Le terme et la notion de collégialité : Différence entre versions
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L'Eglise | |
Auteur : | Abbé Victor-Alain Berto |
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Source : | Itinéraires n°115 |
Date de publication originale : | Juillet 1967 |
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Difficulté de lecture : | ♦♦ Moyen |
Le terme et la notion de collégialité
Il faut, a dit récemment S. Exc. Mgr l’Evêque de Versailles, distinguer ce qui a été dit au Concile, ce que l’on a dit du Concile, et ce qu’a dit le Concile.
Nous citons de mémoire, mais nous sommes sûr de la substance du texte et nous croyons, loin de la trahir, continuer la pensée de son auteur en ajoutant un quatrième membre à la « distinction ». Il y a ce qui a été dit au Concile ; il y a ce qu’on a dit du Concile, il y a ce qu’a dit le Concile ; et il y a ce qu’on fait dire au Concile, qui souvent ressemble encore moins à ce qu’a dit le Concile que ce qui a été dit au Concile et ce qu’on a dit du Concile.
Avec cette circonstance lourdement aggravante, que ce qui a été dit au Concile et ce qu’on a dit du Concile pendant sa célébration sont choses qui se rapportent au « devenir » du Concile, au Concile s’acheminant vers ses opérations dernières et décisives, les promulgations; tandis que ce qu’on fait dire au Concile se rapporte aux documents une fois promulgués, qui constituent seuls ce qu’a dit le Concile; en sorte que faire dire au Concile ce qu’il n’a pas dit, soit qu’il n’ait rien dit, soit qu’il ait dit autre chose, soit qu’il ait dit le contraire, est un procédé beaucoup moins acceptable que ne pouvait l’être l’expression in Aula d’une opinion trop singulière pour avoir chance d’être retenue, ou l’article d’un journaliste payé pour gonfler dans les ténèbres des baudruches qui crevaient au soleil du lendemain.
Telle a été la fortune ou l’infortune du terme et de la notion de collégialité. C’est cette fortune ou cette infortune que nous nous proposons d’étudier, car il n’y a guère de matière où ce que l’on fait dire au Concile soit plus audacieusement différent de ce qu’a dit le Concile.
Nous avons participé aux travaux du Concile, dans l’emploi le plus modeste il est vrai, celui de peritus privatus, mais emploi légitime, emploi canonique, emploi prévu et réglé par l’Ordo Concilii — nous n’en aurions pas accepté d’autre — et nous nous trouvons ainsi, en quelque mesure, mieux renseigné sur l’élaboration des textes que ceux qui sont demeurés étrangers à ces travaux. Cependant cette connaissance d’ordre historique ne saurait dispenser de l’étude théologique des textes promulgués.
Nous disons qu’il est impossible que quelque théologien que ce soit, instruit ou non de l’histoire des documents, et les considérant prout iacent, dans leur teneur objective et définitive, y trouve, comme un enseignement de Vatican Il, la « collégialité de l’épiscopat », même en faisant abstraction (ce qu’il n’aurait pas le droit de faire) de la Nota expllcativa praevia.
I. Le terme
Le terme collegialitas ne se rencontre pas une seule fois dans les documents conciliairement promulgués, non pas même là où il aurait eu sa place connaturelle, au chapitre III de la Constitution Lumen gentium.
C’est donc un terme qui n’est pas entré dans le langage dans lequel l’Eglise exprime sa foi, ou, en deçà de sa foi, sa doctrine et sa pensée permanentes. Que les théologiens particuliers s’en servent dans leurs exposés et controverses, soit, mais ce faisant, ils n’ont pas le droit de se prévaloir du Concile, qui ne l’emploie jamais. Le Souverain Pontife l’a employé une fois, mais non dans un Acte pontifical, dans un discours (Jeudi Saint 1964) et dans une phrase où il voulait précisément marquer que la question était pendante, pour souhaiter que le Concile parvînt à déterminer questa collegialità cie Crislo Signore ha dato agli Apostoli. Depuis lors, le terme n’a jamais été repris par le Souverain Pontife.
Il semble bien plutôt que le Pape l’ait délibérément évité dans un texte aussi étudié, aussi attentivement pesé que le discours de clôture de la 3e Session (21. XI. 1964) on trouve mention de « la structure monarchique et hiérarchique de l’Eglise », quand les ardentes discussions des semaines précédentes eussent fait souhaiter aux uns, craindre aux autres, qu’il ne fût parlé de la structure monarchique et collégiale. Un quart d’heure plus tôt, le Pontife romain, siégeant conciliairement, avait promulgué la Constitution Lumen gentium. Si cette Constitution disait ce que les collégialistes lui font dire, hiérarchique au lieu de collégiale eût été par trop inadéquat et insatisfaisant. Non que les collégialistes eux-mêmes ne se soient évertués à concilier collégialité et hiérarchie (ce qui en effet est possible en soi), mais parce que, vu la circonstance, c’était le cas ou jamais de reprendre un terme employé dans la Constitution... s’il s’y fût rencontré.
