconnus en Italie et communs à Nazareth ; tous les objets qu'elle renferme ont un caractère évident d'antiquité et d'orientalisme qui ne permet pas d'en fixer l'origine en Occident ; les dimensions de son étendue se rapportent avec une entière exactitude aux fondements restés à Nazareth ; elle subsiste d'une manière miraculeuse, en demeurant debout au milieu des ruines des constructions les plus solides, quoique posée sans fondement et sans aplomb sur la terre nue ; toujours elle a conservé une entière inviolabilité, sans que jamais on ait pu impunément en ravir la moindre partie ; donc la maison de Lorette n'est pas un bâtiment ordinaire ; donc elle est une enceinte protégée par la main toute-puissante de Dieu ; donc elle ne s'est pas primitivement élevée sur les terres d'Italie, mais y a été transportée d'au-delà des mers, donc elle est vraiment la chambre dont les bases sont restées comme témoins dans la Galilée, c'est-à-dire la chambre de Marie, la chambre où s'est accompli le plus auguste de nos mystères. Pour perpétuer à jamais la mémoire du prodige de la translation de la sainte maison de la Vierge Marie, Clément VII (1378-1394), permit d'en célébrer la fête dans la basilique de Lorette. Urbain VIII (1623-1644) étendit cette solennité à toutes les églises de la Marche d'Ancône. Innocent XII (1691-1700), approuva un office propre pour cette fête ; en 1724, Benoît XIII l'étendit à tout l'État ecclésiastique. Cette fête est populaire en France, et bon nombre de nos évêques l'ont fait inscrire dans le Propre de leurs diocèses.

Rohrbacher, Vie des Saints.

SAINTE EULALIE DE MERIDA,

VIERGE ET MARTYRE (303).

