Y a-t-il une musique satanique ?

De Salve Regina

L'éducation des enfants
Auteur : Pierrette Beutter
Source : Extrait du Cahier Saint Raphaël n° 78 : Médecine et exorcisme.
Date de publication originale : mars 2005

Difficulté de lecture : ♦ Facile

Les missionnaires de jadis voyaient volontiers dans toutes les danses rythmées d’Afrique ou d’Asie une sorte d’émergence de Satan par le truchement d’une expression folklorique et coutumière. Une excitation collective amène parfois à un état de transe. Faut-il pour autant y voir des rites de possession diabolique ?


Avant d’aborder le facteur purement musical, il convient de s’entendre sur le terme de « satanisme ». Deux aspects sont à prendre en considération. D’une part les rituels d’origine satanique que l’on trouve dans les différentes religions en Afrique Noire, en Asie dans l’hindouisme, le bouddhisme, en Amérique du Sud, dans l’islam. D’autre part le rôle qu’y joue la musique.


La transe est commune à de nombreuses religions africaines ou asiatiques. Mais il ne s’agit souvent d’une transe physiologique et sensorielle provoquée par la danse, le chant avec ou sans accompagnement musical. Le sujet en « transe » perd en partie la maîtrise de soi temporairement, mais il n’est en aucune manière en relation avec des « esprits ». En revanche le sujet peut être réellement « habité » par des esprits et être en relation avec eux. Il s’agit alors du « chamanisme » pratiqué un peu partout, véritables rites de possession qui peuvent déboucher sur des « exorcismes » visant à libérer celui qui les subit. Il est entendu que nous sommes ici dans un vocabulaire ethnologique et non catholique. Il ne s’agit en aucune façon de la délivrance du possédé par la force divine, mais par une autre force, sans doute de même nature.


Le Chamanisme

Il ne faut pas confondre « chamanisme » et « possession ». En effet le chaman part volontairement avec son âme à la recherche des morts ou des esprits. Il entre pour cela dans une transe dont il est le maître. Il peut se servir par exemple d’un tambour qu’il frappe vigoureusement trois fois avant de le lever pour faire comprendre qu’il monte dans un monde supérieur. Lorsqu’il descend dans un monde inférieur il le baisse après l’avoir frappé trois fois. Ce rite se pratique chez les Toungouse Xingan. En fait le chaman exécute de la musique dès son initiation, il la pratique lui-même, soit en chantant soit en tambourinant. Cependant sa référence pour effectuer son «voyage » n’est ni la mélodie ni le rythme, mais la parole. En Sibérie son « voyage » peut se manifester soit par un état cataleptique, soit par une agitation proche du drame. La musique sera évidemment adaptée à l’un des deux cas. En état de catalepsie, le corps du chaman est complètement rigide, donc l’accompagnement musical sera fait par son assistant. En revanche lorsqu’il est dans « une transe dramatique » il décrit ce qu’il voit et raconte ses aventures dans le monde des esprits en chantant tout en battant du tambour. Alors se succèdent les styles musicaux les plus divers : airs, récitatifs, invocations, passages parlés, imitations de cris d’animaux et de bruits de la nature, travestissements de la voix etc. Le tambour soutient continuellement le chanteur, haletant, tranquille, solennel selon les cas. Souvent le chaman fait aussi œuvre de guérisseur. Pour le chaman, la musique exerce une action magique et a pour but de modifier le cours naturel des choses par l’incantation lorsqu’elle est vocale - ce sont alors les mots et leur mise en musique qui comptent - ou par la vertu du son lorsqu’elle est instrumentale.


La possession

Dans la possession, le sujet la subit, et contrairement au chaman qui va à la rencontre d’esprits, ceux-ci lui sont inculqués par l’entourage. On trouve ces cultes en Éthiopie, (le zâr), au Sénégal le (rah), dans le golfe de Guinée (l’orisha), au Brésil (le dodun). L’adepte doit personnifier le dieu et est alors soumis à toute une initiation qui va transformer sa personnalité, ou plutôt le dépersonnaliser. Il s’agit le plus généralement de femmes, alors que le chamanisme semble être pratiqué principalement par des hommes.