Qu’importe le mot si l’idée y est ? Nous examinerons plus loin si l’idée y est. Mais non, le mot n’importe pas peu. Quand théologiens ou fidèles emploient des termes comme « primauté », « infaillibilité », « transsubstantiation », ils ont le droit (et le devoir) de se prévaloir de l’usage de l’Eglise, qui les emploie, et même qui les a « inventés » pour les besoins de son enseignement le plus officiel. Au contraire, « collégialité » est un terme qui n’est qu’un terme d’école, comme « décrets prédéterminants » ou « science moyenne ». L’employer comme s’il était un terme d’Eglise, quand il n’est qu’un terme d’école, c’est un abus. Certes non, le mot, l’emploi du mot n’ont pas ici peu d’importance. Dans la mesure où toute science, la théologie comme les autres, est « une langue bien faite », l’emploi déréglé des mots a des conséquences désastreuses. C’est déjà une forte prévention contre la présence de l’idée que l’absence du terme. L’Eglise n’a jamais hésité, quand il lui a semblé nécessaire de manifester sa pensée en une matière importante, à choisir, au besoin à forger des mots pour l’exprimer. Même s’il ne voulait pas employer la formule traditionnelle Si quis dixerit collegialitatem non esse de ratione episcopatus, anathema sit — « Si quelqu’un dit que la collégialité n’est pas une propriété essentielle de l’épiscopat, qu’il soit anathème » — rien absolument n’empêchait le Il’ Concile du Vatican de déclarer sous forme positive Docet Ecclesia catholica collegialitatem esse de ratione episcopatus — « l’Eglise catholique enseigne que la collégialité est une propriété essentielle de l’épiscopat » — S’il ne l’a pas fait, ce n’est pas qu’il n’y ait été invité. Il l’a été de bien des manières, inégalement avouables. Nous nous tiendrons à un seul exemple, parfaitement loyal et honorable.
Entre tous les Pères, l’un de ceux qui étaient le plus à portée de faire introduire dans les textes le terme collégialité était S. Em. le Cardinal Archevêque de Bourges. Nul moyen néanmoins pour lui ni pour personne d’amener dans un document conciliaire un mot vide de sens. Le Cardinal, intervenant le 15 novembre 1963, s’attacha donc à définir une collégialité épiscopale qui fût « non de pouvoir ou de droit — potestatis vel iuris —mais qui impliquât responsabilité, sollicitude, devoirs, service, mission et, en un mot, charité et amour — responsabilitoilem, curam, officia, servitium, missionem et summatim caritatem et amorem », déclarant que c’était là donner au terme en cause une valeur analogique.
Personne assurément ne songeait à nier qu’il y ait entre les Evêques, et entre le Pape et l’Episcopat catholique, un lien divin « non de pouvoir ou de droit, mais de responsabilité, de sollicitude, de devoirs, de service, de mission et, en un mot, de charité et d’amour ». Fallait-il cependant attribuer à ce lien le nom de collégialité, alors que le sens usuel de ce terme comporte précisément l’idée de « pouvoir et de droit » ? Un certain nombre de théologiens, dont nous étions, pensaient que c’eût été tomber de l’analogie dans l’équivocité ; qu’autant l’usage de termes analogiques est légitime en théologie, et d’ailleurs inévitable, autant l’emploi de termes équivoques y est dangereux, et d’ailleurs facilement évitable ; que les mots ont leur vengeance, et qu’on n’empêche pas leur valeur usuelle, chassée par la fenêtre, de rentrer par la porte ; qu’ainsi la valeur « de pouvoir ou de droit » constituant la raison formelle de la collégialité, ce terme en demeurerait le véhicule connaturel, en dépit de toute exclusion artificielle ; que, de là, les partisans d’une collégialité « de pouvoir ou de droit », le terme une fois admis dans le texte, n’auraient que trop de facilité à lui donner cette signification « de pouvoir ou droit », puisqu’ils ne feraient que le prendre dans son acception formelle ; qu’il ne suffit pas de déclarer qu’un terme est analogique pour qu’il le devienne en effet ; que la raison formelle étant conservée selon une acception, évacuée selon une autre, ce terme n’est pas analogique, mais équivoque ; que vouloir donner au terme collégialité l’acception nouvelle proposée par le Cardinal de Bourges serait en faire un terme non pas analogique, comme il se le persuadait, mais un terme équivoque; et qu’en conséquence il y avait lieu de ne point suivre l’éminent orateur.