Cette vierge illustre, qu'il ne faut pas confondre avec son homonyme, sainte Eulalie de Barcelone (12 février), naquit à Mérida (Estramadure), de parents nobles et chrétiens. Son père, appelé Libère, la fit instruire dans la foi dès sa plus tendre jeunesse, avec une autre vierge, nommée Julie, par Donat, très saint prêtre de leur ville. Apprenant que Dacien était arrivé en Espagne pour y persécuter les chrétiens et voyant l'ardeur que sa fille témoignait d'endurer le martyre, dans la crainte qu'elle ne s'allât produire d'elle-même au juge pour donner son sang à Jésus-Christ, comme elle lui avait déjà consacré son corps par le vœu de virginité, il l'envoya, avec quelques domestiques et le prêtre Félix, à une maison de campagne qu'il avait à trente milles de la ville, vers les frontières de la province d'Andalousie. Cependant Dacien vint à Mérida et y laissa Calpurnien pour tourmenter les fidèles. Eulalie, en ayant été informée, se déroba de la maison où elle était et s'en revint avec Julie, sa plus fidèle compagne, trouver ce tyran. « Pourquoi êtes-vous venu ici », lui dit-elle d'abord, « vous qui êtes l'ennemi de Dieu à qui cette ville est déjà entièrement dévouée ; et pourquoi persécutez-vous les chrétiens, ses fidèles serviteurs ? » — « Que dites-vous, petite fille ? « lui répondit Calpurnien, « et qui vous fait si hardie de me parler de la sorte ? » — « Il est vrai », répliqua la Sainte, « que je suis encore petite, car je n'ai que douze à treize ans, mais je ne crains point, pour cela, vos menaces ni vos supplices, et j'ai déjà assez vécu sur la terre pour souhaiter d'aller vivre éternellement dans le ciel ». Le juge, ayant entendu ce discours, tâcha de la gagner par la douceur ; mais, voyant qu'il perdait sa peine, il la livra à des bourreaux pour la fouetter avec toute sorte de rigueur et de cruauté. Ce supplice ne servit qu'à l'encourager davantage à bénir Jésus-Christ et à mépriser les païens. Lorsqu'on la ramena au président, elle lui dit, avec une nouvelle vigueur, qu'il lui était inutile de la tourmenter, parce que son pouvoir, qui s'étendait sur son corps, n'avait et ne pouvait avoir aucune prise sur son âme ; que, du reste, elle lui déclarait hautement qu'elle avait ses divinités en horreur et les empereurs mêmes qui les adoraient. Sur cette réponse, elle fut conduite en prison, et, le lendemain, Calpurnien ayant fait dresser son siège au milieu de la place publique, il la fit revenir devant lui. Là on la fouetta une seconde fois avec des baguettes mouillées, on lui versa de l'huile bouillante sur le sein, on la plongea dans un bain de chaux embrasée et on lui jeta du plomb fondu sur tout le corps ; mais comme tous ces tourments ne la défiguraient point : « Qu'on la mène de ce pas hors de la ville », dit Calpurnien, « qu'on l'étende sur le chevalet, qu'on lui arrache les ongles, qu'on lui brûle les flancs avec des torches ardentes et qu'on la jette ensuite toute vive dans les flammes ! » Cette sentence terrible ne fit que donner de la joie à Eulalie. On la traine par les cheveux au lieu du supplice, en exécutant sur elle, sans miséricorde, tout ce que le tyran avait ordonné. Ce fut dans la rigueur de ces peines que, se tournant vers le persécuteur, elle lui dit avec une constance surprenante : « Ouvrez les yeux, Calpurnien, et considérez mon visage. Reconnaissez-moi bien, afin que vous puissiez me discerner au jour terrible du jugement dernier. Nous y comparaîtrons tous deux devant Jésus-Christ, notre commun Seigneur ; moi, pour la récompense des tourments que j'endure ; vous, pour le châtiment de votre inhumanité envers les chrétiens ». Plusieurs des assistants, entendant ces paroles si fermes et si généreuses, reconnurent la vérité de notre religion et détestèrent l'idolâtrie. Pour les bourreaux, voulant ôter la parole à cette vierge toujours constante, toujours invincible, et exécuter sur elle le dernier article de son arrêt, ils la couvrirent de charbons ardents pour achever de la consumer. Alors elle ouvrit sa bouche sacrée comme pour avaler la flamme, et, en même temps, on en vit sortir son âme sous la figure d'une colombe qui s'envola vers le ciel. Le tyran commanda qu'on laissât son corps pendant trois jours exposé aux insultes des païens ; mais la divine Providence le couvrit tout à coup de neige, qui le nettoya, le blanchit et lui donna une beauté merveilleuse ; il fut ensuite enterré avec beaucoup d'honneur à Mérida, par les chrétiens. Depuis, il a été transporté à Oviedo, et on le voit dans la grande église, dans une chapelle qui lui est dédiée. On le porte en procession dans les nécessités publiques, et on reçoit alors de grands secours par la force de son intercession auprès de Dieu. On représente sainte Eulalie de Mérida : 1° déchirée sur le chevalet et exposée à la flamme des torches ; 2° exhalant son âme sous la figure d'une colombe ; 3° en compagnie de sainte Julie, sa compagne de martyre ; 4° ayant le corps recouvert d'une neige abondante.

Ce récit est du Père Giry, nous l'avons complété avec les Caractéristiques des Saints du Révérend Père Cahier.

SAINT MELCHIADE OU MILTIADE, PAPE (314).