Au Bénin dans le culte du Orisha et du vodun « dans la période qui sépare le jour de la résurrection de celui où le novice reçoit un nouveau nom (autrement dit pendant l’initiation) celui-ci semble avoir perdu la raison, il est plongé dans un état d’hébétude et d’atonie mentale…. Le novice dans cet état est appelé « omotun », enfant nouveau. C’est dans cet état, sur un esprit lavé de tout souvenir antérieur, que lui seront inculqués les rythmes particuliers de l’ « orisha », ses chants ses danses et tout le comportement du dieu ». Dans notre conception il s’agit bien d’un véritable envoûtement qui introduit la personne dans un monde musical nouveau.


Le candomblé

Le candomblé, d’origine africaine mais proche du vaudou, se rencontre principalement au Brésil. Il obéit à tout un rituel initiatique qui dure environ trois mois. Il commence par une réclusion de trois semaines. La novice passera par deux états. Dans le premier, le « santo », la novice est effectivement possédée par une divinité. Cet état ne dure que quelques heures en raison de la fatigue qu’il occasionne. Puis la personne est alors plongée dans une sorte catalepsie avec une absence de déglutition qui l’empêche d’absorber toute nourriture. Dans le deuxième état de « ere « les facultés gustatives sont diminuées ainsi que la sensibilité tactile, et la novice est déconnectée de ses rapports affectifs.


Dans le Vaudun au Bénin et le candomblé au Brésil, ce sont les paroles du chant et non la musique proprement dite qui déclenchent les manifestations de possession. Ou encore les instruments qui reprennent les motifs mélodiques correspondant aux paroles. D’une manière générale les musiciens restent en dehors de la possession ou de la transe. En revanche les possédés dansent.


La Grèce

Les Grecs pratiquaient aussi un rituel proche de celui de la possession, en tout cas de la transe. Les Bacchanales et les Dionysies en sont des exemples. La « mania » correspondait à l’identification au dieu. Il alliait musique et danse. Platon mentionne l’aulos comme étant l’instrument relié à la danse et aux manifestations de transe. Il se réfère à la mélodie et non au rythme comme musique intrinsèque à cet état. Il attache également beaucoup d’importance au mode.


L’Islam

Tout le monde a plus ou moins entendu parler du fakirisme et des pouvoirs extraordinaires tels que marcher sur du feu, avaler un sabre etc. Un rituel pratiqué un peu partout peut y conduire, mais pas systématiquement. Il s’agit du « dhikr ». En même temps que la répétition du nom d’Allah ou de ses substituts, le corps est engagé tout entier dans des pratiques violentes. Récitation parlée-chantée et danse sont coordonnées par le rythme… »…les cordes vocales vibrent aussi bien pendant l’inspiration que pendant l’expiration de l’air, avec seulement une brève interruption au moment où le mouvement se renverse. La voix est gutturale. Le halètement rauque et déchirant qui en résulte fait penser au va-et-vient alternatif de la scie. Cette psalmodie apparaît en définitive comme un exercice vocal où la modulation du souffle, constamment forcé, joue un rôle de première importance ». La danse consiste en un mouvement alternatif de balancement de tout le corps de droite à gauche, et de gauche à droite, en même temps qu’une oscillation de la tête d’un côté à l’autre.


Le Boudhisme

Une émission télévisée, il y a quelques semaines sur Bartabas où le théâtre Zingarro a été particulièrement intéressant pour découvrir le chant sacré tibétain. Rappelons que Bartabas organise des spectacles dans lesquels il allie musique et chevaux. Pour le festival d’Avignon 2003, il avait fait appel à des moines tibétains qui sont venus en France pendant un an pour la préparation du spectacle. Bartabas reprend la conception grecque du théâtre sacré, raison pour laquelle il s’est intéressé aux moines du Tibet qu’il est d’abord allé voir dans leur monastère en Inde. Il a monté un spectacle avec des danses et des figures de cavaliers sur leurs chevaux proches à certains moments du ballet ; le tout accompagné par la musique tibétaine. Il s’agissait principalement de vibrations des cordes vocales sur la syllabe « aum » ou « om » qui selon les bouddhistes doit les mener à la méditation transcendantale, au vide du nirvana, donc à l’abolition des sensations, comme nous le trouvons dans les rites énumérés ci-dessus. En fait le « chant » fait entendre des modulations infimes, qu’on pourrait appeler micro-intervalles, ainsi que des harmoniques proches du son fondamental qui est très grave. Une explication en a été donnée selon laquelle ce chant est très codifié, et a même une écriture que l’on pourrait rapprocher de la paléographie grégorienne avant l’apparition de la portée musicale. Il est parfois soutenu par des sortes de trompes également très graves, des tambours, des cloches, mais non de manière systématique. Personnellement, très intéressée par le spectacle et les explications qui en étaient données, à aucun moment je n’ai été « prise » par la musique, j’ai tout suivi dans un état d’analyse intellectuelle. En revanche l’amie qui m’avait invitée à voir l’émission, m’a tout de suite fait la réflexion que cette musique était une véritable transe et qu ‘elle la « soûlait ».