N’ayant point accès de notre personne, ni les théologiens. dont nous parlons, aux Commissions Conciliaires, n’étant point admis à être instruit de ce qui s’y passait, nous ignorons si les observations ci-dessus y ont été retenues, si même elles y sont parvenues. Ces observations ou d’autres de même sens ont pu être faites par les Pères ou les théologiens des Commissions. Le fait est que, malgré l’opinion du Cardinal de Bourges, le terme collégialité n’est pas entré dans les monuments du Concile, bienheureusement selon nous. Après comme avant le Concile, c’est une imposture, quand on l’emploie, de l’employer comme s’il était terme d’Eglise.
Les raisons historiques : opposition de la « minorité », impossibilité d’obtenir l’unanimité morale sur le terme collegialitas, n’importent pas ici. Par rapport au texte promulgué, il n’y a plus ni majorité ni minorité. C’est le Concile, c’est-à-dire la personne morale composée du Pape et des Pères, qui s’est abstenu d’employer ce terme, et l’absence du terme fait présomption en faveur de l’absence de l’idée. Présomption n’est pas preuve, il faut donc y regarder de plus près.
II. La notion
Collegialitas exprime une ratio formalis; collegialitas est à collegium ce que humanitas est à homo. Elle est la propriété en vertu de laquelle un collège est un collège proprement dit, c’est-à-dire la propriété que possède une personne morale d’être un sujet d’opérations dernier dans son ordre, et, privativement à tous autres sujets, seul en possession de prendre, dans le ressort de sa compétence, des décisions, souveraines ou non, intéressant la société au sein de laquelle il subsiste. Un conseil d’Administration, une Cour de Justice, sont de vrais collèges, en ce qu’ils vérifient cette raison formelle de collégialité. Le Collège de France, un collège d’enseignement technique, sont des collèges sans collégialité, et donc des collèges par métaphore, sans autre référence qu’à l’étymologie du mot qui n’emporte que l’idée d’un choix, d’une désignation de certains parmi d’autres, à cause ou en vue d’une certaine communauté nullement collégiale, d’occupations plus ou moins semblables ou voisines.
Appliquée à l’Episcopat catholique, la ratio formalis de collégialité signifierait que l’Episcopat catholique -serait non seulement un corps constitué, ce que nul n’a jamais nié, non seulement une personne morale, ce qui est déjà plus que contestable hormis le cas du Concile œcuménique, mais une personne morale qui serait de manière permanente un ultimum subiectum operationum, toujours en acte premier comme tel, et dont l’acte second serait le gouvernement lui-même collégial, continuellement et non seulement en Concile, de l’Eglise universelle. Et le tout par institution divine, puisque cette collégialité serait une propriété inhérente à l’Episcopat, qui est très certainement d’institution divine.
Or il est patent que l’Eglise n’a jamais été ainsi collégialement gouvernée ; il est patent qu’il est de plus en plus impossible qu’elle le soit, à cause du nombre sans cesse croissant des évêques. Que serait le gouvernement collégial de cinq cent millions d’hommes par un collège de deux mille cinq cents évêques normalement dispersés, qui seront trois mille dans vingt ans ? Que notre Seigneur eût pu vouloir pour son Eglise cette forme de gouvernement, qui l’eût mise en état de paralysie permanente, qui en eût fait une société littéralement ingouvernable à la fois par l’émiettement et par la lourdeur de l’appareil gouvernemental, on ne peut le penser sans blasphémer sa divine Sagesse.
Mais il ne l’a point voulu. Nous l’avons dit ailleurs sans que nulle part à notre connaissance personne ait pris la peine de nous répondre (peut-être parce qu’on n’avait pas pris la peine de nous lire), il n’y a pas un texte du Nouveau Testament d’où l’on puisse tirer avec certitude la collégialité de 1’Episcopat.
Il y a dans toutes les langues trois emplois possibles du pluriel : le distributif, le collectif, le collégial.
Quand un professeur dit à ses élèves : « Levez-vous »,c’est un pluriel distributif. Il a plus vite fait de le dire à tous qu’à chacun, mais chacun a la même position à prendre, et chacun est le sujet de sa propre action.