« Melchiade ou Miltiade », dit le Liber Pontificalis, « était né en Afrique ; il siégea trois ans, sept mois et douze jours, depuis le consulat de Maximien (310), jusqu'aux ides de janvier, sous le consulat de Volusien et Anianus (10 janvier 314). Par une constitution, il défendit à tous les fidèles de jeûner le jeudi et le dimanche, parce que les Manichéens, véritables idolâtres qui infestaient alors la ville de Rome, avaient choisi ces deux jours pour leurs jeûnes solennels. Il régularisa par un décret la distribution du pain fermenté, bénit par l'évêque sous le nom d'Eulogies. En une ordination au mois de décembre, il imposa les mains à sept prêtres, cinq diacres et douze évêques destinés à diverses églises. Il fut enseveli dans la crypte pontificale de la catacombe de Saint-Calliste, sur la voie Appienne. Après lui le siège pontifical resta vacant seize jours ». La première année du pontificat de saint Melchiade (311) fut marquée par la consommation du schisme des Donatistes. Les évêques d'Afrique, profitant de la paix qui venait d'être rendue à l'Église par l'empereur Galère, s'étaient assemblés à Carthage pour donner un successeur à Mensurius, évêque de cette ville, mort pendant la persécution. Le diacre Cécilien fut élu d'une voix unanime. Félix, évêque d'Aptonge, lui imposa les mains, le fit asseoir dans la chaire épiscopale et lui remit l'inventaire des vases d'or et d'argent dont Mensurius avait confié la garde aux anciens de l'Église. Quelques-uns de ces infidèles dépositaires avaient espéré détourner à leur profit certains de ces objets précieux. Ils se liguèrent avec deux diacres intrigants, Botrus et Celeusius qui avaient osé afficher leurs prétentions au siège de Carthage. De concert avec ces ministres ambitieux, ils appelèrent ceux des évêques de Numidie qu'on n'avait pu convoquer à l'époque de l'ordination de Cécilien. Sous la direction de Donat, évêque de Cassis-Nigris, ville de Numidie, ils se formèrent en conciliabule et déposèrent Cécilien, sous prétexte que Félix d'Aptonge, qui lui avait imposé lès mains, était en traditeur ; que de plus Cécilien avait refusé de se rendre à leur assemblée ; enfin ; qu'étant encore diacre, il aurait empêché les fidèles de porter des secours aux Martyrs dans leurs cachots, durant la persécution de Dioclétien. Considérant donc le siège de Carthage comme vacant, ils élurent et ordonnèrent pour évêque le lecteur Majorin. Telle fut l'origine du long schisme de Carthage, connu sous le nom de schisme des Donatistes, parce que Donat, l'évoque de Cassis-Nigris, en fut le plus ardent et le principal fauteur. Cependant Constantin venait de vaincre le tyran Maxence et de faire son entrée triomphale dans la ville éternelle. Les Donatistes lui présentèrent une requête pour appuyer leur schisme de son autorité. Pour toute réponse, Constantin chargea le Pape de les juger et de prononcer contre eux une sentence définitive. Conformément aux intentions de l'empereur, Melchiade ouvrit, le 2 octobre 3t3, dans l'antique palais de Latran, alors habité par l'impératrice Fausta, un concile composé de dix-neuf évêques d'Italie et des Gaules. Donat se présenta en personne pour soutenir les accusations calomnieuses que son parti ne cessait de mettre en avant contre Cécilien, l'évêque légitime de Carthage. Mais il ne réussit qu'à attirer sur lui-même la sévérité du concile. Convaincu d'avoir rebaptisé les hérétiques et d'avoir conféré l'ordination épiscopale à des traditeurs notoirement connus pour tels, il fut excommunié. On examina ensuite en détail les actes du conciliabule des évêques de Numidie qui, en 311 avaient condamné Cécilien. On les trouva entachés d'irrégularités, de violence et d'esprit de parti. Chacun des chefs d'accusation articulés contre Cécilien fut ensuite discuté et pesé attentivement. Aucun ne supportait un examen sérieux ; ce n'était qu'un tissu d'inventions mensongères et de calomnies. La question ainsi élucidée, saint Melchiade, de l'avis unanime des évêques du concile, proclama l'innocence de Cécilien et la légitimité de son ordination. Mais, par cet esprit de haute prudence qui distingue toutes les mesures émanées du Saint-Siège, le Pape ne voulut séparer de sa communion ni les évêques qui avaient condamné Cécilien, ni ceux qui avaient été envoyés à Rome pour l'accuser. Il offrit même, ajoute saint Augustin, de recevoir dans sa communion ceux qui avaient été ordonnés par Majorin, l'évêque donatiste de Carthage ; en sorte que dans tous les lieux où se trouveraient deux évêques, à la suite da schisme, celui qui aurait l'ancienneté d'ordination serait maintenu et qu'on donnerait le premier siège vacant à l'autre. Donat fut seul excepté de cette mesure de miséricorde. On le condamna comme l'auteur de tout le trouble. Il repartit pour l'Afrique, plus animé que jamais et prêt à fomenter de nouvelles discordes. Le pape saint Melchiade n'en vit pas la fin. Il mourut trois mois après, le 10 janvier 314. Sa modération, sa prudence et sa charité lui valurent les éloges de saint Augustin qui s'écrie, en parlant du saint Pontife : « O homme excellent ! Ô vrai fils de la paix ! Ô vrai père du peuple chrétien ! » Il fut enterré dans le cimetière de Calliste, et transféré plus tard dans l'église de Saint-Sylvestre in capite, par saint Paul 1er.