La musique

Cette expérience a pu confirmer que la musique en elle-même, peut mener à un état de transe ; mais dans la mesure où l'auditeur a une préparation qui l'y conduit, ou qu'il est dans une certaine fragilité psychologique.


En effet selon les endroits, la musique qui accompagne la transe des "possédés" varie beaucoup. Cela peut être un chant très doux ou violent. Pour citer à nouveau l'état de "ere" des novices du candomblé, celles-ci chantent sans accompagnement deux fois par jour, matin et soir, une sorte de prière très longue sur un chant très lent. Des autres chants accompagnent des rituels très brefs, comme au réveil, lors du cortège au bain matinal, à la tombée de la nuit pour demander de la lumière. Dans l'état de "santo" les novices sont silencieuses. S'il y a musique, chant et instruments, celle-ci est exécutée à leur intention par des musiciens extérieurs à l'initiation, qui eux-mêmes, ne sont pas en état de transe.


Lorsqu'il s'agit de possession de gens initiés, la transe se produit sous l'effet du chant ou du rythme propres à l'esprit qui doit les habiter. Dans certains cas la musique peut intervenir pour "déposséder" la personne, comme ce que nous appellerions un exorcisme. Est-ce véritablement un exorcisme ou un apaisement du système nerveux ? On constate également qu’une même musique peut provoquer une transe chez certains membres de l’auditoire, et pas sur d’autres. La seule constante serait une accélération progressive du tempo, ou encore comme chez les moines tibétains, des modulations de plus en plus fréquentes de la voix et de la résonance des harmoniques.


Il est incontestable que la musique accompagne des rites sataniques ; mais en fait elle n’est pas réellement satanique, elle favorise tout au plus ce qu’on pourrait appeler le satanisme, lorsqu’elle accompagne des chants dont les paroles le sont réellement ; ou encore affaibli-elle tout un système nerveux, qui alors deviendra propice à l’action démoniaque. De même, si certains rythmes, ou certains motifs sont associés à un rituel satanique, ils peuvent déclencher les manifestations extérieures de la possession ; et s’il n’y a pas de paroles, parce ce qu’ils évoquent chez l’ « initié ». La musique est un langage, ou si on préfère une langue. Celle-ci n’est pas mauvaise en elle-même, c’est ce qu’elle évoque qui est bénéfique ou non. L’action de la musique est essentiellement sensible, et elle agit en fonction de ses fréquences, de son rythme, de son harmonie sur les parties inférieures ou supérieures de la sensibilité, et provoque des réactions viscérales ou affectives selon les cas. Pour revenir en Occident avec le Rock, celui-ci est satanique en raison du message qu’il transmet, et de l’affaiblissement psycho-physiologique qu’il provoque.


Ce n’est parce qu’une cloche ou un tambour peuvent accompagner des rites sataniques qu’ils le sont. De même qu’en écoutant une clarinette, instrument utilisé autrefois dans les loges maçonniques, on ne devient pas forcément franc-maçon ! La musique - comme la danse- est une composante de la société, des rites sacrés ou divins ou coutumiers. Mais en soi elle n’est objectivement ni divine ni démoniaque. Mais elle se sert d’instruments qui malheureusement ont souvent perdu leur but de louange divine, ou tout simplement celui d’aider la Cité à vivre dans un mieux-être.

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