Quand un entrepreneur dit à ses maçons : « Relevez-moi ce mur écroulé », c’est un pluriel collectif. Car chacun ne fait pas la même chose. L’un gâchera le mortier, un autre taillera les pierres qu’un troisième ajustera. Le travail est l’ouvrage de l’équipe, mais se résout en chacun des sujets qui la composent.
Quand l’Assemblée générale d’une société charge son Conseil d’Administration de décider l’achat d’un immeuble ou une vente de titres, c’est un pluriel collégial. Que la décision soit prise à la majorité ou à l’unanimité n’importe pas ; la décision n’est pas celle de la majorité, ni même celle de l’unanimité des membres elle est la décision du Conseil d’Administration.
Le pluriel collégial étant de beaucoup le moins usité, c’est à celui qui croit le rencontrer de faire la preuve qu’il s’agit bien d’un pluriel collégial, irréductible à un pluriel collectif ou à un pluriel distributif. En ce qui concerne le Nouveau Testament, cette preuve n’a jamais été apportée . « Faites ceci en mémoire de moi... Les péchés seront remis à ceux à qui vous les remettrez... Tout ce que vous délierez sur la terre sera délié dans le ciel... Allez, enseignez toutes les nations, baptisez-les... », aucune de ces divines paroles ne comporte une signification nécessairement collégiale, telle que les opérations commandées aux Apôtres par le Seigneur aient dû être collégialement accomplies. La Tradition peut certes déterminer, entre plusieurs sens possibles d’un passage de l’Ecriture, celui qu’il faut tenir pour authentique. Mais dans le cas qui nous occupe, la Tradition exclut, loin de l’imposer, le sens collégial. Ni l’administration du Baptême, ni celle de la Pénitence, ne requièrent l’intervention d’un collège, ne sont opérations collégiales. Un seul prêtre suffit à la célébration de la messe, et la concélébration même épiscopale, où l’on a voulu voir une manifestation de la collégialité, est si peu collégiale que chacun des concélébrants a par lui-même autant de pouvoir transsubstantiant que leur pluralité, et, à raison de cela même, garde ses intentions particulières, avec le même effet d’application que s’il célébrait seul. Pas davantage la nomination d’un curé, la délimitation d’une nouvelle paroisse ne sont des opérations collégiales, impérées comme telles de droit divin.
Pareillement, dans le Nouveau Testament, rien n’indique que les Apôtres se soient « sentis », aient eu conscience d’être un collège pourvu de collégialité. Après leur dispersion, nulle trace qu’ils aient posé un seul acte collégial, ni qu’agissant seuls ils aient marqué qu’ils agissaient au nom d’un collège ; nulle trace que saint Paul ait enjoint à Tite et à Timothée d’agir collégialement, ni même les ait avertis qu’ils étaient constitués en collège ; nulle trace que saint Jean, s’adressant aux « anges » des sept Eglises d’Asie, les ait traités comme formant un collège « collégial ». Exégétiquement, — et la Commission Biblique consultée l’a constaté, bien qu’on n’ait guère tenu compte de son avis —, il est certain que la raison formelle de la collégialité ne se laisse tirer, même par les cheveux, d’aucun texte du Nouveau Testament. Il n’en est que plus étrange de voir des auteurs qui reprochent amèrement (et injustement) à la théologie spéculative, et nommément à la théologie thomiste, de s’aventurer en des constructions dépourvues de fondement scripturaire, s’aventurer eux-mêmes si mal à propos, et tomber en plein sous le reproche qu’ils élèvent contre autrui. Il y a une justice immanente.
Unité dans la foi et dans la prédication de la foi, communion dans la charité, communauté de sollicitude, voilà ce qui ressort avec évidence de l’Ecriture et de la Tradition, et il n’en faut pas davantage pour affirmer que les Evêques sont de droit divin un corps constitué. Ce n’est pas assez pour qu’on puisse dire que ce corps constitué est doué d’une collégialité formelle et actuelle, également de droit divin, comme les collégialistes auraient voulu que l’enseignât le Concile.
Si donc le Concile s’est abstenu de l’emploi du terme collegialitas, c’est parce que la ratio formalis elle-même de collégialité, qui, appliquée à 1’Episcopat catholique, eût emporté la notion d’un gouvernement de droit divin formellement, continuellement et actuellement collégial de l’Eglise par les Evêques unis au Pape, ne se rencontre pas dans la doctrine exposée dans la Constitution. Le mot n’y est pas, parce que l’idée n’y est pas et n’y pouvait pas être.