M. l'abbé Darras, Histoire générale de l'Église, tome VIII, pages 606-639.

SAINT ÉDIBE, ONZIÈME ÉVÊQUE DE SOISSONS (462).

Saint Édibe, ou Herlube, est le onzième évêque de Soissons. Il succéda à Onésime II, et fut le prédécesseur immédiat de saint Prince ou Principe, dont nous avons raconté la vie au 25 septembre. On a constaté par les monuments qu'Édibe occupait le siège de Soissons en 450. A cette époque, il y avait déjà près de soixante-dix ans que son église cathédrale, primitivement dédiée à la Sainte Vierge, avait été reconstruite sur le même emplacement et mise sous le patronage spécial de saint Gervais et de saint Protais. Édibe montra pendant son épiscopat une grande fermeté de caractère. Il fit la guerre aux vices avec tant de succès, qu'il vainquit l'opiniâtreté des pécheurs les plus endurcis. Le Seigneur récompensa sa foi vive et son zèle ardent par le don des miracles. Il guérit beaucoup de malades et chassa plusieurs fois les démons des corps des possédés. Mais l'action qui le rendit à jamais célèbre et digne de la reconnaissance des Soissonnais, fut la victoire que l'ascendant de sa vertu et de son éloquence remporta sur le féroce Attila. Ce roi des Huns, surnommé si justement le fléau de Dieu, s'était abattu avec ses hordes barbares sur l'empire romain et voulait l'anéantir à son profit. Sur son passage, il mettait tout à feu et à sang, et rasait les villes après en avoir égorgé les habitants qui avaient osé lui résister. Metz venait de succomber et d'être réduite en cendres ; Arras et Reims avaient été prises d'assaut. Soissons était dans la consternation et s'attendait aux derniers malheurs. Saint Édibe, confiant en la puissance du Très-Haut, ne perdit pas l'espoir de sauver du pillage et de la ruine sa ville épiscopale. Il prescrivit des jeûnes et des prières. Prosterné lui-même au pied des autels et devant les ossements vénérés des saints martyrs Crépin et Crépinien, il suppliait le Dieu des miséricordes d'épargner à son peuple un châtiment peut-être bien mérité, il est vrai, mais qui pouvait être détourné de-dessus sa tête par le repentir et la pénitence. Lors donc qu'Édibe sentit en lui-même que le Seigneur commençait à se laisser toucher par tant de larmes, il se leva plein de confiance et d'une sainte hardiesse et se dirigea avec tout son clergé vers le camp du barbare, à qui il fit demander une audience. L'air farouche d'Attila ne déconcerta pas le saint évêque. Soutenu par une force toute divine, il parla avec tant d'éloquence, que le redoutable conquérant se laissa persuader que son intérêt était de prendre une autre route. C'est ainsi que Soissons fut sauvé par la piété et le courage de saint Édibe. Huit ou dix ans après cet événement, Édibe alla recevoir dans le ciel la récompense de ses vertus et de ses travaux apostoliques. Ses reliques furent déposées dans l'église de Saint-crépin le Grand ; mais la ville de Soissons n'a plus aujourd'hui le bonheur de les posséder.

Nous devons cette notice à l'obligeance de feu M. l'abbé Henri Congnet, chanoine de Soissons.

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