La même remarque est à faire au sujet du concret collegium, pourtant beaucoup plus susceptible d’une acception large ou métaphorique que l’abstrait collegialitas il y a des quantités de « collèges », disions-nous, qui ne vérifient pas la ratio formalis de collégialité, du « collège électoral » aux « collèges de vacances ». Ce nonobstant, pas une seule fois le texte promulgué n’emploie purement et simplement le terme collegium appliqué à l’Episcopat catholique tantôt on trouve ad modum collegii — à la manière d’un collège, ou à l’imitation d’un collège — (encore cet affaiblissant ad modum est-il accompagné du suraffaiblissant seu cœtus stabilis, un « groupe stable » ne méritant qu’à peine le nom de collège, même au sens le plus impropre) ; tantôt on trouve collegium seu corpus, manière de dire d’ailleurs particulièrement fâcheuse, (car l’équivalence introduite ici entre collegium et corpus est artificielle, les deux termes correspondant en réalité à deux notions distinctes), mais qui, à tout le moins, laisse libre l’opinion selon laquelle le « collège épiscopal » est un collège au sens large, ne comportant pas la ratio formalis de collégialité[1]. Bien plus, dans la phrase même où le concret collegium eût été le plus naturellement et le plus proprement employé, on ne trouve pas collegium, on ne trouve pas même corpus, on trouve Ordo episcoporum qui dit beaucoup moins que l’un et l’autre, qui n’évoque pas même l’idée d’un corps constitué, mais seulement celle, infiniment plus vague, d’une classe, d’une catégorie, d’une appartenance à un certain rang, comme nous disons en français l’ordre des médecins ou l’ordre des architectes.
Tout cela résulte de la lecture de la seule Constitution. Nous n’avons pas besoin d’ajouter que la Nota explicativa praevia ne permet pas une autre interprétation, à ce point même qu’on a prétendu abusivement qu’elle va à effacer de la Constitution ce qui s’y trouve, alors qu’elle n’est à autre fin que d’empêcher d’y mettre ce qui ne s’y trouve pas.
Ainsi le terme de « collégialité » n’est pas devenu terme d’Eglise, en tant qu’appliqué ou applicable à l’Episcopat catholique; la notion de collégialité épiscopale n’est pas entrée dans la dogmatique de l’épiscopat, sinon dans la mesure où elle y était de tout temps, aptitudinelle, inerte, fondamentalement de droit divin comme aptitude, mais formelle et actuelle seulement de droit pontifical, puisque, comme le dit expressément Lumen Gentium, la libre intervention du Pontife Romain est nécessaire pour qu’un acte du « collège épiscopal » soit vraiment collégial, ut verus actus collegialis efficiatur.
Nous nous sommes abstenu de considérations historiques. Que ne dirions-nous pas, si nous opposions les formidables efforts déployés pour introduire et le terme de collégialité dans le lexique de l’Eglise, et la notion de collégialité dans sa dogmatique, à la vanité finale de ces efforts ? Dix fois nous les avons vus au point d’aboutir, dix fois la tempête s’est comme affaissée sur elle-même; dix fois nous nous sommes cru emporté par le raz-de-marée dix fois nous nous sommes aperçu ensuite que nous n’avions pas bougé. Hormis les saints, qui met assez de confiance en Celui qui commande aux vents et aux flots, et qui construit incessamment son Eglise sur l’inébranlable Rocher romain?
- ↑ L’équivalence arbitraire corpus-collegium, corps = collège, absolument nouvelle, est sortie pour la première fois des profondeurs du nadir dans une feuille volante imprimée recto-verso, qui fut distribuée aux Pères le 30 octobre 1963. Le texte très habilement ambigu, ne laissait aux Pères que le choix entre deux opinions également fausses. Au recto ce qui était proposé était un transfert de souveraineté : le véritable sujet de souveraineté dans l’Eglise n’était plus le Pape, mais le « Collège épiscopal », et le Pape ne demeurait le chef de l’Eglise que par être le chef de ce Collège. Au verso, en italiques, ce qui était proposé était une double souveraineté, celle du Pape, celle du Collège épiscopal, et l’on était invité à s’en remettre à l’Esprit-Saint pour assurer l’harmonie entre les deux souverainetés sans aucune disposition institutionnelle. Les rédacteurs de la feuille volante n’expliquaient pas, et pour cause, comment ces belles élucubrations pouvaient s’accorder avec les définitions de Vatican I. On verrait plus tard ! Il n’est resté de cette incroyable entreprise que la fâcheuse équivalence relevée plus haut.